Interview de François veillerette par le JDE

François Veillerette
19/04/2007
François Veillerette est président du Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (MDRGF) (1) et administrateur du réseau européen Pesticide action network (PAN Europe). Il revient pour le JDLE sur «Pesticides, révélations sur un scandale français», co-écrit avec le journaliste Fabrice Nicolino et récemment publié chez Fayard. L’ouvrage décrypte l’avènement de ces produits qui sont «partout, jusque dans la rosée du matin» et exhume une «vérité que personne ne pouvait soupçonner».
J’avais publié un livre technique en 2002, mais je souhaitais en faire un qui ne se limite pas à décrire les problèmes, et qui explique le système et l’historique, pour arriver à comprendre comment on en est arrivé là. Avec ce nouveau livre, nous voulions toucher le grand public sur la problématique agriculture et pesticides. Pour la partie enquête, j’ai pensé au journaliste Fabrice Nicolino. Il nous semblait intéressant de raconter l’histoire sous forme d’un roman, avec des noms précis, des personnages. Par exemple Fernand Willaume, ingénieur agronome dès la fin de la première guerre mondiale, qui fut le «vrai fondateur en France du lobby des pesticides». Ou encore François Le Nail, un philosophe «communicant» qui fit tantôt partie du secteur public, tantôt du privé.
C’était le domaine où il y avait le plus de révélations à faire. Le lobby pesticides a même avoué avoir oublié sa collaboration avec Marcel Valtat dans les années 1970, qui avait donné naissance à Protection des plantes et environnement (PPE), ancêtre du Forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement (Farre). Cet homme est connu pour avoir défendu les intérêts de l’amiante, à travers le Comité permanent amiante (CPA). Il a organisé la désinformation.
La désinformation perdure. Depuis 1993, cette agriculture est soutenue par l’agro-industrie et les pouvoirs publics. L’idée en est venue au moment des scandales alimentaires (vache folle notamment). Il fallait faire croire à la création d’une agriculture située entre le bio et l’intensif. Or en 15 ans, seules 2.000 fermes environ ont été qualifiées en agriculture raisonnée. Cela ne fonctionne pas ! Pour les personnes qui font ce type d’agriculture, le plus important est de faire de la communication pour montrer qu’elles font –soi-disant– attention à l’environnement. Mais l’agriculture raisonnée ne réduit pas l’utilisation des pesticides.
Nous avons parlé de cet insecte car il est resté dans l’imaginaire populaire, mais il y a d’autres exemples. Des solutions biologiques pour lutter contre les ravageurs avaient été trouvées. Mais la guerre a entraîné un basculement vers le traitement chimique, avec le développement des organochlorés, alors qu’on aurait pu aller vers des traitements non chimiques.
François Veillerette est président du Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (MDRGF) (1) et administrateur du réseau européen Pesticide action network (PAN Europe). Il revient pour le JDLE sur «Pesticides, révélations sur un scandale français», co-écrit avec le journaliste Fabrice Nicolino et récemment publié chez Fayard. L’ouvrage décrypte l’avènement de ces produits qui sont «partout, jusque dans la rosée du matin» et exhume une «vérité que personne ne pouvait soupçonner».
- Pourquoi avoir écrit ce livre?
J’avais publié un livre technique en 2002, mais je souhaitais en faire un qui ne se limite pas à décrire les problèmes, et qui explique le système et l’historique, pour arriver à comprendre comment on en est arrivé là. Avec ce nouveau livre, nous voulions toucher le grand public sur la problématique agriculture et pesticides. Pour la partie enquête, j’ai pensé au journaliste Fabrice Nicolino. Il nous semblait intéressant de raconter l’histoire sous forme d’un roman, avec des noms précis, des personnages. Par exemple Fernand Willaume, ingénieur agronome dès la fin de la première guerre mondiale, qui fut le «vrai fondateur en France du lobby des pesticides». Ou encore François Le Nail, un philosophe «communicant» qui fit tantôt partie du secteur public, tantôt du privé.
- L’aspect historique tient une place très importante. Pourquoi ce choix?
C’était le domaine où il y avait le plus de révélations à faire. Le lobby pesticides a même avoué avoir oublié sa collaboration avec Marcel Valtat dans les années 1970, qui avait donné naissance à Protection des plantes et environnement (PPE), ancêtre du Forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement (Farre). Cet homme est connu pour avoir défendu les intérêts de l’amiante, à travers le Comité permanent amiante (CPA). Il a organisé la désinformation.
- Vous parlez d’ailleurs du concept d’agriculture raisonnée (2) comme d’une «invention grotesque» créée par l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP)?
La désinformation perdure. Depuis 1993, cette agriculture est soutenue par l’agro-industrie et les pouvoirs publics. L’idée en est venue au moment des scandales alimentaires (vache folle notamment). Il fallait faire croire à la création d’une agriculture située entre le bio et l’intensif. Or en 15 ans, seules 2.000 fermes environ ont été qualifiées en agriculture raisonnée. Cela ne fonctionne pas ! Pour les personnes qui font ce type d’agriculture, le plus important est de faire de la communication pour montrer qu’elles font –soi-disant– attention à l’environnement. Mais l’agriculture raisonnée ne réduit pas l’utilisation des pesticides.
- Dans votre livre, il semble que le point de départ du développement des pesticides soit la lutte contre les doryphores, qui se sont attaqués aux pommes de terre à partir de 1922?
Nous avons parlé de cet insecte car il est resté dans l’imaginaire populaire, mais il y a d’autres exemples. Des solutions biologiques pour lutter contre les ravageurs avaient été trouvées. Mais la guerre a entraîné un basculement vers le traitement chimique, avec le développement des organochlorés, alors qu’on aurait pu aller vers des traitements non chimiques.

- Vous parlez beaucoup des connivences entre l’administration, l’industrie des pesticides et certains scientifiques…
Oui, nous avons voulu expliquer le cœur du système actuel. C’est un système qui n’est pas discuté et qui est pourtant discutable, un système avec une confusion des rôles à tous les niveaux. L’affaire du Gaucho (3) en est une illustration.
- L’évaluation des pesticides a-t-elle progressé?
Nous regrettons que l’homologation des produits phytosanitaires ne soit pas réalisée de concert par les ministères chargés de l’agriculture, de la santé et de l’environnement. Cela semblerait logique puisqu’il s’agit d’évaluer l’efficacité d’une substance, son innocuité pour la santé et pour l’environnement, … Or c’est le ministre chargé de l’agriculture qui, au final, a le pouvoir de décider d’homologuer ou non un produit!
- L’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) a lancé un observatoire des résidus de pesticides. Qu’en pensez-vous?
C’est une bonne chose en soi, mais refaire des études ou des mesures de pollution ne doit pas dispenser d’agir dès maintenant. Ce qu’il faut, ce sont des mesures politiques, qui donnent des moyens financiers pour améliorer les techniques de l’agriculture biologique par exemple. Car le problème n’est plus vraiment scientifique, même s’il faut toujours étudier les impacts des pesticides sur la santé. Chercher, oui, mais on en sait déjà assez pour agir dès maintenant!
- Justement, où en est-on de la recherche et des connaissances sur les pesticides en France?
D’une manière générale, on souffre d’un manque d’expertise toxicologique. On a commencé il y a 5 ans à faire de l’épidémiologie concernant les pesticides. L’étude nationale Agrican lancée par la Mutualité sociale agricole (MSA) en 2005 analyse le risque de cancers chez les agriculteurs. On peut donc dire que cela bouge un peu.
- Vous faites le parallèle entre les pesticides et l’amiante du point de vue de la «désinformation». Mais sur le plan sanitaire, une différence subsiste: celle de la spécificité des maladies engendrées.
Oui, l’amiante induit un type de cancer spécifique. Mais pour les pesticides, il est plus difficile de mettre en évidence une relation de cause à effet pour certaines maladies non spécifiques. On sait qu’il y a des risques accrus sur une population en cas d’exposition. Mais pour une personne donnée, il est très difficile de prouver la relation de cause à effet à 100%. C’est donc un domaine où il faut appliquer le principe de précaution et réduire au maximum l’exposition des populations.
- Le rôle de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) est assez critiqué dans le livre. Mais le rapport qu’il a publié sur les pesticides en décembre 2006 a-t-il changé votre point de vue?
Oui, ce rapport est une expertise collective solide établissant que ce n’est pas l’agriculture raisonnée ni les bandes enherbées qui résoudront le problème des pesticides. Une des conclusions est qu’il faut soutenir l’agriculture bio. Nous avons beaucoup apprécié que l’Inra nous ait invités au rendu des résultats, ce qui montre qu’il est ouvert à la société civile. Il est vrai que nous ne l’avions pas épargné, mais nous avons aussi rendu hommage à son ouverture.
- Ce rapport confirme finalement le dernier chapitre de votre livre: «Une autre France était donc possible»?
Oui, et l’Inra va au-delà, en montrant la voie: le système de production intégrée de blé permet de diminuer fortement l’utilisation d’insecticides et de fongicides, et d’augmenter la rentabilité économique par rapport aux systèmes de culture conventionnels. Je ne vois pas ce qui justifie que l’on continue avec un système de production intensif. On sait faire autrement, en diminuant les quantités de pesticides, et sans mourir de faim ni se ruiner, bien au contraire!
- Si l’on commençait dès aujourd’hui à ne plus utiliser de pesticides, verrait-on des améliorations rapides au niveau des aliments?
Certains pesticides vont rester dans l’environnement. Mais heureusement, tous les produits ne sont pas persistants. On arrive à avoir des bénéfices très rapidement, avec des aliments tout à fait sains au bout de quelques années.
- Finalement, en tant qu’association, avez-vous les moyens de lutter contre ce que vous appelez le «lobby des pesticides»?
Les industriels ont assurément des moyens que nous n’avons pas. Le lobby est en particulier très puissant auprès des eurodéputés. De notre côté, nous manquons encore d’adhérents, car il y a moins d’implication dans la vie associative en France que dans d’autres pays. Il faudrait également un soutien financier de la puissance publique et une diminution des charges.
(1) http://www.mdrgf.org/
(2) L’agriculture raisonnée consiste à utiliser de façon justifiée des moyens de protection des cultures, à réaliser une fertilisation équilibrée et à mettre en œuvre des pratiques culturales limitant les risques de pollution.
(3) Insecticide suspecté d’avoir entraîné la mort de milliers d’abeilles
Réaction du Directeur général de l'Union des Industries de la Protection des Plantes

Jean-Charles Bocquet
Pour lui "Il n’y a pas complot français en faveur des pesticides»
14/06/2007
Jean-Charles Bocquet, directeur général de l’Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP), réagit à propos du livre «Pesticides, révélations sur un scandale français».
Il évoque à plusieurs reprises le «lobby des pesticides», mais il n’y a pas de complot français en faveur des pesticides! Nous ne faisons pas plus ou pas moins de lobby que monsieur Veillerette n’en fait. Nous nous croisons parfois au Parlement et il est donc regrettable de lire que les méthodes de l’industrie des produits phytopharmaceutiques ne sont pas sympathiques.
Les associations ont été reçues en premier par le nouveau président de la République Nicolas Sarkozy pour préparer le Grenelle de l’environnement qui aura lieu à l’automne. L’ensemble des parties prenantes doit pouvoir s’exprimer, tant que les méthodes d’analyse sont honnêtes et basées sur des faits scientifiques. D’ailleurs, nous souhaitons aussi faire valoir notre point de vue au Grenelle. Il semble axé sur l’action et nous avons déjà des réalisations à présenter qui vont dans la bonne direction, comme par exemple Adivalor, la filière française de gestion des déchets phytopharmaceutiques professionnels.
14/06/2007
Jean-Charles Bocquet, directeur général de l’Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP), réagit à propos du livre «Pesticides, révélations sur un scandale français».
- Quelle est votre opinion sur le portrait que François Veillerette dresse de l’industrie des «produits phytopharmaceutiques», c’est-à-dire les pesticides?
Il évoque à plusieurs reprises le «lobby des pesticides», mais il n’y a pas de complot français en faveur des pesticides! Nous ne faisons pas plus ou pas moins de lobby que monsieur Veillerette n’en fait. Nous nous croisons parfois au Parlement et il est donc regrettable de lire que les méthodes de l’industrie des produits phytopharmaceutiques ne sont pas sympathiques.
- N’estimez-vous pas que l’UIPP a quand même plus de poids auprès des parlementaires que des associations comme le MDRGF?
Les associations ont été reçues en premier par le nouveau président de la République Nicolas Sarkozy pour préparer le Grenelle de l’environnement qui aura lieu à l’automne. L’ensemble des parties prenantes doit pouvoir s’exprimer, tant que les méthodes d’analyse sont honnêtes et basées sur des faits scientifiques. D’ailleurs, nous souhaitons aussi faire valoir notre point de vue au Grenelle. Il semble axé sur l’action et nous avons déjà des réalisations à présenter qui vont dans la bonne direction, comme par exemple Adivalor, la filière française de gestion des déchets phytopharmaceutiques professionnels.

- François Veillerette rappelle que l’Etat et l’industrie des pesticides co-organisent certains colloques, et collaborent notamment dans le cadre de la revue Phytoma, spécialisée dans la «protection des plantes» et vivement critiquée par le MDRGF. Cela vous semble-t-il normal?
Concernant les colloques, il n’y a rien d’extraordinaire à adopter une approche collective des solutions à apporter! Quant à Phytoma, des numéros entiers sont consacrés à l’agriculture biologique. D’ailleurs, 16 adhérents de l’UIPP commercialisent des produits utilisables dans le cadre de ce mode de production. Mais avec le changement climatique, les méthodes de lutte biologique ne permettront pas de juguler les attaques des cultures par les insectes ou les maladies.
- Qu’en est-il du Forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement (Farre), que les associations de défense de l’environnement estiment être une invention de l’industrie chimique n’ayant rien à voir avec une agriculture durable?
Ce forum a été créé en 1993, c’est vrai, par l’UIPP qui souhaitait s’inscrire dans une démarche d’utilisation raisonnée des produits. Aujourd’hui, les agriculteurs réfléchissent avant de traiter leurs cultures. Il y a 20 ans, l’UIPP comptait 40 adhérents. Aujourd’hui, elle n’en a plus que 19. Le secteur est donc globalement en difficulté, mais s’inscrit dans une démarche responsable pour une agriculture durable.

- Va-t-on aujourd’hui vers des molécules moins toxiques?
La notion de principe de substitution (2) est une démarche de progrès, on ne peut pas être contre. Nos entreprises l’appliquent tous les jours dans leurs programmes de recherche et développement. Cependant, nous sommes en discussion actuellement pour que la notion de risque soit maintenue dans le projet de modification de la directive sur les pesticides, car si les produits sont utilisés selon les indications prescrites, le risque est maîtrisé. Si la notion de risque est écartée et celle de danger favorisée, certains produits disparaîtront et les impasses techniques concernant la défense des cultures se multiplieront.
- Vous voulez dire que si l’on utilise moins de pesticides, cela n’est pas bon pour les plantes?
Moins de produits, c’est moins de solutions pour produire des récoltes saines et de qualité. Pour la mâche par exemple, il y avait des solutions dans le passé, mais on en abandonne beaucoup, et maintenant, des problèmes de désherbage ou de résistance apparaissent.
- François Veillerette souligne les risques accrus de cancer en cas d’exposition à des pesticides. Quelle est votre position sur le sujet?
Les résultats scientifiques étayés ne sont pas assez nombreux pour que l’on puisse conclure à un lien certain entre cancer et pesticides. Nos adhérents suivent toutefois les publications faites sur leurs produits. De l’avis de tous les scientifiques, le cancer est une maladie d’origine multifactorielle. Un lien causal est donc difficile à établir entre produits phytopharmaceutiques et cancer: comment connaître avec précision les expositions passées des agriculteurs, compte tenu de la diversité des produits concernés, des modes d’utilisation et donc du type d’exposition? Par ailleurs, le docteur Lebailly, chercheur au Groupe régional d'études sur le cancer (Grecan) à Caen (Calvados) dit que la mortalité générale est moins élevée chez les agriculteurs que dans la population globale (3).
- Pour finir, quel regard portez-vous sur la situation en Bretagne où les normes en pesticides sont parfois dépassées?
Il existe des cas ponctuels en France où la concentration en produits phytopharmaceutiques est supérieure aux normes et cela doit être pénalisé. Il faut faire des efforts pour prévenir la pollution à la source. Avec les chambres d’agriculture, nous organisons des formations pour pousser les agriculteurs à prendre des précautions lors de l’utilisation des produits chimiques. Auparavant, on cherchait le rendement à tout prix et on a poussé à une utilisation excessive des produits. Mais ce temps est révolu, et les agriculteurs pratiquent de plus en plus l’agriculture raisonnée.
(1) Voir l’article du JDLE: «Chercher, oui, mais on en sait déjà assez pour agir maintenant!»
(2) Remplacement des substances dangereuses par d'autres moins dangereuses ou sans danger
(3) Mais Pierre Lebailly écrit aussi: «Cette moindre mortalité serait due à des taux de mortalité inférieurs pour certains cancers, dont les plus fréquents (poumon, vessie, cancers digestifs hormis l'estomac), et pour les maladies cardio-vasculaires […] Cependant, à côté de cet effet "bénéfique" lié à l'activité agricole, certains cancers, pour la plupart peu fréquents en population générale, ont souvent été révélés en excès dans la population agricole (leucémies, lymphomes non-Hodgkiniens, maladie de Hodgkin, sarcome des tissus mous, mélanome, myélome multiple, cancer des lèvres, de la prostate, du cerveau, de l'estomac et de l'ovaire).»
Le site source : JDE