De Jacques Chirac à Bertrand Delanoë, c'est le changement dans la continuité à la mairie de Paris.

Du moins, en matière de marchés publics.
L'inévitable Jean-Claude Decaux, qui avait trusté sous la Chiraquie municipale la plupart des marchés de mobilier urbain (Sanisette, Abribus et autres supports d'affichages) vient d'obtenir la reconduction de l'exploitation des 550 colonnes Morris (dédiées à l'annonce de spectacles) et des 700 mâts porte-affiches (manifestations culturelles, économiques et sportives).
La méthode a changé : Pour une fois, la mairie a fait appel à la concurrence. Mais le résultat est le même : Decaux est incontournable à Paris. Un candidat évincé, Giraudy, désormais propriété de l'Américain Viacom Outdoor, vient de contester ce choix devant le tribunal administratif. Le 7 juillet, ce dernier faisait «injonction» à la Ville de Paris de «différer la signature» du contrat, le temps de statuer cette semaine sur le litige. Le 12 juillet, le Conseil de Paris a néanmoins adopté une délibération autorisant Delanoë à signer avec Decaux, ultime étape avant la signature définitive.
Esthétique. Giraudy était le mieux-disant financier : cette société «présente l'offre la plus intéressante en terme de rendement», souligne l'exposé des motifs présenté aux élus parisiens. Elle était à égalité avec Decaux sur les critères techniques et de maintenance, mais jugée un poil en retrait sur le plan esthétique : «Le maire de Paris estime que la société JC Decaux apporte une dimension historique et innovante plus attrayante que celle de Viacom», selon un compte rendu de la direction des finances. Fait du prince ? «Il n'y a pas de comité d'esthétisme à Paris, rétorque l'entourage de Delanoë. Il faut bien choisir.»
La municipalité ne voit pas malice à privilégier l'esthétique au financier, s'agissant de départager «deux offres très proches». Car l'essentiel est que la redevance versée par JC Decaux sera multipliée par cinq : 9 millions d'euros par an, contre seulement 1,2 million sous les «précédentes mandatures». Sous Chirac, Decaux ne reversait à la mairie que 8 % de son chiffre d'affaires publicitaire. Sous Delanoë, le taux fluctuera entre 41 et 55 %. «La question n'est pas tant à qui on donne le marché, mais de faire rentrer de l'argent», assure un proche de Bertrand Delanoë.
Pour mieux prouver sa volonté de ne faire aucun cadeau à Decaux, l'équipe Delanoë affirme que le renouvellement du contrat de la moitié des Sanisette, en 2006, sera aussi soumis à concurrence, afin de réduire l'enveloppe annuelle de 6 millions d'euros que verse la Ville car en plus d'être payants pour les usagers, la mairie finance l'exploitant de ces WC publics. Et de promettre «200 Sanisette gratuites pour les Parisiens, plus jolies et accessibles aux handicapés». Les autres contrats urbains de Decaux, bien verrouillés juridiquement sous Chirac, ne sont renouvelables qu'à l'horizon 2012.
Inconfortable. Concernant le renouvellement du marché de l'eau, autrement plus important financièrement (il brasse près de 500 millions d'euros par an), symbole des privatisations chiraquiennes abracadabrantesquement favorables aux délégataires privés, Delanoë est dans une situation plus inconfortable. En 1997, alors chef de l'opposition municipale, il avait engagé un recours au tribunal administratif contre un avenant liant la ville de Paris et le duopole des marchands d'eau, la Générale et la Lyonnaise. Ce curieux avenant, adopté sous Chirac puis Tiberi, leur accordait une garantie contre une baisse de chiffre d'affaires : contrairement à la mécanique économique la plus élémentaire, à Paris, quand la consommation d'eau baisse, son prix monte ! Une fois élu maire, Delanoë a retiré son recours. Il s'est contenté de supprimer l'avenant, sans effet rétroactif.
Le 15 décembre 2003 à 21 heures, s'ouvrait au conseil de Paris un «débat sur l'affaire prioritaire relative au contrat de l'eau». Après un dîner arrosé d'un château-margaux, Delanoë cède la présidence de séance à sa première adjointe, Anne Hidalgo, ex-chargée de mission à la Générale des eaux détail de carrière trop peu connu des électeurs parisiens. Parfaite gardechiourme, elle coupe constamment la parole «il faut conclure», «je vous demande de tenir en cinq minutes maximum»... , sous prétexte de renvoyer tout le monde se coucher le moins tard possible. De fait, l'accord entre Paris et ses marchands d'eau a été ficelé en coulisse. Ces derniers acceptent de réduire leur marge de rentabilité de 6 à 4 % et promettent d'engager 153 millions d'euros dans la rénovation des canalisations (dont seulement 62 millions de leur poche, sur six ans). Mais toujours pas de baisse du prix de l'eau.
Cette fois encore, la continuité l'emporte sur le changement. Le porte-parole du groupe UMP au Conseil de Paris, Jean-Didier Berthault, ironise sur «la méthode du "retenez-moi ou je fais un malheur", suivie d'un réajustement technique ou financier et du retour à la politique antérieure». Pour les Verts, l'élue parisienne Anne Le Strat se dit «déçue» : «Nous aurions pu aller beaucoup plus loin.»