
Sébastien Sauvé et Liza Viglino
http://nouvelles.umontreal.ca/content/view/1715/221/
Un seul nanogramme (ng) d’hormones stéroïdes dans un litre d’eau est suffisant pour perturber le système endocrinien des poissons et diminuer leur fertilité, voire causer l’hermaphrodisme ou la féminisation des mâles. Les eaux que l’usine d’épuration de Montréal rejette dans le fleuve contiennent jusqu’à 90 ng/l de certains composés d’œstrogène. C’est dire dans quelle soupe hormonale nagent les poissons!
C’est ce que révèle une étude réalisée par Liza Viglino, chercheuse postdoctorale au Département de chimie et à la Chaire industrielle CRSNG en eau potable de l’École polytechnique, sous la direction de Sébastien Sauvé et de Michelle Provost.
La présence de résidus d’œstrogène dans l’eau et leurs effets sur les espèces aquatiques sont connus. La nouveauté de cette recherche est d’avoir pris en considération non seulement les hormones naturelles et celles entrant dans les contraceptifs oraux mais, pour la première fois, des produits utilisés dans l’hormonothérapie de remplacement, prescrite aux femmes ménopausées.
Les données disponibles montrent que 128 millions de pilules contraceptives et 107 millions de doses d’hormonothérapie substitutive sont consommées chaque année au Québec seulement.
Estradiol et compagnie
Au total, huit composés d’œstrogène, soit trois naturels et cinq de synthèse, ont été ciblés par l’équipe de chercheurs. Des échantillons d’eau ont été prélevés à cinq endroits: dans la rivière des Mille-Îles, dans le fleuve Saint-Laurent, dans les deux collecteurs d’eaux usées menant à l’usine d’épuration montréalaise et à la sortie de l’usine.
Un seul composé a été détecté dans l’eau du Saint-Laurent, l’estradiol, une hormone naturelle liée au développement des caractères sexuels secondaires chez la femme. Le taux atteignait 8 ng/l mais grimpait à près de 126 à l’entrée de l’usine d’épuration. Les rejets de l’usine en contenaient encore 90 ng/l, c’est-à-dire 74 % de la teneur mesurée dans les eaux usées.
Un autre composé œstrogénique naturel, l’estriol, produit en grande quantité pendant la grossesse, a affiché un taux encore plus haut à l’entrée de l’usine, soit 237 ng/l. À la sortie, les chercheurs ne l’ont retrouvé qu’à l’état de traces.
Par ailleurs, l’effluent de l’usine comptait 30 ng/l de lévonorgestrel, mieux connu sous le nom de «pilule du lendemain», alors que le taux était de 160 ng/l à l’entrée. Un seul composé utilisé dans l’hormonothérapie de remplacement, la noréthindrone, a été détecté dans les rejets à raison de 53 ng/l, comparativement à 138 avant l’épuration.
«Si les autres composés n’ont pas été décelés dans le fleuve ou à la sortie de l’usine, cela ne veut pas dire qu’ils étaient absents, précise Liza Viglino. C’est que notre méthode de détection ne parvient pas à repérer des quantités inférieures à 7 ng/l.» Pour donner une idée de cette échelle de mesure, un nanogramme dans un litre d’eau équivaut à une pomme dans un volume gros comme le Stade olympique.
Les chercheurs ont en outre mis au point une nouvelle méthode de travail pour cette étude en automatisant la partie initiale consistant à concentrer les composés recherchés. «Ce qui prenait auparavant un ou deux jours s’effectue maintenant en quelques heures», mentionne Mme Viglino.
Eau potable
Il ne faudrait pas penser que la teneur de ces différents composés demeure aussi élevée plus loin en aval de l’usine d’épuration. «Les rejets de l’usine sont dilués dans le volume total d’eau du Saint-Laurent, souligne Sébastien Sauvé. De plus, les composés d’œstrogène se dégradent de façon naturelle avec le temps; à Montréal, nous ne recevons pas tout ce qui est rejeté à Toronto ou dans l’Outaouais.»
La différence entre le taux à l’entrée de l’usine et celui à la sortie est due uniquement au fait qu’une partie des résidus œstrogéniques est retenue dans les boues filtrées par l’usine. Aucun traitement n’est effectué sur les eaux rejetées. Selon le professeur Sauvé, un traitement à l’ozone serait de nature à éliminer ces divers composés hormonaux.
On doit aussi se rassurer quant à l’eau potable; elle ne contient pas autant d’œstrogènes que les taux mesurés dans le fleuve puisque, selon Sébastien Sauvé, une bonne part des molécules concernées est dégradée par les procédés de purification comme la chloration.
Le professeur s’inquiète tout de même pour la santé de la faune aquatique. Même si l’on ne peut pas faire de transposition chez l’être humain, plusieurs composés dont on ne tenait pas compte auparavant présentent des taux largement supérieurs au seuil de un nanogramme par litre, au-delà duquel la santé des poissons est menacée après quelques semaines d’exposition.
Antidépresseurs
Une autre étude du même genre portant cette fois sur six antidépresseurs et quatre dérivés métaboliques a été menée par André Lajeunesse, doctorant du professeur Sauvé, et Christian Gagnon, d’Environnement Canada.
L’étude a montré que les antidépresseurs, contrairement aux œstrogènes, ne sont presque pas retenus par les boues retirées à l’usine d’épuration. Par exemple, un dérivé métabolique de la venlafaxine (inhibiteur de la recapture de la sérotonine), dont le taux était de 274 ng/l à l’entrée de l’usine, affichait encore un taux de 225 ng/l à la sortie.
«À cause de leur composition chimique, de 80 à 90 % des antidépresseurs demeurent dans l’eau après l’épuration», affirme Sébastien Sauvé.
Ces molécules miment l’effet de la sérotonine et peuvent, entre autres, influer sur la vasoconstriction chez les poissons, la reproduction chez les mollusques et le battement des cils chez les protozoaires. Selon les chercheurs, l’ozonation pourrait vraisemblablement détruire ces molécules.
Daniel Baril
Un seul nanogramme (ng) d’hormones stéroïdes dans un litre d’eau est suffisant pour perturber le système endocrinien des poissons et diminuer leur fertilité, voire causer l’hermaphrodisme ou la féminisation des mâles. Les eaux que l’usine d’épuration de Montréal rejette dans le fleuve contiennent jusqu’à 90 ng/l de certains composés d’œstrogène. C’est dire dans quelle soupe hormonale nagent les poissons!
C’est ce que révèle une étude réalisée par Liza Viglino, chercheuse postdoctorale au Département de chimie et à la Chaire industrielle CRSNG en eau potable de l’École polytechnique, sous la direction de Sébastien Sauvé et de Michelle Provost.
La présence de résidus d’œstrogène dans l’eau et leurs effets sur les espèces aquatiques sont connus. La nouveauté de cette recherche est d’avoir pris en considération non seulement les hormones naturelles et celles entrant dans les contraceptifs oraux mais, pour la première fois, des produits utilisés dans l’hormonothérapie de remplacement, prescrite aux femmes ménopausées.
Les données disponibles montrent que 128 millions de pilules contraceptives et 107 millions de doses d’hormonothérapie substitutive sont consommées chaque année au Québec seulement.
Estradiol et compagnie
Au total, huit composés d’œstrogène, soit trois naturels et cinq de synthèse, ont été ciblés par l’équipe de chercheurs. Des échantillons d’eau ont été prélevés à cinq endroits: dans la rivière des Mille-Îles, dans le fleuve Saint-Laurent, dans les deux collecteurs d’eaux usées menant à l’usine d’épuration montréalaise et à la sortie de l’usine.
Un seul composé a été détecté dans l’eau du Saint-Laurent, l’estradiol, une hormone naturelle liée au développement des caractères sexuels secondaires chez la femme. Le taux atteignait 8 ng/l mais grimpait à près de 126 à l’entrée de l’usine d’épuration. Les rejets de l’usine en contenaient encore 90 ng/l, c’est-à-dire 74 % de la teneur mesurée dans les eaux usées.
Un autre composé œstrogénique naturel, l’estriol, produit en grande quantité pendant la grossesse, a affiché un taux encore plus haut à l’entrée de l’usine, soit 237 ng/l. À la sortie, les chercheurs ne l’ont retrouvé qu’à l’état de traces.
Par ailleurs, l’effluent de l’usine comptait 30 ng/l de lévonorgestrel, mieux connu sous le nom de «pilule du lendemain», alors que le taux était de 160 ng/l à l’entrée. Un seul composé utilisé dans l’hormonothérapie de remplacement, la noréthindrone, a été détecté dans les rejets à raison de 53 ng/l, comparativement à 138 avant l’épuration.
«Si les autres composés n’ont pas été décelés dans le fleuve ou à la sortie de l’usine, cela ne veut pas dire qu’ils étaient absents, précise Liza Viglino. C’est que notre méthode de détection ne parvient pas à repérer des quantités inférieures à 7 ng/l.» Pour donner une idée de cette échelle de mesure, un nanogramme dans un litre d’eau équivaut à une pomme dans un volume gros comme le Stade olympique.
Les chercheurs ont en outre mis au point une nouvelle méthode de travail pour cette étude en automatisant la partie initiale consistant à concentrer les composés recherchés. «Ce qui prenait auparavant un ou deux jours s’effectue maintenant en quelques heures», mentionne Mme Viglino.
Eau potable
Il ne faudrait pas penser que la teneur de ces différents composés demeure aussi élevée plus loin en aval de l’usine d’épuration. «Les rejets de l’usine sont dilués dans le volume total d’eau du Saint-Laurent, souligne Sébastien Sauvé. De plus, les composés d’œstrogène se dégradent de façon naturelle avec le temps; à Montréal, nous ne recevons pas tout ce qui est rejeté à Toronto ou dans l’Outaouais.»
La différence entre le taux à l’entrée de l’usine et celui à la sortie est due uniquement au fait qu’une partie des résidus œstrogéniques est retenue dans les boues filtrées par l’usine. Aucun traitement n’est effectué sur les eaux rejetées. Selon le professeur Sauvé, un traitement à l’ozone serait de nature à éliminer ces divers composés hormonaux.
On doit aussi se rassurer quant à l’eau potable; elle ne contient pas autant d’œstrogènes que les taux mesurés dans le fleuve puisque, selon Sébastien Sauvé, une bonne part des molécules concernées est dégradée par les procédés de purification comme la chloration.
Le professeur s’inquiète tout de même pour la santé de la faune aquatique. Même si l’on ne peut pas faire de transposition chez l’être humain, plusieurs composés dont on ne tenait pas compte auparavant présentent des taux largement supérieurs au seuil de un nanogramme par litre, au-delà duquel la santé des poissons est menacée après quelques semaines d’exposition.
Antidépresseurs
Une autre étude du même genre portant cette fois sur six antidépresseurs et quatre dérivés métaboliques a été menée par André Lajeunesse, doctorant du professeur Sauvé, et Christian Gagnon, d’Environnement Canada.
L’étude a montré que les antidépresseurs, contrairement aux œstrogènes, ne sont presque pas retenus par les boues retirées à l’usine d’épuration. Par exemple, un dérivé métabolique de la venlafaxine (inhibiteur de la recapture de la sérotonine), dont le taux était de 274 ng/l à l’entrée de l’usine, affichait encore un taux de 225 ng/l à la sortie.
«À cause de leur composition chimique, de 80 à 90 % des antidépresseurs demeurent dans l’eau après l’épuration», affirme Sébastien Sauvé.
Ces molécules miment l’effet de la sérotonine et peuvent, entre autres, influer sur la vasoconstriction chez les poissons, la reproduction chez les mollusques et le battement des cils chez les protozoaires. Selon les chercheurs, l’ozonation pourrait vraisemblablement détruire ces molécules.
Daniel Baril