Ils nous font payer deux fois les travaux du réseau

JEAN-LUC TOULY*, président de l'ACME - Association pour le Contrat Mondial de l’Eau
Pourquoi ces augmentations d’année en année ?
J-L.T. Il y a les raisons officielles et celles que l’on cache au consommateur. La plus forte hausse a eu lieu dans les années 1990. A l’époque, en 1993, l’Etat avait mis en place la loi Sapin pour stopper la corruption dans les passations de marchés publics, en particulier dans l’eau. Or, dans les semaines précédant la publication de la loi, les compagnies de l’eau ont ajouté dans les contrats avec les collectivités des avenants à leur profit pour justifier des augmentations à venir. La deuxième raison fondamentale, c’est que les réseaux d’eau sont vieillissants et qu’il faut investir massivement pour se mettre aux normes, en particulier celles édictées par Bruxelles.
Sur ce dernier point, c’est ce que disent aussi les collectivités et les compagnies d’eau…
J-L. T. Bien sûr, sauf qu’on oublie de dire aux gens qu’ils ont déjà payé en partie pour ces travaux mais que ceux-ci n’ont jamais été réalisés comme prévu. C’est comme si vous emmeniez votre voiture chez le garagiste pour changer le pot d’échappement vieillissant, qu’il vous la rende dans le même état mais en vous facturant quand même et qu’il ait le culot de vous dire : « Rassurez-vous, je le réparerai dans dix ans. » C’est ce qui nous pend au nez avec les renouvellements des dizaines de milliers de kilomètres de canalisations. Les usagers ont payé via leur facture plus de 3 milliards d’euros dans les années précédentes et l’argent s’est évaporé en partie. Je crois savoir que des actions en justice vont être lancées pour récupérer ce magot. Et, troisième raison, l’Etat puise dans le trésor des agences de l’eau à coups de centaines de millions d’euros alors que cet argent doit servir à construire des stations d’épuration. Et sans parler de l’installation des compteurs individuels qui vont coûter cher.
Comment va-t-on faire pour payer les dépenses à venir ?
J-l.T. Avec la même méthode ingénieuse que par le passé : taper dans le portefeuille des Français. Ça tombe bien, ils n’ont pas leur mot à dire et de toute façon les contrats d’eau entre les collectivités et les compagnies sont tellement compliqués que même les experts ne s’y retrouvent pas. Moi même, ayant eu à m’occuper des relations avec des collectivités pour le compte d’une grande compagnie d’eau, je trouvais ça ahurissant. Seule note d’espoir, les comptes de l’eau sont désormais de plus en plus surveillés depuis les actions des associations.
Propos recueillis par E.G.
* Auteur du livre « l’Eau de Vivendi », coécrit
avec Roger Lenglet, Ed. Alias, 18€