
Au milieu des années 2000, je suis confronté à un important dossier : la gestion de la distribution d’eau dans la région lilloise. Les affaires de ce genre passionnent rarement le grand public en raison de leur caractère technique, mais elles sont emblématiques tant elles incarnent le cynisme avec lequel les biens collectifs les plus précieux peuvent être utilisés à des fins cupides et frauduleuses. Tout commence le 16 février 2006, lors du déplacement à Lille d’un de mes amis d’Anticor, Jean-Luc Touly, dans le cadre de la fonction de Danielle Mitterrand, France Libertés. Ancien salarié et délégué syndical au sein du groupe Vivendi-Environnement (futur Veolia), Jean-Luc Touly s’est fait connaître quelques années auparavant en dénonçant publiquement les pratiques de son employeur. Désormais membre actif de la Fondation de l’épouse de François Mitterrand, Jean-Luc m’informe qu’il intervient le soir même lors d’une réunion publique. Sibyllin, il ajoute :
_ « je vais sans doute évoquer un sujet qui devrait t’intéresser… »
_ « je vais sans doute évoquer un sujet qui devrait t’intéresser… »
Un millard de francs non rendus aux contribuables

Présence de Danielle Mitterrand oblige, les membres de France Libertés sont accueillis à Lille avec tous les honneurs : la délégation est notamment reçue pour le déjeuner par Pierre Mauroy, et de nombreuses personnalités locales font le déplacement pour la réunion publique du soir, organisée à la salle du Gymnase. Outre Danielle Mitterrand et Jean-Luc Touly, la tribune compte comme intervenants le président de l’UFC Que Choisir Robert Bréhon, le président du Siden (Syndicat interdépartemental des Eaux du Nord) Paul Raoult, et le vice-président du conseil général du Nord Jean Schepman. Alors que la réunion a pour thème « le droit à l’eau libre, potable, gratuite », les invités lillois consacrent principalement leurs interventions à des problématiques locales : Paul Raoult évoque la gestion publique de l’eau et de l’assainissement dans le Nord-Pas-de-Calais, Jean Schepman traite de la rareté de l’eau dans notre région… Les prises de paroles restent très consensuelles, jusqu’à ce que Jean-Luc Touly jette un pavé dans la marre en affirmant :
_ « La Société des Eaux du Nord a conservé un plus d’un milliard de francs de provisions non utilisées entre 1986 et 1995.
Si le chiffre interpelle, l’accusation relève d’une problématique relativement technique. En 1985, la Communauté urbaine de Lille a confié à la Société des Eaux du Nord (SEN) une délégation de service public pour une durée de trente ans. La SEN est ainsi chargée d’une triple mission : le pompage de l’eau dans les nappes phréatiques, son assainissement pour la rendre consommable et sa distribution aux administrés. A l’époque, le capital de la SEN est détenu par les deux principales multinationales de l’eau : Veolia et Suez. En 1997, un rapport de la chambre régionale des comptes a dévoilé que la SEN a conservé 1,077 milliard de francs (164 millions d’euros) de provisions pour des travaux jamais effectués. Si les dirigeants de la société ont plaidé à l’époque pour un simple retard dans la mise en œuvre des travaux, ceux-ci n’ont pas davantage été accomplis dans les années suivantes, alors que l’argent a bien été encaissé.
Lorsque Jean-Luc Touly évoque cette affaire à la tribune en réclamant que cette somme soit rendue aux usagers, en étant retournée par la SEN à la communauté urbaine de Lille, mon sang ne fait qu’un tour. Pourquoi les élus de la Communauté urbaine, son président Pierre Mauroy en tête, n’en ont-ils pas réclamé le remboursement ? Ce versement dissimulerait-il un arrangement avec les multinationales de l’eau ? Assis dans les rangs du public, je me lève brusquement pour prendre la parole :
_ « Si un milliard de francs d’argent public s’est retrouvé sans contrepartie dans les caisses d’une société de distribution d’eau, il va falloir que cette somme revienne dans les poches des contribuables !
Apercevant une proche de Pierre Mauroy dans la salle, je poursuis à son intention :
_ « Vous pouvez dire à votre patron que je vais lui écrire et qu’il a plutôt intérêt à me répondre ! parce que sinon ce dossier va connaître une suite identique à celle de l’affaire Cohen-Solal !
Si, à l’époque, Pierre Mauroy n’a pas été mis en examen dans cette instruction, Lyne Cohen-Sohal l’est déjà. La proche de président de la Communauté urbaine présente dans la salle tente de calmer le jeu :
_ « Nous ne sommes pas là pour polémiquer !
Loin de me radoucir, je lance un appel aux personnes du public pour qu’elles me rejoignent afin de constituer une association dont l’objectif serait de réclamer l’argent indûment perçu par la Société des Eaux du Nord. Mon propos provoque un brouhaha dans la salle. Cet appel a beau être totalement improvisé, il se concrétise dans les jours suivants. Avec une poignée de contribuables locaux, je déposes les statuts d’une association loi 1901 baptisée « Eau Secours LMCU »- un jeu de mots, aurait précisé Maître Capello.
_ « La Société des Eaux du Nord a conservé un plus d’un milliard de francs de provisions non utilisées entre 1986 et 1995.
Si le chiffre interpelle, l’accusation relève d’une problématique relativement technique. En 1985, la Communauté urbaine de Lille a confié à la Société des Eaux du Nord (SEN) une délégation de service public pour une durée de trente ans. La SEN est ainsi chargée d’une triple mission : le pompage de l’eau dans les nappes phréatiques, son assainissement pour la rendre consommable et sa distribution aux administrés. A l’époque, le capital de la SEN est détenu par les deux principales multinationales de l’eau : Veolia et Suez. En 1997, un rapport de la chambre régionale des comptes a dévoilé que la SEN a conservé 1,077 milliard de francs (164 millions d’euros) de provisions pour des travaux jamais effectués. Si les dirigeants de la société ont plaidé à l’époque pour un simple retard dans la mise en œuvre des travaux, ceux-ci n’ont pas davantage été accomplis dans les années suivantes, alors que l’argent a bien été encaissé.
Lorsque Jean-Luc Touly évoque cette affaire à la tribune en réclamant que cette somme soit rendue aux usagers, en étant retournée par la SEN à la communauté urbaine de Lille, mon sang ne fait qu’un tour. Pourquoi les élus de la Communauté urbaine, son président Pierre Mauroy en tête, n’en ont-ils pas réclamé le remboursement ? Ce versement dissimulerait-il un arrangement avec les multinationales de l’eau ? Assis dans les rangs du public, je me lève brusquement pour prendre la parole :
_ « Si un milliard de francs d’argent public s’est retrouvé sans contrepartie dans les caisses d’une société de distribution d’eau, il va falloir que cette somme revienne dans les poches des contribuables !
Apercevant une proche de Pierre Mauroy dans la salle, je poursuis à son intention :
_ « Vous pouvez dire à votre patron que je vais lui écrire et qu’il a plutôt intérêt à me répondre ! parce que sinon ce dossier va connaître une suite identique à celle de l’affaire Cohen-Solal !
Si, à l’époque, Pierre Mauroy n’a pas été mis en examen dans cette instruction, Lyne Cohen-Sohal l’est déjà. La proche de président de la Communauté urbaine présente dans la salle tente de calmer le jeu :
_ « Nous ne sommes pas là pour polémiquer !
Loin de me radoucir, je lance un appel aux personnes du public pour qu’elles me rejoignent afin de constituer une association dont l’objectif serait de réclamer l’argent indûment perçu par la Société des Eaux du Nord. Mon propos provoque un brouhaha dans la salle. Cet appel a beau être totalement improvisé, il se concrétise dans les jours suivants. Avec une poignée de contribuables locaux, je déposes les statuts d’une association loi 1901 baptisée « Eau Secours LMCU »- un jeu de mots, aurait précisé Maître Capello.
Que ce monsieur Darques dépose plainte !

Il aurait été si simple pour Pierre Mauroy de décrocher son téléphone et de réclamer un chèque du montant indiqué par la CRC ! N’est-il pas alors l’homme politique le plus influent du Nord ? Plutôt que d’opter pour cette solution, qui aurait eu le mérite de la simplicité et la transparence, la SEN et la Communauté urbaine concoctent un avenant au contrat, portant le n° 7, qui en plus de points techniques à mettre en œuvre par la SEN doit créer cent emplois. Rien ne sera mis en œuvre pour que ces emplois voient le jour. Comble du cynisme : non seulement les recrutements promis n’auront pas lieu, mais les effectifs de la SEN diminueront, comme le démontrent les rapports sociaux annuels que la Société des eaux du Nord envoie à la Communauté urbaine.
En novembre 2006, l’association, dont j’ai pris la présidence, tient une conférence de presse en présence de William Bourdon, mon avocat pour ce dossier, que m’a présenté Jean-Luc Touly, et du secrétaire national des Verts Yann Wehrling. La sénatrice écologiste Marie-Christine Blandin ne peut être présente, mais nous fait parvenir un message de soutien. Face aux journalistes, William Bourdon prend la parole pour mettre Pierre Mauroy en demeure. Il exige que ce dernier réclame l’argent à la Société des eaux du Nord. Afin de respecter les formes, nous envoyons un huissier pour déposer un courrier en ce sens à la Communauté urbaine. Notre démarche n’a pas l’impact escompté : la Communauté urbaine ne réagit pas à notre mise en demeure et les médias se font l’écho de l’affaire de manière relativement discrète. Je remarque tout de meme que, contrairement à mes premières tentatives pour rendre publique l’affaire Lyne Cohen-Solal, La Voix du Nord, Nord Eclair et France 3 Régions reprennent mes informations.
Un an après cette mise en demeure, nous organisons une nouvelle conférence de presse. J’annonce que nous estimons avoir accordé suffisamment de temps à la Communauté urbaine pour réclamer l’argent à la Société des Eaux du Nord et que, face à son absence de réaction, notre association s’apprête à déposer plainte.
En réalité, la Communauté urbaine de Lille n’est pas restée totalement inactive. Elle a fait réaliser, par un cabinet extérieur, un audit sur la gestion des eaux du Nord portant sur les années 2000 à 2005. Bien que cette période soit postérieure à celle qui nous préoccupe, et que l’audit ne résolve rien concernant la somme indûment perçue, Pierre Mauroy brandit ce rapport lors d’une séance de la Communauté urbaine en affirmant de sa voix de bronze :
_ « Ce M. Darques menace de déposer une plainte ? Eh bien, qu’il le fasse ! Il verra notre réponse !
Ce que le président de la Communauté urbaine ignore, c’est que je me trouve dans les rangs du public et que je me promets de ne pas le décevoir…
En avril 2008, l’association Eau Secours dépose une plainte contre X pour abus de confiance, complicité, faux et usage de faux ». J’explique dans la presse que cette action en justice a pour but de contraindre la SEN à rembourser à la Communauté urbaine l’intégralité de la somme indûment perçue : « Cela fait aujourd’hui plus de 340 millions d’euros avec les intérêts. Je veux que tous les usagers de l’eau de la métropole reçoivent un chèque. Comme cela, ils se rendront compte de l’ampleur du scandale. »
Une fois l’instruction judiciaire lancée, je suis entendu le 9 juin 2008 par la brigade financière dans le cabiner de mon avocat. L’audition dure six heures, me laissant le temps de détailler l’ensemble des éléments du dossier. L’un des policiers me met sous le nez l’audit réalisé par le cabinet extérieur pour la Communauté urbaine, qui stipule que les provisions sont désormais correctement utilisées, afin de me demander mon opinion. Je réclame un peu de temps pour examiner ces informations avant de faire savoir ce que j’en pense. A mes yeux, cet audit ne possède qu’une raison d’être : contrecarrer notre action judiciaire. La Communauté urbaine affirme également avoir obtenu en 2001, la restitution de 14% de la somme globale due par la SEN, soit 24 millions d’euros. Mais nous n’obtiendrons aucune explication concrète sur les circonstances de ce supposé remboursement partiel.
En novembre 2006, l’association, dont j’ai pris la présidence, tient une conférence de presse en présence de William Bourdon, mon avocat pour ce dossier, que m’a présenté Jean-Luc Touly, et du secrétaire national des Verts Yann Wehrling. La sénatrice écologiste Marie-Christine Blandin ne peut être présente, mais nous fait parvenir un message de soutien. Face aux journalistes, William Bourdon prend la parole pour mettre Pierre Mauroy en demeure. Il exige que ce dernier réclame l’argent à la Société des eaux du Nord. Afin de respecter les formes, nous envoyons un huissier pour déposer un courrier en ce sens à la Communauté urbaine. Notre démarche n’a pas l’impact escompté : la Communauté urbaine ne réagit pas à notre mise en demeure et les médias se font l’écho de l’affaire de manière relativement discrète. Je remarque tout de meme que, contrairement à mes premières tentatives pour rendre publique l’affaire Lyne Cohen-Solal, La Voix du Nord, Nord Eclair et France 3 Régions reprennent mes informations.
Un an après cette mise en demeure, nous organisons une nouvelle conférence de presse. J’annonce que nous estimons avoir accordé suffisamment de temps à la Communauté urbaine pour réclamer l’argent à la Société des Eaux du Nord et que, face à son absence de réaction, notre association s’apprête à déposer plainte.
En réalité, la Communauté urbaine de Lille n’est pas restée totalement inactive. Elle a fait réaliser, par un cabinet extérieur, un audit sur la gestion des eaux du Nord portant sur les années 2000 à 2005. Bien que cette période soit postérieure à celle qui nous préoccupe, et que l’audit ne résolve rien concernant la somme indûment perçue, Pierre Mauroy brandit ce rapport lors d’une séance de la Communauté urbaine en affirmant de sa voix de bronze :
_ « Ce M. Darques menace de déposer une plainte ? Eh bien, qu’il le fasse ! Il verra notre réponse !
Ce que le président de la Communauté urbaine ignore, c’est que je me trouve dans les rangs du public et que je me promets de ne pas le décevoir…
En avril 2008, l’association Eau Secours dépose une plainte contre X pour abus de confiance, complicité, faux et usage de faux ». J’explique dans la presse que cette action en justice a pour but de contraindre la SEN à rembourser à la Communauté urbaine l’intégralité de la somme indûment perçue : « Cela fait aujourd’hui plus de 340 millions d’euros avec les intérêts. Je veux que tous les usagers de l’eau de la métropole reçoivent un chèque. Comme cela, ils se rendront compte de l’ampleur du scandale. »
Une fois l’instruction judiciaire lancée, je suis entendu le 9 juin 2008 par la brigade financière dans le cabiner de mon avocat. L’audition dure six heures, me laissant le temps de détailler l’ensemble des éléments du dossier. L’un des policiers me met sous le nez l’audit réalisé par le cabinet extérieur pour la Communauté urbaine, qui stipule que les provisions sont désormais correctement utilisées, afin de me demander mon opinion. Je réclame un peu de temps pour examiner ces informations avant de faire savoir ce que j’en pense. A mes yeux, cet audit ne possède qu’une raison d’être : contrecarrer notre action judiciaire. La Communauté urbaine affirme également avoir obtenu en 2001, la restitution de 14% de la somme globale due par la SEN, soit 24 millions d’euros. Mais nous n’obtiendrons aucune explication concrète sur les circonstances de ce supposé remboursement partiel.
Un ancien patron du FMI

Notre plainte est classée sans suite par le parquet, selon une habitude qui ne se dément pas. Fin 2001, nous déposons une nouvelle plainte avec constitution de partie civile. Mais un autre jeu, pour le moins troublant, se joue devant le tribunal administratif de Lille entre la Communauté urbaine et la Société des Eaux du Nord.
Quelques temps auparavant, la Communauté urbaine a décidé de modifier le contrat de délégation de service public qui la lie à la SEN. Les deux parties n’ayant pas trouvé d’accord, la collectivité lilloise a demandé à l’entreprise de lui restituer la fameuse somme octroyée pour des travaux jamais réalisés. Si tout semble alors indiquer que la Communauté urbaine va enfin dans mon sens en agissant de la sorte, la réalité se révèle plus complexe. Pour trancher leur différend, les deux parties s’en remettent, à la fin de l’année 2009, à une commission arbitrale indépendante présidée par l’ancien directeur du Fonds Monétaire International (FMI), Michel Camdessus. Dès que j’apprends la nouvelle, le vois venir un stratagème pour contrecarrer ma plainte. En effet, outre ses fonctions au FMI, Michel Camdessus a la réputation d’être proche de plusieurs multinationales de l’eau. Plutôt que de voir en lui la personnalité indépendante, je le soupçonne de représenter un lobby. Dès l’annonce de la création de la commission arbitrale, je m’empresse de faire savoir publiquement que ma plainte se poursuivra quel que soit le résultat de l’arbitrage.
La commission rend ses conclusions le 30 mars 2010, et affirme que la SEN doit rembourser 115 millions à la Communauté Urbaine. Moi qui m’attendais à ce que cette commission ne relève que d’une manœuvre trompeuse, je dois admettre que j’avais tort. Avec une certaine mauvaise foi, je déclare aux journalistes :
_ « Vous avez vu, la commission arbitrale a fait son boulot ! Elle reconnaît que j’avais raison pour les deux tiers !
Même si mes chiffres sont plus élevés que ceux de la commission, sur le fond de l’affaire, je peux désormais m’appuyer sur la crédibilité de Michel Camdessus – qui, force est de constater, apparaît largement supérieure à la mienne. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. En février 2009, j’avais rencontré pour une autre affaire Jean-Marc Germain, le directeur de cabinet de Marine Aubry, qui préside désormais la Communauté urbaine. J’en avais profité pour échanger avec lui sur le dossier de l’eau, mais il s’était montré fort évasif sur le sujet. Après l’annonce des conclusions de la commission arbitrale, j’interpelle ce même Jean-Marc Germain lors d’une interruption de séance d’une réunion de la Communauté urbaine :
_ « je suis ravi de ce résultat. A présent, vous allez pouvoir réclamer les 115 millions. Il ne vous reste plus qu’à émettre un titre de recettes.
Face à l’incrédulité de mon interlocuteur, je précise :
_ La commission arbitrale considère que la Société des eaux du Nord doit 115 millions à la Communauté urbaine. Il faut donc que vous réclamiez cette somme à l’entreprise en émettant un titre de recettes.
Jean-Marc Germain devient livide. Pourtant cette démarche paraît évidente, un titre de recettes étant la procédure légale à suivre pour une collectivité qui réclame une créance à un débiteur. J’ajoute :
_ « Car, si vous ne le faites pas, je vais le faire.
Cette perspective le laisse circonspect. Apparemment, ce n’est pas ce qui était prévu. Si j’ai le sentiment que la Communauté urbaine avait l’intention d’en rester là, celle-ci émettra tout de même rapidement le titre de recettes.
Quelques temps auparavant, la Communauté urbaine a décidé de modifier le contrat de délégation de service public qui la lie à la SEN. Les deux parties n’ayant pas trouvé d’accord, la collectivité lilloise a demandé à l’entreprise de lui restituer la fameuse somme octroyée pour des travaux jamais réalisés. Si tout semble alors indiquer que la Communauté urbaine va enfin dans mon sens en agissant de la sorte, la réalité se révèle plus complexe. Pour trancher leur différend, les deux parties s’en remettent, à la fin de l’année 2009, à une commission arbitrale indépendante présidée par l’ancien directeur du Fonds Monétaire International (FMI), Michel Camdessus. Dès que j’apprends la nouvelle, le vois venir un stratagème pour contrecarrer ma plainte. En effet, outre ses fonctions au FMI, Michel Camdessus a la réputation d’être proche de plusieurs multinationales de l’eau. Plutôt que de voir en lui la personnalité indépendante, je le soupçonne de représenter un lobby. Dès l’annonce de la création de la commission arbitrale, je m’empresse de faire savoir publiquement que ma plainte se poursuivra quel que soit le résultat de l’arbitrage.
La commission rend ses conclusions le 30 mars 2010, et affirme que la SEN doit rembourser 115 millions à la Communauté Urbaine. Moi qui m’attendais à ce que cette commission ne relève que d’une manœuvre trompeuse, je dois admettre que j’avais tort. Avec une certaine mauvaise foi, je déclare aux journalistes :
_ « Vous avez vu, la commission arbitrale a fait son boulot ! Elle reconnaît que j’avais raison pour les deux tiers !
Même si mes chiffres sont plus élevés que ceux de la commission, sur le fond de l’affaire, je peux désormais m’appuyer sur la crédibilité de Michel Camdessus – qui, force est de constater, apparaît largement supérieure à la mienne. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. En février 2009, j’avais rencontré pour une autre affaire Jean-Marc Germain, le directeur de cabinet de Marine Aubry, qui préside désormais la Communauté urbaine. J’en avais profité pour échanger avec lui sur le dossier de l’eau, mais il s’était montré fort évasif sur le sujet. Après l’annonce des conclusions de la commission arbitrale, j’interpelle ce même Jean-Marc Germain lors d’une interruption de séance d’une réunion de la Communauté urbaine :
_ « je suis ravi de ce résultat. A présent, vous allez pouvoir réclamer les 115 millions. Il ne vous reste plus qu’à émettre un titre de recettes.
Face à l’incrédulité de mon interlocuteur, je précise :
_ La commission arbitrale considère que la Société des eaux du Nord doit 115 millions à la Communauté urbaine. Il faut donc que vous réclamiez cette somme à l’entreprise en émettant un titre de recettes.
Jean-Marc Germain devient livide. Pourtant cette démarche paraît évidente, un titre de recettes étant la procédure légale à suivre pour une collectivité qui réclame une créance à un débiteur. J’ajoute :
_ « Car, si vous ne le faites pas, je vais le faire.
Cette perspective le laisse circonspect. Apparemment, ce n’est pas ce qui était prévu. Si j’ai le sentiment que la Communauté urbaine avait l’intention d’en rester là, celle-ci émettra tout de même rapidement le titre de recettes.
Tour de passe-passe
Le feuilleton procédural se poursuit. De son côté, la Société des eaux du Nord conteste l’émission, par la Communauté urbaine, d’un titre de recette d’un montant de 115 millions devant le tribunal administratif, qui lui donne raison. La Communauté urbaine fait d’abord appel de cette décision, puis suspend la procédure qu’elle a elle-même enclenchée. Les deux parties se rapprochent alors pour négocier un arrangement. Suez environnement, désormais seule maison-mère de la Société des eaux du Nord, accepte de rembourser 60 millions d’euros à la Communauté urbaine. Un expert sera désigné par le tribunal administratif dans les prochains mois afin d’arbitrer sur les 55 millions d’euros restants. Surprise du chef : dans le cadre de l’arrangement, il est établi que la SEN vendra ses usines de production d’eau – qui réalisent l’extraction et le traitement- à la Communauté urbaine pour … 55 millions d’euros !
L’accord est fièrement annoncé le 6 juin 2013 par Martine Aubry. La présidente de la Communauté urbaine déclare que l’arrangement « préserve parfaitement les intérêts des métropolitains jusqu’en 2015 ». Elément important : la Communauté urbaine doit prochainement décider de quelle façon sera gérée la distribution de l’eau dans la métropole lilloise pour les années à venir. La délégation de service public accordée à la SEN depuis trente ans devant s’achever fin 2015, cette question fait l’objet de débats au sein de la collectivité. Trois options : prolonger l’accord avec la SEN, s’engager avec un autre prestataire ou constituer une régie publique de distribution d’eau.
Dernier épisode en date : Suez étant écartée de l’appel d’offres pour la prochaine délégation de distribution de l’eau, l’entreprise a immédiatement déposé un recours devant le tribunal administratif qui vient de donner raison à la collectivité. Il est cocasse de constater que la % MEL (Metropole européenne de Lille) a été représentée par les avocats habituels de …Veolia. Surement un pur hasard, sachant que Veolia était la seule véritable concurrente en lice ! Toute cette affaire ressemble à s’y méprendre à un tour de passe-passe.
Résumons les diverses tractations. Dans un premier temps, la Société des eaux du Nord, qui a pourtant gagné devant le tribunal administratif, accepte spontanément de verser 60 millions d’euros à la Commission urbaine. Dans un deuxième temps, la même Communauté urbaine paie 55 millions à la Société des eaux du Nord pour racheter les usines de production. Celles-ci valent 25 millions tout au plus, selon mes propres estimations en tenant compte de l’amortissement et des investissements – sans oublier que la Société des eaux du Nord aurait été expropriée de ces usines si le contrat avec la Communauté urbaine était revenu à un autre prestataire. Sans même prendre en compte cette possible sous-estimation du prix des usines, certains éléments parlent d’eux-mêmes. Si l’on observe prosaïquement les transferts d’argent, on constate que, sur les 60 millions déboursés par la SEN, 55 millions lui reviennent aussitôt. Sur l’ensemble des transactions, la Communauté urbaine ne conserve que 5 millions d’euros. Autre bizarrerie : si l’on additionne 60 et 55 millions on obtient 115 millions…
Le dernier rebondissement judiciaire survient sous la forme d’un écrit du juge d’instruction qui annonce le classement du dossier, puisque les protagonistes Suez et la MEL ont trouvé un accord. Alors quid de l’avenant n°7 qui prévoyait la création de cent emplois et la mise en œuvre d’autres points techniques ? De qui se moque-t-on ? Pourquoi refuse-t-on de voir les évidences ? Pourquoi aucun élu n’a-t-il jamais essayé de faire payer Suez ? Sans doute le confort et la tranquillité d’esprit des élus de Lille-Métropole valent bien cent emplois.
Pour moi, ce dossier se termine avec un goût d’inachevé. J’aurais tellement aimé que le milliard de francs (164 millions d’euros) dénoncé par la Chambre régionale des comptes (CRC) revienne dans la poche des usagers. Dommage !
Un policier de la brigade financière me dira cependant :
_ Monsieur Darques, vous avez quand même fait des choses. Désormais, les sites de production appartiennent à la sphère publique, et c’est déjà pas mal.
J’ai pris cette réflexion, venant d’une personne pour qui j’ai un profond respect, comme une marque d’encouragement. Mais la déception de ne pas avoir pu faire plus est toujours présente.
L’accord est fièrement annoncé le 6 juin 2013 par Martine Aubry. La présidente de la Communauté urbaine déclare que l’arrangement « préserve parfaitement les intérêts des métropolitains jusqu’en 2015 ». Elément important : la Communauté urbaine doit prochainement décider de quelle façon sera gérée la distribution de l’eau dans la métropole lilloise pour les années à venir. La délégation de service public accordée à la SEN depuis trente ans devant s’achever fin 2015, cette question fait l’objet de débats au sein de la collectivité. Trois options : prolonger l’accord avec la SEN, s’engager avec un autre prestataire ou constituer une régie publique de distribution d’eau.
Dernier épisode en date : Suez étant écartée de l’appel d’offres pour la prochaine délégation de distribution de l’eau, l’entreprise a immédiatement déposé un recours devant le tribunal administratif qui vient de donner raison à la collectivité. Il est cocasse de constater que la % MEL (Metropole européenne de Lille) a été représentée par les avocats habituels de …Veolia. Surement un pur hasard, sachant que Veolia était la seule véritable concurrente en lice ! Toute cette affaire ressemble à s’y méprendre à un tour de passe-passe.
Résumons les diverses tractations. Dans un premier temps, la Société des eaux du Nord, qui a pourtant gagné devant le tribunal administratif, accepte spontanément de verser 60 millions d’euros à la Commission urbaine. Dans un deuxième temps, la même Communauté urbaine paie 55 millions à la Société des eaux du Nord pour racheter les usines de production. Celles-ci valent 25 millions tout au plus, selon mes propres estimations en tenant compte de l’amortissement et des investissements – sans oublier que la Société des eaux du Nord aurait été expropriée de ces usines si le contrat avec la Communauté urbaine était revenu à un autre prestataire. Sans même prendre en compte cette possible sous-estimation du prix des usines, certains éléments parlent d’eux-mêmes. Si l’on observe prosaïquement les transferts d’argent, on constate que, sur les 60 millions déboursés par la SEN, 55 millions lui reviennent aussitôt. Sur l’ensemble des transactions, la Communauté urbaine ne conserve que 5 millions d’euros. Autre bizarrerie : si l’on additionne 60 et 55 millions on obtient 115 millions…
Le dernier rebondissement judiciaire survient sous la forme d’un écrit du juge d’instruction qui annonce le classement du dossier, puisque les protagonistes Suez et la MEL ont trouvé un accord. Alors quid de l’avenant n°7 qui prévoyait la création de cent emplois et la mise en œuvre d’autres points techniques ? De qui se moque-t-on ? Pourquoi refuse-t-on de voir les évidences ? Pourquoi aucun élu n’a-t-il jamais essayé de faire payer Suez ? Sans doute le confort et la tranquillité d’esprit des élus de Lille-Métropole valent bien cent emplois.
Pour moi, ce dossier se termine avec un goût d’inachevé. J’aurais tellement aimé que le milliard de francs (164 millions d’euros) dénoncé par la Chambre régionale des comptes (CRC) revienne dans la poche des usagers. Dommage !
Un policier de la brigade financière me dira cependant :
_ Monsieur Darques, vous avez quand même fait des choses. Désormais, les sites de production appartiennent à la sphère publique, et c’est déjà pas mal.
J’ai pris cette réflexion, venant d’une personne pour qui j’ai un profond respect, comme une marque d’encouragement. Mais la déception de ne pas avoir pu faire plus est toujours présente.