FACILE POUR Y RENTRER, IMPOSSIBLE D'EN SORTIR OU PRESQUE !

Neufchâteau
Lorsque la question s’est posée, en 1990, de confier la gestion de l’eau de sa ville à une compagnie privée, M. Jacques Drapier n’y a pas vu d’inconvénients. L’année précédente, il avait été élu maire socialiste de Neufchâteau, une jolie bourgade de 8 500 habitants dans les Vosges, et, à cette époque, ce genre de décision était très courant. Depuis une vingtaine d’années, en France, les maires ont choisi massivement la « délégation », en se disant que, finalement, ce serait un souci de moins et que l’affaire serait aux mains de professionnels.
La gestion de l’eau de Neufchâteau a donc été confiée à un délégataire privé, la Compagnie de l’eau et de l’ozone (CEO), filiale de Veolia, ex-Vivendi, ex-Compagnie générale des eaux. Mais les choses, qui avaient bien commencé (le contrat avait été signé pour quinze ans), se gâtent vite lorsque M. Drapier se rend compte, vers 1992, que le tarif a tendance à augmenter. « Je n’ai pas pu obtenir la moindre explication, commente-t-il. La seule chose que me proposait la compagnie, c’était de me rendre à son siège, à Metz, afin d’en savoir un peu plus, ce qui m’a quelque peu irrité... » Devant l’impossibilité d’obtenir ce qu’il demande, le maire se décide à faire réaliser une étude sur le prix de l’eau, qu’il confie à un consultant indépendant, ancien bras droit de M. Jérôme Monod lorsque celui-ci était à la tête de la Lyonnaise des eaux, avant de devenir l’éminence grise de M. Jacques Chirac à l’Elysée. L’eau aurait dû coûter 2,90 euros le m3 (19 francs à l’époque), alors que la compagnie la facturait 3,65 euros (24 francs) (1).
M. Drapier commence alors à envisager le retour en régie publique. Mais la compagnie multiplie les pressions. « Lorsqu’ils sont venus pour me proposer de participer à un colloque à Madrid, avec une personne de mon choix, tous frais payés, je me suis senti outragé. » Après les élections municipales de 2001, le contrat est donc résilié et une nouvelle régie voit le jour... Ce changement n’a pas été trop difficile. La ville a trouvé les compétences nécessaires – le gros du personnel de la compagnie a accepté de rester dans la nouvelle régie. Cette dernière, autonome, gère son propre budget. M. Dominique Barret, adjoint au maire et président du conseil d’administration, fait un premier bilan : « Depuis 2001, la régie a engagé pour 1,5 million d’euros de travaux pris sur les bénéfices qu’elle a déjà réalisés, puisque ceux-ci retournent désormais à l’eau. Mieux : elle a engagé la construction d’une nouvelle station d’épuration pour la fin de 2005. » Et la consommation a baissé de 22 %, du fait de la réduction des fuites.
Mais le plus convaincant concerne les prix : sur la base d’une consommation annuelle de 120 m3, le tarif était de 3,09 euros le m3 en 1995, de 3,84 euros en 2000 et de 2,92 euros en 2004... Quant au maire, on ne lui propose plus de se rendre à Metz pour consulter un bilan illisible. Pourtant, ce qui le surprend le plus dans cette affaire, c’est la réaction des élus des autres communes : « Au départ, ils étaient sceptiques. Tu ne vas jamais y arriver, me disaient-ils, tu prends des risques ! Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui viennent ici pour voir comment cela marche... » M. Drapier a brisé un tabou : l’impossibilité d’échapper aux griffes des puissantes multinationales...
La gestion de l’eau de Neufchâteau a donc été confiée à un délégataire privé, la Compagnie de l’eau et de l’ozone (CEO), filiale de Veolia, ex-Vivendi, ex-Compagnie générale des eaux. Mais les choses, qui avaient bien commencé (le contrat avait été signé pour quinze ans), se gâtent vite lorsque M. Drapier se rend compte, vers 1992, que le tarif a tendance à augmenter. « Je n’ai pas pu obtenir la moindre explication, commente-t-il. La seule chose que me proposait la compagnie, c’était de me rendre à son siège, à Metz, afin d’en savoir un peu plus, ce qui m’a quelque peu irrité... » Devant l’impossibilité d’obtenir ce qu’il demande, le maire se décide à faire réaliser une étude sur le prix de l’eau, qu’il confie à un consultant indépendant, ancien bras droit de M. Jérôme Monod lorsque celui-ci était à la tête de la Lyonnaise des eaux, avant de devenir l’éminence grise de M. Jacques Chirac à l’Elysée. L’eau aurait dû coûter 2,90 euros le m3 (19 francs à l’époque), alors que la compagnie la facturait 3,65 euros (24 francs) (1).
M. Drapier commence alors à envisager le retour en régie publique. Mais la compagnie multiplie les pressions. « Lorsqu’ils sont venus pour me proposer de participer à un colloque à Madrid, avec une personne de mon choix, tous frais payés, je me suis senti outragé. » Après les élections municipales de 2001, le contrat est donc résilié et une nouvelle régie voit le jour... Ce changement n’a pas été trop difficile. La ville a trouvé les compétences nécessaires – le gros du personnel de la compagnie a accepté de rester dans la nouvelle régie. Cette dernière, autonome, gère son propre budget. M. Dominique Barret, adjoint au maire et président du conseil d’administration, fait un premier bilan : « Depuis 2001, la régie a engagé pour 1,5 million d’euros de travaux pris sur les bénéfices qu’elle a déjà réalisés, puisque ceux-ci retournent désormais à l’eau. Mieux : elle a engagé la construction d’une nouvelle station d’épuration pour la fin de 2005. » Et la consommation a baissé de 22 %, du fait de la réduction des fuites.
Mais le plus convaincant concerne les prix : sur la base d’une consommation annuelle de 120 m3, le tarif était de 3,09 euros le m3 en 1995, de 3,84 euros en 2000 et de 2,92 euros en 2004... Quant au maire, on ne lui propose plus de se rendre à Metz pour consulter un bilan illisible. Pourtant, ce qui le surprend le plus dans cette affaire, c’est la réaction des élus des autres communes : « Au départ, ils étaient sceptiques. Tu ne vas jamais y arriver, me disaient-ils, tu prends des risques ! Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui viennent ici pour voir comment cela marche... » M. Drapier a brisé un tabou : l’impossibilité d’échapper aux griffes des puissantes multinationales...
LA GESTION DE L'EAU RENDUE TROP COMPLIQUEE EST CEDEE FACILEMENT A DES DELEGATAIRES PAR LES ELUS PLUS OU MOINS COMPLICES DES DERIVES!

site de la ville de Castres
Cette démarche illustre l’ambiguïté de la position de nombreux élus locaux. A leurs yeux, l’eau est une affaire trop complexe et trop risquée pour ne pas être confiée à des professionnels. « Et puis, les compagnies ont su tisser des liens particuliers avec les collectivités, allant du patronage de l’équipe de football jusqu’à la corruption, qui a parfois défrayé la chronique, comme à Grenoble (2) », explique M. Antoine Grand d’Esnon, responsable de Service public 2000, un bureau d’études créé par l’Association des maires de France.. Les élus savent que les compagnies gagnent beaucoup d’argent sur le dos de leurs administrés. « Elles s’entendent sur les appels d’offres, poursuit M. Grand d’Esnon, et elles font des marges énormes en gagnant sur les prix de l’eau. » D’où l’opacité légendaire de leurs comptes.
« On nous dit : les tarifs vont augmenter, explique M. Christian Métairie, adjoint au maire d’Arcueil et responsable de l’eau de l’agglomération du Val de Bièvre, et l’on nous remet des documents incompréhensibles... » Les élus de cette communauté de communes du Val-de-Marne font d’ailleurs partie de ceux qui posent la question du retour au public de la distribution de l’eau, actuellement gérée par le puissant Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif) – qui regroupe 144 villes de la région parisienne, hors Paris – et « déléguée » à Veolia. « Il y a dix ans, émettre cette hypothèse aurait été une absurdité, assure M. Métairie. Ce n’est plus le cas... »
Enfin, les élus sont de plus en plus confrontés à une opinion publique qui se pose des questions sur les tarifs et la qualité de l’eau. A Castres (Tarn), ville de 56 000 habitants, l’action d’un comité d’usagers a conduit le maire (Union pour un mouvement populaire, UMP) à se séparer de la Lyonnaise des eaux, désormais Ondeo. « Tout a commencé en 1992, avec une augmentation de 60 % de notre facture, explique M. Georges Carceller, le président du comité. Nous avons donc décidé d’en savoir un peu plus... » Et de découvrir qu’en 1990 la Lyonnaise des eaux et la ville – dirigée alors par M. Jacques Limousy, député, quatre fois secrétaire d’Etat sous des gouvernements de droite – ont signé un contrat de trente ans ! En contrepartie, l’entreprise a mis sur la table un « droit d’entrée » de 96 millions de francs, officiellement baptisé « contribution spéciale au titre du droit d’utilisation des réseaux concédés ». Un « cadeau » qui, à l’époque, n’était pas illégal.
Mais le comité des usagers découvre aussi que la Lyonnaise des eaux se fait discrètement rembourser cette somme sur la facture d’eau, à un taux de 8,76 % – révélé en 1996 par un grand cabinet d’audit, après la conquête de la ville par la gauche. Ce qui, à l’issue des trente ans, aurait permis de tripler la mise !
« On nous dit : les tarifs vont augmenter, explique M. Christian Métairie, adjoint au maire d’Arcueil et responsable de l’eau de l’agglomération du Val de Bièvre, et l’on nous remet des documents incompréhensibles... » Les élus de cette communauté de communes du Val-de-Marne font d’ailleurs partie de ceux qui posent la question du retour au public de la distribution de l’eau, actuellement gérée par le puissant Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif) – qui regroupe 144 villes de la région parisienne, hors Paris – et « déléguée » à Veolia. « Il y a dix ans, émettre cette hypothèse aurait été une absurdité, assure M. Métairie. Ce n’est plus le cas... »
Enfin, les élus sont de plus en plus confrontés à une opinion publique qui se pose des questions sur les tarifs et la qualité de l’eau. A Castres (Tarn), ville de 56 000 habitants, l’action d’un comité d’usagers a conduit le maire (Union pour un mouvement populaire, UMP) à se séparer de la Lyonnaise des eaux, désormais Ondeo. « Tout a commencé en 1992, avec une augmentation de 60 % de notre facture, explique M. Georges Carceller, le président du comité. Nous avons donc décidé d’en savoir un peu plus... » Et de découvrir qu’en 1990 la Lyonnaise des eaux et la ville – dirigée alors par M. Jacques Limousy, député, quatre fois secrétaire d’Etat sous des gouvernements de droite – ont signé un contrat de trente ans ! En contrepartie, l’entreprise a mis sur la table un « droit d’entrée » de 96 millions de francs, officiellement baptisé « contribution spéciale au titre du droit d’utilisation des réseaux concédés ». Un « cadeau » qui, à l’époque, n’était pas illégal.
Mais le comité des usagers découvre aussi que la Lyonnaise des eaux se fait discrètement rembourser cette somme sur la facture d’eau, à un taux de 8,76 % – révélé en 1996 par un grand cabinet d’audit, après la conquête de la ville par la gauche. Ce qui, à l’issue des trente ans, aurait permis de tripler la mise !
L'EAU NE FINANCE PAS QUE L'EAU !
En 1996, le patron régional de la Lyonnaise des eaux le reconnaît : « C’est clair, ces 96 millions de francs n’étaient pas un “don”. (...) Je ne crois pas que la municipalité aurait pu trouver une banque qui lui prête sur trente ans (3). » Ce tour de passe-passe permet à la commune de financer un complexe patinoire/piscine – construit par une filiale de la Lyonnaise des eaux – et de faire payer sur la facture d’eau ce qui aurait dû l’être sur la feuille d’impôt... En 1997, le comité des usagers porte l’affaire devant le tribunal administratif de Toulouse. « Pour nous, explique M. Noël Légaré, un autre de ses animateurs, le transfert de la somme au budget général de la commune était illégal, vu la décision du Conseil d’Etat de 1996 (4). » Le 25 octobre 2001, le tribunal juge que les tarifs pratiqués à Castres sont illégaux depuis 1990.
Le nouveau maire élu en 2001, M. Pascal Bugis (UMP), est donc tenu de revenir à un prix légal et de renégocier avec la Lyonnaise des eaux : « Celle-ci voulait maintenir le tarif ou nous obliger à rembourser les 96 millions de francs ! Nous n’avons donc pas pu nous mettre d’accord, car je ne considère pas cette somme comme un prêt. » Le 24 juin 2003, le conseil municipal décide donc la résiliation du contrat et la création d’une régie. Ondeo réclame alors en justice à la ville la bagatelle de 64 millions d’euros pour le préjudice subi, y compris le remboursement du droit d’entrée... Déboutée en mai 2004, elle fait appel. Le comité des usagers exige le remboursement de ce qui a été indûment versé par les consommateurs depuis 1990, soit 1 000 euros par foyer. Enfin, des usagers déposent une double plainte : contre la ville, dont le maire, en 1990, n’a pas dit la vérité (escroquerie sur un marché public, disent les plaignants), et contre Ondeo, pour exercice illégal du métier de banquier...
L’exemple de Castres, bien que marginal, montre que désormais l’idée du retour possible à une gestion publique chemine. Celui des Landes est également intéressant. En 1996, le conseil général décide de majorer son aide financière à toutes les communes dont la gestion de l’eau est publique. Le préfet obtient l’annulation de cette décision par le tribunal administratif de Pau, arguant qu’elle porte atteinte à la liberté du commerce. Mais, le 28 novembre 2003, le Conseil d’Etat condamne l’Etat aux dépens.
Parfois, le retour à la gestion publique se fait sans problème, comme à Châtellerault, une cité de 34 000 habitants de la Vienne. La question s’est posée au sein de la communauté d’agglomération lorsque cette dernière a décidé de prendre la compétence de l’assainissement. Châtellerault utilisait les services de la CEO, les autres communes ceux d’un syndicat public, le Syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’équipement rural de la Vienne (Siveer). Les maires auraient pu choisir la première, ils ont préféré le second, et la ville de Châtellerault a dû se séparer de la CEO, en octobre 2001, à l’issue du contrat. Il semble bien que les a priori politiques aient peu pesé. « Les communes étant satisfaites des prestations du Siveer, explique M. Joël Tondusson, le maire socialiste de Châtellerault, le choix a été simple. »
Veolia, actionnaire de la CEO, a pourtant porté l’affaire devant les tribunaux, arguant de l’absence d’appel d’offres. Elle a perdu en première instance et a fait appel. « L’enjeu de ce bras de fer est simple, poursuit M. Tondusson, il s’agit de faire jurisprudence et d’interdire ainsi aux élus de choisir la gestion publique... » On imagine mal un syndicat intercommunal pouvoir tenir tête, lors d’un appel d’offres, à une multinationale décidée à casser les prix pour l’emporter. Reste que la ville de Châtellerault va devoir de nouveau faire un choix pour la distribution de l’eau en 2006, date d’expiration du contrat avec la CEO. Va-t-elle se tourner vers une gestion publique directe ? Rien n’est moins sûr. Le maire reconnaît qu’avec la régie « on évite d’être plumé par les actionnaires », mais en même temps il s’interroge sur « le professionnalisme du public, sur ses lourdeurs ». Le Siveer serait donc compétent pour l’assainissement, mais pas pour la distribution de l’eau...
Le nouveau maire élu en 2001, M. Pascal Bugis (UMP), est donc tenu de revenir à un prix légal et de renégocier avec la Lyonnaise des eaux : « Celle-ci voulait maintenir le tarif ou nous obliger à rembourser les 96 millions de francs ! Nous n’avons donc pas pu nous mettre d’accord, car je ne considère pas cette somme comme un prêt. » Le 24 juin 2003, le conseil municipal décide donc la résiliation du contrat et la création d’une régie. Ondeo réclame alors en justice à la ville la bagatelle de 64 millions d’euros pour le préjudice subi, y compris le remboursement du droit d’entrée... Déboutée en mai 2004, elle fait appel. Le comité des usagers exige le remboursement de ce qui a été indûment versé par les consommateurs depuis 1990, soit 1 000 euros par foyer. Enfin, des usagers déposent une double plainte : contre la ville, dont le maire, en 1990, n’a pas dit la vérité (escroquerie sur un marché public, disent les plaignants), et contre Ondeo, pour exercice illégal du métier de banquier...
L’exemple de Castres, bien que marginal, montre que désormais l’idée du retour possible à une gestion publique chemine. Celui des Landes est également intéressant. En 1996, le conseil général décide de majorer son aide financière à toutes les communes dont la gestion de l’eau est publique. Le préfet obtient l’annulation de cette décision par le tribunal administratif de Pau, arguant qu’elle porte atteinte à la liberté du commerce. Mais, le 28 novembre 2003, le Conseil d’Etat condamne l’Etat aux dépens.
Parfois, le retour à la gestion publique se fait sans problème, comme à Châtellerault, une cité de 34 000 habitants de la Vienne. La question s’est posée au sein de la communauté d’agglomération lorsque cette dernière a décidé de prendre la compétence de l’assainissement. Châtellerault utilisait les services de la CEO, les autres communes ceux d’un syndicat public, le Syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’équipement rural de la Vienne (Siveer). Les maires auraient pu choisir la première, ils ont préféré le second, et la ville de Châtellerault a dû se séparer de la CEO, en octobre 2001, à l’issue du contrat. Il semble bien que les a priori politiques aient peu pesé. « Les communes étant satisfaites des prestations du Siveer, explique M. Joël Tondusson, le maire socialiste de Châtellerault, le choix a été simple. »
Veolia, actionnaire de la CEO, a pourtant porté l’affaire devant les tribunaux, arguant de l’absence d’appel d’offres. Elle a perdu en première instance et a fait appel. « L’enjeu de ce bras de fer est simple, poursuit M. Tondusson, il s’agit de faire jurisprudence et d’interdire ainsi aux élus de choisir la gestion publique... » On imagine mal un syndicat intercommunal pouvoir tenir tête, lors d’un appel d’offres, à une multinationale décidée à casser les prix pour l’emporter. Reste que la ville de Châtellerault va devoir de nouveau faire un choix pour la distribution de l’eau en 2006, date d’expiration du contrat avec la CEO. Va-t-elle se tourner vers une gestion publique directe ? Rien n’est moins sûr. Le maire reconnaît qu’avec la régie « on évite d’être plumé par les actionnaires », mais en même temps il s’interroge sur « le professionnalisme du public, sur ses lourdeurs ». Le Siveer serait donc compétent pour l’assainissement, mais pas pour la distribution de l’eau...
UN RETOUR EN REGIE : UN PROJET POLITIQUE QUI MURIT

Anne Le Strat
Parfois, les décisions des élus ont un caractère plus directement politique. « L’eau n’est pas une marchandise comme les autres », assure M. Daniel Bosquet, vice-président Vert de la Communauté urbaine de Cherbourg (CUC), dans la Manche, qui regroupe cinq communes et 100 000 habitants. Il va mener une longue bataille afin que la gestion de l’eau revienne dans le giron du public. Traditionnellement, l’assainissement était de la compétence de la CUC et réalisé par une régie publique. Celle-ci assurait également la distribution d’eau dans quatre communes, celle de Cherbourg étant « déléguée » à Veolia. Le problème de l’unification du système s’est posé à l’échéance des contrats.
« J’étais d’accord pour que nous posions la question, indique M. Bernard Cauvin, le président socialiste de la CUC, mais je voulais être sûr que nous avions les compétences dans la régie publique. » M. Bosquet obtient alors un audit comparatif entre la gestion de la régie et celle de Veolia pour la distribution et pour l’assainissement. Ses résultats sont encourageants : la qualité est la même, mais à des tarifs plus bas. En juillet 2003, le conseil municipal de Cherbourg vote donc le retour en régie, effectif depuis le 1er janvier 2005. M. Bosquet reconnaît que cette décision a été facilitée par l’existence d’une régie qui marchait bien. « Pour qu’une telle opération réussisse, il faut que le service public ait une image positive dans la population », explique-t-il.
Cette démarche est également celle de Mme Anne Le Strat, conseillère municipale Verte de Paris et PDG de la Société publique de production d’eau (Sagep), devenue société anonyme des eaux de Paris depuis le début de l’année. La situation dans la capitale est presque caricaturale : la rive droite de la Seine est gérée par Veolia, la gauche par Ondeo. Et, jusqu’à 2003, une filiale commune s’occupait de la facturation. Tel est le système mis en place en 1987 par M. Chirac, alors maire de Paris.
Quand la nouvelle majorité conduite par M. Bertrand Delanoë arrive en 2003, une discussion aboutit à la suppression de la filiale chargée de la facturation – une étude menée par Service public 2000 montre qu’elle surévaluait ses prestations (5). Quant à Mme Le Strat, elle a réussi à faire sortir du capital de la Sagep les compagnies qui en détenaient à elles deux 28 %. « Cette présence, à mes yeux, n’était pas saine. Il pouvait y avoir des conflits d’intérêts. La Sagep, par exemple, est responsable de la réalisation des gros travaux sur les réseaux parisiens, qui peuvent d’ailleurs être confiés à des filiales de Veolia et d’Ondeo. »
En fait, les contrats avec les deux multinationales arrivent à expiration en 2009 et en 2011. Ce devrait être l’occasion, selon l’élue, de lancer le débat public sur la gestion de l’eau. Pour elle, « séparer la production d’eau de la distribution n’est pas très intelligent techniquement. Le réseau appartient au même propriétaire : la ville de Paris, il devrait être géré par une seule entité ». Et cette entité existe : c’est la Sagep, « une société d’économie mixte, c’est-à-dire une structure souple, capable d’échapper aux lenteurs administratives, mais contrôlée par le Conseil de Paris ». Pour l’heure, Mme Le Strat se sent « encore un peu seule ».
« J’étais d’accord pour que nous posions la question, indique M. Bernard Cauvin, le président socialiste de la CUC, mais je voulais être sûr que nous avions les compétences dans la régie publique. » M. Bosquet obtient alors un audit comparatif entre la gestion de la régie et celle de Veolia pour la distribution et pour l’assainissement. Ses résultats sont encourageants : la qualité est la même, mais à des tarifs plus bas. En juillet 2003, le conseil municipal de Cherbourg vote donc le retour en régie, effectif depuis le 1er janvier 2005. M. Bosquet reconnaît que cette décision a été facilitée par l’existence d’une régie qui marchait bien. « Pour qu’une telle opération réussisse, il faut que le service public ait une image positive dans la population », explique-t-il.
Cette démarche est également celle de Mme Anne Le Strat, conseillère municipale Verte de Paris et PDG de la Société publique de production d’eau (Sagep), devenue société anonyme des eaux de Paris depuis le début de l’année. La situation dans la capitale est presque caricaturale : la rive droite de la Seine est gérée par Veolia, la gauche par Ondeo. Et, jusqu’à 2003, une filiale commune s’occupait de la facturation. Tel est le système mis en place en 1987 par M. Chirac, alors maire de Paris.
Quand la nouvelle majorité conduite par M. Bertrand Delanoë arrive en 2003, une discussion aboutit à la suppression de la filiale chargée de la facturation – une étude menée par Service public 2000 montre qu’elle surévaluait ses prestations (5). Quant à Mme Le Strat, elle a réussi à faire sortir du capital de la Sagep les compagnies qui en détenaient à elles deux 28 %. « Cette présence, à mes yeux, n’était pas saine. Il pouvait y avoir des conflits d’intérêts. La Sagep, par exemple, est responsable de la réalisation des gros travaux sur les réseaux parisiens, qui peuvent d’ailleurs être confiés à des filiales de Veolia et d’Ondeo. »
En fait, les contrats avec les deux multinationales arrivent à expiration en 2009 et en 2011. Ce devrait être l’occasion, selon l’élue, de lancer le débat public sur la gestion de l’eau. Pour elle, « séparer la production d’eau de la distribution n’est pas très intelligent techniquement. Le réseau appartient au même propriétaire : la ville de Paris, il devrait être géré par une seule entité ». Et cette entité existe : c’est la Sagep, « une société d’économie mixte, c’est-à-dire une structure souple, capable d’échapper aux lenteurs administratives, mais contrôlée par le Conseil de Paris ». Pour l’heure, Mme Le Strat se sent « encore un peu seule ».
Rappels
(1) Une étude de l’Institut français de l’environnement de mai 2001 portant sur 5 000 communes montre que la gestion privée se traduit par un surcoût de 27 % pour la distribution d’eau potable et de 20 % pour l’assainissement.
(2) M. Alain Carignon, ancien maire de Grenoble, a été condamné par la cour d’appel de Lyon, le 9 juillet 1996, à cinq ans de prison, dont une année avec sursis, 400 000 F d’amende et cinq ans d’inéligibilité. Il avait obtenu des avantages personnels en échange du marché de l’eau.
(3) M. Michel Pujol, directeur régional de la Lyonnaise des eaux, La Dépêche du Midi, 21 décembre 1996.
(4) Le 30 septembre 1996, le Conseil d’Etat, à propos de la ville de Saint-Etienne, précise que les tarifs des services publics à caractère industriel et commercial doivent trouver leur contrepartie directe dans le service rendu aux usagers.
(5) Rapport sur l’audit dans la facturation de l’eau à Paris, remis le 17 décembre 2002... Mais le montant exact des surfacturations demeure secret.
(2) M. Alain Carignon, ancien maire de Grenoble, a été condamné par la cour d’appel de Lyon, le 9 juillet 1996, à cinq ans de prison, dont une année avec sursis, 400 000 F d’amende et cinq ans d’inéligibilité. Il avait obtenu des avantages personnels en échange du marché de l’eau.
(3) M. Michel Pujol, directeur régional de la Lyonnaise des eaux, La Dépêche du Midi, 21 décembre 1996.
(4) Le 30 septembre 1996, le Conseil d’Etat, à propos de la ville de Saint-Etienne, précise que les tarifs des services publics à caractère industriel et commercial doivent trouver leur contrepartie directe dans le service rendu aux usagers.
(5) Rapport sur l’audit dans la facturation de l’eau à Paris, remis le 17 décembre 2002... Mais le montant exact des surfacturations demeure secret.
LES LIENS
- Ruée vers l’or bleu
- Main basse sur l’eau des villes, par Marc Laimé
- « Trois sœurs », par Marc Laimé
- Dans les années 350 avant Jésus-Christ..., par Platon
... Et juste avant la Révolution française, par Louis Sébastien Mercier
Les noms de l’eau, par Alain Rey
- Les femmes du Kerala contre Coca-Cola, par Vandana Shiva
- De Neufchâteau à Cherbourg, retour à la case publique, par Patrick Coupechoux
« Eau » : compléments documentaires
Petits ruisseaux, grandes rivières
- Main basse sur l’eau des villes, par Marc Laimé
- « Trois sœurs », par Marc Laimé
- Dans les années 350 avant Jésus-Christ..., par Platon
... Et juste avant la Révolution française, par Louis Sébastien Mercier
Les noms de l’eau, par Alain Rey
- Les femmes du Kerala contre Coca-Cola, par Vandana Shiva
- De Neufchâteau à Cherbourg, retour à la case publique, par Patrick Coupechoux
« Eau » : compléments documentaires
Petits ruisseaux, grandes rivières
Suite à l’article de Patrick Coupechoux (Le Monde diplomatique, mars 2005), M.Antoine Grand d’Esnon, responsable de Service public 2000, un bureau d’études créé par l’Association des maires, nous demande de publier le texte suivant :
http://www.monde-diplomatique.fr/2005/06/A/12271
[L’article m’attribue le propos suivant : « ... les collectivités ont su tisser des liens particuliers avec les collectivités, allant du patronage de l’équipe de football jusqu’à la corruption, qui a parfois défrayé la chronique, comme à Grenoble », alors que j’avais précisément attiré l’attention sur la différence qui existe entre le sponsoring, qui est légal, et la corruption, qui, bien évidemment, ne l’est pas. Le « raccourci » du journaliste donne l’impression d’un lien entre deux pratiques sans rapport et me paraît de nature à jeter le discrédit sur les activités de sponsoring dans leur ensemble, ce qui n’est évidemment pas mon intention.
L’article me cite encore ainsi : « ... et elles font des marges énormes en gagnant sur les prix de l’eau. » Là encore, je ne reconnais pas mes propos dans ce texte peu financier. J’ai cité l’excédent brut d’exploitation [un des indicateurs des profits bruts, NDLR] de 40% publié par l’Institut de la gestion déléguée. Plus généralement, en parlant de « ... l’ambiguïté de la position de nombreux élus locaux », lesquels « ... savent que les compagnies gagnent beaucoup d’argent sur le dos de leurs administrés », cet article fait peser sur les élus locaux un soupçon de complaisance qui ne reflète pas la vision que j’ai de la vie municipale. La création en 1996 de Service public 2000 par l’Association des maires de France et par la Fédération nationale des collectivités concédantes et des régies témoigne, au contraire, du souci d’une majorité d’élus locaux de rééquilibrer leurs relations économiques avec les entreprises délégataires.
]url:http://www.monde-diplomatique.fr/2005/06/A/12271
[L’article m’attribue le propos suivant : « ... les collectivités ont su tisser des liens particuliers avec les collectivités, allant du patronage de l’équipe de football jusqu’à la corruption, qui a parfois défrayé la chronique, comme à Grenoble », alors que j’avais précisément attiré l’attention sur la différence qui existe entre le sponsoring, qui est légal, et la corruption, qui, bien évidemment, ne l’est pas. Le « raccourci » du journaliste donne l’impression d’un lien entre deux pratiques sans rapport et me paraît de nature à jeter le discrédit sur les activités de sponsoring dans leur ensemble, ce qui n’est évidemment pas mon intention.
L’article me cite encore ainsi : « ... et elles font des marges énormes en gagnant sur les prix de l’eau. » Là encore, je ne reconnais pas mes propos dans ce texte peu financier. J’ai cité l’excédent brut d’exploitation [un des indicateurs des profits bruts, NDLR] de 40% publié par l’Institut de la gestion déléguée. Plus généralement, en parlant de « ... l’ambiguïté de la position de nombreux élus locaux », lesquels « ... savent que les compagnies gagnent beaucoup d’argent sur le dos de leurs administrés », cet article fait peser sur les élus locaux un soupçon de complaisance qui ne reflète pas la vision que j’ai de la vie municipale. La création en 1996 de Service public 2000 par l’Association des maires de France et par la Fédération nationale des collectivités concédantes et des régies témoigne, au contraire, du souci d’une majorité d’élus locaux de rééquilibrer leurs relations économiques avec les entreprises délégataires.
]url:http://www.monde-diplomatique.fr/2005/06/A/12271