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HISTOIRES

Histoire des contrats de la Générale des Eaux créée par des banquiers, des barons, des ducs et des comtes d'Empire jusqu'à la fin du 20ème siècle (Reille,Hottinguer,Gérard,Mallet,Montesquiou-Fezensac,Galline-Cambefort-Saint Olive,Foy-Pillet-Will)



- 1er contrat de concession (99 ans) Lyon 8 août 1853 (jusqu'en 1899) puis avec la Banlieue en 1888
- création officielle de la Compagnie Générale des Eaux le 14 décembre 1853
- contrat Nantes 12 avril 1854 (jusqu'en 1905)
- Paris (renouvelé en 1910) et 12 communes de la Banlieue le 11 juillet 1860 (régie intéressée) + 15 communes en 1867 dont Choisy : en 1903, la Banlieue de Paris regroupe 121 communes et constitue déjà la plus grosse affaire de la CGE (naissance en 1908 de la Conférence Intercommunale des Eaux et création du SEDIF le 1.01.1923 regroupant 139 communes qui a délégué à la CGE par un contrat de régie intéressée jusqu'en 1962) : le signatire pour le Sedif est le maire radical de Bagneux et vice président du Conseil d'Etat Théodore Tissier (1866-1944) : il a été le le créateur du 1er syndicat intercommunal du Gaz et de l'Electricité en 1904 et son 1er président jusqu'en 1935.
- Nice et ses alentours 4 mars 1864
- échec à Nîmes
- création par le Crédit Lyonnais le 28 février 1880 de la Sté Lyonnaise des Eaux et de l'Eclairage et premiers contrats à Cannes, Melun, la banlieue de Rouen, Lille, Bordeaux, Chatellerault, Barcelone et San Remo
- Venise, Lausanne, Vérone, La Spezia, Bergame, Naples, Porto et Constantinople 1879-1882 : ces contrats seront repris entre 1928 et 1934
- 1880-1884 13 contrats : Arras, Boulogne sur Mer, banlieue de Rouen, Lisieux, Rennes (24 août 1880 plus vieux contrat en exercice), Morlaix, Ancenis, Arcachon, Toulon (repris en 1911), Vence, Antibes, Elbeuf (repris en 1908)Monaco et Menton
- création en 1911 de la société des eaux du nord
- en 1911, la CGE gère 177 contrats dont 54 sont renouvelés jusqu'en 1952 voir 1972.
- en 1919 création de la SADE filiale de la CGE pour les travaux
- création de la SDEI en 1928 et de la SAUR en 1933
- idée de nationalisation de la CGE par le Front populaire en 1936 vite abandonnée
- création le 22 janvier 1943 de la Société des Eaux de Marseille moitié CGE et moitié Lyonnaise et son 1er président est Raoul Dautry (2 fois ministre en 1939-1940 et 1944-1946)
- la CGE échappe à la nationalisation en 1946 !!

On pourrait également rajouter l'histoire des aqueducs romains aux premières compagnies françaises du 18 et 19ème siècle où l'hygiène devient une priorité; le rôle des saint simoniens, des hydrauliciens, des grandes écoles comme les Ponts et Chaussées; mais il faut rappeler que l'Angleterre avait résolu depuis la fin du 18ème siècle les problèmes de base posés par la distribution de l'eau et avait créé des compagnies privées d'eau comme à Manchester en 1808.
D'autre part, les premiers administrateurs de la CGE étaient également des administrateurs des premières compagnies de chemin de fer.
Le début des travaux du canal d'irrigation, historique pour la CGE, de la Vésubie, près de Nice, date de 1878.
Le second canal d'irrigation pour la CGE est celui de Saint Martory près de Toulouse dont les travaux ont commencé en 1888.
Avec la filiale SAHYD (société d'applications hydrauliques) créée en décembre 1929, la CGE devient agricultrice notamment dans le sud-est de la France : cette SAHYD deviendra dès 1936 un gestionnaire financier qui pourrait servir de cadre de receuil des avoirs immobiliers de la CGE en cas de nationalisation; en 1998, alors que la CGE avait le pris le nom de Vivendi, la SAHYD sera transformée en CGE-SAHIDE, à laquelle sera transférée, avec plus ou moins l'accord des collectivités signataires, l'ensemble des contrats d'eau et d'assainissement du Groupe.



Comment l'eau est devenue une marchandise
Résumé de la thèse soutenue par Jean-Paul HAGHE
Les eaux courantes et l'Etat en France 1789-1920 Du contrôle institutionnel à la fétichisation marchande,
www.h2o.net/magazine/decouvertes/culture/histoire/ marchandise/francais/marchandise_0.htm
Résumé de la thèse
Les eaux courantes et l'Etat en France 1789-1920
Du contrôle institutionnel à la fétichisation marchande
soutenue par Jean-Paul HAGHE
sous la direction de Marcel RONCAYOLO
E.H.E S.S - 1998
Jean-Paul HAGHE est géographe
Maître de Conférences à l'IUFM de Rouen
Porteur d'eau, Paris vers 1830.
Dans nos sociétés contemporaines certains éléments de la nature tels l’air ou
l’énergie solaire échappent encore à l’appropriation privée et au commerce, mais ce
n’est plus le cas de l’eau qui est devenue un objet politique et économique majeur.
La même molécule d’eau sera considérée différemment selon les diverses étapes
de son cycle ; lorsqu’elle se trouve dans l’atmosphère, les océans ou compose les
êtres vivants, elle reste encore un élément sans valeur marchande, mais dans son
cycle terrestre elle est devenue un objet appropriable ayant un prix ; elle est
intégrée au marché. Ainsi, "l'eau courante" devient une marchandise. Elle apparaît
même aux grands groupes industriels qui la distribuent et l’assainissent comme l’un
des principaux marchés du 21ème siècle. Selon la Banque Mondiale, il faudrait
investir 180 milliards de dollars par an pour éviter une crise majeure en 2025.
Face aux réticences des usagers à accepter cette évolution marchande, faut-il leur
répondre "qu'il serait temps de considérer l’eau comme une denrée négociable au
même titre que le pétrole, le bois ou le charbon et de la faire payer cher parce
qu’elle n’est pas inépuisable".
L’application du référent monétaire aux utilisations des eaux courantes est toujours
présentée par les experts comme étant incontournable. Dans les pays développés,
ce référent régule l’ensemble des rapports qu’entretiennent entre eux usagers,
riverains, groupes industriels, puissance publique (par le prix et le coût, les taxes et
les subventions) ; partout , il domine largement les exposés des spécialistes qui
dirigent l’anthropisation du milieu aquatique terrestre.
Cette situation qui est présentée comme fatale fait pourtant l’objet d’analyses
critiques, mais les enquêtes et les recherches universitaires portent surtout sur les
conséquences de cette marchandisation ; ses origines et son développement
historique sont rarement analysés par les spécialistes de l’eau.
C’est pourquoi il nous a paru indispensable, pour comprendre ce qu’est l’eau dans
notre société, d’effectuer au préalable un long retour sur le passé ; nous
examinerons dans le cadre de la France, quels ont été les processus intellectuels et
sociaux qui ont conduit à l’intégration des eaux courantes au marché ?
Comment l'eau courante est devenue une marchandise
• 1 •
Tout est déjà joué avant les années 1960
Source de la Vicomté
qui alimente Paris,
dans la vallée de la Voulzie
en amont de Provins.
Les années 1960 sont toujours présentées comme déterminantes pour cette
évolution car c’est alors qu’un puissant lobby scientifique, industriel et financier a pu
imposer ses normes sur cet espace encore largement gratuit. Cette période est
donc riche en transformations et ruptures.
· rupture juridique : les pays capitalistes développés adoptent des législations
visant à assurer la gestion intégrée du cycle des eaux terrestres, qui
entraîneront une refonte des systèmes organisationnels.
· rupture lexicale marquant le nouveau mode de pensée : dans le discours
technique et administratif le terme de "gestion" se substitue à celui
"d'aménagement" des eaux.
· domination de la technostructure dans les mécanismes décisionnels aux
dépends de l’usager qui se trouve dépossédé de tout pouvoir réel.
· extension du monopole discret de grands groupes capitalistes sur des pans
entiers du cycle de l’eau (cette évolution s’accentuant avec le triomphe de la
pensée néo-libérale des années 1980).
En France, ces nouvelles orientations apparaissent dans les travaux de la
Commission Eau du 4ème plan. Cette équipe, composée d’une soixantaine
d’ingénieurs et d’administrateurs civils formule des propositions qui marquent une
rupture fondamentale dans l’histoire de l’hydraulique française. Reprenant
l’approche Pigouvienne, sous couvert de lutte antipollution, ils donnent une valeur
monétaire à tous les usages des eaux courantes, et instaurent un nouvel échelon
de décision indépendant des échelons traditionnels : les agences financières de
bassin.
Pourtant, une mise en perspective historique montre que les transformations des
années 1960 ne sont que l’aboutissement d’un long processus d’intégration au
marché ; en effet à cette date les eaux courantes sont déjà structurées en filières
d’usages (hydraulique agricole, assainissement et eau potable, eau à usage
industriel, hydroélectricité), dont certaines sont dominées par des groupes
industriels (distribution-assainissement, travaux publics, fabricants de tuyaux) ;
toutes fonctionnent déjà selon des dispositifs législatifs, institutionnels ou
idéologiques qui leur permettront d’intégrer facilement le marché.
Il nous semble donc indispensable de remonter dans le temps pour trouver les
racines de cette marchandisation.
Comment l'eau courante est devenue une marchandise
• 2 •
Un processus de marchandisation
qui s'articule en deux phases
Carte des rivières de la France
La mise en place de l'objet "eau"
Il y a d’abord la mise en place de l’objet "eau" qui est inséré progressivement dans
le champ économique. C’est-à-dire qu’il y a constitution graduelle d’une série de
référents qui vont définir de quels usages de l’eau sera composé chaque secteur,
quelles seront sa fonction et son image. Parallèlement se développe un corps
d’experts et de groupes d’usagers ayant un discours cohérent. Ces acteurs
énoncent ce qu’il leur semble "utile" de faire et mettent en place une logique
professionnelle, des réseaux d’influence et des structures institutionnelles.
Notre première hypothèse est que dans cette mise en place qui semble débuter en
France à la fin du 16ème siècle, l’Etat va prendre une part décisive.
Notre deuxième hypothèse est que jusqu’à la fin de la première moitié du 19ème
siècle, ce processus est largement lié à l’évolution du monde agricole, à ses
innovations techniques et aux idées et pratiques agronomiques.
La Révolution, en remettant en cause une grande partie des structures
organisationnelles des eaux courantes crée une nouvelle donne. Notre troisième
hypothèse est que c’est au cours de cette période que s’élaborent concrètement
les cadres normatifs et institutionnels qui vont structurer jusqu’à nos jours les
différents usages des eaux.
Pendant la Révolution, un cadre territorial et institutionnel est fixé pour
l’administration du réseau hydraulique : les services centraux dirigent les rivières
navigables et flottables, tout le reste du réseau entre dans le domaine des services
départementaux ; dans les deux cas l’expertise devient le monopole du corps des
Ponts et Chaussées. Une réglementation unitaire se substitue aux usages locaux,
ce qui démontre la volonté "d’uniformiser" et de stabiliser tout le réseau hydraulique.
Mais cet arsenal juridique restera symbolique car il aura peu d’impact sur les
réalisations concrètes ; cependant, on peut considérer que c’est la première étape
permettant de fonctionnaliser les eaux courantes.
Les années 1840-1850 seront déterminantes : selon notre quatrième hypothèse,
c’est alors que se mettront en place les structures normatives et institutionnelles
qui permettront aux eaux courantes de devenir un objet économique.
Quatre secteurs cloisonnés vont ainsi apparaître et se développer jusqu’aux années
1960 : le secteur de l’eau potable et de l’assainissement urbain qui est lié au
développement du mouvement hygiéniste ; celui de la navigation fluviale et de
l’hydraulique maritime dans lesquels s’illustreront les Ingénieurs des Ponts et
Chaussées ; celui de la force hydraulique qui connaîtra une expansion
extraordinaire après 1880 ; celui de l’hydraulique agricole, en particulier de
l’irrigation. Une analyse approfondie de cette étape nous parait donc essentielle;
elle nous permettra de constater qu’à partir de 1850, l’objet "eau" est définitivement
mis en place.
Pendant toute cette période (jusqu'en 1880), l’eau n’est pas encore considérée par
le monde rural comme une matière première ayant une valeur intrinsèque mais
comme un moyen d’augmenter la valeur foncière du sol, en le desséchant ou
en l'irriguant.
La deuxième phase verra la stabilisation des eaux courantes
Il s’agit à la fois de rendre durable et permanente la division des usages en filières
par des normes législatives et institutionnelles et de mettre fin aux variations
physiques du milieu aquatique par le calcul et la technique. En effet la soumission
des eaux courantes à l’abstraction marchande passe par leur division fonctionnelle
et par la normalisation des effets utiles par l’artificialisation (toute économie
marchande repose par définition sur la prévalence de l'échange sur l'usage, ce qui
signifie que les eaux courantes doivent être fragmentées, puisque seuls des
fragments de la nature peuvent s'échanger - s'acheter et se vendre -, et
simultanément qu'elles soient homogénéisées, puisque l'entrée dans l'échange
suppose la transformation de la particularité qualitative en uniformité quantitative).
Ces deux processus, fonctionnalisation et artificialisation, sont issus de rationalités
techniques, de référentiels idéologiques ou de rapports de force entre usagers
ancrés dans le 19ème siècle.
De nombreuses études ont décrit et analysé de façon exhaustive ces phénomènes
dans le cadre urbain ; l’essentiel de notre analyse a donc porté donc sur les enjeux
"ruraux" des eaux courantes au 19ème siècle ; c’est-à-dire sur ce qui concerne les
rivières "non navigables ni flottables", les premiers réseaux modernes d’irrigation ou
de défense contre les crues et le monde des usiniers utilisateurs de la force
hydraulique.
Ces préliminaires étant posés, notre cinquième hypothèse est que la période de la
fin de la Restauration au début du Second Empire voit une accélération du
fractionnement des usages "utiles" qui seront organisés en filières. Ce
phénomène, nous semble issu d’un mouvement dialectique entre la concurrence
exacerbée des riverains pour l’accès à certains usages des eaux et la mise en place
concomitante d’une logique professionnelle et institutionnelle pour leur
encadrement.
L’intensification de l’usage des eaux courantes s’accompagne selon nous d’une
mise en ordre qui débouchera concrètement sur la création du Service de
l’Hydraulique. Nous verrons que la mise en place de ce service est extrêmement
difficile et entraînera un cloisonnement administratif durable. A partir de 1848, les
services de l’hydraulique s’opposeront à ceux des Travaux Publics et cette rivalité
aura des conséquences fondamentales dans l’organisation de l’administration de
l’eau jusqu’à nos jours.
De cette dynamique de mise en ordre, résultera un nouveau découpage territorial :
les Associations Syndicales Hydrauliques. Ce nouvel échelon administratif
connaîtra son apogée vers 1900 car il regroupera alors pratiquement tous les
usagers des diverses applications des eaux à l’agriculture ; cette institution est donc
essentielle dans l’histoire de l’hydraulique. Sa forme sera d’ailleurs reprise pour les
remembrements faits pendant l’entre deux guerres.
Notre sixième hypothèse est que cet outillage institutionnel, du moins jusqu’aux
débuts de la IIIème République, restera essentiellement symbolique, il semble y
avoir eu inflation de réglementation, de projets et d’études mais peu de
concrétisations sur le terrain. Certains des protagonistes furent d’ailleurs qualifiés
"d'agronomes de salon"..
Cette opération fondamentalement idéologique contribuera à façonner radicalement
les nouvelles représentations sociales des eaux courantes, à savoir : une
juxtaposition d’usages économiques. Nous pensons, et c’est notre septième
hypothèse, que la période 1880-1920 est capitale dans le processus d’intégration
des eaux courantes au marché. En effet, en 1919, la force gravitaire des eaux
entre totalement dans le circuit marchand à la suite d’une nouvelle législation.
Cette loi marque une rupture conceptuelle dans l’histoire de l’hydraulique qui aura
aussi une influence sur la définition des principes et des limites de l’utilité publique.
Comment l'eau courante est devenue une marchandise
• 3 •
A la Révolution
l'eau devient une valeur sûre
La victoire politique de la bourgeoisie en 1789 entraîne un
bouleversement profond de la pratique sociale des eaux
courantes.
La Camargue
Une action engagée à partir de déterminants anciens
Mais cette action est engagée à partir de déterminants séculaires. Nous nous
sommes rendu compte qu’une part des référentiels idéologiques et même certaines
rationalités techniques qui animaient les acteurs de la période révolutionnaire
étaient très anciens. Ils ont trait au rapport homme/eaux courantes que l'on trouve
dans le sociétés européennes avant le 18ème siècle. Selon nous ce rapport a été
modelé par trois influences principales. Ainsi que Guillerme l’a expliqué, dans les
sociétés indo-européennes, l’eau n’est utile à l’homme que domptée, conduite,
dirigée. Sous l’influence de la Réforme, la nature et les eaux courantes sont pour la
première fois considérées par une certaine partie de la société exclusivement
comme une ressource disponible et exploitable. C’est également à cette époque
que l’appropriation individuelle du sol ou des éléments de la nature est présentée
comme nécessaire à l’amélioration de la productivité. Enfin, au 16ème siècle, la
réhabilitation des écrits des médecins grecs et romains permet de reposer le
problème de l’insalubrité de l’air des marécages. Les connaissances nouvelles et
les techniques développées au 18ème siècle auront aussi une influence
fondamentale. Ainsi, cette période voit les premières lois formalisées d’écoulement
de fluides et l’amélioration des méthodes de cartographie donneront aux ingénieurs
les outils essentiels qui permettront le développement de techniques hydrauliques
efficaces . La circulation atmosphérique de l’eau sera mise en évidence et le
concept de bassin hydraulique se vulgarisera parmi les élites scientifiques.
Influencés par la conception newtonienne d’un univers mécanisé et ordonné les
ingénieurs agronomes et médecins "condamnent les excès des eaux courantes " et
préconisent leur domestication. Tout converge vers la volonté de: " écupérer les
eaux utiles et chasser les eaux nuisibles, éviter les engorgements et la stagnation,
améliorer la circulation des eaux courantes". Les agronomes et les physiocrates
renouvellent l'intérêt pour les eaux courantes qu’ils considèrent comme la pièce
maîtresse du développement économique. S’inspirant du modèle hollandais, ces
experts pensent que toute amélioration des productions agricoles passe par la
maîtrise des eaux, et l’intensification des échanges agricoles entre régions par le
développement des canaux. Cela va entraîner un renouveau des dessèchements.
Le contrôle de l’eau (son évacuation des terres humides) n’est encore qu’un facteur
de valorisation foncière.
C’est dans les grandes villes, comme l’ont montré Goubert et Guillerme que se met
en place le mécanisme qui va permettre une première étape de la marchandisation,
elle concerne l’eau de boisson.
Parallèlement l’Etat impose sa marque sur le réseau hydraulique. Le pouvoir royal
affirme sa légitimité en tant que source de droit par des règlements de plus en plus
précis s’appliquant aux principaux fleuves du royaume ; l’administration royale des
eaux et forêts, puis des ponts et chaussées prend en charge l’expertise des travaux.
Des aides financières de plus en plus conséquentes sont accordées pour
l’endiguement et les canaux et des dons royaux secourent les victimes
d’inondations.
La nouvelle donne révolutionnaire
La période Révolutionnaire est fondamentalement une
rupture qui permet une nouvelle donne.
C'est une rupture juridique. Des droits d’usages des cours
d’eau qui étaient jusqu’alors fortement imprégnés des
privilèges nobiliaires et ecclésiastiques disparaissent.
L’individualisme radical égalitaire appliqué à la propriété
exclusive du sol s’étend aux eaux courantes au dépend des
formes d’auto-contrôle de l’ancien régime ; les usages
locaux qui régulaient les cours d’eau en seront bouleversés.
L’eau quitte le droit féodal pour entrer dans une nouvelle
législation qui s’inspire du droit romain.
Baugency
Sur les rives de la Loire
Pour les eaux courantes, comme pour le sol, la question de l’appropriation
exclusive devient fondamentale, mais cette notion étant difficile à définir et encore
plus à faire accepter, son contour restera très flou jusqu’à la fin du 19ème siècle.
C’est surtout sous l’Empire que seront fixées les limites de la propriété privée quand
elle est confrontée avec l’utilité publique. Cette réforme apparaît cependant comme
inachevée ; l’eau ne fait l’objet que de quelques articles du Code Civil et à cause de
l’absence d’un Code Rural les usages agricoles et industriels de l’eau des rivières
non domaniales ne sont pas abordés par la loi. Cette absence apparaîtra, à tous
ceux qui prônent le changement et la modernité, comme un frein au développement
économique. Elle favorisera par contre l’emprise réglementaire de l’administration.
Cette nouvelle donne se traduit également par la réorganisation et la
rationalisation de l’administration des eaux courantes par l’Etat. Le but est de
stabiliser le niveau des fleuves tout au long de l’année et de fonctionnaliser les
rivières : les grandes doivent servir la navigation et le commerce, les petites,
l’industrie et l’agriculture. Pour les petites rivières, le département est le cadre de
cette vaste opération d’adunation qui vise à harmoniser les mots et les choses.
L’administration centrale, quand à elle, exerce son autorité directe sur les rivières
navigables et flottables, les dessèchements généraux, les canaux d’irrigation, sous
le contrôle des nouveaux serviteurs du public : les polytechniciens du corps des
Ponts et Chaussées.
Région de Sologne
La Révolution pose les bases de la marchandisation
On peut donc dire que la Révolution pose les bases de la marchandisation des eaux
courantes:
· les nouvelles lois tentent d’imposer un caractère incontournable à
l’appropriation exclusive et individuelle de certains usages des eaux, et
cela au détriment des solidarités liées à la riveraineté.
· l’Etat définit des normes qui tendent à fonctionnaliser les rivières et
s’adjoint les compétences d’experts chargés de les stabiliser pour une
utilisation rationnelle et efficace.
Les révolutionnaires gardent une représentation de la nature issue du 18ème siècle
qui détermine leurs principes d’intervention : ils veulent améliorer la circulation des
flux, évacuer rapidement vers l’océan les eaux stagnantes des marais et étangs,
régulariser le cours des fleuves jusqu’à leur embouchure.
Ils reprennent les idées physiocratiques selon lesquelles l’eau est une pièce
maîtresse du développement économique ; le réseau hydrographique va être
envisagé presque exclusivement du point de vue de ses usages agricoles jusqu’au
programme de canaux proposé par Becquet.
Comment l'eau courante est devenue une marchandise
• 4 •
Les eaux courantes,
facteurs du
développement agricole
Le cas
des dessèchements
Région d'Arles
L’analyse des dessèchements entre la Révolution et la fin du second Empire nous a
permis de voir à travers les idées et le jeu des acteurs comment se passe
l’aménagement d’un espace qui constitue l’enjeu de la première conquête de l’eau.
Une perception : la crainte de la stagnation
La proscription de toute stagnation aquatique est une idée récurrente pendant
toute cette période qui impulsera l’action des dessécheurs jusqu’aux découvertes
de Lavedan, cette conception sera partagée par les médecins, les ingénieurs, les
préfets, voire les hommes politiques. Cette réputation d’insalubrité culmine
jusqu’aux années 1850. Marais et étangs sont alors considérés comme fétides et
malsains ; non seulement ils sont la source de pathologies mais encore ils
entraînent la dégénérescence physique et morale de leurs habitants, affaiblissent
les animaux domestiques et limitent les cultures.
Nous pensons que ces craintes sont issues plus fondamentalement du tabou de la
fange. Elles résultent de la représentation mentale des marais et des étangs que
l’on a à cette époque, c’est-à-dire de leur situation incertaine dans les classifications
empiriques des éléments naturels (entre le solide et le liquide).
Un espace marqué par les usages communautaires
Les marais et les étangs (Dombes, Brenne, Forez), vont longtemps rester organisés
selon l’ancien système juridique basé sur l’appropriation des usages et non du sol.
Ces terres humides constituent les terrains de parcours pour le bétail ; certaines
parcelles, périodiquement à sec aux basses eaux, sont cultivées et considérées
comme des communaux ; ailleurs on pratique le tourbage ou la cueillette de l’osier.
Cet espace n’est donc pas aussi abandonné que les dessécheurs veulent le faire
croire. C’est pourquoi, presque toutes les opérations de dessèchement que nous
avons étudiées vont se heurter au moment des travaux à l’hostilité plus ou moins
violente de leurs usagers habituels. Car ces riverains pensent, et souvent à juste
titre, qu’ils sont spoliés. Quant aux métayers et petits propriétaires censés bénéficier
des dessèchements, on constatera qu’ils sont le plus souvent accablés de taxes,
voire de corvées pour l’entretien des ouvrages ; par contre les propriétaires des plus
importantes parcelles retireront un avantage conséquent de leur position dominante
dans les associations syndicales hydrauliques.
Comment interpréter les discours sur le dessèchement
On peut distinguer deux périodes marquées par une certaine cohérence des
discours :
· De la Révolution à 1830, il s’agit à la fois d’aménager l’espace pour
améliorer les ressources (influence des Physiocrates et des agronomes) et
d’uniformiser le territoire (incorporer les marais dans la catégorie des terres
utiles). C’est donc une opération de vivification, qui n’exclut pas la
spéculation.
· Entre 1830 et 1860, la justification est surtout médicale et hygiéniste, puis
de plus en plus agronomique. La pensée Saint-Simonienne conforte ce
discours : l’homme doit imposer sa marque à la nature pour assurer le
progrès sanitaire et social.
La mise en place des dessèchements conforte le pouvoir des notables. Si l’on
examine l’origine des déssècheurs on constate leur domination, plusieurs phases
apparaissent :
· Pendant la période révolutionnaire les tentatives semblent venir à la fois des
bénéficiaires des biens nationaux (négociants, meuniers, officiers, juristes )
et de la noblesse d’Empire. Beaucoup de ces projets n’aboutiront pas et
furent peu sérieux.
· Les années 1820-30 sont marquées par les tentatives des grandes sociétés
foncières qui se constituent à ce moment là, la plus célèbre étant la
Compagnie Générale de Dessèchement. Elles réunissent des capitaux
bancaires (Laffitte) et constituent le premier essai "d’industrialisation de
l’agriculture".
· De 1830 jusqu’en 1860, ces tentatives "capitalistes" cessent ; les
dessèchement sont alors le fait d’individus notables locaux (meuniers,
noblesse traditionnelle) qui utilisent les associations syndicales
hydrauliques pour imposer leurs travaux aux riverains.
La spéculation foncière reste le fondement du dessèchement.
Il faut rappeler que jusqu’à la fin du 19ème siècle, les dessèchements sont
effectués uniquement à la seule initiative du privé. Malgré toutes les justifications
médicales ou agronomiques il apparaît que leur mise en oeuvre concrète dépend
uniquement de la volonté des spéculateurs qui anticipent l’augmentation du prix des
terrains après dessèchement. L’entreprise de dessèchement est donc
essentiellement le résultat d’une volonté d’enrichissement, comme nous avons
pu le noter dans notre étude des Dombes. On voit donc à travers l’expérience des
dessèchements que l’argent contribue au contrôle des eaux
La maîtrise de l'eau est aussi un élément qui permet la domination foncière
La maîtrise d’un réseau d’irrigation ou d’assainissement engendre une position
dominante sur le territoire qu’il dessert et donc sur le foncier : "qui tient le réseau,
tient le foncier". Cette maîtrise peut s’exercer soit par la concession, soit par le
contrôle d’associations syndicales ; elle procure une situation de rente, source
d’enrichissement mais aussi de pouvoir social.
C’est cette perspective qui pendant la Révolution suscite l’intense activité
spéculative d’une fraction de la bourgeoisie victorieuse soucieuse de reconstituer de
grandes propriétés utilisant les techniques les plus modernes ; une partie de la
noblesse légitimiste prendra le relais après 1830. Les aspirations de ces groupes
apparaissent dans les débats de la Société Royale d’Agriculture ou dans les
innombrables bulletins des Sociétés d’Agriculture, les publications savantes
(Annales) et les journaux ; elles débouchent parfois sur des propositions de lois
comme celle de Laffitte en 1833.
Jusqu’en 1880, une partie de la bourgeoisie croit au capitalisme agricole. La
maîtrise de l’eau pour l’irrigation ou les dessèchements rentre dans ce schéma.
Mais ce n’est pas sa valeur intrinsèque qu’elle prend en compte c’est son action de
bonification des sols. Ces travaux hydrauliques permettent la constitution d’un
espace quadrillé, homogène, qui témoigne d’une rationalité productiviste (il
s’oriente d’emblée vers les productions spéculatives propres à l’échange
marchand).
Mais cette volonté de construire une agriculture capitaliste sera contrecarrée par
une large part de la bourgeoisie, hostile au développement d’une aristocratie
foncière de type anglo-saxon qui remettrait en cause certains des notables locaux.
Certains projets se heurteront également à l’opposition quelquefois violente de
métayers et de petits propriétaires très attachés à leurs droits coutumiers remis en
cause par ces travaux d’hydraulique.
Jusqu’en 1880 le discours sur les utilisations agricoles des eaux courantes est
sous-tendu par cette dialectique politique.
Comment l'eau courante est devenue une marchandise
• 5 •
Le fractionnement des
usages de l'eau
Pompe Gwynne et locomotive en service pour
l'irrigation
De 1840 à 1850, un puissant mouvement d’idée renouvelle le discours des élites
administratives et techniques sur l’aménagement des eaux. Il contribuera à
accélérer le fractionnement des usages utiles des eaux courantes et leur
mercantilisation.
Moulins à eau
Un triptyque : hygiène - agriculture - industrie
On assiste tout d’abord à l’élargissement du champ d’étude de l’hydraulique grâce à
une nouvelle approche scientifique ; l’eau n’est plus étudiée seulement comme un
fluide, mais aussi sous sa forme moléculaire et gazeuse : l’hydraulique va se
scinder en trois domaines cloisonnés, cela aura par la suite des conséquences
institutionnelles.
· Les aspects hygiénistes et thérapeutiques préoccupation du mouvement
hygiéniste essentiellement urbain
· Les usages industriels de l’eau
· Les usages agricoles.
On assiste à la mise en place graduelle d’une logique professionnelle qui définit
les limites de chaque domaine, son produit, son image, sa fonction.
Les Polytechniciens prennent une part déterminante dans ce processus, car les
domaines de compétences se technicisent. L’extraordinaire polyvalence scientifique
et technique des ingénieurs des Ponts et Chaussées apparaît à cette occasion :
parallèlement aux applications concrètes de l’hydrodynamique qui ont fait leur
renommée, ils effectuent une série d’expérimentations qui leur permet d’investir
l’agronomie et l’hygiène publique.
Pendant cette période, les usages des eaux courantes s’intensifient et se
concurrencent provoquant des conflits d’intérêts générateurs de tensions entre les
différents groupes d’usagers. En effet, la généralisation des barrages mobiles, des
nouveaux moteurs hydrauliques, de l’irrigation, du captage d’eau potable pour les
centres urbains, toutes ces nouvelles techniques demandent un apport d’eau de
plus en plus important. Une tendance à l’autonomisation des différents usages des
eaux apparaît également ; elle entraîne des rivalités d’expertise et de contrôle
institutionnel.
Toutes ces rivalités déboucheront sur le cloisonnement administratif durable
entre un service prestigieux doté de beaucoup de moyens qui se consacrera aux
rivières navigables et flottables (celui de la navigation) et un plus modeste : celui de
l’Hydraulique Agricole, chargé de gérer l’immense réseau des rivières non
navigables et des ruisseaux.
Une évolution des idées
Au début du Second Empire, trois éléments vont avoir une importance considérable
sur l’aménagement des eaux courantes :
1 - L’essor des conceptions hygiénistes permet la
mise en place de l’hygiène publique et du contrôle
sanitaire des eaux d’alimentation ; c’est le début de
la "conquête de l’eau" pour la grande masse des
citadins.
2 - Les idées productivistes Saint Simoniennes sont
appliquées à l’utilisation des eaux courantes. Les
propositions d’aménagement de Thomé de Gamon,
utopistes pour l’époque, sont issues de ce courant.
Il veut stabiliser le régime des eaux sur tout le
territoire par la construction de barrages et de biefs
étagés. C’est un des premiers à proposer
d’appliquer le principe d’économie d’échelle en
utilisant les eaux pour l’irrigation, la force motrice, le
transport et l’endiguement. Son utopie est devenue
réalité de nos jours.
Forge
3 - Une nouvelle conception du rôle de la puissance publique face aux calamités
naturelles apparaît à travers l’application du système assurentiel aux crues. Les
inondations deviennent un risque dont il est primordial de rechercher la probabilité
et la valeur de ses éventuels dommages, ce qui les fait entrer dans le champ du
calcul économique. On passe de la charité ostentatoire au calcul rationnel. Cette
approche reprend certains principes d’économie publique mis au point au même
moment pour la navigation intérieure par les ingénieurs économistes (Navier-
Dupuits). Elle préfigure le système de rationalisation des choix budgétaires et toutes
les méthodes contemporaines d’analyse coût/avantage.
Comment l'eau courante est devenue une marchandise
• 6 •
Au milieu du 19ème siècle
l'eau devient un "outil"
Les eaux courantes sont progressivement assimilées à leurs fonctions
productives
La Restauration et le début du Second Empire sont la période pendant laquelle
s’intensifie la fonctionnalisation du milieu aquatique terrestre. Les eaux courantes
sont progressivement assimilées à leurs fonctions productives.
L’eau devient un "outil" indispensable à l’industrialisation et à la "régénération" de
l’agriculture. Il s’agit de renforcer par une artificialisation croissante ses propriétés
économiquement utiles en réduisant ses variations pour en faire une fonction stable.
Dès 1817, le programme Becquet qui propose de constituer un réseau cohérent
pour la navigation intérieure, marque le début de ce processus. L’état, malgré ses
réticences à payer, fera un effort financier considérable pour creuser des canaux,
régulariser les grands fleuves, construire des quais à la place des grèves dans les
villes.
Cette priorité accordée à la navigation intérieure imprégnera longtemps la mentalité
des ingénieurs des Ponts et Chaussées qui auront tendance à négliger les autres
usages des eaux courantes qu’ils considèrent souvent comme moins nobles, car
moins sujets aux prouesses techniques. En effet, certains canaux seront de
véritables laboratoires d’hydraulique théorique et appliquée.
La naissance d'une technostructure
Pour marquer leur empreinte sur ce réseau, les ingénieurs des Ponts et Chaussées
commencent à se servir d’un langage formalisé à prétention universelle. Ils
adoptent un langage technique et produisent un arsenal réglementaire qui
transcende les acteurs et les contextes locaux.
Cela aura pour conséquence une faible prise en compte des besoins et des
pratiques effectives, une valorisation excessive du potentiel technique ou une
importance plus grande donnée à l’outil réglementaire.
Cette attitude est essentiellement le fait des ingénieurs des services centraux. En
effet, d’après nos études les ingénieurs ordinaires des services départementaux
sont souvent plus proches des réalités du terrain et tiennent compte des pratiques
des riverains. Ils se présentent comme des "guides" serviteurs de l’Etat, chargés de
diffuser la modernité. Dans le cas des services que nous avons étudiés, ils font un
travail considérable (de collecte statistique et d’expérimentation locale). Il serait
intéressant, à travers l’analyse du fonctionnement d’autres services hydrauliques,
de voir comment à travers eux se fait l’intervention de l’Etat.
Il y a inflation du discours mais peu de réalisations concrètes
Le petit nombre d’aménagements hydrauliques réalisés de la Monarchie de Juillet
au début du Second Empire et leur faible envergure, confirme notre hypothèse
selon laquelle il y a inflation du discours mais peu de réalisations concrètes. En
effet, l’action publique et individuelle est alors hésitante car elle est confrontée à des
blocages de différentes natures :
Incertitudes juridiques : les mesures relatives à l’appropriation privée des usages
des petites rivières et à leur tutelle administrative prises pendant la Révolution sont
incomplètes et la loi du 7 septembre 1807 est plusieurs fois remise en cause.
Blocages financiers : les travaux qui paraissent être d’utilité publique
(endiguement, entretien des marais, réseaux primaires d’irrigation) entraînent un
débat récurrent sur l’intervention financière directe de l’Etat. L’initiative la plus
importante revient au secteur privé ; mais le grand capitalisme foncier, échaudé par
des échecs, finit par abandonner ce secteur, ce qui contribue au fractionnement des
aménagements hydrauliques ; le modelage résulte alors d’une multiplicité de
décisions issues d’individualités ou de petites associations d’usagers. La seule
cohérence provient de la prise en charge financière par les conseils généraux ou les
municipalités d’une partie des réseaux.
Blocages institutionnels : la tutelle administrative sur ces usages de l’eau
s’impose difficilement. Elle se heurte à des discordances au sein des corps
techniques ("sensibilités agronomiques" s’opposant aux tenants des travaux publics
"purs") ; aux débuts de rivalité entre services administratifs (Travaux publics contre
Services agricoles qui veulent leur autonomie et la maîtrise des cours d’eau non
navigables) ; aux réticences des usagers à appliquer la réglementation et à
accepter le contrôle de l’administration exercé par l’intermédiaire des associations
syndicales hydrauliques.
Tous ces échecs, ces blocages, toutes ces inerties et ces rivalités contribuent
pourtant à mettre en place l’objet "eau", car ils tendent à fractionner les usages
utiles des eaux. Il sera ainsi plus facile de les stabiliser avec des lois et des experts,
faute de pouvoir totalement en avoir la maîtrise physique. On le voit, l’Etat joue un
rôle essentiel même par son désengagement ou ses hésitations. Il contribue à
façonner les nouvelles représentations sociales des eaux courantes à savoir : une
juxtaposition d’usages économiques.
Comment l'eau courante est devenue une marchandise
• 7 •
Un découpage territorial indédit
les associations syndicales hydrauliques
Pont-Allonzier
Le contrôle institutionnel se matérialise essentiellement par la mise en place d’un
nouveau découpage territorial : les associations syndicales hydrauliques. Elles
regroupent, hors du cadre administratif communal, tous les riverains d’un bassin
hydraulique, ceux d’un réseau d’endiguement contre les crues, ou de canalisation.
Cette nouvelle territorialisation créée sous la Révolution, était destinée à l’origine à
donner un cadre légal au regroupement communautaire des usagers des eaux ; elle
sera reprise avec d’autres objectifs dans les années 1830 par les sociétés
d’agriculteurs et les agronomes. Elle est soutenue par la bourgeoisie foncière car
elle permet aux notables locaux et aux grands propriétaires d’imposer des
aménagements à leurs métayers ou aux petits propriétaires. Elle est utilisée par les
ingénieurs des Ponts et Chaussées, responsables des services hydrauliques, car
elle conforte leur monopole d’expertise sur les eaux non domaniales.
Cette forme d’organisation est donc promue par un milieu
social et un corps administratif. Mais elle a aussi pour
fondement le contexte intellectuel de la période marqué par
un désir "de pérennité" ; le souhait d’un découpage
administratif qui soit moins arbitraire que celui hérité de la
Révolution qui en est une manifestation. Les experts
prônent donc le retour à des divisions naturelles qu’ils
estiment plus pérennes. Ainsi la réalité "naturelle" du réseau
des ruisseaux et des rivières s’impose sur l’unité juridique et
le patriotisme municipal. Ces idées sont à mettre en
parallèle avec la naissance, à la même époque (1830-40),
de la notion de "pays" développée par les géologues
départementaux.
Midi
Le développement du nombre d’associations syndicales des années 1840-1880
s’inscrit dans cet esprit.
Au début du Second Empire la situation est donc paradoxale car les logiques
d’action des acteurs semblent contradictoires : d’une part volonté de
fractionnement et d’autonomisation institutionnelle de chaque usage utile des
eaux courantes, d’autre part désir de reconstituer la division naturelle du bassin
hydraulique ou du réseau, c’est-à-dire de retrouver la complémentarité et le lien
entre usagers.
Comment l'eau courante est devenue une marchandise
• 8 •
Vers la fétichisation marchande
sous la IIIème République
Le contexte des années 1880
Le contexte des années 1880 contribue à modifier l’organisation des
usages des eaux courantes. La crise agricole, l’intérêt nouveau des
banques et des sociétés de travaux publics pour les réseaux d’eau,
les rivalités politiques entre républicains et conservateurs
entraînèrent une accélération de l’aménagement des eaux pour
l’agriculture.
Fontaine
Deux changements importants interviennent :
1 - De nouveaux rapports s’instaurent entre l’Etat et le monde paysan. Le
gouvernement de 1881 crée un ministère propre à l’agriculture. Les aménagements
hydrauliques (surtout l’irrigation) seront largement subventionnés par ce nouveau
ministère qui aura une politique très dynamique dans le midi touché par le
phylloxera puis le mildiou (la submersion des vignes est utilisée comme traitement).
Jusqu’alors ce secteur faisait surtout l’objet de l’intervention réglementaire de l’Etat,
mais peu de fonds publics lui étaient octroyés. Une volonté plus interventionniste se
dégage.
2 - Un nouvel acteur du privé se substitue à la bourgeoisie foncière qui abandonne
les grandes opérations d’aménagement agricole qu’elle juge peu rentables; elle
redéploie sa stratégie à l’étranger et surtout dans les colonies. Ce sont les banques
et les sociétés de travaux publics qui prennent le relais.
De nouveaux rapports s'instaurent entre public et privé
De nouveaux rapports s’instaurent entre public et privé. Ils apparaissent notamment
dans l’aménagement du canal de la Siagne qui est un des premiers réseaux
contrôlé par la société Lyonnaise des Eaux.
On s’aperçoit que cette gestion privée des eaux (ici pour l’irrigation et l’eau
potable) se développe selon trois axes stratégiques qui seront repris par toutes
les grandes compagnies d’eau jusqu’à nos jours :
· limiter les risques financiers en faisant en sorte que les collectivités
publiques financent au maximum les investissements ;
· obtenir que ces collectivités prennent en charge les déficits ;
· interpréter dans le sens le plus favorable (même abusivement) les clauses
du cahier des charges ou les articles de concession.
Tous ces éléments concourent à la constitution d’une branche industrielle
prestataire de services dont la gestion échappe totalement à la sanction du marché
; elle travaille sans risque et sa rémunération est sans lien direct avec ses résultats ;
c’est une sorte de capitalisme de rente.
Les pesanteurs
Mais les pesanteurs subsistent, elles s’illustrent par une nouvelle législation : le
Code des eaux de 1898, qui n’envisage les eaux courantes que du point de vue de
leur utilisation agricole et veut les organiser et les policer.
Les conceptions et les pratiques évoluent lentement. Ainsi l’assainissement ou
l’irrigation d’une terre ne sont encore considérés par la puissance publique comme
par les compagnies concessionnaires que comme un moyen d’obtenir une plus
value du sol. La redevance des utilisateurs est encore très souvent versée en
nature (blé) et reste proche du métayage. La répartition de l’eau et la mesure des
volumes distribués entre les intéressés se heurtent toujours à des difficultés
techniques et alimentent les controverses. Le calcul du prix de revient effectué par
les gestionnaires des canaux reste élémentaire et imprécis. Il faudra attendre 1890
pour que l’administration commence à analyser et à comparer réellement les coûts
des canaux qu’elle construit. De toutes ces incertitudes résulte une extrême
disparité des prix de l’eau distribuée. Sa valeur intrinsèque n’est pas encore
vraiment prise en compte. Il semble que les utilisateurs n’accepteront de payer l’eau
d’irrigation, mais cela mériterait d’être développé, qu’avec la mise au point de
réseaux d’eau sous pression et l’utilisation des compteurs (en Afrique du Nord
après la première guerre).
Comment l'eau courante est devenue une marchandise
• 9 •
L'énergie hydraulique devint
un bien marchand
1880-1920
La salle des alternateurs
Ivry-sur-Seine, 1950.
L'essor de la houille blanche
A partir de 1880, la captation de la force des eaux devient stratégique pour la
fraction la plus moderne du capitalisme de l’époque (électrométallurgie,
électrochimie). L’aménagement par conduite forcée (houille blanche) n’est alors
techniquement possible que sur les torrents et petites rivières (essentiellement dans
les Alpes). Or ces cours d’eau sont régis par des structures juridiques et
institutionnelles destinées à l’origine aux usages agricoles.
Le contrôle de l’hydroélectricité, devenu un secteur stratégique, va entraîner un long
conflit institutionnel ; il opposera le Ministère de l’Agriculture (tuteur des cours d’eau
non navigables) à celui des Travaux Publics qui y voit un potentiel considérable
d’expertise. Ces antagonismes seront déterminants pour la structuration
administrative et technique de la force hydraulique. La victoire des Travaux Publics
permet la mise en place définitive de l’hégémonie d’un grand corps techniques, les
Ponts et Chaussées qui vont dominer jusqu’à nos jours le discours et les processus
décisionnels se rapportant aux usages des eaux courantes.
L’essor de la houille blanche réactive aussi le débat sur le rôle de l’Etat dans ce
type d’aménagement ; elle soulève la question du partage entre intérêts publics et
privés de cette ressource nouvelle jusqu’alors gratuite.
Il faut attendre la fin de la grande guerre pour que soit mise en place une législation
adaptée s’inspirant du code minier. C’est la loi du 16 octobre 1919 qui crée un bien
nouveau : l’énergie motrice. Elle concerne tous les cours d’eau quel que soit leur
classement, qu’ils aient fait ou non l’objet d’un aménagement.
Cette loi aura deux conséquences importantes :
· D’une part elle opère la dissociation juridique de l’eau et de l’énergie de
l’eau et fait de cette énergie une richesse nationale.
· D’autre part elle la nationalise en la plaçant sous la main mise de l’Etat, et
qui plus est dans son domaine privé. L’état crée un bien nouveau : l’énergie
de l’eau, qui lui appartient. Il peut à son gré décider d’en concéder une
partie de l’exploitation à des entreprises privées. Ceci constitue une rupture
conceptuelle considérable : pour la première fois, sur tout le territoire, un
usage des eaux entre totalement dans le circuit marchand.
Utilité publique et utilité privée
Les débats sur la législation des forces hydrauliques entraînèrent aussi une
extension de l’application à la force hydraulique du principe de l’utilité publique.
L’idée nouvelle est que le producteur d’énergie électrique ne poursuit pas
uniquement son intérêt personnel mais qu’il accomplit aussi un devoir social.
L’un des principes de la loi de 1807 est repris et fait l’objet d’une interprétation
extensive : l’utilité publique d’un travail peut être reconnue alors même que ce
travail n’a qu’une fin privée, dès lors que cette fin présente un intérêt suffisant pour
la collectivité.
Cette nouveauté consacre l’alliance du privé et du public, conception proche des
idées néo-capitalistes de l’époque. Elle est certes favorable aux intérêts privés,
mais elle permet aussi à l’Etat d’être associé en devenant actionnaire de ces
sociétés d’électricité fonctionnant sous la forme de l’économie mixte.
En octroyant la concession, l’Etat apporte sa richesse : la force du cours d’eau, et
les droits qui en rendent l’exploitation possible. En contre partie elle reçoit des
actions qui lui permettront de participer aux bénéfices et d’avoir des représentants
au conseil d’administration.
Comment l'eau courante est devenue une marchandise
• 10 •
Une nouvelle territorialisation
le bassin hydraulique
Salle de gestion de la SAGEP, Paris.
La mise en réseau et l’interconnexion par lignes à haute tension entraînent un vaste
conflit entre les régions productrices et consommatrices.
Dès 1900, certaines communes sur lesquelles se trouve une centrale refusent
violemment l’exportation de leur force électrique. Ces micro nationalismes
économiques locaux trouveront une expression au niveau national par la création
de la Compagnie Nationale du Rhône. D’après notre étude, il semble que sa
genèse résulte plus d’une volonté régionaliste que de la mise en pratique du
principe d’économie d’échelle consistant en l’utilisation combinée du Rhône pour
l’irrigation, le transport, la force. En effet, les intérêts régionaux eurent un rôle
moteur dans la création de la CNR.
Au niveau national à partir de 1880, une partie de la droite revendique l’idée d’une
autonomie provinciale basée sur le modèle anglais. Les projets de Hérisson ou de
Pierre Legrand en seront l’illustration. Ils proposent un nouveau découpage
territorial où le pouvoir local serait partagé entre les forces politiques et
économiques locales. Dans ce schéma, les chambres de commerce devaient
exercer un rôle essentiel. Celles du bassin du Rhône commenceront d’ailleurs à
mettre en application ce projet. Les élus s’associeront à ce mouvement qui tendra
rapidement à se substituer à l’administration centrale en proposant ses propres
projets d’aménagement. Il sera amplifié par le projet de la Ville de Paris visant à
obtenir l’exclusivité de l’énergie électrique de Génissiat et s’inscrira alors dans la
fronde plus générale des notables contre la centralisation Parisienne.
Le développement de l’hydroélectricité fait renaître l’idée d’un nouveau découpage
territorial reprenant le concept du bassin hydraulique, mais il intègre tous les
usages de l’eau de façon à constituer une véritable région économique. Le
Rhône, réseau "naturel" d’une dimension suffisante, semblait particulièrement
adapté à ce projet qui de plus était appuyé par un puissant mouvement régional.
Comment l'eau courante est devenue une marchandise
Conclusion
Marchande d'allumettes, porteuse d'eau
et vinaigrier,
Guérard le fils, Nicolas.
En 1920, des référents nouveaux et des enjeux déterminants pour le futur sont
présents : la force motrice des eaux est devenue un bien et connaîtra un essor
extraordinaire ; tous les usages hydrauliques sont segmentés en filières disposant
de groupes de pression et d’un corps d’expertise qui dirigera le discours permettant
d’en définir l’image et les normes; la gestion intégrée de tous les usages commence
à s’organiser au niveau des bassins (CNR) ; dans les colonies, l’irrigation est prise
en charge avec profit par de grandes sociétés de travaux publics liées étroitement
aux banques et aux compagnies coloniales; un seul corps technique, celui des
Ponts et Chaussées, domine l’expertise technique des eaux courantes ; enfin, dans
l’hydraulique agricole la valeur de l’eau n’est plus envisagée par rapport au foncier,
on assiste à une prise en compte de plus en plus forte de sa valeur intrinsèque.
En 1920 sont mis en place les bases essentielles qui vont permettre la
marchandisation de tout le cycle terrestre des eaux courantes en France. Des
groupes industriels commencent à organiser chaque nouveau marché. Il ne reste
plus aux usagers qu’à intégrer peu à peu ces nouvelles normes de consommation.
Introduction
1. Tout est déjà joué avant les années 1960
2. Un processus de marchandisation qui s'articule en deux phases
3. A la Révolution, l'eau commence à devenir une valeur sûre
4. Les eaux courantes, facteurs du développement agricole : le cas des
dessèchements
5. Le fractionnement des usages utiles : la mise en place de filières (1840-
1860)
6. Au milieu du 19ème siècle, l'eau devient un outil
7. Un découpage territorial inédit : les associations syndicales hydrauliques
8. Vers la fétichisation marchande sous la IIIème République
9. L'énergie hydraulique devient un bien marchand (1880-1920)
10. Une nouvelle territorialisation : le bassin hydraulique

Colloque SHF "Eau et économie" - Paris - Septembre 2002 – Jean Paul HAGHE - Aux origines du modèle Français de gestion des réseaux d’eau
potable : les canaux de la Siagne et du Loup ( 1851-1936 ).
AUX ORIGINES DU MODELE FRANÇAIS DE GESTION DES RESEAUX
D’EAU POTABLE : LES CANAUX DE LA SIAGNE ET DU LOUP
(1851-1936).
JEAN PAUL HAGHE.
Université de Rouen 1.
RESUME
Cette contribution se rattache au thème de la gouvernance de l’eau. Elle examine sur le long terme
comment se constitue un partenariat public-privé pour la gestion des réseaux d’eau de la région
Cannoise.
C’est à l’initiative de la municipalité de Cannes et de sept communes voisines que fut prise la
décision de détourner les eaux de la Siagne et du Loup pour l’alimentation en eau potable et
l’irrigation (1851). L’un des premiers obstacles fut le financement des travaux : où ces communes
allaient-elles trouver les capitaux nécessaires à la construction de leurs premiers réseaux
d’adduction et à leurs extensions. Ensuite se posa le problème de savoir qui allait gérer ce réseau.
Ces questions, encore d’actualité pour de nombreuses collectivités locales dans le monde, ont
retenu notre attention et nous ont conduit à nous interroger sur le choix originel du modèle :
pourquoi ces municipalités des Alpes maritimes firent-elles appel à une société privée pour gérer
un service public et pourquoi une banque (le Crédit Lyonnais) se lança-t-elle dans l’aventure (en
1880) malgré les déconvenues subies précédemment par les grandes compagnies privées
d’hydraulique (dessèchement des marais, irrigation) ?
ABSTRACT
THE ORIGINS OF THE MANAGEMENT OF DRINKING WATER AND IRRIGATION IN
FRANCE : LES CANAUX DE LA SIAGNE ET DU LOUP (1851-1936).
This report deals with water management. It examines the structure of how a private/state
partnership can carry out the management of water network in the Cannes region for the long term.
The municipality of Cannes and seven neighbouring communities took the decision to provide
drinking water and water irrigation by deviating the water of the Siagne and Loup rivers (1851).
One of the first obstacles was financing the works ; where were these communities going to find the
necessary capital to construct the first intake network and extension? Then there was the problem
as to who would manage network. These questions, still pertinent in several communities today,
struck us as being important and led us to question the choice of the original model ; why had these
Alpes Maritimes communities called in a private company to manage a public service and why was
a bank (Credit Lyonnais) interested in spite of the set backs that the preceding large private
hydraulics company had suffered ?(dried-up marshes and irrigation).
1 ) Jean Paul HAGHE, maître de conférences en Géographie - I.U.F.M de l’Académie de Rouen – 2 rue du Tronquet – B.P.18 –
76131 Mont-Saint-Aignan Cedex. Mail : haghe@noos.fr
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potable : les canaux de la Siagne et du Loup ( 1851-1936 ).
I. L’IMPORTANCE DE L’HERITAGE.
I.1 Pragmatisme ou idéologie.
De nombreux auteurs ont montré l’importance du rôle joué par les facteurs historiques dans la mise
en place du modèle français de gestion de l’eau potable. Celui-ci aurait été élaboré graduellement,
de manière non doctrinale, en fonction des problèmes concrets qu’il fallait résoudre au cours du
temps. Ainsi, une véritable culture du pragmatisme aurait unifié les positions des différents acteurs
(collectivités locales, administration, sociétés privées) et constitué le socle sur lequel s’établirent
des conventions permettant de réguler le système. Cette culture du pragmatisme constitue sans
doute la principale caractéristique du modèle français de gestion de l’eau potable, comme nous
l'avons constaté en étudiant sur une longue période le fonctionnement du réseau de la Siagne et du
Loup.
Les origines de ce modèle ont été peu étudiées. Cette question nous semble devoir être abordée à
partir d’une interrogation fondamentale : vers les années 1860, pourquoi a-t-on délégué à des
sociétés privées le service public de distribution de l’eau, alors que, parallèlement, certains réseaux
d'irrigation étaient gérés par des associations syndicales ou des municipalités. Les décisions qui
aboutirent à la gestion déléguée n’avaient-elles donc été prises que pour des raisons pragmatiques ?
Nous ne le pensons pas car si on examine cette période, on voit que les présupposés des acteurs de
l’époque eurent une influence importante : pour la majorité d’entre eux, seules les initiatives privées
apparaissaient efficaces et l’Etat devait se limiter à les soutenir.
I.2 L’influence déterminante des réseaux d’irrigation.
Les procédures suivies lors de la mise en place des premiers réseaux d’irrigation dans le Midi de la
France au milieu du XIXème siècle nous semblent avoir eu une influence fondamentale lorsqu’il
fallut construire et choisir les modes de gestion pour tous les autres réseaux hydrauliques.
En effet, dès les premières tentatives de construction de réseaux d’irrigation un peu étendus (vers
1840) se posèrent les questions fondamentales qui apparaissent lorsqu’on met en place tout premier
réseau. Qui devait financer ces travaux très capitalistiques dont ni le coût total ni les délais
d’amortissement ne pouvaient être définis au préalable ? Qui devait gérer cette infrastructure ? Quel
devait être la forme et le niveau de redevance à faire payer aux usagers de façon à assurer
l’équilibre du montage financier mais sans que ce soit dissuasif pour les éventuels clients ?
Il faut aussi rappeler que certains canaux d’irrigation n’avaient pas seulement une affectation
agricole mais un usage mixte. C’est ainsi que les eaux du canal de Marseille étaient utilisées pour
l’irrigation, la force motrice, l’entretien du port, l’alimentation et la voirie. Une partie du débit du
canal de la Bourne était destiné à la ville de Valence, le canal du Verdon aboutissait à Aix en
Provence et le canal de la Vésubie à Nice.
I.3 Le choix des canaux de la Siagne et du Loup.
Pour tenter de répondre à ces questions nous avons choisi d’étudier la mise en place du réseau de la
Siagne et du Loup car il nous semble particulièrement pertinent pour trois raisons.
D’abord ce réseau a été concédé à une compagnie privée sur la seule initiative des élus
municipaux2. Ce qui correspond à la situation contemporaine puisque ce sont les municipalités qui
ont pouvoir de décision en la matière.
Ensuite, le caractère mixte de l’utilisation des eaux du réseau (pour l’irrigation, la force motrice,
l’alimentation et la voirie) présente un deuxième intérêt pour notre analyse. En effet, pendant très
longtemps la valeur de l’eau distribuée sera attachée à la valeur du sol et à la plus value qu’il lui
2 ) Alors que dans le cas de Paris ou de Lyon ce furent des décisions préfectorales. Le préfet Vaïsse intervint directement dans la
création d’une Compagnie Générale des Eaux de France et l’imposa à la municipalité de Lyon (en 1853). Voir Franck Scherer,
« Lyon : une histoire séculaire entre gestion publique et privée », in « Gestion urbaine de l’eau » sous la direction de Daniel Lorrain
,Paris ,Ed. Economica, 1995.
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potable : les canaux de la Siagne et du Loup ( 1851-1936 ).
procure. L’irrigation permet une productivité agricole accrue qui augmente la valeur des terres
agricoles, et d’une façon assez proche, l’eau qui arrive sur la Croisette active la spéculation foncière
et immobilière.
Enfin, le troisième intérêt de ce réseau réside dans la stabilité de sa concession. Le fait qu'il soit
géré par la Société Lyonnaise des Eaux et de l’Eclairage3 depuis 1880 permet d'analyser sur la
longue durée le fonctionnement de la gestion déléguée. Cette étude confirme le très grand
pragmatisme qui anime les principaux acteurs (les élus, l’administration, la SLEE). Ce contrat à très
long terme, qui n’a jamais été remis en cause par les collectivités territoriales, a permis la mise en
place d’un véritable processus d’apprentissage du pragmatisme. Un système basé sur la
convergence d’intérêts se met en place au bout d’une dizaine d’années de fonctionnement, vers
1890 : les élus veulent des résultats à présenter à leurs électeurs à la fin de chaque mandat et
s’efforcent de satisfaire les aristocrates étrangers qui assurent le développement touristique du
littoral ; la SLEE recherche une meilleure rentabilité et fait une gestion au plus serré ; l’Etat veille à
l’équité de la répartition entre les utilisateurs des effets utiles des eaux de la Siagne et du Loup.
II. LE CONTEXTE DES ANNEES 1840-1880.
II.1 Les difficultés rencontrées pour la construction des premiers réseaux d’irrigation.
Malgré le véritable engouement pour l’irrigation qui, à partir des années 1840, gagne les
agronomes, les chimistes et les ingénieurs des Pont et Chaussées, le bilan des réalisations concrètes
fait par Durand Claye en 1878 semble bien médiocre : 50.494 ha sont arrosés. Il semble que des
difficultés apparaissent tout particulièrement lorsque les réseaux se font sous la forme d’une
concession privée. Souvent un grand nombre de sociétés se succèderont dans le temps. L’exemple
du canal de la branche septentrionale du canal des Alpines est significatif : six compagnies se
succèdent entre 1839 (date d’adjudication) et 1867.
Ces difficultés se manifestent aussi par la durée qui s’écoule entre l'adjudication et le
fonctionnement effectif du réseau ( tableau n°1).
Tableau n°1 - ECART ENTRE LA DATE DE CONCESSION DU CANAL ET LA DATE DU
COMMENCEMENT EFFECTIF DES IRRIGATIONS PAR LES USAGERS.4
ECARTS EN ANNEES N.B. DE CANAUX RECENSES
PAR DURANT CLAYE EN 1878
MOINS DE 5 ANS 5
DE 5 A 9 ANS 6
DE 10 A 19 ANS 5
PLUS DE 20 ANS 2
Le 8 Décembre 1878, le journal « Le Propagateur » peut ainsi affirmer que « l’établissement d’un
canal d’arrosage, d’une grande étendue, constitue par sa nature même une mauvaise opération
financière […]Le canal du Verdon n’a pu être terminé qu’avec les plus grandes difficultés ; et celui
du Drac, l’une des principales opérations agricoles de ces dernières années, a été mis sous séquestre,
avant même d’être terminé». Quatorze ans plus tard, Durand-Claye déclare que «…toute société
financière qui veut entreprendre à ses risques et périls la construction d’un canal marche à sa ruine
certaine, à moins qu’elle ne se trouve dans des conditions exceptionnellement favorables 5».
La mise en place des premiers réseaux d’hydraulique présente donc sur le plan financier une
importante marge d’incertitude pour des sociétés privées, car ni le coût terminal ni les délais
d’amortissement ne peuvent être définis au préalable ; en effet ces délais dépendent de l’intérêt des
utilisateurs pour l’opération et de leur connexion rapide au réseau.
Ces difficultés posaient le problème plus général du financement de ces travaux par des fonds
privés ou publics.
3 ) Aujourd'hui Lyonnaise des Eaux France.
4 ) Durand-Claye, « Cours d’hydraulique agricole et de génie rural », rédigé par F.Launay, Octave Douin Editeur, Paris, 1892.
5 ) Durand-Claye, op. cité, p.549-550.
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II.2 La répartition des rôles entre l’Etat et le privé.
Jean-Baptiste Say exprime le sentiment général qui prévaux pendant une grande partie du XIXème
siècle lorsqu’il écrit « C’est par la nature des dépenses publiques que l’on peut connaître si une
nation est représentée ou si elle ne l’est pas, si elle est bien administrée ou pas »6. Cet idéal d’une
non intervention de l’Etat dans les affaires économiques se doublait d’une critique de la
bureaucratie7. Les objections à l’ingérence de l’Etat dans les travaux publics sont donc récurrentes
pendant toute cette période ; il apparaît aux protagonistes que seules les entreprises privées poussées
par leur intérêt réussissaient bien et rapidement, alors que les fonctionnaires pouvaient faire preuve
de mollesse et de partialité dans l’exécution de leur tâche. La classe politique et les représentants
économiques prônaient une gestion privée des services publics.
Pourtant les difficultés rencontrées par les sociétés privées lors de la mise en place des premiers
réseaux (canaux de navigation, chemins de fer) firent apparaître de nouvelles formes de relation
entre l’Etat et les intérêts privés. L’Etat dût soutenir financièrement les compagnies8.
Ce système de concession à des sociétés privées avec aide financière de l’Etat pour la mise en place
du premier établissement sera appliqué aux travaux d’irrigation. En 1844 Nadault de Buffon
proposera une répartition des rôles sous la forme d’une relation triangulaire associant l’Etat, les
compagnies et l’administration : « …il serait à désirer que les entreprises de cette espèce puissent
toujours être exécutées aux frais de l’Etat ; elles conserveraient alors, tout à fait, le caractère qui
leur est propre. Mais il est à remarquer qu’elles ne le perdent pas, lorsqu’elle s’exécutent aux frais
des compagnies. En effet, du moment que pour ouvrir un canal, ces compagnies, sont obligées de se
faire déléguer, pour l’expropriation, une faculté qui réside essentiellement dans les mains de l’Etat,
elles ne peuvent plus prétendre exercer, sur les ouvrages établis dans de telles conditions, un droit
identique à un droit absolu de propriété […] Ce mode d’exécution à ses avantages ; il appelle le
concours de l’industrie et des capitaux privés sur des entreprises productives d’une haute utilité ; il
permet, en même temps aux fonds de l’Etat de se porter sur des travaux plus importants. Mais il y
aurait de très graves inconvénients si l’on en faisait le principe au point de prétendre que les canaux,
ouverts de cette manière, peuvent être soustraits à la surveillance de l’administration. Il est en effet
indispensable que celui-ci veille continuellement, dans l’intérêt général des usagers, sur tout ce qui
touche la bonne distribution des eaux, les tarifs des droits d’arrosage, les travaux d’entretien et de
curage9… ».
Cette position correspond en grande partie à la situation actuelle : l’eau est considérée comme un
patrimoine commun ; chacun peut l’utiliser mais personne ne peut la posséder. L’Etat intervient
pour garantir le respect de ce principe mais ne joue pas un rôle de gestionnaire.
II.3 L’importance de l’engagement financier de l’Etat et des collectivités locales dans les
travaux d’irrigation.
La construction et l’exploitation des canaux d’irrigation pouvaient être confiées soit à des
associations syndicales hydrauliques (forme peu pratiquée jusqu’en 1880) soit à des sociétés
financières. Si l’on examine les 20 canaux construits entre 1826 et 1874 et qui ont été recensés par
Durand Claye, on s’aperçoit de la faiblesse de la part du financement privé : seuls deux canaux sont
financés totalement par le privé (tableau n°3) et les capitaux privés ne représentent que 26,6% du
total investi (tableau n°2).
6 ) Jean-Baptiste Say, « Catéchisme d’économie politique ».
7 ) Voir Balzac, « Les Employés »(1837) et « Physiologie de l’employé » (1841).
8 ) C’est ainsi qu’en 1838, le chemin de fer d’Orléans obtint la garantie d’un minimum d’intérêt et par la suite le versement de
subventions pour l’extension du réseau.
9 ) Nadault de Buffon, « Des canaux d’arrosage de l’Italie septentrionale ; dans leurs rapports avec ceux du midi de la France.»,
Paris, 1843-1844, 3 vol., Chapitre « Sur les concessions », p.150.
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Tableau n°2 - REPARTITION DES SOMMES INVESTIES DANS LES 20 CANAUX10.
SUBVENTIONS DE L’ETAT SUBVENTIONS LOCALES CAPITAUX PRIVES TOTAL
26.817.657 fr. 51.597.500 fr. 28.727.140 fr. 107.957.297 fr.
24,8% 47,7% 26,6% 100%
Malgré le discours dominant prônant un désengagement financier de la puissance publique pour les
travaux publics, on constate que jusqu’en 1880 la mise en place des grands réseaux d’irrigation
s’est faite en grande partie grâce au soutien des collectivités territoriales et de l’Etat. Les rares
expériences de construction aux risque et périls des compagnies, sans subvention ni garantie
d’intérêt, s’achèvent presque toujours par la mise en liquidation ou le rachat des sociétés en charge
des projets.
Tableau n°3 - TYPOLOGIE DU FINANCEMENT DES CANAUX D’IRRIGATION CONSTRUITS ENTRE
1826 ET 1874 11
MODE DE FINANCEMENT NOM DES CANAUX
TOTALEMENT PRIVE CRAPONNE 1 ET 2
CAPEVAN NEUF
MIXTE
prépondérance du privé DE L’ESTELLE
DE LA BOURNE
DU VERDON
DE PEYROLLES
DES ALPINES 3
DE CADENES
DE LAGOIN
DE LA VESUBIE
DE LA SIAGNE
part équilibrée : privé/public DE MARTIGUES
DU DRAC
prépondérance de l’Etat ST. MARTORY
prépondérance des subventions locales D’AUBAGNE
TOTALEMENT PUBLIC DE LA NESTE
DE LA GRANOVA
DE LA SAULDRE
DE CARPENTRAS
TOTALEMENT PAR LES COLLECTIVITES LOCALES DE MARSEILLE
L’interventionniste financier de l’Etat s’accentue au début de la IIIème République. En 1879, une
vaste consultation réunit tous les acteurs de l’eau au sein de la Commission Supérieure
d’Aménagement et d’utilisation des Eaux de France12. Reprenant les recommandations de Nadault
de Buffon13, la 1ère sous commission propose un soutien aux sociétés concessionnaires « …le seul
moyen efficace pour venir en aide aux sociétés concessionnaires de canaux d’irrigation et de
déterminer les capitaux à se porter dans ces utiles entreprises, consiste en une garantie d’intérêt
accordée par l’Etat suivant le mode qui est appliqué avec un si grand succès pour la construction
des chemins de fer »… « Des subventions pourront être accordées à la compagnie par l’Etat, les
départements et les communes intéressées pour les dépenses de premier établissement du canal et de
toutes ses dépendances »… « l’Etat pourra en outre garantir à la compagnie pendant 50ans, l’intérêt
et l’amortissement du capital, à un taux qui sera déterminé par l’acte de concession…».
La commission ne fait qu’entériner des positions largement partagées par les ingénieurs
hydrauliciens de l’époque, par exemple celles de Ronna14 : « …ainsi de pareilles opérations
exigent-elles des capitaux considérables dont l’intérêt, si jamais les redevances des arrosages
permettent de le recouvrer en totalité, n’est perçu qu’après nombre d’années d’exploitation. L’Etat,
qu’il soit aidé ou non par les localités intéressées, doit ainsi recourir aux dépenses d’établissement
et aux frais d’entretien pendant la première période, plus ou moins longue de ces entreprises. Il est
10 ) D’après Durand Claye, op. cité.
11 ) Tableau établit par nos soins d’après Durand Claye, op.cité et Nadault de Buffon, « Du Concours de l'État dans les entreprises
d'intérêt agricole pouvant être déclarées d'utilité publique. Étude administrative et financière…»,Paris, A.Marescq aîné, 1879.
12 ) Commission Supérieure d’Aménagement et d’utilisation des Eaux de France, « Compte rendu des travaux », Lyon, 1879.
13 ) Voir Nadault de Buffon, « Du concours de l’Etat… », Livre Premier : p.108-109.
14 ) A. Ronna, « Les irrigations », Paris, 1888, 3.T., p28-29.
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reconnu que les affaires de canaux, détestables ou ruineuses pour les particuliers, sont excellente
pour l’Etat. Les particuliers, en effet, ou les compagnies ne peuvent tirer profit que de l’eau qu’ils
vendent. Jusqu’à ce que le routine du paysan soit vaincue ; jusqu’à ce qu’il cesse d’être rebelle à
l’idée de l’association ; qu’il sente impérieusement le besoin d’arroser ses cultures, comme dans le
Midi ; qu’il soit enclin à faire des sacrifices pour se procurer de l’eau et pour la payer, il faut du
temps et de la persévérance qui se traduisent par l’emploi de capitaux sans intérêts, à long terme.
L’exemple et l’initiative des riches propriétaires peuvent beaucoup pour abréger cette première
période de tergiversations et de sacrifices ; mais l’Etat, qui n’a rien à perdre, a d’autant plus de
raisons d’être libéral et patient qu’il bénéficie de tout accroissement de la fortune publique, de la
plus value des terres autant que de l’élévation des impôts et de l’accroissement de la population. On
commet donc une faute capitale en mesurant uniquement au bénéfice de la vente de l’eau la
réalisation des projets de canaux d’irrigation… ».
L’influence des travaux de cette Commission nous semble importante car ils entérinent une
situation existante. Les propositions faites orienteront la politique publique en matière
d’hydraulique jusqu’à la première guerre mondiale. Les canaux de la Siagne et du Loup en sont une
illustration.
II.4 La création de la Société Lyonnaise des Eaux et de l’Eclairage.
C’est en 1880, dans ce contexte que le Crédit Lyonnais se lance dans une aventure qui,
contrairement à ce qu’a écrit Sédillot, n’est pas « improvisée15 ». Ainsi en témoigne une note
confidentielle16: « Il semble qu’une impulsion active doit être donnée à très bref délais aux travaux
d’irrigation, particulièrement dans la midi de la France. Plusieurs grands projets sont en préparation,
leur adoption est réclamée par les intérêts locaux, les députés d’un grand nombre de départements
s’en préoccupent, il apparaît probable que le gouvernement encouragera ce mouvement…D’autre
part, beaucoup de villes importantes sont encore privées de distribution d’eau et sont disposées à
traiter avec les sociétés qui pourraient les en pourvoir… ». La Générale des Eaux qui a les faveurs
de la bourse est même citée comme exemple à suivre.
La Société Lyonnaise des Eaux et de l’Eclairage est créée le 2 février 1880 avec un capital de 50
millions de francs divisé en 100 000 actions.
Après l’étude des marchés de la distribution d’eau de Marseille, Lyon, Rouen, Perpignan, la société
préfère s’intéresser à des entreprises existantes mais dont le développement requiers des capitaux
supplémentaires. De cette manière, la SLEE réduit considérablement les risques. Elle peut
sélectionner les réseaux qui ont fait la preuve d’une certaine rentabilité et profiter de la clientèle et
de l’expérience technique acquise par ses prédécesseurs. Les infrastructures primaires étant
constituées elle n’a pas à immobiliser des capitaux pendant plusieurs années avant de percevoir les
premiers intérêts. En cas d’extension du réseau, elle peut bénéficier des subventions et de la
garantie d’intérêt par l’Etat sur le capital investi. Ainsi elle prend en gestion directe les réseaux de la
Siagne, de Châtellerault, de la banlieue de Rouen, de Flers en Escrébieux, de San Rémo et de
Barcelone.
III. LES CANAUX DE LA SIAGNE ET DU LOUP 17
Le littoral Cannois connut à partir de la seconde moitié du XIXème siècle une urbanisation
extrêmement rapide consécutive à « l’invention » aristocratique de la Côte d’Azur18. Dès les années
1840, la colonie britannique incita la municipalité de Cannes à faire construire un réseau d’eau
potable afin d’alimenter ses luxueuses résidences et les hôtels. C'est en 1869 que l’eau de la Siagne
arriva sur la Croisette grâce aux travaux effectués par une société privée britannique. En 1880, la
concession fut rachetée par la SLEE qui exploite encore de nos jours ce réseau.
15 ) R.Sedillot, « La Lyonnaise des eaux à cent ans :1880-1980. », Paris, Lyonnaise des eaux, 1980.
16 ) Du 27 Janvier 1880.
17 ) Etude effectuée à partir de l’analyse de documents des Archives Nationales : série F/10/3226 à F/10/3234.
18 ) Voir Marc Boyer, « L’invention de la côte d’azur », Ed. de l’Aube, Paris, 2002.
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III.1 La mise en place du premier réseau : le canal de la Siagne
C’est à l’initiative de la municipalité de Cannes et de sept communes voisines qu’est prise la
décision de détourner les eaux de la Siagne et du Loup pour l’alimentation en eau potable et
l’irrigation.
Un projet prévoyant la construction d’un canal qui arroserait les communes de Mandelieu, le
Cannet, Cannes et Antibes est établi en 1851. Cet aménagement devait se réaliser par le biais d'une
association syndicale autorisée ou bien par mise en concession. Deux ans plus tard une tentative de
constitution d’association syndicale est faite mais se solde par un échec faute d'accord entre les
intéressés. Par ailleurs aucun concessionnaire n'est trouvé. Le projet reste donc sans suite.
Après maintes difficultés et grâce au soutien de Lord Brougham, le conseil général et la mairie de
Cannes trouvent une compagnie britannique, la General Irrigation and Waters Supply Company of
France 19, qui accepte de prendre en charge le projet en 1865. Mais une partie des habitants de
Cannes et des communes limitrophes s’opposent à ce projet craignant qu’il n’ait pour conséquence
de repousser à beaucoup plus tard la dérivation d’un autre canal partant du Var qu’elles
préconisent.
Malgré ces oppositions et les difficultés rencontrées au cours de l’enquête publique (opposants et
partisans étant pratiquement en nombre égal), l’exécution est autorisée par l’administration. Ce
réseau est officiellement destiné à l’irrigation de la plaine côtière, au fonctionnement d’usines et à
l’alimentation en eau potable de la ville de Cannes. En 1869, la société anglaise est rachetée par la
Société du Crédit Foncier d’Angleterre.
La concession comportait en outre le droit de compléter l’alimentation du canal par des dérivations
du Loup (situé à l’est de la Siagne) et de la Siagnolle (affluent droit de la Siagne). Au bout de 50
années, le réseau devait revenir à perpétuité à la ville de Cannes. Les travaux devaient être exécutés
dans les deux ans à dater du décret de concession. L’Etat accordait au concessionnaire une
subvention de 500.000fr.
Les travaux du canal de la Siagne proprement dit furent terminés dans les délais; mais le
concessionnaire n’avait exécuté ni la dérivation de la Siagnole, ni celle du Loup, en arguant que le
délai de deux ans ne s’appliquait qu’au canal de la Siagne qu’il appelait canal principal, et pas aux
deux dérivations qu'il considérait comme des canaux secondaires. Une procédure contentieuse qui
durera plus de 10 ans s’engage alors. Elle opposera la société anglaise soutenue par le Conseil
Général des Ponts aux services de l’Hydraulique Agricole appuyés par le Conseil d’Etat qui
demandent la déchéance des droits du concessionnaire pour la dérivation du Loup. En 1879, le
concessionnaire obtiendra gain de cause.
En 1880 la Société du Crédit Foncier d’Angleterre vendra le réseau à la SLEE.
III.2 L’extension du réseau : la dérivation des sources du Loup.
La ville de Grasse ne pouvait être desservie en eau potable par le canal de la Siagne car elle était
située en contre-haut ; elle négocia donc avec la SLEE et conclut en 1882 un contrat pour la
dérivation du Loup.
Selon les termes de l’accord, les travaux étaient exécutés par l’Etat, la société s’engageant à verser
au Trésor une somme de 1 million sur laquelle l’Etat lui payerait des intérêts. En échange, la SLEE
obtenait l’exploitation de la dérivation pour 99 ans. La ville de Grasse, de son côté, souscrivait un
engagement d’achat d’eau de 30.000fr par an et se chargeait des expropriations.
Ce contrat fut jugé inacceptable par les services de l’Hydraulique Agricole qui, malgré la décision
du Conseil d’Etat, continuaient à penser que la dérivation du Loup pouvait être exigée du
concessionnaire et refusaient donc une nouvelle contribution financière. Finalement, un compromis
fut trouvé: la Société renonçait à toute augmentation de la durée de sa concession et acceptait
19 ) Compagnie représentée par Hippolyte Dussard, Amédée Sellier, Frédéric Marshall. Cette société regroupe des aristocrates
britanniques qui ont fait construire des résidences à Cannes et y passent leurs hivers, tous sont des proches de Lord Brougham.
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d’exécuter les travaux, mais l’Etat de son côté subventionnait le tiers des dépenses de construction
et garantissait un intérêt sur les 2/3 restants.
Un projet de loi fut déposé mais refusé par la Commission de la Chambre des députés (31septembre
1884) qui jugeait que la charge de l’Etat était excessive. Elle demanda qu’un ancien projet
prévoyant le captage des sources du Foulon soit substitué à la dérivation du Loup qui fut donc
abandonnée.
Le projet d’un canal du Loup fut cependant réactivé quelques années plus tard car la ville de
Cannes, du fait de son extension et de la pollution des eaux de la Siagne, avait besoin de nouvelles
sources d’eau potable. En 1897, elle signait une convention avec la SLEE prévoyant le captage de
trois sources du Loup et leur canalisation directe vers Cannes. La SLEE avait imposé trois
conditions: dispense d’exécuter la dérivation de la Siagnole, prolongation de la durée de la
concession (de 1916 jusqu’en 1980) et engagement de la ville de Cannes d’allouer une subvention
de 600.000fr et d’acheter un certain volume d’eau.
La situation était désormais éclaircie, mais au profit de la Société. Elle avait obtenu de meilleures
conditions pour la dérivation du Loup et la possibilité d'exécuter celle de la Siagnole quand bon lui
semblerait ; la durée de sa concession était prolongée de 54 ans; elle était assurée de percevoir
chaque année des recettes fixes versées par Cannes20. Les quatre cinquièmes du coût des
constructions étaient à la charge de l’Etat ou de collectivités et elle avait une garantie d’intérêt sur la
part qu’elle avait avancée.
Elle tirera même profit, pour l’éclairage électrique de Cannes en 1911, des eaux du Canal de la
Siagne qu’elle utilisera à la chute de Martassier.
III.3 Une affaire progressivement rentable.
Si l’on reconstitue l’historique de l’exploitation du réseau de 1866 à 1935, date jusqu’à laquelle
nous avons pu trouver des éléments chiffrés aux Archives Nationales, quatre phases apparaissent :
- Une phase qui correspond à l’exploitation du réseau par les sociétés britanniques (de 1866 à
1880).
Au départ, la dépense de construction fût de 4.950.000fr21. L’Etat y contribua par une subvention
de 500.000fr. En 1880, après 13 ans d’exploitation, la compagnie avait immobilisé 7.400.000fr. tant
pour la construction que pour l’entretien ou les déficits des premières années et elle n’obtenait que
80.000fr. de recettes annuelles.
Pendant cette période les résultats financiers sont donc médiocres et c’est une très mauvaise
opération de placement. Mais certains des actionnaires sont des résidents britanniques de Cannes et
peuvent bénéficier des plus values foncières liées à la desserte en eau potable de leurs parcelles sur
la Croisette. Quelques-uns se contenteront du plaisir de contempler leurs luxuriants jardins arrosés
par un canal qui leur coûte fort cher. On est encore dans une logique où ce n’est pas la valeur
intrinsèque de l’eau distribuée qui compte mais la valorisation qu’elle procure au sol. On retrouve la
même logique spéculative qui avait impulsé les tentatives de dessèchement de marais faites par les
grandes compagnies foncières agricoles pendant la Restauration (dans ce cas, il ne s’agit pas de
distribuer mais d’évacuer l’eau).
- La seconde période correspond aux premières années d’exploitation par la SLEE (de 1880 à la
première guerre mondiale).
La SLEE rachète le réseau de la Siagne pour 4.365.000fr. soit moins que sa dépense de construction
initiale ; peu de travaux sont entrepris jusqu’en 1912, date de la mise en eau du canal du Loup. A
cette date le capital investi par la SLEE pour la Siagne était d’environ 5.500.000fr. et la dérivation
des sources du Loup avait coûté 5.000.000fr. soit un total de plus de dix millions. Selon
l’administration de l’hydraulique agricole chargée de la vérification des comptes d’exploitation
l’intérêt touché fut très faible pendant les dix premières années de gestion 22. Ce n’est qu’à partir de
20 ) La ville s’engage à prendre 50 l d’eau continue pour une somme réactualisable.
21 ) Archives Nationales F/10/3231.
22 ) D’après le rapport de l’ingénieur CHAUVE – 23 Mai 1934.Archives Nationales F/10/3234.
Colloque SHF "Eau et économie" - Paris - Septembre 2002 – Jean Paul HAGHE - Aux origines du modèle Français de gestion des réseaux d’eau
potable : les canaux de la Siagne et du Loup ( 1851-1936 ).
1890, avec le développement de la consommation des eaux continues pour les besoins des ménages,
que les recettes augmentent régulièrement : 488.000fr en 1902, 600.000fr. en 1912, 642.000fr en
1914. Les frais d’exploitation annuels sont en moyenne de 175.000fr. Mais la guerre interrompit
brutalement cette croissance.
- la troisième phase correspond à la première guerre mondiale :
Les recettes diminuent de moitié (390.000fr. en 1917) et l’inflation érode les tarifications des
abonnements qui n’ont pas été réactualisés depuis 1909. La SLEE estime à 1.150.000fr le préjudice
subi du fait de la guerre. En 1919 elle demande donc le relèvement des tarifs et la suppression de la
distribution des eaux périodiques destinées à l’irrigation qu’elle estime peu rentable et source de
gaspillage. De nouvelles aides financières lui seront accordées par les pouvoirs publics en 1924
sous la forme d’une prime de gestion et de surtaxes. Ceci provoquera le mécontentement de certains
membres de l’administration de l’hydraulique agricole car selon eux « la société se voit ainsi
garantir une rémunération échappant à tout aléa et destinée à s’accroître automatiquement23 ».
Les comptes relatifs à l’exploitation du réseau fournis par la SLEE seront d’ailleurs contestés par
l’administration qui estime que les bénéfices réalisés sont supérieurs à ceux présentés.
- La quatrième phase va de 1929 à 1935.
La société a de très bons résultats financiers pendant cette période24. Les recettes totales encaissées
pour les années 1922 à 1932 inclus s’élèvent à 18.278.464 fr. et les dépenses à 13.121.651fr., soit
un excédent de recette de 5.156.812fr. Cette somme correspond à une moyenne de 468.000fr. par
an.
Que l’on se base sur les comptes présentés par la SLEE ou bien sur les calculs effectués par
l’administration, on constate, malgré les écarts entre les deux, une tendance générale : il fallut
attendre une quarantaine d’années pour que les redevances payées par les abonnés assure seules la
rentabilité du réseau .
CONCLUSION.
A partir des années 1860, dans le midi de la France, alors que l’urbanisation s’accélère et que
l’agriculture commerciale irriguée commence à se développer, les collectivités locales sont
confrontées à une demande accrue d’eau. Certaine d’entre elles, comme Cannes, choisissent la
gestion délégué faute de pouvoir constituer une association syndicale autorisée ou de vouloir
prendre en charge elles même le service.
L’analyse de la construction et du début du fonctionnement des canaux de la Siagne et du Loup a
montré les difficultés qui accompagnent la mise en place des premiers réseaux de distribution d’eau
par une société privée. Les mêmes écueils avaient freiné le développement des réseaux d’irrigation
dans la même région une décennie auparavant et ils se retrouvent encore de nos jour.
Pour un réseau de distribution d’eau concédés à une société privée, seul le soutien financier de
l’Etat ou des collectivités permet sa construction et la viabilité de son fonctionnement les premières
années. Car, comme l’avait noté dés 1888 Durand Claye : « …on ne peut accorder à une compagnie
concessionnaire des redevances assez fortes pour qu’elle arrive à amortir son capital de premier
établissement et à couvrir ses frais d’entretien. Une compagnie ne peut donc jamais entreprendre la
construction d’un canal d’irrigation avec ses seules ressources ; le résultat si brillant qu’il soit est à
trop longue échéance pour tenter les capitalistes. »
Une des spécificités du modèle français est que l’Etat a appliqué très tôt cette règle et que certaines
sociétés l’aient comprise rapidement.
23 ) Archives Nationales F/10/3234.
24 ) D’après le rapport de l’ingénieur CHAUVE – 23 Mai 1934.
Colloque SHF "Eau et économie" - Paris - Septembre 2002 – Jean Paul HAGHE - Aux origines du modèle Français de gestion des réseaux d’eau
potable : les canaux de la Siagne et du Loup ( 1851-1936 ).
Ainsi partir des années 1880, on assiste à la mise en place de sociétés prestataires de service : elles
ne tirent plus leurs bénéfices du foncier mais se rémunèrent sur les volumes d’eau distribuée. Elles
dépendent des banques ou des sociétés de travaux publics et adoptent une stratégie visant à
s’assurer une véritable rente :
Le financement des travaux d’adduction est en partie à la charge de l’Etat ou des collectivités
locales par les subventions ; l’apport en capitaux des sociétés privées a un intérêt garanti par la
puissance publique.
Les cahiers des charges imposent souvent des contraintes de consommation aux utilisateurs (par
exemple en obligeant les communes à acheter un volume fixe d’eau).
Les termes de la concession ou du cahier des charges sont interprétés de la manière la plus
favorable aux intérêts des sociétés (ce qui entraînera souvent de nombreuses procédures
contentieuses).
BIBLIOGRAPHIE.
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Les tenanciers des canaux de Prades (XIVe-XXe siècle) », Histoire et Sociétés Rurales, N°16-2e
semestre 2001.

1
Colloque OH2 - Histoire de l’hydrologie
Dijon, 9-11 mai 2001
UN INGENIEUR DES PONTS ET CHAUSSEES HYDRAULICIEN :
NADAULT DE BUFFON (1804-1880)
Jean Paul HAGHE, IUFM de Rouen
Bernard Barraqué, DR CNRS au LATTS
Benjamin Nadault de Buffon aura particulièrement marqué le XIXème siècle dans le domaine
de l’hydraulique en France. Son oeuvre aujourd’hui presque inconnue, a porté à la fois sur les
aspects techniques et économiques, mais aussi administratifs et juridiques de la question.
Confronté au conflit entre les moulins à eau et les agriculteurs, devenu fréquent au XIXème
siècle, il s’est intéressé tout particulièrement à la question du partage de l’eau et à la gestion
de l’eau comme ressource naturelle particulière. Sa longue et brillante carrière, et son
autonomie d’esprit, lui ont permis de faire appliquer ses théories par l’administration.
Passionné d’agronomie, c’est le premier en France à vulgariser la “ science des irrigations ”,
en en faisant notamment la matière d’un cours à l’Ecole des Ponts et Chaussées1 (trois
volumes, 1852).
Il joue un rôle essentiel dans la création en 1848 des Services de l’Hydraulique au sein de
l’administration et en devient un des experts les plus actifs.
Entre 1840 et sa mort, Nadault de Buffon exerce donc une influence considérable sur
l’organisation administrative de l’eau en France et sur la formation des hydrauliciens2. Il a
laissé de nombreux ouvrages, où il accorde peu de place à l’expérimentation et à l’hydraulique
théoriques ; il s’agit surtout de récits de voyage (en Italie et dans le midi de la France), de
descriptions d’opérations d’aménagement d’hydraulique agricole (drainage et irrigation) ou de
cours. Les trois volumes de son cours d’hydraulique agricole couvrent aussi bien la
physiologie végétale appliquée, que les techniques d’élevage ou les bâtiments agricoles, et le
curage des rivières. Dans le domaine juridico-administratif, son oeuvre concerne
essentiellement deux problématiques :
· l’appropriation privée ou publique des eaux courantes,
· la recherche des termes d’une politique de l’eau par l’Etat.
Grâce à son approche à la fois juridique, historique et administrative, il nous livre une
remarquable synthèse des débats et de la jurisprudence avant et après la grande Révolution,
tout en adoptant une position plus nuancée que ses contemporains sur ce débat public-privé. Il
semble plus proche que ses contemporains, et que bien des nôtres, de la ligne de pensée qui a
abouti à notre récente loi de 1992, classant les eaux dans le patrimoine commun de la Nation.
1 Rappelons qu’à cette époque, le corps du Génie rural n’existait pas. Il n’est apparu qu’en 1924, et jusqu’en
1945 il n’était accessible qu’à des ingénieurs des Ponts et Chaussées. La fusion avec les Eaux et Forêts est encore
plus récente. Il est donc normal que le génie rural soit enseigné à l’école des Ponts à son époque.
2 Jusquà aujourd’hui, il est courant à l’Ecole des Ponts et Chaussées que des cours importants comme ceux de la
gestion de l’eau soient assurés par d’anciens élèves qui ont travaillé et réussi dans le domaine en question.
2
UN JEUNE INGENIEUR ATTIRE PAR L’ITALIE ET L’AGRONOMIE.
Nadault de Buffon est né à Montbard en 1804 dans une famille de juristes, il entre à l’Ecole
Polytechnique en 1823. Il reçoit sa première affectation d’ingénieur ordinaire à Chaumont en
Haute Marne, poste qu’il gardera pendant dix ans.
Nadault de Buffon débute sa carrière à une époque où les ingénieurs sont marqués par le Saint
Simonisme. Par ailleurs c’est aussi à ce moment là que naît l’Economie Publique grâce à
Navier et à son analyse coûts-avantages des travaux publics. Influencé par ce dernier, le jeune
ingénieur publie en 1829 un essai dans lequel il examine les avantages comparatifs des modes
de transport (rail, route, canaux) mais cet ouvrage reste confidentiel.
En 1833 il décide d’entreprendre à ses frais un voyage scientifique en Italie et en Sicile. Il en
rapporte un travail consacré au réseau routier Italien3 . A la suite d’un nouveau voyage
effectué en 1837 il rédige une étude sur le fonctionnement de l’administration des Travaux
Publics dans les Etats sardes, la Lombardie et les Etats romains. Au fil de ces voyages il
semble s’intéresser de plus en plus à l’agronomie et aux aspects administratifs et juridiques
des travaux civils.
Ces orientations et son esprit d’indépendance déplaisent à sa hiérarchie locale. C’est ainsi
qu’en 1840, l’ingénieur en chef de la Haute Marne indique dans son rapport annuel que
“ presque exclusivement occupé d’horticulture, cet ingénieur abandonne à des conducteurs la
plus grande partie des soins du service qui lui est confié ”. Heureusement, il est appelé à faire
valoir ses talents à Paris.
UNE VIE “ D’INNOVATEUR-TRADUCTEUR ”.
L’influence de Nadault de Buffon et sa carrière au sein de l’administration centrale des
travaux publics débutent suite à la publication en 1840 d’un ouvrage technique et juridicoadministratif
consacré aux “ Usines et autres établissements sur les cours d’eau ” (2 tomes,
resp. 1840 et 1841). Il y prend fermement parti dans le débat de l’époque sur l’appropriation
de l’eau et du lit des rivières non navigables (cf. infra).
En 1841, il est appelé à Paris comme chef de la division des cours d’eau, division
spécialement créée pour lui. Il entreprend la même année un nouveau voyage en Italie et écrit
à son retour son “ Traité des irrigations4 ” qui parait en 1843. Cette oeuvre devint rapidement
un ouvrage de référence pour les hydrauliciens ; selon Hervé Mangon, qui de son côté avait
parcouru l’Angleterre pour en rapporter les techniques du drainage agricole, il “ ouvrit les
yeux aux jeunes ingénieurs de cette époque ”.
Sa carrière devient alors multiforme. Dès 1844, il met en place le premier cours d’hydraulique
agricole donné à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées sous la forme de conférences sur
les irrigations. Une chaire d’hydraulique agricole lui est attribuée en 1851. Il devient ainsi le
premier titulaire du cours d’agriculture de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées ; ses
successeurs auront des noms prestigieux, par exemple Durand Claye. Mais ils ont laissé
davantage de souvenirs aujourd’hui, tant l’hydraulique urbaine est devenue la grande affaire à
la fin du XIXème siècle.
Nadault de Buffon est également un grand vulgarisateur de la “ science agricole appliquée ”,
c’est à dire des dessèchements et de l’irrigation. Il publie en 1852 “ un cours d’agriculture et
3 NADAULT DE BUFFON: “ routes qui traversent les Alpes et les Apennins ”.
4 NADAULT DE BUFFON: "Des canaux d'arrosage de l'Italie Septentrionale dans leurs rapports avec ceux du
midi de la France", Paris, 1843.
3
d’hydraulique agricole5 ” qui connaît un grand succès et devient aussi célèbre que celui du
comte de Gasparin6. Il collabore également activement au Journal d’Agriculture Pratique et à
l’Encyclopédie du XIXème siècle.
Au sein de l’administration des Travaux Publics il devient l’expert en matière juridique, et il
participe à la Commission sénatoriale de projet de refonte du Code rural de 1810 sous le
Second Empire. Son livre Des usines et autres établissements sur les cours d’eau est réédité
trois fois et remanié par lui-même à plusieurs reprises. Le Service de l’Hydraulique mettra
constamment son expertise à contribution pour résoudre les contentieux.
Vers la fin de sa carrière, en 1877, il est encore associé à la rédaction du futur Code rural.
Nadault de Buffon est un ingénieur praticien ; il est l’auteur d’ouvrages d’art importants dans
les villes d’Aubenas, Chaumont, Elbeuf, Louviers, Montbard. Il rédige également des projets :
pour la distribution d’eau de la ville de Nîmes (1853), pour le dessèchement des marais de
Mas-Thibault à Fos et le colmatage de la plaine de Crau (1877).
Il participe à de multiples enquêtes pour le Service de l’Hydraulique et fait des rapports
d’expertise, par exemple pour l’entretien des canaux des marais de Bourgoin ou pour la
suppression des étangs de la Dombes (1850).
Il est aussi l’inventeur d’un procédé de filtre qui sera primé à l’exposition universelle de
Londres en 1862.
Il participe à des activités scientifiques théoriques, mais essentiellement dans le cadre de la
Société Impériale d’Agriculture : recherche agronomique sur le colmatage et le limonage.
DES PETITES RIVIERES AUX EAUX TRES CONVOITEES.
Nous avons vu que l’influence de Nadault de Buffon a débuté avec la publication en 1840
d’un ouvrage consacré aux usines sur les cours d’eau. Le contexte de l’époque donne une
grande importance à cette question, derrière laquelle se joue la répartition des eaux des petites
rivières : la Révolution française a mis fin à leur statut d’Ancien Régime, qui était d’ailleurs
variable et complexe, mais sans pouvoir décider rapidement d’un nouveau droit. Et la
première moitié du XIXème siècle a vu se multiplier les affrontements à plusieurs dimensions
qui avaient débuté au siècle précédent avec la force hydraulique et les étangs de pêche (Derex,
1999).
En ce qui concerne les rivières navigables, les attributions de l’administration et des
utilisateurs sont clairement définies par la loi depuis 1790. Les eaux et le lit appartiennent à
l’Etat, ils sont domanialisés. Mais le reste du réseau des cours d’eau est dans le vide juridique
: de ce fait administration et propriétaires riverains se disputent l’appropriation des eaux des
petites rivières.
Pour bien appréhender le contexte, il faut savoir que d’autres conflits se superposaient à cette
confrontation entre eaux publiques et eaux privées.
On trouvait tout d’abord les rivalités conjoncturelles qui opposaient les utilisateurs entre eux :
usiniers contre irrigateurs. A partir des années 1830 l’utilisation de la force hydraulique
s’intensifie et évolue vers des applications de moins en moins liées à l’agriculture ; cela
débouche, comme le note Championnière (juriste reconnu de l’époque), sur une lutte “ entre
la propriété foncière et la propriété mobilière, en d’autres termes entre la terre et l’usine ”.
5 NADAULT DE BUFFON: "Cours d’agriculture et d’hydraulique agricole ”, Paris,1852.
6 GASPARIN : “ Cours d’agriculture ”, Paris,1843.
4
Par ailleurs des rivalités existaient au sein de l’administration elle-même entre les corps des
Ponts et Chaussées et celui des Eaux et Forêts. Ces rivalités concernaient la police et
l’expertise du réseau des “ rivières non navigables ni flottables ” c’est à dire les petites
rivières.
Alors que les Eaux et Forêts étaient suspectées de liens avec l’Ancien Régime,
l’administration des Ponts et Chaussées avait traversé sans trop de dommages les turbulences
révolutionnaires. Dès 1791 ses ingénieurs s’étaient vus confier la tâche d’arbitrage et
d’expertise sur les rivières navigables. A partir de 1817, étant chargés de l’élaboration des
règlements d’usines, ils contrôlaient l’utilisation de la force hydraulique sur les petites
rivières. Et, rangés du côté du développement de l’industrie, la plupart étaient partisans de la
domanialisation de toutes les eaux.
Par contre, l’administration des Eaux et Forêts était sortie exsangue et désorganisée de la
période révolutionnaire : les maîtrises avaient perdu une partie de leurs attributions sur les
cours d’eau. Il a fallu attendre 1820 pour que ce corps reprenne l’initiative. L’administration
des Eaux et Forêts s’intéresse aux rivières pour la pêche et élabore un code de la pêche
fluviale en 1829. Elle estimerait normal que les attributions de police et d’expertise sur les
petites rivières lui échoient : comme le reconnaîtra Nadault de Buffon, les ingénieurs des
Ponts et Chaussées délaissent cette catégorie de rivières, alors que les officiers de la maîtrise
des Eaux et Forêts et les gardes pêches sont beaucoup plus présents sur le terrain. Pourtant
notre ingénieur considère qu’ils ne s’intéressent pas aux cours d’eau eux-mêmes, et qu’ils
laissent les propriétaires essayer de gagner du terrain sur la rivière, au détriment du bon
écoulement de l’eau. Les gardes champêtres n’étant pas plus qualifiés, Nadault de Buffon
pense nécessaire de créer un corps de gardes-rivières. Cela n’est pas sans rappeler le projet de
Napoléon de créer un corps de l’hydraulique, où le savoir-faire des Hollandais serait mis en
valeur.
Cette rivalité de corps dura plus de trente ans. La création en1848 du Service Hydraulique a
clarifié les prérogatives de chaque corps sur les petites rivières : les tâches de répression sont
attribuées aux Eaux et Forêts, les Ponts et Chaussées gardent l’arbitrage et l’expertise.
Enfin, l’influence d’un puissant groupe de pression, la Société des Agriculteurs de France, se
mêle à ces discordes. Cette association de grands propriétaires fonciers modernistes avait de
puissants relais politiques. Pour elle, l’utilité des eaux courantes peut se résumer en deux
mots : assainir et arroser 7.
A partir de la Restauration, cette société eut la constante préoccupation de faire établir pour
les petits cours d’eau une législation claire et qui soit favorable aux innovations (irrigation et
dessèchement) et aux propriétaires riverains. Au moment du débat sur la création d’un Service
de l’Hydraulique, cette société préconisait l’autonomie de ce futur service vis à vis des
Travaux Publics car elle reprochait aux ingénieurs des Ponts et Chaussées leur inertie et leur
négligence sur ce secteur.
EAUX PUBLIQUES CONTRE EAUX PRIVEES ?
L’appropriation des petites rivières était donc un enjeu important qui a entraîné de nombreux
litiges et des polémiques entre les différents acteurs. Aujourd’hui, après trente ans de
développement de la problématique et de la politique environnementales, la notion de
patrimoine commun a été consacrée par le droit, et en particulier par la loi de 1992 sur l’eau.
Mais le lecteur peut trouver ce terme de patrimoine commun bien mystérieux, et l’enjeu de
7) Congrès Central d'agriculture - Session de 1850 "Régime des eaux" Rapport de M. DE PISTOYE.
5
son emploi n’apparaît clairement qu’à ceux qui connaissent l’histoire comparée du droit et de
l’administration de l’eau dans divers pays (Barraqué, 1999).
Un résumé de l’origine du droit de l’eau en Europe et ailleurs peut être consulté avec profit
dans l’ouvrage de Dante Caponera (1992). Selon cet auteur8, il existe de par le monde deux
grand principes de partage de l'eau, à savoir la règle de l'appropriation (right to own) et la
règle de l'usage (right to use)9. Dans le groupe relevant du premier principe, la réinterprétation
moderne libérale du droit romain conduit les pays latins, ainsi que ceux qui ont adopté les
principes du Code Napoléon, à distinguer entre eaux publiques (appropriées par l’Etat ou par
ses institutions territoriales) et eaux privées (ou plus exactement, eaux laissées à
l'appropriation privative de par leur abondance, ou considérées comme attributs de la propriété
du sol) ; dans le second groupe, les eaux sont à tout le monde et à personne à la fois, et elles
ne sont pas appropriables. Dans les pays latins, après la généralisation du Code civil, et
notamment en France, on a eu tendance à ne retenir du droit romain que la confrontation des
eaux publiques et des eaux privées (comme par exemple aujourd'hui en Italie et en Espagne) :
en effet on assimilait rapidement les règles coutumières de partage des biens communs (les
communaux par exemple) entre leurs usagers, au système féodal inique dont on voulait se
débarrasser. Or une telle vision des choses est une réduction du droit romain, dans la mesure
où celui-ci disposait d'une troisième catégorie d'eau, relevant de la res comunis omnium, qui
comprenait les eaux courantes non appropriées publiquement. Le maintien de ce groupe a été
assuré depuis le bas empire romain, de par sa proximité avec les règles coutumières et
communautaires de partage de l'eau des tribus germaniques venues jusqu’en Espagne. Et
aujourd'hui, même dans les pays latins, cette catégorie d'eaux se développe au détriment des
eaux appropriables. On peut avancer que c’est le sens profond de la montée en puissance des
nouvelles formes contractuelles de gestion à l’échelle de bassins ou de sous-bassins versants,
car elles sont basées sur une représentation des usagers de l’eau et non pas des “ citoyenspropriétaires
” comme dans l’idéal républicain il y a deux siècles.
Or, on admettra que ce qui n’est même pas encore évident aujourd’hui, à savoir l’approche du
patrimoine commun eau par la règle de l’usage raisonnable et équitable, l’était encore moins
après la Révolution, car bien des anciennes coutumes de gestion de l’eau étaient marquées par
le féodalisme et donc sujettes à caution. Et, dans l’esprit du temps, on voulait classer tous les
8 Le Professeur Caponera a longtemps été en poste à la Food Agriculture Organisation de l’ONU.
9 Voici le texte en anglais : Simply stated, ancient Roman law subdivided water resources into three categories :
(i) waters common to everybody (res comunis omnium), i.e., waters not capable of being the object any
ownership status. No one, whether individual, the community or even the state or the sovereign could own these
waters ; together with air and the sea (shore), they could only be the objects of rights of use. All flowing waters
belonged to this category.
(ii) public waters (res publicae), i.e., those belonging to a community, municipality or other public institution.
The use of such waters was reserved to the institutions, which had a legitimate title over them. Institutions could,
in turn, grant a right of use to other users.
(iii) private waters, i.e., those privately owned. Only a small part of water resources were considered private :
rain water, groundwater and minor water bodies. Generally, the ownership of these waters was attached to the
ownership of land. The landowner had an exclusive and unlimited right of use (and abuse) over such waters,
and this right of use was without any restriction, independently of the consequences that the use could cause to
neighbouring lands (ius utendi et abutendi).
In Roman law the right of ownership and use of water recognized to the landowner was necessarily limited both
by similar rights of neighbouring landowners and by the rights acquired by or granted to third persons by the
state. As to the rights of neighbours, Roman law, which regarded water as a constituent part of the land, left the
owner entirely free to dispose of all the water found on his land without any consideration for his neighbours
but made him liable to suffer similar treatment at their hands.
6
biens en deux catégories, publics ou privés, mais de toutes façons appropriés. Jean Louis
Gazzaniga écrit (1991) : “ le XIXème siècle ne parle que de propriété, et veut l’appliquer au
domaine hydraulique ”.
Certains considéraient les eaux des petites rivières comme un attribut de la propriété du sol.
C’était bien entendu la position des grands propriétaires fonciers et d’une partie des usiniers.
Le vide juridique sur la question amena les juristes à prendre position. Des juristes comme
Daviel10 (avocat à la cour royale de Rouen) accordaient au riverain la propriété absolue de
l’eau qui traversait leur fonds, notamment en considérant que les propriétaires devaient
reprendre le droit féodal de propriété sur l’eau traversant leur fief. D’autres, plus nuancés,
comme Championnière11, attribuaient aux riverains la propriété du lit seulement.
Tous ces juristes étaient violemment opposés à toute emprise administrative sur les petites
rivières non navigables. Championnière parle “ d’impérialisme ” de l’administration et du
corps des Ponts et Chaussées et propose de suivre la législation lombarde où “ .. la direction
des eaux courantes est laissée à la propriété privée, qui fait les travaux nécessaires à ses frais
et, pour leur utilité comme pour leur exécution, ne reçoit de l’administration publique que des
conseils ; les hommes de science n’interviennent qu’en cette qualité, et les délégations
peuvent préférer l’assistance d’un ingénieur absolument indépendant du gouvernement ”.
Ils réduisaient le rôle de l’administration à un simple rôle de police. C’était également la
position du corps des Eaux et Forêts.
Les usiniers n’étaient pas tous favorables à une appropriation privée ; certains étaient
conscients de leur situation d’interdépendance et du risque qu’un usinier de l’amont décide, en
vertu de son droit de propriété, de réduire ou couper le débit. C’est pourquoi ils préféraient
que la répartition et le contrôle relèvent de l’administration. Certains pensaient alors que le
plus simple serait de traiter toutes les eaux courantes comme les rivières navigables, c’est à
dire en les domanialisant.
La position de Nadault de Buffon, un peu décalée par rapport au corps des Ponts et Chaussées,
était très subtile pour l’époque : il ne préconisait pas la domanialisation des eaux des petites
rivières comme lui, mais une intervention de l’administration pour faire respecter les droits
d’usage des uns et des autres.
Il développe son point de vue dans son livre “ Des usines et autres établissements sur les
cours d’eau ”, dans lequel il réfute tous les arguments avancés par les partisans de
l’appropriation privée. Il réfute l’argument fondé sur les droits féodaux en montrant que les
possesseurs de fief n’avaient que la propriété de certaines utilisations de l’eau (pêche,
établissement de moulin ...) mais pas de l’eau elle-même, et que “ l’eau courante de tous
temps fut regardée, par sa nature même comme étant dans la classe des choses qui ne peuvent
admettre de propriété proprement dite ”. Il réfute également tous les arguments de ses
contradicteurs qui reposent sur les auteurs anciens en écrivant “ leurs opinions ne sont plus
comparables, aujourd’hui que nous vivions, par rapport à ces écrivains, sous un ordre de
choses tout à fait différent … ”. En d’autres termes il dit “ autres temps, autres moeurs ”. Il
estime qu’il ne faut même pas laisser le lit des rivières à la propriété des riverains, dans la
mesure où il ne voit pas d’utilité à un lit recouvert d’eau en permanence. Sur ce point
d’ailleurs, alors même que la commission de préparation de la loi finalement votée en 1898
10 DAVIEL : “ Pratique des cours d’eau ”, Paris, 1824.
11 CHAMPIONNIERE : “ De la Propriété des eaux courantes ”, Paris, 1846.
7
avait maintenu ce principe d’association étroite du lit et de l’eau dans le bien commun des
riverains, sujet seulement à droits d’usage, les intérêts privés firent basculer la loi en faveur de
l’appropriabilité du lit. Peut-être était-ce déjà parce qu’on savait extraire le sable et le gravier
sous l’eau. Il n’empêche qu’aujourd’hui, la protection des nappes alluviales et autres zones
d’expansion de crues exigerait de revenir en arrière sur cette propriété du lit. C’est un peu
tard.
Nadault est systématique : il analyse les rapports des 33 commissions locales chargées sous
l’Empire d’examiner le projet de Code Rural de 1810, en retranscrit les passages clés, et
constate qu’elles ont été, en forte majorité, hostiles à l’appropriation, contrairement à ce que
les partisans de celle-ci laissaient croire.
Il montre les conséquences néfastes qu’aurait l’appropriation privée. Selon lui, la privatisation
des petites rivières constituerait un frein à l’installation des usines hydrauliques et donc nuirait
au développement de l’industrie. Surtout, chacun faisant ce qu’il voudrait, on courrait vers
une anarchie catastrophique pour tous. C’est le thème aujourd’hui fameux de la “ tragédie des
communaux ” (Hardin, 1968). Mais, contrairement au courant économique néo-libéral, il ne
propose surtout pas de découper le communal en parcelles privées.
En conclusion, il prône une gestion publique des petites rivières au nom de l’intérêt général :
“ Les cours d’eau soumis à des droits d’usages n’étant la propriété de personne,
l’administration qui, toutes les fois qu’il y a lieu, concède gratuitement cet usage aux
individus, peut aussi à plus forte raison et d’après sa mission légale, consacrer ces mêmes
cours d’eau non utilisés par les particuliers aux usages réclamés par l’intérêt général de la
société ” car “ l’autorité administrative, appelée à diriger les eaux du territoire vers un but
d’utilité générale, n’agit qu’au nom de l’intérêt public ”.
Pourtant, il distingue cette gestion publique de la domanialisation, et encore plus de
l’appropriation par l’Etat (1874 tome II, p.15-16) : “M. Daviel, s’appuyant de quelques
indications isolées, qui lui ont été fournies par la législation étrangère, en conclut que la
doctrine qu’il soutient est adoptée partout ; mais cela n’est pas exact ; car nulle part cette
législation n’est plus favorable aux intérêts privés qu’en France (...) On base une objection
principale sur l’art. 538 (du Code civil) qui ne classe dans le domaine public que les fleuves
et rivières navigables ; et on conclut de là que les cours d’eau non navigables ne peuvent être
que la propriété des riverains. Ce raisonnement serait fondé sans doute, s’il n’y avait pour un
cours d’eau que cette alternative : être la propriété des riverains ou tomber dans le domaine
public.
“ Mais il s’en faut de beaucoup qu’il en soit ainsi ; car entre le domaine public, celui de
l’Etat, et celui des particuliers, il y a une quatrième classe de choses, parfaitement distincte,
dont on ne saurait faire abstraction : c’est celle qui constitue ce qu’on a appelé à juste titre le
domaine commun, res nullius, domaine que régit l’art. 714 du Code civil. Et c’est précisément
le cas applicable ici.
“ Une erreur évidente de cet argument, c’est qu’il s’applique, dans toute sa force et en sens
contraire, à l’article 641, qui n’attribue exceptionnellement qu’au seul propriétaire de la
source la faculté d’user des eaux comme il lui plaît ; faculté caractéristique du droit de
propriété. En adoptant, mais avec plus de justesse, le même raisonnement fondé sur la
maxime “ Qui de uno dicit, de altero negat, ” on dira : puisque la loi ne reconnaît un droit
réel sur une eau courante qu’au propriétaire de l’héritage sur lequel cette eau a pris
naissance, c’est qu’évidemment ladite loi ne reconnaît pas un droit semblable aux simples
8
riverains, qui ne reçoivent cette eau le long de leurs terrains, qu’à la charge de la transmettre
de la même manière aux héritages inférieurs ”.
UNE ADMINISTRATION MAITRE DE LA RESSOURCE OU GARANTE DU PARTAGE
DES EAUX ?
Le principe “ ni appropriation privée, ni domanialisation ” pose alors la question de la forme
que doit prendre l’intervention de l’Etat et le rôle de l’administration : la puissance publique
devait-elle se comporter de façon autoritaire attribuant et retirant à son gré l’usage des eaux
des petites rivières ? Ou bien devait-elle agir en tant que garant de la ressource ? C’était alors
reconnaître que ces eaux n’étaient pas appropriables même par l’administration, qui définirait
alors seulement les règles de partage entre utilisateurs. A la fin de la Restauration cette
question se posait à propos des règlements d’usines et soulevait un débat. Le corps des Ponts
et Chaussées, favorable à la domanialisation des petites rivières, se proposait d’étendre à
celles-ci la procédure de concession en vigueur sur les rivières navigables; par extension cela
soulevait le problème de l’application de la clause d’expropriation sans indemnité aux usines
situées sur les petites rivières.
Sur les rivières navigables les usiniers devaient demander à l’administration l’attribution
d’une concession puisqu’elles faisaient partie du domaine national. Aucune indemnisation
n’était prévue lorsque la concession était retirée.
L’instruction du 19 thermidor an VI relative aux procédures d’autorisation d’usines sur les
rivières navigables ou flottables faisait obligation d’insérer dans chaque règlement d’usine la
clause suivante : “ dans aucun cas et sous aucun prétexte il ne pourra être prétendu indemnité,
chômage ni dédommagement par le concessionnaire du nouvel établissement (..) par
suite des dispositions que le gouvernement jugerait convenable de faire, pour l’avantage de la
navigation, du commerce, de l’industrie ou de la salubrité sur le cours d’eau où sera situé
l’établissement projeté ”.
Cela avait pour conséquence de précariser la situation des usiniers.
Jusqu’alors, pour les petites rivières, il n’était pas obligatoire de demander une concession. Le
règlement d’usine se bornait à fixer le “ point d’eau ”, c’est à dire la hauteur d’eau pouvant
être retenue par le barrage. Le rôle de l’administration se limitait donc à une permission de
police.
Si le principe de la domanialisation de ces rivières était adopté, la gravité des eaux appartenait
alors au domaine public et l’obtention d’une concession devenait nécessaire. C’était la
position soutenue par l’administration des Ponts et Chaussées.
Mais les ingénieurs étaient divisés quant au mode de révocabilité de la concession. Les
partisans d’une domanialité stricte s’opposaient à toute indemnisation. D’autres, dont Nadault
de Buffon, avaient une position plus nuancée. Participant en 1842 à une commission chargée
de donner son avis sur la question il déclarait que “ le gouvernement doit à l’industrie
manufacturière une protection efficace ; partout on doit encourager les emplois industriels de
l’eau, le plus économique de tous les moteurs ... frapper de non valeur ou de précarité tous
les établissements qui pourraient être crées le long des cours d’eau, ce serait faire une
appréciation bien inexacte des sources de la richesse publique ... ”.
Ceci, à notre avis, illustre bien la position de Nadault de Buffon sur la domanialité : il conçoit
l’administration comme garante du partage des eaux plus que comme maître de la ressource et
sera l’un des seuls à l’époque à avoir ce point de vue.
9
Cette conception “ d’un Etat garant du partage des eaux ” se retrouve lorsqu’on lit ses rapports
d’expertise. Visitant les marais de Bourgoin en 1850, il préconise la domanialisation des
canaux d’évacuation car la société privée responsable des dessèchements ne remplissait plus
ses obligations d’entretien. Mais il ne remet pas en cause les principes de la concession ni les
droits des propriétaires des parcelles du marais.
Lorsqu’un peu plus tard, il enquête dans la Dombes, après avoir entendu les élus et les
notables locaux, il devient très réticent quant à la suppression d’office des étangs par
l’administration. Il préfère s’en tenir aux décisions, prises par les collectivités locales et les
propriétaires, d’effectuer ou non un dessèchement volontaire. Et pourtant, il croit, comme les
ingénieurs et médecins de l’époque, à la théorie des miasmes méphitiques qui fait des marais
une source de danger pour la santé publique.
Le contraste est saisissant avec la position d’Hervé Mangon qui, visitant dix ans plus tard les
mêmes lieux, se prononce pour une action radicale visant à faire disparaître tous les étangs.
Dans le cours d’hydraulique agricole, au chapitre du curage des cours d’eau non navigables, il
préconise que le travail soit fait autant que possible au niveau des collectivités locales et sous
la responsabilité des élus. Pour éviter à ces derniers de se retrouver seuls face aux intérêts
privés de leurs électeurs, il préconise l’accompagnement par des techniciens indépendants
mais au fait des questions d’hydrologie. Bien qu’il n’en parle pas explicitement, ce que l’on
comprend par rapport à l’esprit du temps, il n’est pas loin de défendre l’existence
d’institutions de type communautaires locales pour gérer les petits cours d’eau. C’est ce que la
loi de 1898 consacrera avec la création (théorique) de syndicats de riverains pour toutes les
rivières du pays.
Mais Nadault de Buffon connaît aussi la faiblesse des moyens des collectivités locales, et, en
ce qui concerne le développement de l’irrigation, son autre objectif, il préconise une
intervention plus active de l’Etat dans les grands travaux d’hydraulique agricole, dès son traité
d’irrigation publié en 1843.
POUR UNE POLITIQUE VOLONTARISTE DE L’ETAT DANS L’IRRIGATION
L’irrigation qui unissait deux “ sciences ” en plein essor, celle de l’ingénieur et celle de
l’agronome, connut un véritable engouement scientifique sous la Restauration puis la
Monarchie de Juillet.
Jaubert de Passa fut un des premiers à redécouvrir et à faire connaître aux ingénieurs les
méthodes de l’irrigation. Son ouvrage “ Voyage en Espagne, Recherche sur les arrosages, sur
les lois et coutumes qui les régissent ” (1821) servit de référence. Mais cet engouement fut de
courte durée et les réalisations concrètes sont restées rares avant 1850. En effet, la
construction de nouveaux canaux d’irrigation se heurtait à deux obstacles :
- le flou juridique quant aux modalités de prise d’eau et de passage d’aqueduc ; il
faudra attendre la loi sur la servitude d’aqueduc de 1845 et celle sur la servitude
d’appui de 1847 pour que ces questions soient résolues.
- La détermination du mode de financement, public ou privé, des travaux de
construction du réseau primaire de canalisation et leur éventuel subventionnement par
l’Etat ou les collectivités territoriales.
En 1843, Nadault de Buffon propose une véritable politique publique dans l’ouvrage “ Des
canaux d’arrosage en Italie Septentrionale, dans leurs rapports avec ceux du midi de la France.
10
Traité théorique et pratique des irrigations ”. C’était un traité historique, géographique,
technique, législatif et financier qui analysait les expériences d’irrigation effectuées en Italie
du Nord. Il considérait ces travaux comme un modèle de référence car ils avaient été exécutés
à l’initiative de l’Etat (le buon governo piémontais) et sous le contrôle des ingénieurs.
“ Si en France, l’on ne s’est jamais occupé à fonds de rechercher les causes fondamentales
du succès des grands arrosages, si le gouvernement n’a pas jugé convenable de créer, et
encore moins d’exploiter par lui-même, aucun canal d’irrigation ; si, lorsque les
circonstances lui en ont mis entre les mains, il s’est hâté de s’en défaire en les offrant, même
à titre gratuit, à des particuliers ou à des compagnies ; le contraire a eu lieu en Italie, et le
pays s’en est bien trouvé. Une administration spéciale, parfaitement dirigée et secondée par
des ingénieurs habiles, y a mis sur un excellent pied les canaux acquis par l’Etat, qui, tout en
distribuant aussi libéralement que possible le bienfait des eaux à une agriculture florissante,
versent encore au Trésor Public des produits fort intéressants ”.
Nadault de Buffon décrit également l’organisation des canaux existant dans le midi de la
France et s’intéresse particulièrement au mode de gestion communautaire de certains réseaux
qu’il juge intéressant car efficace. Parlant des anciens canaux des Pyrénées, il dit que “ la
pratique des arrosages y est régie par des lois usagères dérivant à la fois du droit coutumier
et du droit romain, mais qui sont gravées dans la mémoire des cultivateurs sans être
consignées dans aucun code .. ;.. elles règlent cependant d’une manière assez sage certaines
dispositions de police, ainsi que le partage des eaux entre l’irrigation et les usines, en
conciliant autant que possible ces deux intérêts opposés, par la fixation des jours et heures
attribués à l’un et à l’autre usage ”12.
De ses observations et constatations il déduit quelques principes généraux :
· La nécessité des “ eaux publiques ” : “ un des principes indépendant des époques et des
institutions veut que les eaux courantes soient soustraites aux entreprises arbitraires
des individus qui ont une tendance invincible à les approprier à leur usage exclusif ” ;
· L’existence d’une administration spéciale “ parfaitement dirigée et secondée par des
ingénieurs habiles ” chargée de l’expertise et du contrôle des eaux domanialisées, (ou
plutôt, mises en patrimoine commun).
· Toutefois, il n’exclut pas totalement l’intervention du secteur privé par le biais de la
mise en concession qu’il juge acceptable sous condition de la non appropriation privée
des eaux.
“ Il serait à désirer que les entreprises de cette espèce pussent toujours être exécutées aux
frais de l’Etat ; elles conserveraient alors, tout à fait, le caractère qui leur est propre. Mais il
est à remarquer qu’elles ne le perdent pas, lorsqu’elles s’exécutent aux frais de compagnies
... En effet, du moment que pour ouvrir un canal, ces compagnies, sont obligées de se faire
déléguer, par l’expropriation, une faculté qui réside essentiellement entre les mains de l’Etat,
elles ne peuvent plus prétendre exercer sur les ouvrages établis dans de telles conditions, un
droit identique à un droit absolu de propriété ”.
“ Les constitutions de tous les Etats modernes se refusent à ce que l’on puisse admettre une
expropriation quelconque, au profit d’une utilité privée. Il faut donc admettre que les
particuliers sont en quelque sorte usagers ou usufruitiers perpétuels, mais que, dans tous les
cas, leur dépendance du pouvoir réglementaire pour les mesures d’ordre et d’intérêt général
12) NADAULT DE BUFFON: "Des canaux d'arrosage de l'Italie Septentrionale dans leurs rapports avec ceux du
midi de la France", Paris, 1843
11
ne peut être contestée... Ce mode d’exécution à ses avantages ; il appelle le concours de
l’industrie et des capitaux privés sur des entreprises productives d’une haute utilité ; il
permet, en même temps aux fonds de l’Etat de se porter sur des travaux plus importants. Mais
il y aurait de très graves inconvénients si l’on en faussait le principe au point de prétendre
que les canaux, ouverts de cette manière, peuvent être soustraits à la surveillance de
l’administration. Il est en effet indispensable que celle-ci veille continuellement, dans l’intérêt
général des usagers, sur tout ce qui touche la bonne distribution des eaux, les tarifs des droits
d’arrosages, les travaux d’entretien et de curage ... ”.
Nadault de Buffon propose, ce qui est rare pour l’époque (1843) que l’Etat prenne en charge
financièrement les aménagements. Il estime en effet que la plupart des canaux d’arrosage sont
non rentables pour des compagnies privées.
Les collectivités locales et l’Etat ne doivent donc pas hésiter à subventionner la construction
de canaux d’irrigation (comme ce fut le cas pour ceux du Verdon, de St Martory ou de la
Siagne) ou même à soutenir financièrement les sociétés concessionnaires en difficulté . Car de
“ tout temps les encouragements de l’Etat ont été recours nécessaires pour assurer la
réalisation de certaines entreprises, d’un intérêt général incontestable, mais qui, par leur
nature, devaient rester dans le domaine de l’industrie privée ”. Selon Nadault de Buffon, ces
“ encouragements ” de la puissance publique peuvent prendre la forme de subventions pour la
construction des infrastructures ou d’une garantie d’intérêt sur le capital investi par la
compagnie concessionnaire. C’est d’ailleurs ainsi que l’Etat interviendra dans les années 1880
pour le canal de la Siagne concédé à la Société Lyonnaise des Eaux et de l’Eclairage. Et, plus
près de nous, l’expérience des Sociétés d’Aménagement Régional (Canal de Provence, Bas-
Rhône Languedoc, Coteaux de Gascogne) montre que l’intervention de l’Etat était le seul
moyen de développer l’irrigation.
CONCLUSION
A travers cette note biographique, nous avons surtout voulu montrer à la fois la complexité du
sujet de l’administration des eaux courantes à toutes les époques, et la modernité des solutions
auxquelles son expérience et ses observations avaient conduit Nadault de Buffon il y a plus de
150 ans déjà : l’eau, répète-t-il à l’envi, n’est pas un bien, mais une chose inappropriable, à
régler selon des droits d’usage. Pour autant, en décalage par rapport à bien des ingénieurs des
Ponts et Chaussées de cette époque et plus tard, il imagine une action publique décentralisée,
appuyée sur la solidarité des riverains ou des propriétaires de terres drainées ou irriguées, avec
recours à l’Etat pour les gros investissements. C’est avec beaucoup d’amusement que nous
l’avons vu rapporter les termes d’un conflit qui a opposé l’administration fiscale et les
gestionnaires de la Watringue de Dunkerque (1852-58, vol. II) : face à un mode séculaire et
efficace de gestion des assèchements qui se pratiquait dans toutes les Flandres et qui s’est
généralisé aux Pays-Bas (les Waterschappen y sont maintenant des collectivités territoriales
fonctionnelles à part entière), les inspecteurs des impôts dénoncent la mauvaise gestion,
l’inégalité et l’inéquité des redevances payées, la complexité du système de calcul de
l’assiette, et font d’autres reproches. Les deux mémoires successifs de l’époque ressemblent
assez aux critiques récentes adressées aux Agences de l’eau que le monde nous envie. Avec
habileté, Nadault de Buffon se contente de livrer les réponses sereines des administrateurs des
Watringues, qui font bien apparaître leurs détracteurs comme des gens qui ne connaissent pas
la difficulté et la spécificité de la gestion de l’eau. On peut tracer une ligne directrice de
pensée qui va de Nadault de Buffon jusqu'à nous. Montrer comment elle s’est concrétisée sur
le terrain, entre juristes et ingénieurs de l’eau, devrait concerner les historiens de l’hydrologie.
12
Mais, comme Caponera l’a montré, ce mode de pensée remonte à l’antiquité. Nadault de
Buffon conclut d’ailleurs son argumentaire sur le droit de l’eau en citant Ovide (1840-41 tome
II, p 63) :
........................... Usus comunis aquarum ;
Nec solem proprium natura, nec aera fecit,
nec tenues undas. Ad publica munera veni.
Métamorphoses, IV-8
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SIRONNEAU Jacques, 1994: « La genèse de la loi sur l’eau », in Revue de droit rural, Paris,
n0225, Août sept.

Dimanche 27 Décembre 2009
Lundi 28 Décembre 2009
JEAN-LUC TOULY
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