L'acidification de vastes zones océaniques

Dans à peine plus de vingt ans, l'acidification de vastes zones océaniques de l'hémisphère Sud va provoquer la disparition de certains organismes planctoniques. Ce phénomène est d'autant plus préoccupant que la faune et la flore touchées constituent les premiers maillons de la chaîne alimentaire marine.
L'augmentation des émissions de CO2 a un impact parfaitement quantifié sur les océans, "plus finement connu que ses effets sur le climat", précise James Orr, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement. "Sur 70 molécules de CO2 que nous émettons, une vingtaine sont absorbées par la biosphère terrestre, une trentaine demeurent dans l'atmosphère et une vingtaine se dissolvent dans les océans", précise Paul Tréguer, directeur scientifique d'EUR-Océans, un réseau européen d'étude des écosystèmes océaniques. Cette dissolution modifie les équilibres chimiques : elle acidifie l'eau en augmentant sa concentration en ions hydrogène (H +). Depuis le début de l'ère industrielle, celle-ci a augmenté de 25 %, une modification de même ampleur que celle de l'atmosphère, de plus en plus surchargée en CO2.
Cette déstabilisation chimique fait chuter la concentration océanique en carbonates. Mais, explique M. Orr, "le carbonate est avec le calcium l'une des deux briques nécessaires à la formation du calcaire". Résultat : les ptéropodes, les coccolithophoridés et les foraminifères, ces micro-organismes marins à coquille qui ont justement besoin de carbonates pour former leur exosquelette d'aragonite - une forme de calcaire -, auront disparu dès 2030 dans certaines zones du Pacifique et dans tout l'océan austral, selon des travaux récemment publiés dans la revue Nature. Une région à l'importance toute particulière, puisque, explique M. Tréguer, "l'océan austral est connecté à tous les autres".
L'augmentation des émissions de CO2 a un impact parfaitement quantifié sur les océans, "plus finement connu que ses effets sur le climat", précise James Orr, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement. "Sur 70 molécules de CO2 que nous émettons, une vingtaine sont absorbées par la biosphère terrestre, une trentaine demeurent dans l'atmosphère et une vingtaine se dissolvent dans les océans", précise Paul Tréguer, directeur scientifique d'EUR-Océans, un réseau européen d'étude des écosystèmes océaniques. Cette dissolution modifie les équilibres chimiques : elle acidifie l'eau en augmentant sa concentration en ions hydrogène (H +). Depuis le début de l'ère industrielle, celle-ci a augmenté de 25 %, une modification de même ampleur que celle de l'atmosphère, de plus en plus surchargée en CO2.
Cette déstabilisation chimique fait chuter la concentration océanique en carbonates. Mais, explique M. Orr, "le carbonate est avec le calcium l'une des deux briques nécessaires à la formation du calcaire". Résultat : les ptéropodes, les coccolithophoridés et les foraminifères, ces micro-organismes marins à coquille qui ont justement besoin de carbonates pour former leur exosquelette d'aragonite - une forme de calcaire -, auront disparu dès 2030 dans certaines zones du Pacifique et dans tout l'océan austral, selon des travaux récemment publiés dans la revue Nature. Une région à l'importance toute particulière, puisque, explique M. Tréguer, "l'océan austral est connecté à tous les autres".
Quelles seront les conséquences ?
"C'est extrêmement difficile à prévoir, répond M. Orr. Dans les océans, les chaînes alimentaires sont complexes, et parvenir à les modéliser est un des grands défis. Ce qui est sûr, cependant, c'est que les ptéropodes sont proches de la base de la chaîne alimentaire et qu'ils constituent les ressources de certains poissons importants, comme le merlu, le saumon, la morue, voire, à certaines périodes de l'année, la baleine..."
Ne sachant pas si d'autres micro-organismes vont profiter de cette disparition annoncée, il est difficile - sinon impossible - de prévoir les scénarios futurs. D'autant plus que pour l'instant, les chercheurs ne prennent en compte que l'augmentation des émissions de CO2. Or "nous savons par exemple que la température des océans va évoluer ainsi que la teneur en sels nutritifs", explique Jean-Pierre Gattuso, chercheur au Laboratoire océanographique de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes).
"Dans nos expériences, nous ne maîtrisons pas les interactions entre ces différents paramètres qui vont également évoluer sous l'effet des changements globaux."
Une chose est cependant certaine. Les petits organismes marins peuvent être extrêmement sensibles aux modifications de leur environnement, comme l'ont montré les travaux de Grégory Beaugrand, du laboratoire Ecosystèmes littoraux et côtiers. La migration actuelle de certains planctons vers le nord est directement liée aux variations ténues (moins d'un demi-degré Celsius) de la température des eaux de surface. Et le déplacement de manne dont raffolent les poissons explique pour partie la baisse des stocks de certaines espèces pêchées par l'homme, en particulier la morue. L'acidification des eaux pourrait accentuer ces mouvements déjà en cours et avoir un impact économique important sur la pêche.
Outre les effets sur la chaîne alimentaire, ce processus va, à plus long terme, avoir d'autres conséquences dramatiques. b["Deux tiers des coraux d'eaux profondes, présents dans les mers froides, et notamment au large de l'Europe, sont menacés de disparition avant 2100, dit M. Orr. Ces coraux jouent un rôle important en fournissant, par exemple, leur habitat à certains poissons. Mais ils ne sont étudiés que depuis une dizaine d'années et demeurent mal connus." ]bSi l'activité industrielle demeure productrice de gaz à effet de serre sur les prochaines décennies, tous les organismes calcaires - planctons, coquillages coraux -, sous toutes les latitudes, sont potentiellement menacés.
Etonnamment, les premiers travaux sur ces sujets sont extrêmement récents. "C'est seulement depuis 1998 que l'on sait que la biologie de certains organismes répond de façon négative à cette acidification des océans, indique M. Gattuso. On a longtemps pensé que le "pouvoir tampon" de l'océan était tel que son pH ne changerait pas de manière importante."
La recherche sur l'acidification océanique produit aujourd'hui plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Aux Etats-Unis, elle est encore quasi inexistante. L'Europe a pour une fois réagi plus vite. Elle va inscrire l'acidification des océans comme thème de recherche à part entière dans son 7e Programme cadre de recherche et développement.
Stéphane Foucart
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Ne sachant pas si d'autres micro-organismes vont profiter de cette disparition annoncée, il est difficile - sinon impossible - de prévoir les scénarios futurs. D'autant plus que pour l'instant, les chercheurs ne prennent en compte que l'augmentation des émissions de CO2. Or "nous savons par exemple que la température des océans va évoluer ainsi que la teneur en sels nutritifs", explique Jean-Pierre Gattuso, chercheur au Laboratoire océanographique de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes).
"Dans nos expériences, nous ne maîtrisons pas les interactions entre ces différents paramètres qui vont également évoluer sous l'effet des changements globaux."
Une chose est cependant certaine. Les petits organismes marins peuvent être extrêmement sensibles aux modifications de leur environnement, comme l'ont montré les travaux de Grégory Beaugrand, du laboratoire Ecosystèmes littoraux et côtiers. La migration actuelle de certains planctons vers le nord est directement liée aux variations ténues (moins d'un demi-degré Celsius) de la température des eaux de surface. Et le déplacement de manne dont raffolent les poissons explique pour partie la baisse des stocks de certaines espèces pêchées par l'homme, en particulier la morue. L'acidification des eaux pourrait accentuer ces mouvements déjà en cours et avoir un impact économique important sur la pêche.
Outre les effets sur la chaîne alimentaire, ce processus va, à plus long terme, avoir d'autres conséquences dramatiques. b["Deux tiers des coraux d'eaux profondes, présents dans les mers froides, et notamment au large de l'Europe, sont menacés de disparition avant 2100, dit M. Orr. Ces coraux jouent un rôle important en fournissant, par exemple, leur habitat à certains poissons. Mais ils ne sont étudiés que depuis une dizaine d'années et demeurent mal connus." ]bSi l'activité industrielle demeure productrice de gaz à effet de serre sur les prochaines décennies, tous les organismes calcaires - planctons, coquillages coraux -, sous toutes les latitudes, sont potentiellement menacés.
Etonnamment, les premiers travaux sur ces sujets sont extrêmement récents. "C'est seulement depuis 1998 que l'on sait que la biologie de certains organismes répond de façon négative à cette acidification des océans, indique M. Gattuso. On a longtemps pensé que le "pouvoir tampon" de l'océan était tel que son pH ne changerait pas de manière importante."
La recherche sur l'acidification océanique produit aujourd'hui plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Aux Etats-Unis, elle est encore quasi inexistante. L'Europe a pour une fois réagi plus vite. Elle va inscrire l'acidification des océans comme thème de recherche à part entière dans son 7e Programme cadre de recherche et développement.
Stéphane Foucart
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LEXIQUE
Le "potentiel hydrogène" indique la concentration d'ions hydrogène (H ++) dans une solution. Un milieu est dit neutre si son pH égale 7, acide lorsqu'il est inférieur, basique s'il est supérieur.
ORGANISMES À STRUCTURES CALCAIRES. Il peut s'agir de végétaux microscopiques, comme les algues calcaires (coccolithophoridés et foraminifères) ou de minuscules mollusques comme les ptéropodes. Ces organismes construisent leurs exosquelettes à partir d'aragonite. Cet élément est très sensible à l'acidification des eaux océaniques.
CHIFFRES
- DEPUIS LE DÉBUT DE L'ÈRE INDUSTRIELLE le pH moyen des eaux de surface océaniques (premiers 100 mètres) a chuté de 8,2 à 8,1. Au rythme actuel, il devrait tomber à 7,9 en 2100.
- EN 2006 plus de 25 millions de tonnes de gaz carbonique se combinent chaque jour avec l'eau de mer.
AGENDA : Les scientifiques de EUR-océans ont lancé une campagne de sensibilisation sur l'acidification des océans. Un documentaire sera diffusé cet été dans plusieurs musées-aquariums.
SUR INTERNET : WWW.GLOBALOCEANS.ORG
Site du Forum mondial sur les océans, les côtes et les îles, qui dresse, en partenariat avec l'Unesco, un panorama de l'état des écosystèmes marins.
steven guilbeault : Responsable de la campagne Climat et énergie
Climate and Energy Campaigner Greenpeace Canada
454 Laurier Ouest, 3e étage Montréal, Québec, H2J 1E7
Tél. : (514) 933-0021#13
Cell. : (514) 231-2650
Fax : (514) 933-1017
steven.guilbeault@yto.greenpeace.org
ORGANISMES À STRUCTURES CALCAIRES. Il peut s'agir de végétaux microscopiques, comme les algues calcaires (coccolithophoridés et foraminifères) ou de minuscules mollusques comme les ptéropodes. Ces organismes construisent leurs exosquelettes à partir d'aragonite. Cet élément est très sensible à l'acidification des eaux océaniques.
CHIFFRES
- DEPUIS LE DÉBUT DE L'ÈRE INDUSTRIELLE le pH moyen des eaux de surface océaniques (premiers 100 mètres) a chuté de 8,2 à 8,1. Au rythme actuel, il devrait tomber à 7,9 en 2100.
- EN 2006 plus de 25 millions de tonnes de gaz carbonique se combinent chaque jour avec l'eau de mer.
AGENDA : Les scientifiques de EUR-océans ont lancé une campagne de sensibilisation sur l'acidification des océans. Un documentaire sera diffusé cet été dans plusieurs musées-aquariums.
SUR INTERNET : WWW.GLOBALOCEANS.ORG
Site du Forum mondial sur les océans, les côtes et les îles, qui dresse, en partenariat avec l'Unesco, un panorama de l'état des écosystèmes marins.
steven guilbeault : Responsable de la campagne Climat et énergie
Climate and Energy Campaigner Greenpeace Canada
454 Laurier Ouest, 3e étage Montréal, Québec, H2J 1E7
Tél. : (514) 933-0021#13
Cell. : (514) 231-2650
Fax : (514) 933-1017
steven.guilbeault@yto.greenpeace.org
Acid Oceans
Scientists identify another potentially devastating consequence of failing to control greenhouse gases.
Thursday, July 6, 2006; A20
YOU'D THINK that the threat to the Earth's climate posed by greenhouse gas emissions would be enough to get policymakers to take seriously the need to reduce human use of fossil fuels. Rising sea levels, reduced polar ice and dramatic regional climate shifts represent serious dangers to the way of life of large swaths of the world's population. Now a new report by a group of federal scientists and university researchers highlights a different threat posed by carbon emissions, one with its own set of potentially devastating ecological consequences: the increasing acidity of the oceans.
Ocean water absorbs a huge amount of the carbon emitted by human energy use -- so much that it has long been seen as a kind of buffer mitigating global climate change, which is triggered by the presence of that carbon in the atmosphere. But it turns out that oceanic absorption of carbon is not an unqualified good. All that carbon seems to be making the waters more acidic, a trend researchers believe will continue as concentrations increase. This chemical change, in turn, inhibits the ability of animals that produce external shells-- particularly corals and certain planktons -- to grow them efficiently. As these animals are some of the basic life forms of ocean ecosystems, substantially reducing their productivity could have enormous impact on life in the seas, from devastating already-stressed coral reefs to interrupting the food chain for large fish and whales.
There's a tendency in discussing carbon emissions for policymakers to be paralyzed by the enormity of the problem. The hypothesized consequences to climate and the oceans are vast -- literally earth-changing -- and the cause is so inherent to the way industrialized societies live that the problem seems unsolvable. When combined with the inevitable scientific uncertainty associated with modeling the future of terribly complex systems, this leads some people to active denial and many others to resist responsible steps to begin getting carbon under control. Admittedly, these steps, even if taken aggressively, will not be sufficient to decrease atmospheric carbon but can only, for now, slow its rate of increase. But the paralysis has to end. While there still exist big questions surrounding climate change and carbon emissions, the best evidence all points in a single direction: that failing to reduce dependence on fossil fuels will have terrible consequences, and failing to start now will make the disruption later all the more painful.
© 2006 The Washington Post Company
Scientists identify another potentially devastating consequence of failing to control greenhouse gases.
Thursday, July 6, 2006; A20
YOU'D THINK that the threat to the Earth's climate posed by greenhouse gas emissions would be enough to get policymakers to take seriously the need to reduce human use of fossil fuels. Rising sea levels, reduced polar ice and dramatic regional climate shifts represent serious dangers to the way of life of large swaths of the world's population. Now a new report by a group of federal scientists and university researchers highlights a different threat posed by carbon emissions, one with its own set of potentially devastating ecological consequences: the increasing acidity of the oceans.
Ocean water absorbs a huge amount of the carbon emitted by human energy use -- so much that it has long been seen as a kind of buffer mitigating global climate change, which is triggered by the presence of that carbon in the atmosphere. But it turns out that oceanic absorption of carbon is not an unqualified good. All that carbon seems to be making the waters more acidic, a trend researchers believe will continue as concentrations increase. This chemical change, in turn, inhibits the ability of animals that produce external shells-- particularly corals and certain planktons -- to grow them efficiently. As these animals are some of the basic life forms of ocean ecosystems, substantially reducing their productivity could have enormous impact on life in the seas, from devastating already-stressed coral reefs to interrupting the food chain for large fish and whales.
There's a tendency in discussing carbon emissions for policymakers to be paralyzed by the enormity of the problem. The hypothesized consequences to climate and the oceans are vast -- literally earth-changing -- and the cause is so inherent to the way industrialized societies live that the problem seems unsolvable. When combined with the inevitable scientific uncertainty associated with modeling the future of terribly complex systems, this leads some people to active denial and many others to resist responsible steps to begin getting carbon under control. Admittedly, these steps, even if taken aggressively, will not be sufficient to decrease atmospheric carbon but can only, for now, slow its rate of increase. But the paralysis has to end. While there still exist big questions surrounding climate change and carbon emissions, the best evidence all points in a single direction: that failing to reduce dependence on fossil fuels will have terrible consequences, and failing to start now will make the disruption later all the more painful.
© 2006 The Washington Post Company