Le prix de l’eau ne cesse d’augmenter et a littéralement triplé en trente ans. Avec des écarts allant du simple au double selon les régions : un ménage des Côtes-d’Armor ou de la Loire peut payer jusqu’à 4,1 e le mètre cube d’eau, alors qu’un autre habitant en Auvergne ou en Rhône-Alpes déboursera moins de 2,50 euros. Pourquoi une telle disparité ? « La longueur du réseau, la densité de population à desservir, le caractère touristique de la région ou encore l’état de la ressource en eau influent sur la note finale », note Annie Coutellier, chargée d’études à l’Institut français de l’environnement (Ifen). Ainsi, les eaux superficielles, plus faciles d’accès mais plus polluées que les eaux souterraines, exigent des traitements plus complexes, et donc plus coûteux.
Des prix parfois abusifs
La hausse de prix est plus forte dans les petites communes qui, pour se conformer aux normes européennes, ont dû engager de lourdes sommes dans la construction de stations d’épuration pour le traitement des eaux usées.
Autre point crucial : la privatisation. Les collectivités ont le choix entre assumer elles-mêmes par l’intermédiaire d’une régie publique la gestion de leurs services d’eau ou la déléguer à une société privée (Veolia, la Lyonnaise des eaux...). Or, une étude commandée par le ministère de l’Ecologie, en 2004, a montré que le prix moyen de l’eau est environ 33 % plus élevé pour les communes qui en délèguent la gestion au privé. Une enquête de 2006 de l’association Ufc-Que choisir fait état de prix abusifs dans certaines villes et d’une certaine opacité dans les comptes. « Le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif) a ainsi gonflé de 59 % la facture, pour un réseau de 4 millions d’habitants », note Jean-Luc Touly, ancien salarié de Veolia et coauteur d’un ouvrage [1] sur les multinationales de l’eau. Aussi, depuis cinq ans, quelques communes choisissent de remunicipaliser la gestion de leur eau potable. Résultat : dans ces villes, les tarifs ont baissé de 10 à 25 %.
[1] L’Eau des multinationales, les vérités inavouables, de Jean-Luc Touly et Roger Lenglet, éditions Fayard, 2006, 19 euros
La course à l’or bleu
Plus d’hommes sur la planète, moins d’eau
En France, il suffit d’ouvrir le robinet pour boire de l’eau. Mais, dans les pays pauvres, 1,2 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et 2,5 milliards vivent dans des zones sans structures d’assainissement. Chaque jour, les maladies dues à une eau impropre tuent 30 000 personnes, dont 6 000 enfants. Pourtant, il y a beaucoup d’eau autour de nous, mais l’eau douce représente moins de 2 % du volume d’eau disponible sur la planète. Et à peine dix pays se partagent 60 % de cette réserve. Inégalement répartie, l’eau se fait aussi plus rare à cause de l’augmentation de la population mondiale, de l’agriculture intensive et des usines, de la pollution...
Le réchauffement climatique risque encore d’aggraver la situation car les glaciers et les calottes polaires, qui fournissent l’essentiel de l’eau douce, fondent, et les régions très sèches sont déjà deux fois plus nombreuses qu’il y a trente ans. Selon les experts, une pénurie d’eau pourrait toucher l’Afrique du Nord et méridionale, le Moyen-Orient, l’Inde et l’Amérique centrale dès 2020. Les pays qui ont les moyens d’importer de l’eau et de la traiter s’en sortiront, mais les autres ? Certains parlent déjà de crise : en effet, demain, l’eau pourrait devenir si rare qu’elle générera des conflits dans plusieurs parties du monde. La course à l’« or bleu » est lancée : dans certaines régions du globe, des multinationales ont commencé à acheter des rivières, privant les populations de leurs ressources naturelles. Trop chère en plus d’être rare, l’eau pourrait un jour ne plus être accessible à deux tiers des habitants de la planète.
La France est au quatrième rang de la consommation mondiale d’eau en bouteille par habitant. Pourtant, l’eau du robinet est très contrôlée et a souvent la même provenance que les eaux commercialisées.
Si 73 % des Français estiment que l’eau du robinet est bonne, ils sont 75 % à consommer de l’eau plate en bouteille - 7 milliards de bouteilles chaque année, à un prix 100 à 150 fois plus élevé que l’eau du robinet. Et pourtant... Qu’elle provienne de nappes souterraines ou des eaux de surface, l’eau du robinet est soumise en Europe à une réglementation très stricte. La qualité bactériologique et la présence de polluants sont sévèrement contrôlées : 80 paramètres sont vérifiés quotidiennement. L’eau est le plus surveillé des produits alimentaires.
Sur ce tableau idyllique, quelques ombres planent néanmoins : dans certaines régions, la teneur en nitrates et en pesticides est trop élevée ; par ailleurs, les produits dérivés de la réaction entre le chlore et les matières organiques de l’eau sont soupçonnés d’augmenter le risque de cancers ; la teneur autorisée en aluminium (destiné plutôt à améliorer l’aspect de l’eau) est supérieure à ce qu’impose la sécurité sanitaire, alors que l’on sait que l’aluminium est toxique pour le système nerveux ; enfin, tous les polluants ne sont pas contrôlés. Mais tous ces produits chimiques se retrouvent dans bien des denrées alimentaires sans qu’on s’en inquiète.
Souvent les mêmes sources
« Qui prétend que l’eau du robinet a bon goût ne doit pas en boire souvent », affirmait dans une campagne publicitaire la marque Cristaline, qui détient 17 % du marché de l’eau de source en bouteille. Mais, dans 60 % des cas, l’eau courante provient des nappes phréatiques dans lesquelles sont puisées les eaux de source. Saint-Nazaire est ainsi alimentée par l’eau de la nappe de Cambon, que commercialise Cristaline sous le nom de « Roxane ».
L’entreprise Chateaud’eau puise l’eau des fontaines d’entreprise dans la nappe de l’Albien, qui alimente plusieurs communes d’Ile-de-France et les trois fontaines publiques de Paris. Mais, alors que les eaux de source ne sont soumises à aucun traitement, l’eau du robinet doit être traitée pour éviter qu’elle ne soit infectée dans les canalisations. Dans la guerre qui oppose les industriels de l’eau en bouteille et les entreprises qui la distribuent dans le réseau public, la question du goût est centrale, et les industriels de l’eau courante investissent dans des procédés sophistiqués pour éliminer ce mauvais goût qui peut venir de l’eau, de la station de traitement ou des canalisations.
Un investissement rentable au regard du coût de la mise en bouteille. Un récent rapport du Worldwatch Institute, aux Etats-Unis, révèle que l’eau en bouteille pèse lourdement sur l’environnement et représente un coût économique élevé. Il souligne qu’elle est souvent moins contrôlée que celle du robinet  ; que l’exploitation des sources minérales peut engendrer un tarissement des cours d’eau et des nappes souterraines ; que pompage, mise en bouteille, emballage et transport entraînent une dépense énergétique importante, à laquelle s’ajoute la production de millions de tonnes de plastique (dérivé du pétrole) nécessaires à la fabrication des bouteilles. En France, la moitié de ces bouteilles seulement sont recyclées. Des facteurs à considérer avant de remplir son chariot de packs d’eau en bouteille.
On ne peut pas vivre sans boire. Voilà pourquoi l’eau est si précieuse. En France, contrairement à ce que l’on pense souvent, celle qui coule de nos robinets est de bonne qualité. Elle est même la plus contrôlée au monde. Pour autant, partout sur la planète, le marché de l’eau en bouteille explose. En 2005, 170 milliards de litres d’eau ont été embouteillés et 100 milliards de dollars ont été dépensés pour les acheter. La moitié de cette somme aurait suffi à créer des infrastructures d’assainissement pour que chaque habitant sur terre ait accès à l’eau. Car si on a la chance ici d’avoir juste à tourner le robinet pour boire, dans les pays pauvres d’Afrique, les villageois sont parfois obligés de marcher 5 à 6 heures par jour pour s’approvisionner. Une inégalité cruelle.
Mais nous, allons-nous continuer à bénéficier encore longtemps de ce régime de faveur ? Dans certaines régions françaises, l’eau est si polluée par les nitrates et les pesticides qu’elle est devenue impropre à la consommation... Et les traitements d’assainissement sont si compliqués qu’ils alourdissent la facture. Bêtement, puisque seulement 2,5 % de l’eau traitée est utilisée comme boisson ou pour la cuisine, le reste servant à nettoyer ou à jardiner. N’est-il pas temps d’agir ? En favorisant une agriculture plus respectueuse de l’environnement, par exemple. En apprenant à ne pas gaspiller l’eau. Car, un jour, elle pourrait bien nous manquer à nous aussi.
Des prix parfois abusifs
La hausse de prix est plus forte dans les petites communes qui, pour se conformer aux normes européennes, ont dû engager de lourdes sommes dans la construction de stations d’épuration pour le traitement des eaux usées.
Autre point crucial : la privatisation. Les collectivités ont le choix entre assumer elles-mêmes par l’intermédiaire d’une régie publique la gestion de leurs services d’eau ou la déléguer à une société privée (Veolia, la Lyonnaise des eaux...). Or, une étude commandée par le ministère de l’Ecologie, en 2004, a montré que le prix moyen de l’eau est environ 33 % plus élevé pour les communes qui en délèguent la gestion au privé. Une enquête de 2006 de l’association Ufc-Que choisir fait état de prix abusifs dans certaines villes et d’une certaine opacité dans les comptes. « Le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif) a ainsi gonflé de 59 % la facture, pour un réseau de 4 millions d’habitants », note Jean-Luc Touly, ancien salarié de Veolia et coauteur d’un ouvrage [1] sur les multinationales de l’eau. Aussi, depuis cinq ans, quelques communes choisissent de remunicipaliser la gestion de leur eau potable. Résultat : dans ces villes, les tarifs ont baissé de 10 à 25 %.
[1] L’Eau des multinationales, les vérités inavouables, de Jean-Luc Touly et Roger Lenglet, éditions Fayard, 2006, 19 euros
La course à l’or bleu
Plus d’hommes sur la planète, moins d’eau
En France, il suffit d’ouvrir le robinet pour boire de l’eau. Mais, dans les pays pauvres, 1,2 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et 2,5 milliards vivent dans des zones sans structures d’assainissement. Chaque jour, les maladies dues à une eau impropre tuent 30 000 personnes, dont 6 000 enfants. Pourtant, il y a beaucoup d’eau autour de nous, mais l’eau douce représente moins de 2 % du volume d’eau disponible sur la planète. Et à peine dix pays se partagent 60 % de cette réserve. Inégalement répartie, l’eau se fait aussi plus rare à cause de l’augmentation de la population mondiale, de l’agriculture intensive et des usines, de la pollution...
Le réchauffement climatique risque encore d’aggraver la situation car les glaciers et les calottes polaires, qui fournissent l’essentiel de l’eau douce, fondent, et les régions très sèches sont déjà deux fois plus nombreuses qu’il y a trente ans. Selon les experts, une pénurie d’eau pourrait toucher l’Afrique du Nord et méridionale, le Moyen-Orient, l’Inde et l’Amérique centrale dès 2020. Les pays qui ont les moyens d’importer de l’eau et de la traiter s’en sortiront, mais les autres ? Certains parlent déjà de crise : en effet, demain, l’eau pourrait devenir si rare qu’elle générera des conflits dans plusieurs parties du monde. La course à l’« or bleu » est lancée : dans certaines régions du globe, des multinationales ont commencé à acheter des rivières, privant les populations de leurs ressources naturelles. Trop chère en plus d’être rare, l’eau pourrait un jour ne plus être accessible à deux tiers des habitants de la planète.
La France est au quatrième rang de la consommation mondiale d’eau en bouteille par habitant. Pourtant, l’eau du robinet est très contrôlée et a souvent la même provenance que les eaux commercialisées.
Si 73 % des Français estiment que l’eau du robinet est bonne, ils sont 75 % à consommer de l’eau plate en bouteille - 7 milliards de bouteilles chaque année, à un prix 100 à 150 fois plus élevé que l’eau du robinet. Et pourtant... Qu’elle provienne de nappes souterraines ou des eaux de surface, l’eau du robinet est soumise en Europe à une réglementation très stricte. La qualité bactériologique et la présence de polluants sont sévèrement contrôlées : 80 paramètres sont vérifiés quotidiennement. L’eau est le plus surveillé des produits alimentaires.
Sur ce tableau idyllique, quelques ombres planent néanmoins : dans certaines régions, la teneur en nitrates et en pesticides est trop élevée ; par ailleurs, les produits dérivés de la réaction entre le chlore et les matières organiques de l’eau sont soupçonnés d’augmenter le risque de cancers ; la teneur autorisée en aluminium (destiné plutôt à améliorer l’aspect de l’eau) est supérieure à ce qu’impose la sécurité sanitaire, alors que l’on sait que l’aluminium est toxique pour le système nerveux ; enfin, tous les polluants ne sont pas contrôlés. Mais tous ces produits chimiques se retrouvent dans bien des denrées alimentaires sans qu’on s’en inquiète.
Souvent les mêmes sources
« Qui prétend que l’eau du robinet a bon goût ne doit pas en boire souvent », affirmait dans une campagne publicitaire la marque Cristaline, qui détient 17 % du marché de l’eau de source en bouteille. Mais, dans 60 % des cas, l’eau courante provient des nappes phréatiques dans lesquelles sont puisées les eaux de source. Saint-Nazaire est ainsi alimentée par l’eau de la nappe de Cambon, que commercialise Cristaline sous le nom de « Roxane ».
L’entreprise Chateaud’eau puise l’eau des fontaines d’entreprise dans la nappe de l’Albien, qui alimente plusieurs communes d’Ile-de-France et les trois fontaines publiques de Paris. Mais, alors que les eaux de source ne sont soumises à aucun traitement, l’eau du robinet doit être traitée pour éviter qu’elle ne soit infectée dans les canalisations. Dans la guerre qui oppose les industriels de l’eau en bouteille et les entreprises qui la distribuent dans le réseau public, la question du goût est centrale, et les industriels de l’eau courante investissent dans des procédés sophistiqués pour éliminer ce mauvais goût qui peut venir de l’eau, de la station de traitement ou des canalisations.
Un investissement rentable au regard du coût de la mise en bouteille. Un récent rapport du Worldwatch Institute, aux Etats-Unis, révèle que l’eau en bouteille pèse lourdement sur l’environnement et représente un coût économique élevé. Il souligne qu’elle est souvent moins contrôlée que celle du robinet  ; que l’exploitation des sources minérales peut engendrer un tarissement des cours d’eau et des nappes souterraines ; que pompage, mise en bouteille, emballage et transport entraînent une dépense énergétique importante, à laquelle s’ajoute la production de millions de tonnes de plastique (dérivé du pétrole) nécessaires à la fabrication des bouteilles. En France, la moitié de ces bouteilles seulement sont recyclées. Des facteurs à considérer avant de remplir son chariot de packs d’eau en bouteille.
On ne peut pas vivre sans boire. Voilà pourquoi l’eau est si précieuse. En France, contrairement à ce que l’on pense souvent, celle qui coule de nos robinets est de bonne qualité. Elle est même la plus contrôlée au monde. Pour autant, partout sur la planète, le marché de l’eau en bouteille explose. En 2005, 170 milliards de litres d’eau ont été embouteillés et 100 milliards de dollars ont été dépensés pour les acheter. La moitié de cette somme aurait suffi à créer des infrastructures d’assainissement pour que chaque habitant sur terre ait accès à l’eau. Car si on a la chance ici d’avoir juste à tourner le robinet pour boire, dans les pays pauvres d’Afrique, les villageois sont parfois obligés de marcher 5 à 6 heures par jour pour s’approvisionner. Une inégalité cruelle.
Mais nous, allons-nous continuer à bénéficier encore longtemps de ce régime de faveur ? Dans certaines régions françaises, l’eau est si polluée par les nitrates et les pesticides qu’elle est devenue impropre à la consommation... Et les traitements d’assainissement sont si compliqués qu’ils alourdissent la facture. Bêtement, puisque seulement 2,5 % de l’eau traitée est utilisée comme boisson ou pour la cuisine, le reste servant à nettoyer ou à jardiner. N’est-il pas temps d’agir ? En favorisant une agriculture plus respectueuse de l’environnement, par exemple. En apprenant à ne pas gaspiller l’eau. Car, un jour, elle pourrait bien nous manquer à nous aussi.