
Oran souffre gravement de la pénurie d’eau potable. Des pénuries à répétition, des restrictions draconiennes, qui ont abouti à un résultat inévitable, les émeutes de l’eau, avec les réponses traditionnelles des « autorités compétentes » : programme d’urgence, camions citerne dépêchés à la hâte par l’Algérienne des eaux, et de nouvelles promesses. Mais les promesses, Oran en a connu, comme beaucoup d’autres villes du pays, habituées à évoquer l’eau comme un calvaire subi au quotidien.
Bien sûr, les hauts responsables et les spécialistes maison affirmeront que des efforts immenses ont été déployés, aligneront des chiffres sur les investissements consentis, et annoncent que de nouvelles mesures ont été prises. Comme le directeur de l’Agence Nationale des Barrages, M. Kali, qui déclarait dans une interview à la Nouvelle République que la pénurie à Oran a été prévue, et que des mesures ont été prises en conséquence. Les habitants d’Oran connaissent le résultat.
Cette situation risque de durer, même si le pays a décidé de recourir aux solutions les plus coûteuses, comme on le verra plus loin. Elle est le résultat de deux factures essentielles : absence de stratégie, et gestion bureaucratique.
Les dossiers de l’eau, comme celui de l’énergie, de l’école et la défense, ne se gère pas selon la durée de vie d’un gouvernement ou d’un mandat électoral. Particulièrement dans un pays aride comme l’Algérie. Il doit obéir à une logique de très long terme, dans laquelle chaque responsable, durant son mandat, doit impérativement faire avancer le dossier, indépendamment des aléas de la conjoncture.
Cette stratégie a été longtemps absente. Elle a été aggravée par la gestion bureaucratique. Ce sont en effet des structures administratives qui ont eu la charge du dossier, à l’image des EPA opérant dans le secteur et des directions de l’hydraulique de wilaya. Toutes ces structures ont prouvé leur échec, et c’est à elles qu’est confiée la gestion du dossier. A l’exception de l’Office Nationale de l’Assainissement et de l’Algérienne des Eaux, récemment créés.
Ces structures n’ont pas de comptes à rendre à la population qui a soif, ni aux fellah qui n’ont pas d’eau pour irriguer leurs champs. Elles vivent entre elles, en vase clos, dans un fonctionnement totalement inefficace.
Prenez une ville, n’importe laquelle, car le schéma est partout le même, avec des ressources insuffisantes et un réseau archaïque. Selon la procédure en vigueur, il faut des années pour inscrire un projet, lancer les appels d’offres, le réaliser et le mettre en fonctionnement. Entre-temps, la demande a explosé, les canalisations nouvellement réalisées ne sont pas conformes aux normes, et nécessitent des travaux coûteux d’entretien et de mise à niveau. La plupart de ces projets sont en outre fragmentaires, inadaptés, conçus pour répondre à l’urgence. Ils n’obéissent pas à un schéma élaboré qu’ils faut réaliser dans la durée.
Quant aux barrages, ils offrent le spectacle d’une véritable mascarade. Le barrage de Taksebt, supposé alimenter Alger et Tizi-Ouzou, est terminé depuis trois ans. Mais on n’a pas réalisé les canalisations pour ramener cette eau, dont les travaux ont commencé depuis quelques mois. Résultat : le barrage est plein depuis 2002, mais l’eau n’arrivera dans les robinets d’Alger que vers 2006, au mieux. On compte une dizaine de barrages achevés, mais non exploités actuellement, à cause de ce manque de coordination dans les travaux.
Bien sûr, les hauts responsables et les spécialistes maison affirmeront que des efforts immenses ont été déployés, aligneront des chiffres sur les investissements consentis, et annoncent que de nouvelles mesures ont été prises. Comme le directeur de l’Agence Nationale des Barrages, M. Kali, qui déclarait dans une interview à la Nouvelle République que la pénurie à Oran a été prévue, et que des mesures ont été prises en conséquence. Les habitants d’Oran connaissent le résultat.
Cette situation risque de durer, même si le pays a décidé de recourir aux solutions les plus coûteuses, comme on le verra plus loin. Elle est le résultat de deux factures essentielles : absence de stratégie, et gestion bureaucratique.
Les dossiers de l’eau, comme celui de l’énergie, de l’école et la défense, ne se gère pas selon la durée de vie d’un gouvernement ou d’un mandat électoral. Particulièrement dans un pays aride comme l’Algérie. Il doit obéir à une logique de très long terme, dans laquelle chaque responsable, durant son mandat, doit impérativement faire avancer le dossier, indépendamment des aléas de la conjoncture.
Cette stratégie a été longtemps absente. Elle a été aggravée par la gestion bureaucratique. Ce sont en effet des structures administratives qui ont eu la charge du dossier, à l’image des EPA opérant dans le secteur et des directions de l’hydraulique de wilaya. Toutes ces structures ont prouvé leur échec, et c’est à elles qu’est confiée la gestion du dossier. A l’exception de l’Office Nationale de l’Assainissement et de l’Algérienne des Eaux, récemment créés.
Ces structures n’ont pas de comptes à rendre à la population qui a soif, ni aux fellah qui n’ont pas d’eau pour irriguer leurs champs. Elles vivent entre elles, en vase clos, dans un fonctionnement totalement inefficace.
Prenez une ville, n’importe laquelle, car le schéma est partout le même, avec des ressources insuffisantes et un réseau archaïque. Selon la procédure en vigueur, il faut des années pour inscrire un projet, lancer les appels d’offres, le réaliser et le mettre en fonctionnement. Entre-temps, la demande a explosé, les canalisations nouvellement réalisées ne sont pas conformes aux normes, et nécessitent des travaux coûteux d’entretien et de mise à niveau. La plupart de ces projets sont en outre fragmentaires, inadaptés, conçus pour répondre à l’urgence. Ils n’obéissent pas à un schéma élaboré qu’ils faut réaliser dans la durée.
Quant aux barrages, ils offrent le spectacle d’une véritable mascarade. Le barrage de Taksebt, supposé alimenter Alger et Tizi-Ouzou, est terminé depuis trois ans. Mais on n’a pas réalisé les canalisations pour ramener cette eau, dont les travaux ont commencé depuis quelques mois. Résultat : le barrage est plein depuis 2002, mais l’eau n’arrivera dans les robinets d’Alger que vers 2006, au mieux. On compte une dizaine de barrages achevés, mais non exploités actuellement, à cause de ce manque de coordination dans les travaux.
- Mauvais choix
La pression quotidienne de la pénurie d’eau pousse les responsables à prendre des décisions hâtives, qui risquent de maintenir, sinon d’aggraver le problème à long terme. On évoquera ici deux questions qui prêtent à polémique : le contrat en cours de négociations avec la compagnie française Suez pour la gestion de l’eau à Alger, et le dessalement.
1le contrat avec Suez :
Ce contrat est en cours de négociation depuis plus d’un an. Il ne pouvait être signé car son contenu était en contradiction avec la loi sur l’eau. Il a fallu donc l’avènement de la nouvelle loi, adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat durant la session d’automne. Le sénat l’a adoptée durant la dernière journée de sa session de printemps, le 7 juillet.
Le contrat avec Suez peut donc être signé. De là à dire que la loi a été changée pour permettre de signer le contrat avec Suez, il y a un pas que de nombreux spécialistes ont franchi.
Cette manière de décider pose une série de problèmes. Il n’y a pas eu une réflexion sur l’eau, son coût, les ressources disponibles, comment les mobiliser au mieux, de manière à maîtriser ce secteur. On a simplement décidé que les acteurs algériens n’ont pas les compétences nécessaires pour résoudre les problèmes, ce qui impose le recours aux étrangers.
Or, que propose-t-on à Suez ?
On lui propose ce qu’on a toujours refusé à l’Algérienne des eaux et l’Office National de l’Assainissement, c'est-à-dire de s’occuper des projets. Jusque la, la réalisation des projets, on l’a vu, est confiée aux directions de l’hydraulique des wilayas, et à certaines grandes entreprises, comme l’Agence Nationale des Barrages. Ceux qui exploitent le réseau ne sont pas concernés par la réalisation. Ils ne sont même pas associés, alors que ce sont eux qui connaissent le mieux les lacunes des réseaux actuels.
Le journal El-Khabar a indiqué, début juillet, que la compagnie Suez sera rémunérée à hauteur de soixante millions d’euros pour ce contrat. El-Watan, dans un dossier consacré à l’eau, a donné le même chiffre. Mais Suez ne mettra pas un sou en contrepartie. Elle se contentera d’orienter les investissements, qui seront tous assurés par la partie algérienne, par le biais d’une société mixte dont elle contrôlera la direction.
Y aura-t-il une garantie que le travail de Suez donnera des résultats ? On verra comment ce volet est abordé lorsque le contrat sera finalisé. Mais une certitude s’impose déjà : Suez aura à sa disposition des sommes faramineuses, et elle aura toute latitude de décider comment elles seront dépensées, ce qu’aucune entreprise algérienne n’a obtenu avant elle.
Une autre démarche était-elle possible ? Très certainement. L’Algérienne des Eaux et l’ONA, malgré leurs lacunes évidentes, ont réussi à introduire des normes de gestion, « en tirant vers le haut » la gestion de l’eau, selon la formule d’un spécialiste cité par El-Watan. Plus d’autonomie, plus de moyens, plus de perspectives pour ces acteurs, qui doivent être liés par des contrats de performance avec les collectivités locales, voilà un choix possible. A eux de voir ce qui leur manque vraiment, et de l’obtenir éventuellement auprès des grandes entreprises internationales.
Mais c’est le choix inverse qui a été fait. Un cadre de l’ADE a remarqué que son entreprise, qui gère 18 wilayas, n’a pris en charge aucune nouvelle wilaya durant les derniers dix huit mois. Des blocages persistent au sein de différentes administrations, ce qui bloqué net l’élan pris par l’ADE. Cela donne le sentiment net qu’on ne voulait pas que ces entreprises passent à un palier supérieur, alors que le pays a réellement besoin de grandes entreprises qui maîtrisent ce dossier, appelé à occuper une place centrale dans la vie économique et sociale dans les prochaines décennies.
Pays méditerranéen aride, avec des cycles de sècheresse de plus en plus inquiétants, l’Algérie doit en effet anticiper ans ce domaine pour éviter de graves crises dans les prochaine décennies. C’est ce qui justifie la nécessité d’explorer le dossier du dessalement, pour le maîtriser sur le long terme.
Le dessalement, option parmi d’autres
Mais là encore, les choix qui ont été faits soulèvent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. Au lieu de faire du dessalement une option parmi d’autres, on l’a transforme en choix primordial. Alger, à elle seule, sera dotée dans quelques années de stations produisant plus de 400.000 mètres cubes/jour, plus des deux tiers de sa consommation actuelle. C’est l’art de mettre tous ses œufs dans le même panier.
M. Abdelmalek Sellal a déclaré que les pertes actuels du réseau d’eau potable sont évaluées à 40 pour cent. Le chiffre est énorme, et semble surévalué. Il inclut probablement les « pertes commerciales », c’est-à-dire tous ceux qui consomment de l’eau mais ne sont pas recensés. Un ingénieur d’une entreprise publique s’est amusé à faire quelques calculs. Réduire ces fuites de un pour représente l’équivalent d’un barrage de cent millions de mètres cube qui se remplirait deux à trois fois, selon ses calculs. Le coût serait évidemment beaucoup moins cher que le dessalement.
Car le coût de l’eau issue du dessalement de l’eau de mer est très élevé. Les contrats conclus jusqu’à présent ont fixé le prix du mètre cube d’eau entre 70 DA le mètre cube (Skikda) et 80 dinars (station du Hamma). Ce prix est calculé sortie d’usine. Il faut y ajouter le prix de la distribution, évalué actuellement autour de 25 dinars le mètre cube. Le coût théorique final du mètre cube dessalé se situera donc autour de cent dinars le mètre cube.
Ces prix supposent un fonctionnement optimal des stations de dessalement. Or, aucune des stations installées jusque là ne fonctionne à cent pour cent de ses capacités théoriques. Le meilleur taux est de 80 pour cent.
D’autre part, ce prix a été calculé sur la base d’un prix de l’énergie très bas. Lors des études techniques, le prix du baril de pétrole était inférieur à 30 dollars. Il est actuellement autour de soixante dollars.
Selon un ingénieur espagnol, dans une station de dessalement, les coûts se répartissent ainsi :
Investissement : 50 pour cent
Energie : 25 pour cent
Frais de fonctionnement : 25 pour cent
La hausse du coût de l’énergie devrait pousser les prix autour de 125 dinars dès le début du fonctionnement de la station du Hamma, et probablement vers 150 dinars vers 2010, si les prix du pétrole continuent d’augmenter. Il faut savoir en parallèle que l’eau est vendue actuellement aux citoyens à 10 dinars le mètre cube (prix de base). La différence est énorme, et sera payée par l’état. C'est-à-dire la collectivité nationale.
Station du Hamma : de graves erreurs
La station du Hamma porte déjà les premiers signes de l’échec. Différents éléments, présentés le 20 juin lors du salon international de l’eau par M Benhenni Benguedache, conseiller du ministre de l’hydraulique, révèlent les erreurs commises dans le choix du site d’implantation.
- Expliquant les précautions à prendre pour l’installation d’une station de dessalement, M. Bengueddache a déclaré que site choisi doit privilégier une eau de mer « propre ». Or, l’eau du port d’Alger est la plus mal indiquée, à cause de la pollution. Selon des ingénieurs spécialisés en dessalement, le choix du Hamma à lui seul aura pour conséquence des frais supplémentaires qui provoqueront une hausse du prix de l’eau de 10 dinars le mètre cube. Cette hausse est due à deux facteurs. Un pré-traitement sera nécessaire, et coûtera plus cher, et les membranes, qui constituent la partie la plus fragile d’une station de dessalement, devront être changées à des intervalles plus courts, ce qui induit des coûts supplémentaires et des arrêts répétés.
- M. Bengueddache a déclaré que la station doit couvrir une superficie de cinq à sept hectares. Or, Alger est une ville déjà saturée. Prendre cinq hectares dans le tissu actuel est une erreur évidente. Comment installer un tel projet au cœur d’Alger au moment où les poids lourds y sont interdits de circuler dans la journée ?
- L’emplacement de la station de dessalement doit faciliter la connexion de cette station au réseau de distribution. Celle qui sera installée au Hamma sera reliée aux stations de distribution de Kouba, Garidi et Télémly. Il sera donc nécessaire de creuser sous la route de l’ALN (La Moutonnière), la voie ferrée, et dans le tissu urbain le plus dense du pays pour relier cette station au réseau. Les connexions vers Garidi et Kouba, sur treize kilomètres, provoqueront d’énormes difficultés.
- Le coût du terrain pour l’implantation d’une station de dessalement représente une partie non négligeable du coût global du projet. Il peut représenter jusqu’à 20 pour cent du projet, si elle est installée dans une zone où le terrain est cédé à un prix élevé. Au Hamma, c’est l’un des prix les plus élevés du pays.
Formule peu intéressante
Ceci pour la station du Hamma. Mais de manière générale, les stations de dessalement seront construites selon la formule BOO (Build, Operate) c’et à dire construire, gérer et exploiter. Autrement dit, des sociétés étrangères vont s’installer en Algérie, construire les stations de dessalement, et vendre de l’eau à Sonatrach, qui la revendra à l’ADE, laquelle se chargera de la distribuer. Les entreprises algériennes n’auront pas de contact direct avec l’opération de dessalement. Elle ne n’ont aucune chance de la maîtriser à terme.
Quand le projet a été lancé, aucune société étrangère n’était intéressée, du fait de l’absence de garanties. Il a fallu adressée une injonction à Sonatrach et à Sonelgaz pour s’intégrer dans le projet : elles sont les seules entreprises algériennes dignes de confiance.
Mais ce n’était pas suffisant. Les partenaires étrangers exigeaient des garanties pour faire des bénéfices. On leur a donc accordé le contrat selon une formule très particulière: ils construisent la station, et obtiennent par contrat la garantie qu’ils vont vendre de l’eau pendant vingt cinq ans à un prix fixé à l’avance. Seule Sonatrach, avec l’argent des hydrocarbures, peut payer…
Avec les cycles de sècheresse répétés, le dessalement peut être une bonne formule pour l’Algérie. A condition de lancer un vrai programme dans cette direction : maîtriser les coûts, les techniques, former les techniciens, devenir éventuellement un des acteurs de ce domaine.
La formule retenue est la plus restrictive : les entreprises étrangères produisent l’eau dessalée et les entreprises algériennes s’engagent seulement à l’acheter. C’est presque une formule « off shore » ; ou comme si l’eau était produite à l’étranger et importée. Les entreprises algériennes n’y ont aucun rôle. La seule solution qui s’impose consiste dans le recrutement massif de techniciens algériens, qui apprendront le dessalement sur le tas.
Dernier élément annoncé le 20 juin par M. Bengueddache : le projet sera exclusivement financé par des banques algériennes. Des instructions ont été données en ce sens. Autrement dit, les constructeurs de stations de dessalement vont utiliser de l’argent algérien, acquis auprès de banques algériennes, pour produire de l’eau qui vient des eaux territoriales algériennes, et elles ont la garantie de la vendre pendant vingt cinq ans à trente ans.
Il est impossible d’évoquer dans un seul document tous les aspects liés à la gestion de l’eau. Mais il suffit de dire que quarante trois ans après l’indépendance, des Algériens reçoivent de l’eau un jour sur deux, ou un jour sur trois, voire une fois par semaine, pendant une à deux heures. C’est un échec évident. « Au lieu de revoir les méthodes et les mécanismes de gestion et de décision, on a préféré déplacer le problème et le compliquer, pour y inclure des nouveaux intervenants (étrangers) et de nouvelles technologies. C’est peut être le meilleur moyen d’aller vers des échecs encore plus complexes », déclare en conclusion un cadre du secteur.