Cercle vicieux

- "boucle de rétroaction positive", pour les intimes - est sous-estimé. En témoignent les travaux d'une équipe de chercheurs américains et russes, publiés jeudi 7 septembre dans la revue Nature, qui réévaluent fortement à la hausse la contribution des lacs de dégel sibériens à l'effet de serre. Selon Katey Walter, chercheuse à l'Institut de biologie arctique de l'université d'Alaska, ces lacs pourraient émettre "cinq fois plus de méthane que précédemment estimé".
Les auteurs s'appuient sur une nouvelle méthode de mesure du dégazage par ébullition - c'est-à-dire par remontée de grosses bulles de méthane à la surface. Ce phénomène, circonscrit à des zones très précises des étendues d'eau, était jusqu'alors négligé ; il s'avère en réalité crucial.
Les lacs étudiés - appelés lacs de dégel - se forment en raison du réchauffement des couches supérieures du pergélisol. "Leur fonte entraîne des affaissements de terrains - ou thermokarsts - dans lesquels l'eau peut stagner, puisqu'elle repose sur des couches sédimentaires inférieures qui demeurent gelées, explique Gerhard Krinner, chercheur au Laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement (CNRS et université Joseph-Fourier). Jusqu'à présent, les mesures d'émissions étaient faites en étudiant aléatoirement des zones à la surface de ces lacs, sans tenir compte de ces endroits localisés où les flux de méthane apparaissent très importants."
"Les précédentes estimations tenaient principalement compte des couches sédimentaires supérieures, ajoute M. Krinner. Ces nouveaux chiffres incluent ce qui est émis par les couches plus profondes, qui stockent du carbone depuis plus de 30 000 ans."
Les chercheurs ont passé au crible deux importants lacs de dégel sibériens. Ils ont ensuite extrapolé ces résultats pour situer les émissions de méthane des lacs sibériens à 3,8 millions de tonnes par an. Ce qui représente une augmentation de 10 % à 63 % des émissions de toutes les zones humides boréales, selon qu'on tient compte de l'approximation haute (40 millions de tonnes) ou basse (6 millions de tonnes). A titre de comparaison, le surplus calculé par Katey Walter et ses coauteurs est largement supérieur aux émissions françaises de méthane, qui étaient évaluées, en 2004, à près de 2,8 millions de tonnes.
La concentration atmosphérique moyenne de méthane est passée de 700 parties par milliard (ppb) au milieu du XVIIIe siècle à 1 745 ppb en 1998. Cependant, à la différence du dioxyde de carbone, le méthane a une durée de vie dans l'atmosphère relativement courte - de l'ordre de la décennie. Il est de plus, comme le rappelle Didier Paillard, paléoclimatologue et chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, "sujet à des variations importantes de concentration en fonction de la latitude et de la saison".
Outre la réévaluation des émissions naturelles de méthane issues des zones humides boréales, les chercheurs ont estimé la vitesse à laquelle se forment ces lacs de dégel sous l'effet du réchauffement. En comparant des images satellites de la zone étudiée, ils sont parvenus à la conclusion que la superficie des lacs de dégel sibériens a suffisamment augmenté pour que leurs émissions de méthane aient augmenté de 58 % entre 1974 et 2000.
Cette situation est cependant moins alarmante qu'il n'y paraît. "Le dégel des couches supérieures du permafrost n'entraîne la formation de lacs de dégel que si les couches inférieures demeurent gelées, explique M. Krinner. Lorsque ces dernières auront également subi l'impact du réchauffement, elles pourraient laisser l'eau filtrer et, du coup, les lacs pourraient disparaître."
Le processus de formation de ces lacs pourrait ainsi n'être qu'un phénomène transitoire, comme l'ont déjà avancé des chercheurs américains dont les observations, publiées en 2005 dans la revue Science, suggéraient une disparition des lacs de dégel en Alaska.
Stéphane Foucart