
Las Vegas, Nevada
Perry Kaye roulait vers l'ouest sur Sahara boulevard en parlant de sa passion pour la nourriture asiatique quand quelque chose a capté son attention.
"Tiens, tiens, tiens, tiens, dit-il. En voilà un."
M. Kaye fait demi-tour, empoigne sa caméra vidéo et entre dans le stationnement d'un petit centre commercial. Sans couper le contact il bondit de son camion, part à la course et s'arrête net pour filmer une plate-bande gazonnée.
«Cette infraction est enregistrée par l'inspecteur Perry Kaye à 12:08, le 7 septembre 2007, sur le terrain du 6625 Sahara boulevard, Las Vegas, Nevada...», dicte-t-il à la caméra vidéo collée sur son oeil droit.
M. Kaye s'est arrêté pour filmer un gicleur. Un gicleur qui fait «fhhhhsssssss» en crachant une fine bruine au-dessus du gazon.
L'inspecteur filme le gazon, la bruine, le trottoir mouillé, le commerce. Satisfait, il remballe sa caméra et retourne dans son camion pour rédiger un rapport d'infraction dans son ordinateur portable. «Je connais la propriétaire du commerce, dit-il sur le ton du policier qui vient d'arrêter un ado du quartier. C'est une récidiviste. Elle a déjà eu des avertissements. Mais là ça va être une amende. À vue de nez, ça va lui coûter 1200$. Peut-être plus.»
Tolérance zéro
Peu de gens le savent, mais la ville de Las Vegas, tout comme le Sud-Ouest américain, vit une période de sécheresse. Depuis huit ans, le niveau du lac Mead, qui alimente la ville, baisse de 3 mètres par année en moyenne. Pour réduire la demande en eau, les autorités ont lancé un plan de conservation. Aujourd'hui, la ville du vice est l'une des plus sévère au pays en ce qui a trait à la consommation d'eau potable.
Ainsi, les habitants de Vegas et des environs n'ont pas le droit d'arroser leur pelouse entre 11h et 9h durant l'été. Ils sont responsables de la bonne marche de leur système d'arrosage. Si un gicleur fuit et que l'eau coule dans la rue, l'inspecteur sévit.
L'an dernier, 23 519 constats d'infraction ont été émis, et plus de 410 000$ ont été récoltés en contravention.
«Au début des années 2000, on se promenait dans la rue et on voyait des rigoles d'eau partout, explique Bronson Mack, porte-parole du Las Vegas Valley Water District. Les gens arrosaient leur pelouse toute la journée, lavaient leur voiture, laissaient couler l'eau pour rien. Toute la ville se comportait comme si les réserves d'eau étaient infinies. Aujourd'hui, on ne voit plus ça.»
En plus de restreindre la consommation, la Ville récompense les résidants qui choisissent de se débarrasser de l'item consommant le plus grand volume d'eau sur une propriété: la pelouse. Le Las Vegas Valley Water District donne deux dollars par pied carré aux propriétaires qui remplacent leur pelouse par un parterre de plantes ou d'arbustes résistants aux sécheresses. Depuis 1999, 90 millions de pieds carrés de gazon ont été enlevés. En se promenant dans les quartiers résidentiels de Vegas, on voit beaucoup plus de parterres avec des cactus et des petits arbustes que de grosses pelouses vertes.
Ces efforts portent fruit: Las Vegas a consommé 68 milliards de litres d'eau en moins en 2006 qu'en 2002. «Nous avons fait de grands progrès avec notre programme de consommation, explique M. Mack. Mais un jour nous atteindrons une limite. Nous allons arriver à un point où les gains ne seront plus possibles.»
La java des promoteurs
Malgré ces précautions, Las Vegas continue d'utiliser plus d'eau qu'elle n'en a à sa disposition. Ce déficit s'explique par une croissance démographique et économique exponentielle: la population de la capitale du jeu et de ses banlieues a littéralement explosé ces dernières années, et atteint maintenant 1,9 million de personnes, une hausse de 50% depuis 1999. Plus de 3000 nouveaux résidants ont emménagé à Las Vegas chaque mois l'an dernier, selon le Las Vegas Valley Water District.
Les projets commerciaux sont autorisés à toute vapeur. Sur la «Strip», la rue centrale de Vegas, une dizaine de projets résidentiels dépassant le milliard de dollars sont en chantier, dont plusieurs méga-hôtels de plus de 3000 chambres. Tout cela affecte les réserves d'eau. Des pourparlers sont d'ailleurs en cours afin d'effectuer des travaux de 45 millions sur le réseau de pompage de l'eau du lac Mead. Au rythme où le niveau baisse, les bouches de collecte d'eau seront à l'air libre d'ici trois ans.
Selon le président de la Nevada Environmental Coalition, Robert W. Hall, le Las Vegas Valley Water District fait un bon travail pour tenter de limiter la consommation d'eau. Le problème, dit-il, c'est le manque de vison des élus, qui ont donné le feu vert au développement sans restrictions.
«Vous avez une bande de promoteurs qui font la fête et qui s'enrichissent à vue d'oeil. Mais ils oublient qu'ils sont dans le désert, et que l'eau est une ressource limitée ici», dit-il, ajoutant que le prix l'eau (2 cents pour 38 litres) est beaucoup trop bas pour que les gens prennent conscience de l'importance qu'elle représente.
Sortez vos sous
C'est durant les années 90 que Las Vegas a commencé à se développer de façon exponentielle, sans aucune planification. «Aujourd'hui, dit M. Hall, la plupart des anciens directeurs du comté de Las Vegas, responsables de ce manque de planification, sont soit en prison, soit en bonne voie d'y aller... Je crois que ça vous donne une idée de la façon dont la croissance de Las Vegas a été pensée.»
Dans une récente entrevue, le maire de Las Vegas, Oscar Goodman, a rejeté les prédictions pessimistes. Le maire croit au contraire que le boum que vit la ville assurera un approvisionnement continu en eau. «Je n'aime pas être aussi pragmatique, mais la réalité est que nous ne manquerons jamais d'eau tant que nous seront capables de payer pour», a-t-il dit.
Depuis quelques années, le Las Vegas Valley Water District tente de signer des accords avec des secteurs du Nevada du nord afin de s'approvisionner dans les nappes souterraines. Or, même si ces projets étaient menés à bien, les autorités prévoient qu'il y aura un déficit d'eau de l'ordre de 240 millions de litres par jour en 2010. C'est-à-dire dans... trois ans!
«Les prochaines années seront cruciales pour le futur de Las Vegas, explique M. Hall, qui se décrit comme "le dernier environnementaliste de Las Vegas". Il y a trop de monde ici. Trop de monde. J'ai le sentiment que ça va finir par nous retomber sur le nez un jour.»
Perry Kaye roulait vers l'ouest sur Sahara boulevard en parlant de sa passion pour la nourriture asiatique quand quelque chose a capté son attention.
"Tiens, tiens, tiens, tiens, dit-il. En voilà un."
M. Kaye fait demi-tour, empoigne sa caméra vidéo et entre dans le stationnement d'un petit centre commercial. Sans couper le contact il bondit de son camion, part à la course et s'arrête net pour filmer une plate-bande gazonnée.
«Cette infraction est enregistrée par l'inspecteur Perry Kaye à 12:08, le 7 septembre 2007, sur le terrain du 6625 Sahara boulevard, Las Vegas, Nevada...», dicte-t-il à la caméra vidéo collée sur son oeil droit.
M. Kaye s'est arrêté pour filmer un gicleur. Un gicleur qui fait «fhhhhsssssss» en crachant une fine bruine au-dessus du gazon.
L'inspecteur filme le gazon, la bruine, le trottoir mouillé, le commerce. Satisfait, il remballe sa caméra et retourne dans son camion pour rédiger un rapport d'infraction dans son ordinateur portable. «Je connais la propriétaire du commerce, dit-il sur le ton du policier qui vient d'arrêter un ado du quartier. C'est une récidiviste. Elle a déjà eu des avertissements. Mais là ça va être une amende. À vue de nez, ça va lui coûter 1200$. Peut-être plus.»
Tolérance zéro
Peu de gens le savent, mais la ville de Las Vegas, tout comme le Sud-Ouest américain, vit une période de sécheresse. Depuis huit ans, le niveau du lac Mead, qui alimente la ville, baisse de 3 mètres par année en moyenne. Pour réduire la demande en eau, les autorités ont lancé un plan de conservation. Aujourd'hui, la ville du vice est l'une des plus sévère au pays en ce qui a trait à la consommation d'eau potable.
Ainsi, les habitants de Vegas et des environs n'ont pas le droit d'arroser leur pelouse entre 11h et 9h durant l'été. Ils sont responsables de la bonne marche de leur système d'arrosage. Si un gicleur fuit et que l'eau coule dans la rue, l'inspecteur sévit.
L'an dernier, 23 519 constats d'infraction ont été émis, et plus de 410 000$ ont été récoltés en contravention.
«Au début des années 2000, on se promenait dans la rue et on voyait des rigoles d'eau partout, explique Bronson Mack, porte-parole du Las Vegas Valley Water District. Les gens arrosaient leur pelouse toute la journée, lavaient leur voiture, laissaient couler l'eau pour rien. Toute la ville se comportait comme si les réserves d'eau étaient infinies. Aujourd'hui, on ne voit plus ça.»
En plus de restreindre la consommation, la Ville récompense les résidants qui choisissent de se débarrasser de l'item consommant le plus grand volume d'eau sur une propriété: la pelouse. Le Las Vegas Valley Water District donne deux dollars par pied carré aux propriétaires qui remplacent leur pelouse par un parterre de plantes ou d'arbustes résistants aux sécheresses. Depuis 1999, 90 millions de pieds carrés de gazon ont été enlevés. En se promenant dans les quartiers résidentiels de Vegas, on voit beaucoup plus de parterres avec des cactus et des petits arbustes que de grosses pelouses vertes.
Ces efforts portent fruit: Las Vegas a consommé 68 milliards de litres d'eau en moins en 2006 qu'en 2002. «Nous avons fait de grands progrès avec notre programme de consommation, explique M. Mack. Mais un jour nous atteindrons une limite. Nous allons arriver à un point où les gains ne seront plus possibles.»
La java des promoteurs
Malgré ces précautions, Las Vegas continue d'utiliser plus d'eau qu'elle n'en a à sa disposition. Ce déficit s'explique par une croissance démographique et économique exponentielle: la population de la capitale du jeu et de ses banlieues a littéralement explosé ces dernières années, et atteint maintenant 1,9 million de personnes, une hausse de 50% depuis 1999. Plus de 3000 nouveaux résidants ont emménagé à Las Vegas chaque mois l'an dernier, selon le Las Vegas Valley Water District.
Les projets commerciaux sont autorisés à toute vapeur. Sur la «Strip», la rue centrale de Vegas, une dizaine de projets résidentiels dépassant le milliard de dollars sont en chantier, dont plusieurs méga-hôtels de plus de 3000 chambres. Tout cela affecte les réserves d'eau. Des pourparlers sont d'ailleurs en cours afin d'effectuer des travaux de 45 millions sur le réseau de pompage de l'eau du lac Mead. Au rythme où le niveau baisse, les bouches de collecte d'eau seront à l'air libre d'ici trois ans.
Selon le président de la Nevada Environmental Coalition, Robert W. Hall, le Las Vegas Valley Water District fait un bon travail pour tenter de limiter la consommation d'eau. Le problème, dit-il, c'est le manque de vison des élus, qui ont donné le feu vert au développement sans restrictions.
«Vous avez une bande de promoteurs qui font la fête et qui s'enrichissent à vue d'oeil. Mais ils oublient qu'ils sont dans le désert, et que l'eau est une ressource limitée ici», dit-il, ajoutant que le prix l'eau (2 cents pour 38 litres) est beaucoup trop bas pour que les gens prennent conscience de l'importance qu'elle représente.
Sortez vos sous
C'est durant les années 90 que Las Vegas a commencé à se développer de façon exponentielle, sans aucune planification. «Aujourd'hui, dit M. Hall, la plupart des anciens directeurs du comté de Las Vegas, responsables de ce manque de planification, sont soit en prison, soit en bonne voie d'y aller... Je crois que ça vous donne une idée de la façon dont la croissance de Las Vegas a été pensée.»
Dans une récente entrevue, le maire de Las Vegas, Oscar Goodman, a rejeté les prédictions pessimistes. Le maire croit au contraire que le boum que vit la ville assurera un approvisionnement continu en eau. «Je n'aime pas être aussi pragmatique, mais la réalité est que nous ne manquerons jamais d'eau tant que nous seront capables de payer pour», a-t-il dit.
Depuis quelques années, le Las Vegas Valley Water District tente de signer des accords avec des secteurs du Nevada du nord afin de s'approvisionner dans les nappes souterraines. Or, même si ces projets étaient menés à bien, les autorités prévoient qu'il y aura un déficit d'eau de l'ordre de 240 millions de litres par jour en 2010. C'est-à-dire dans... trois ans!
«Les prochaines années seront cruciales pour le futur de Las Vegas, explique M. Hall, qui se décrit comme "le dernier environnementaliste de Las Vegas". Il y a trop de monde ici. Trop de monde. J'ai le sentiment que ça va finir par nous retomber sur le nez un jour.»
Les monstres assoiffés de Las Vegas
Las Vegas, Nevada
Ils sont hauts comme des montagnes et aussi populeux que de petites villes. Les hôtels de la «Strip» de Vegas sont dans une classe à part: parmi les 20 plus gros hôtels au monde, quatorze sont situés au centre-ville de Las Vegas.
Quiconque s'est déjà promené à l'intérieur de ces géants, dont le comptoir de l'accueil fait souvent de plus de 100 mètres, n'a pu faire autrement que se poser la question: combien d'eau ces méga-hôtels tirent-ils du désert?
La réponse: beaucoup et peu à la fois.
«Les hôtels du centre de Vegas consomment 8% de toute l'eau utilisée à Las Vegas», explique Bronson Mack, porte-parole du Las Vegas Valley Water District. «Or, comme c'est le cas pour tous les commerces et résidences de Vegas, l'eau usée des méga-hôtels est traitée et rejetée dans le lac Mead, au Nord d'ici. Elle est ensuite traitée à nouveau, et réutilisée dans le réseau d'aqueduc.»
L'eau utilisée par les hôtels du centre de Vegas qui n'est pas récupérée (jardinage, évaporation, etc.) correspond à 3% du volume d'eau total utilisé par la région de Vegas.
Ce système de récupération et du traitement des eaux usées de Las Vegas a un prix. Ces dernières années, les scientifiques de l'Environmental Protection Agency (EPA) ont réalisé que l'eau du lac Mead est polluée aux antibiotiques, aux résidus de médicaments, d'anti-dépresseurs et d'oestrogènes, dont les concentrations ne sont que de sept à 10 fois inférieures aux doses thérapeutiques.
Robert W. Hall, de la Nevada Environmental Coalition, estime que les pauvres de la ville font les frais de cette pollution. «Si vous pouvez vous payer de l'eau en bouteille, vous êtes protégé. Sinon, c'est à vos risques...»
Ils sont hauts comme des montagnes et aussi populeux que de petites villes. Les hôtels de la «Strip» de Vegas sont dans une classe à part: parmi les 20 plus gros hôtels au monde, quatorze sont situés au centre-ville de Las Vegas.
Quiconque s'est déjà promené à l'intérieur de ces géants, dont le comptoir de l'accueil fait souvent de plus de 100 mètres, n'a pu faire autrement que se poser la question: combien d'eau ces méga-hôtels tirent-ils du désert?
La réponse: beaucoup et peu à la fois.
«Les hôtels du centre de Vegas consomment 8% de toute l'eau utilisée à Las Vegas», explique Bronson Mack, porte-parole du Las Vegas Valley Water District. «Or, comme c'est le cas pour tous les commerces et résidences de Vegas, l'eau usée des méga-hôtels est traitée et rejetée dans le lac Mead, au Nord d'ici. Elle est ensuite traitée à nouveau, et réutilisée dans le réseau d'aqueduc.»
L'eau utilisée par les hôtels du centre de Vegas qui n'est pas récupérée (jardinage, évaporation, etc.) correspond à 3% du volume d'eau total utilisé par la région de Vegas.
Ce système de récupération et du traitement des eaux usées de Las Vegas a un prix. Ces dernières années, les scientifiques de l'Environmental Protection Agency (EPA) ont réalisé que l'eau du lac Mead est polluée aux antibiotiques, aux résidus de médicaments, d'anti-dépresseurs et d'oestrogènes, dont les concentrations ne sont que de sept à 10 fois inférieures aux doses thérapeutiques.
Robert W. Hall, de la Nevada Environmental Coalition, estime que les pauvres de la ville font les frais de cette pollution. «Si vous pouvez vous payer de l'eau en bouteille, vous êtes protégé. Sinon, c'est à vos risques...»
La «sécheresse parfaite» menace le Sud-Ouest américain

Arizona
L'année 2007 entrera dans les livres d'histoire comme ayant été la plus sèche jamais observée dans le Sud-Ouest des États-Unis depuis au moins 500 ans. La rivière Colorado, unique source d'eau pour plus de 21 millions de personnes et deux millions d'acres de terres cultivées, a vu son débit diminuer de moitié depuis l'an 2000. Les météorologues craignent que tout ne soit en place pour la «sécheresse parfaite», une période d'assèchement qui pourrait durer 100 ans. Pourtant, sur le terrain, peu de citoyens se soucient de conserver l'eau, qui a toujours été abondante et bon marché.
YUMA, Arizona- Il fait plus de 50 degrés en Arizona et la rue principale de Yuma est brûlante comme une plaque de cuisson. Personne n'est assez fou pour se promener ici, pas quand la chaleur coupe le souffle, quand les poignées de portes sont difficiles à toucher, quand la première gorgée d'eau de l'abreuvoir public placé en plein soleil brûle les lèvres comme du thé.
Selon le livre des records Guinness, Yuma est la ville la plus ensoleillée au monde. Elle est aussi l'une des plus sèches: moins de 5 centimètres de pluie y tombent durant l'année.
Pendant la canicule, le seul endroit où il fait bon être au centre-ville de Yuma est le Red's Bird Cage, un vieux bar saloon sombre où la bière n'est pas chère et la compagnie agréable.
En ce jeudi après-midi, quelques habitués sont accoudés au bar. Il y a John, un enseignant à la retraite. Bill, un réparateur de tracteurs. Cindy, professeure retraitée également, qui hésite à sortir fumer une cigarette. «C'est à cause de la chaleur, dit-elle. Je pense que je vais m'évanouir si je vais dehors.»
Un visiteur s'assoit au bar. Au bout de quelques minutes, les habitués le questionnent sur son lieu d'origine, sur son accent, sur la situation géopolitique de la ville d'où il vient. Puis sur la raison de sa visite: la rivière Colorado, qui passe à quelques centaines de mètres de là, au bout de la rue principale.
«La rivière Colorado!, s'exclame John. Qu'est-ce qu'elle a, la rivière Colorado?
«Eh bien, elle ne se porte pas tellement bien...»
«Ah, la sécheresse? Es-tu allé la voir, la rivière? Elle est pratiquement aussi forte qu'avant. Pour les agriculteurs, c'est tout ce qui compte», dit-il, sans quitter des yeux le match de baseball diffusé sur l'écran fixé au mur.
À la télé, une balle courbe finit sa course dans le gant du receveur et envoie tout le monde aux vestiaires. John prend une gorgée de Bud, se lève, lance un salut à la ronde et donne une tape dans le dos du visiteur.
«Mon gars, j'ai vécu ici toute ma vie. J'ai enseigné aux fermiers, et j'ai enseigné à leurs enfants. Je vais te dire une chose: les gens ici vont croire à la sécheresse le jour où ils ouvriront le robinet et qu'il n'y aura plus d'eau. D'ici là, la sécheresse n'intéresse personne. La sécheresse n'existe pas.»
Sur la corde raide
La rivière Colorado n'est pas la rivière la plus impressionnante qui soit. À la hauteur de Yuma, près de la frontière avec le Mexique, elle avance paresseusement dans une tranchée d'à peine 20 mètres de large.
Or, la rivière est la seule raison pour laquelle des villes comme Los Angeles, Las Vegas, Phoenix et Yuma ont pu voir le jour et prospérer malgré le fait qu'elles sont situées en plein désert. Le quotidien de 21 millions d'Américains et la culture des terres qui comptent parmi les plus fertiles au pays sont directement liés à la rivière.
À première vue, la rivière Colorado se porte aussi bien qu'avant. C'est que son débit est régularisé par une série de barrages et de réservoirs construits au cours du siècle dernier pour faire cesser les débordements printaniers.
Dans les faits, le volume d'eau qui l'alimente a diminué de moitié depuis huit ans. Les scientifiques croient qu'il s'agit d'une conséquence du réchauffement climatique, qui modifie en permanence les systèmes des précipitations de neige dans les montages du Colorado et de l'Utah, où la rivière prend naissance.
Pendant que l'agriculture continue comme avant, pendant que les villes du désert prennent de l'expansion comme jamais et se dotent de banlieues, d'aéroports, de parcs industriels, de centres commerciaux neufs, les scientifiques regardent les données sur l'eau et n'aiment pas ce qu'ils voient.
«La situation actuelle est pire que le Dust bowl des années 30, explique Robert Webb, hydrologue pour le U.S. Geological survey. C'est la sécheresse la plus importante que nous ayons connue depuis 500 ans.»
«Il n'y a aucun contrôle»
En plus d'être des plus ensoleillée, la région de Yuma est l'une des plus fertile au pays. Roulez dans les rangs entourant la ville, et vous croiserez plus de champs verts et luxuriants que nulle part à des centaines de kilomètres à la ronde. On y cultive du brocoli, du chou-fleur, toutes sortes de fèves, des dates. Durant les mois d'hiver, 85% de la laitue vendue en Amérique du Nord est cultivée ici, proclame fièrement la vidéo promotionnelle du Yuma County Bord of Supervisors.
Bill Embree, un spécialiste de l'irrigation, affirme que tout le monde est habitué à ce qu'il y ait de l'eau en quantité suffisante. «Ici, il ne pleut pratiquement jamais, alors notre eau vient des chutes de neige en Utah, au Nord de l'Arizona et au Colorado. C'est ce qui alimente la rivière, et c'est ce qui intéresse les agriculteurs ici.»
Malgré la sécheresse, dit-il, la rivière amène encore suffisamment d'eau pour tout le monde. «Mais si l'eau vient à manquer, les autorités ne vont pas permettre que les grandes villes soient touchées. Alors les régions agricoles vont passer en dernier. Présentement, les gens ne se plaignent pas. Mais attendez que l'eau manque, et vous allez voir la colère ressortir...»
Jim Waits, restaurateur basé à de Yuma et pêcheur professionnel sur la rivière Colorado depuis 40 ans, croit que la région va frapper un mur d'ici quelques années. Il voit ses concitoyens dilapider l'eau comme si la ressource était inépuisable. «Les gens arrosent leur pelouse, lavent leur camion et leur bateau. Tout ça, dans un désert! Il n'y a aucun contrôle.»
Selon lui, les citoyens ne réalisent pas qu'il y a un problème. «C'est comme si vous avez 10 personnes chez vous, et que les 10 ont devant elles une assiette pleine. Vous pouvez penser que tout va bien. Mais quand vous ouvrez le réfrigérateur, vous vous rendez compte qu'il est vide. C'est ça qui nous attend ici.»
Catastrophe en devenir
Pour prendre conscience de l'assèchement de la rivière Colorado, il faut rouler 500 kilomètres vers le Nord et visiter le barrage Hoover. Situé tout près de Las Vegas, il a été construit au début des années 30 pour régulariser le débit de la rivière Colorado et créer un réservoir pour alimenter Las Vegas. Appelé lac Mead, ce réservoir est le plus grand réservoir artificiel aux États-Unis.
Le barrage Hoover est une merveille de l'ingénierie américaine. Il contient assez de ciment pour construire un trottoir de 1,5 mètre de large faisant le tour du monde à l'équateur. Or le barrage est en voie de devenir rapidement désuet. Le niveau de l'eau du lac Mead baisse de 3 mètres par an. En marchant sur le barrage, on aperçoit la marque du niveau de l'eau sur les roches. La scène est saisissante: des tours de pompage submergées au moment de l'inauguration du barrage sont aujourd'hui dressés hors de l'eau, leurs parois de béton recouvertes de calcaire exposé à l'air libre. Le niveau est si bas que Las Vegas cherche aujourd'hui à acheter de l'eau provenant du nord du Nevada, à des centaines de kilomètres de là.
La diminution des réserves d'eau, jumelée à l'augmentation des températures moyennes, pourrait produire des résultats catastrophiques pour le Sud-Ouest américain au cours des dernières décennies. C'est ce que Glen McDonald, professeur au département de géographie de UCLA, a baptisé «la sécheresse parfaite».
«La sécheresse parfaite, c'est comme la tempête parfaite. C'est une convergence de changements naturels ou créés par l'homme, et qui nous mènent à un résultat imprévu et catastrophique, dit-il. On ne peut pas être sûrs à 100% que ça s'en vient. Mais une chose est certaine: nous sommes en train de mettre en place toutes les pièces nécessaires pour une sécheresse parfaite.»
________________________
LE FLEUVE COLORADO
Longueur: 2300 kilomètres environ
Nombre de barrages: 7, ce qui en fait la rivière comptant le plus grand nombre de barrages aux États-Unis.
États traversés: la rivière fournit de l'eau à l'Arizona, la Californie, le Colorado, le Nevada, le Nouveau-Mexique, l'Utah, le Wyoming et le Mexique.
Pour en apprendre plus sur le lac Mead, le plus grand réservoir artificiel aux États-Unis: http://earthobservatory.nasa.gov/Study/LakeMead
L'année 2007 entrera dans les livres d'histoire comme ayant été la plus sèche jamais observée dans le Sud-Ouest des États-Unis depuis au moins 500 ans. La rivière Colorado, unique source d'eau pour plus de 21 millions de personnes et deux millions d'acres de terres cultivées, a vu son débit diminuer de moitié depuis l'an 2000. Les météorologues craignent que tout ne soit en place pour la «sécheresse parfaite», une période d'assèchement qui pourrait durer 100 ans. Pourtant, sur le terrain, peu de citoyens se soucient de conserver l'eau, qui a toujours été abondante et bon marché.
YUMA, Arizona- Il fait plus de 50 degrés en Arizona et la rue principale de Yuma est brûlante comme une plaque de cuisson. Personne n'est assez fou pour se promener ici, pas quand la chaleur coupe le souffle, quand les poignées de portes sont difficiles à toucher, quand la première gorgée d'eau de l'abreuvoir public placé en plein soleil brûle les lèvres comme du thé.
Selon le livre des records Guinness, Yuma est la ville la plus ensoleillée au monde. Elle est aussi l'une des plus sèches: moins de 5 centimètres de pluie y tombent durant l'année.
Pendant la canicule, le seul endroit où il fait bon être au centre-ville de Yuma est le Red's Bird Cage, un vieux bar saloon sombre où la bière n'est pas chère et la compagnie agréable.
En ce jeudi après-midi, quelques habitués sont accoudés au bar. Il y a John, un enseignant à la retraite. Bill, un réparateur de tracteurs. Cindy, professeure retraitée également, qui hésite à sortir fumer une cigarette. «C'est à cause de la chaleur, dit-elle. Je pense que je vais m'évanouir si je vais dehors.»
Un visiteur s'assoit au bar. Au bout de quelques minutes, les habitués le questionnent sur son lieu d'origine, sur son accent, sur la situation géopolitique de la ville d'où il vient. Puis sur la raison de sa visite: la rivière Colorado, qui passe à quelques centaines de mètres de là, au bout de la rue principale.
«La rivière Colorado!, s'exclame John. Qu'est-ce qu'elle a, la rivière Colorado?
«Eh bien, elle ne se porte pas tellement bien...»
«Ah, la sécheresse? Es-tu allé la voir, la rivière? Elle est pratiquement aussi forte qu'avant. Pour les agriculteurs, c'est tout ce qui compte», dit-il, sans quitter des yeux le match de baseball diffusé sur l'écran fixé au mur.
À la télé, une balle courbe finit sa course dans le gant du receveur et envoie tout le monde aux vestiaires. John prend une gorgée de Bud, se lève, lance un salut à la ronde et donne une tape dans le dos du visiteur.
«Mon gars, j'ai vécu ici toute ma vie. J'ai enseigné aux fermiers, et j'ai enseigné à leurs enfants. Je vais te dire une chose: les gens ici vont croire à la sécheresse le jour où ils ouvriront le robinet et qu'il n'y aura plus d'eau. D'ici là, la sécheresse n'intéresse personne. La sécheresse n'existe pas.»
Sur la corde raide
La rivière Colorado n'est pas la rivière la plus impressionnante qui soit. À la hauteur de Yuma, près de la frontière avec le Mexique, elle avance paresseusement dans une tranchée d'à peine 20 mètres de large.
Or, la rivière est la seule raison pour laquelle des villes comme Los Angeles, Las Vegas, Phoenix et Yuma ont pu voir le jour et prospérer malgré le fait qu'elles sont situées en plein désert. Le quotidien de 21 millions d'Américains et la culture des terres qui comptent parmi les plus fertiles au pays sont directement liés à la rivière.
À première vue, la rivière Colorado se porte aussi bien qu'avant. C'est que son débit est régularisé par une série de barrages et de réservoirs construits au cours du siècle dernier pour faire cesser les débordements printaniers.
Dans les faits, le volume d'eau qui l'alimente a diminué de moitié depuis huit ans. Les scientifiques croient qu'il s'agit d'une conséquence du réchauffement climatique, qui modifie en permanence les systèmes des précipitations de neige dans les montages du Colorado et de l'Utah, où la rivière prend naissance.
Pendant que l'agriculture continue comme avant, pendant que les villes du désert prennent de l'expansion comme jamais et se dotent de banlieues, d'aéroports, de parcs industriels, de centres commerciaux neufs, les scientifiques regardent les données sur l'eau et n'aiment pas ce qu'ils voient.
«La situation actuelle est pire que le Dust bowl des années 30, explique Robert Webb, hydrologue pour le U.S. Geological survey. C'est la sécheresse la plus importante que nous ayons connue depuis 500 ans.»
«Il n'y a aucun contrôle»
En plus d'être des plus ensoleillée, la région de Yuma est l'une des plus fertile au pays. Roulez dans les rangs entourant la ville, et vous croiserez plus de champs verts et luxuriants que nulle part à des centaines de kilomètres à la ronde. On y cultive du brocoli, du chou-fleur, toutes sortes de fèves, des dates. Durant les mois d'hiver, 85% de la laitue vendue en Amérique du Nord est cultivée ici, proclame fièrement la vidéo promotionnelle du Yuma County Bord of Supervisors.
Bill Embree, un spécialiste de l'irrigation, affirme que tout le monde est habitué à ce qu'il y ait de l'eau en quantité suffisante. «Ici, il ne pleut pratiquement jamais, alors notre eau vient des chutes de neige en Utah, au Nord de l'Arizona et au Colorado. C'est ce qui alimente la rivière, et c'est ce qui intéresse les agriculteurs ici.»
Malgré la sécheresse, dit-il, la rivière amène encore suffisamment d'eau pour tout le monde. «Mais si l'eau vient à manquer, les autorités ne vont pas permettre que les grandes villes soient touchées. Alors les régions agricoles vont passer en dernier. Présentement, les gens ne se plaignent pas. Mais attendez que l'eau manque, et vous allez voir la colère ressortir...»
Jim Waits, restaurateur basé à de Yuma et pêcheur professionnel sur la rivière Colorado depuis 40 ans, croit que la région va frapper un mur d'ici quelques années. Il voit ses concitoyens dilapider l'eau comme si la ressource était inépuisable. «Les gens arrosent leur pelouse, lavent leur camion et leur bateau. Tout ça, dans un désert! Il n'y a aucun contrôle.»
Selon lui, les citoyens ne réalisent pas qu'il y a un problème. «C'est comme si vous avez 10 personnes chez vous, et que les 10 ont devant elles une assiette pleine. Vous pouvez penser que tout va bien. Mais quand vous ouvrez le réfrigérateur, vous vous rendez compte qu'il est vide. C'est ça qui nous attend ici.»
Catastrophe en devenir
Pour prendre conscience de l'assèchement de la rivière Colorado, il faut rouler 500 kilomètres vers le Nord et visiter le barrage Hoover. Situé tout près de Las Vegas, il a été construit au début des années 30 pour régulariser le débit de la rivière Colorado et créer un réservoir pour alimenter Las Vegas. Appelé lac Mead, ce réservoir est le plus grand réservoir artificiel aux États-Unis.
Le barrage Hoover est une merveille de l'ingénierie américaine. Il contient assez de ciment pour construire un trottoir de 1,5 mètre de large faisant le tour du monde à l'équateur. Or le barrage est en voie de devenir rapidement désuet. Le niveau de l'eau du lac Mead baisse de 3 mètres par an. En marchant sur le barrage, on aperçoit la marque du niveau de l'eau sur les roches. La scène est saisissante: des tours de pompage submergées au moment de l'inauguration du barrage sont aujourd'hui dressés hors de l'eau, leurs parois de béton recouvertes de calcaire exposé à l'air libre. Le niveau est si bas que Las Vegas cherche aujourd'hui à acheter de l'eau provenant du nord du Nevada, à des centaines de kilomètres de là.
La diminution des réserves d'eau, jumelée à l'augmentation des températures moyennes, pourrait produire des résultats catastrophiques pour le Sud-Ouest américain au cours des dernières décennies. C'est ce que Glen McDonald, professeur au département de géographie de UCLA, a baptisé «la sécheresse parfaite».
«La sécheresse parfaite, c'est comme la tempête parfaite. C'est une convergence de changements naturels ou créés par l'homme, et qui nous mènent à un résultat imprévu et catastrophique, dit-il. On ne peut pas être sûrs à 100% que ça s'en vient. Mais une chose est certaine: nous sommes en train de mettre en place toutes les pièces nécessaires pour une sécheresse parfaite.»
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LE FLEUVE COLORADO
Longueur: 2300 kilomètres environ
Nombre de barrages: 7, ce qui en fait la rivière comptant le plus grand nombre de barrages aux États-Unis.
États traversés: la rivière fournit de l'eau à l'Arizona, la Californie, le Colorado, le Nevada, le Nouveau-Mexique, l'Utah, le Wyoming et le Mexique.
Pour en apprendre plus sur le lac Mead, le plus grand réservoir artificiel aux États-Unis: http://earthobservatory.nasa.gov/Study/LakeMead