Jean-Luc Touly: "L'eau doit être gérée par le service public"
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C’est sa rencontre avec Danielle Mitterrand dans une réunion d’Attac en 2001 qui lance son combat contre la marchandisation de l’eau. Embauché en 1976 à la Générale des Eaux (devenue Vivendi, puis Veolia), licencié puis réintégré en septembre 2010 par son employeur, Jean-Luc Touly (1) décrit de l’intérieur les dérives des « multinationales de l’eau ». Il sera présent, à Pontonx samedi, lors d’une table ronde sur la gestion de l’eau. Avant ce rendez-vous, il s'est confié à la rédaction d'XLandes Magazine.
Le Conseil général des Landes a obtenu gain de cause auprès du Conseil constitutionnel pour continuer à soutenir les municipalités qui s’occupent directement de la gestion de l’eau. Est-ce le signe que le débat sur l’eau commence à s’imposer en France ?
Nous sommes sur la bonne voie ! En 1996, la démarche de Henri Emmanuelli était assez isolée. Au début des années 2000, le combat commence à s’étendre, grâce notamment aux différentes enquêtes d’UFC Que Choisir, la sensibilisation par les livres, la sortie du film Water Makes Money, diffusée en mars dernier sur Arte, mais aussi les différents procès, la prise de conscience environnementale… De plus, la décision intervenue récemment dans le département des Landes fait suite, à la reconnaissance du droit à l’eau par l’ONU. Tous ces facteurs ont concouru à une prise de conscience généralisée, de la part notamment des élus qui vont positionner le débat sur la place publique. L’initiative de Henri Emmanuelli a d’ailleurs fait tâche d’huile, puisque la ville de Montbéliard, dirigée par Pierre Moscovici, a décidé de revenir en régie, de la même façon, la Communauté urbaine de Bordeaux en prend le chemin. Le retour à une gestion en régie publique permet une baisse du prix de l'eau de l'ordre de 30 à 40 %, simplement par l'absence de profits réalisés par une régie publique. L'eau doit être gérée par le service public car il n'y a pas de profit à tirer d'un bien commun.
A défaut de passer en régie, les collectivités ont-elles d’autres recours que les grandes compagnies fermières ?
En dehors des régies, il y a ce qu’on appelle des Sociétés publiques locales, dont le capital est 100% publique, c’est une forme de système intermédiaire, qui s’est développé principalement dans la Communauté urbaine de Brest. Ce n’est pas un système parfait, mais c’est une évolution qui va dans le bon sens. A côté de cela, vous avez les délégations de service public classique, mais aux PME. Ces petites sociétés ont permis aussi, grâce à la concurrence qu’elles instaurent, de faire baisser les prix.
Faut-il pour autant poursuivre ce travail de pédagogie auprès des élus?
Sur le fond, pour un élu local, les canalisations enterrées, les stations d’épuration qui sentent mauvais… ce n’est pas très vendeur électoralement. Et puis, sans être malhonnête, l’eau reste un poste de dépenses raisonnable pour la plupart des foyers, excepté pour les plus démunis. La petite goutte d’eau, finalement, ne peut être découverte que parce qu’elles font un grand océan. Mais pour faire comprendre à chacun, que c’est un grand océan de profit, il faut expliquer encore et encore… D’ailleurs, j’ai participé avec Marc Laimé (2) à l’élaboration du programme du Parti socialiste pour la présidentielle, et là aussi, nous nous sommes heurtés à quelques résistance, c’est dire si le chemin est encore long.
Dans votre documentaire Water Makes Money, vous démontrez aussi que cette gestion privée de l’eau n’est pas sans conséquence sur la qualité de l’eau, l’entretien des réseaux… Le consommateur est-il en mesure de s’élever contre ces pratiques ?
Des actions existent, mais elles sont souvent isolées. En France, contrairement aux Etats-Unis, la culture associative de mobilisation est relativement faible. Mais nous avons néanmoins observé, ici ou là, des initiatives. Par exemple, des petites associations locales ou collectifs d’usagers ont refusé de payer la redevance de pollution, en soutenant que l’eau n’était pas de bonne qualité. A côté de Briançon, des villageois étaient sommés de payer une taxe sur l’assainissement dès 2009, alors que l’installation était prévue en… 2013. Ces habitants se sont rebellés et ont refusé de payer. Il y a de plus en plus de mobilisations de ce type, qui font reculer les grands groupes …
Comment se positionnent les « multinationales » de l’eau face à cette prise de conscience ?
La concurrence des régies et des sociétés publiques locales font qu’elles commencent à perdre des marchés. Et lorsqu’il y a un renouvellement au sortant, on observe dans certaines collectivités des baisses de prix qui vont de 20 à 40% avec le record dans la ville d’Anglet, en 2009, où il y a eu 61% de baisse du m3 d’eau. Actuellement chez Veolia, en dehors de l’action qui est très mauvaise, le groupe vit la plus grosse restructuration de son histoire avec 1 500 suppressions d’emplois pour pertes de contrats et de marges. Il y en a assez de ce monopole, car il y a l’eau, mais aussi les déchets, les transports, l’énergie, parfois les télés locales, trop c’est trop. Il a fallu du temps. Il y ’a une lutte généralisée. Or, quand ça passe en régie, on n’est pas plus malheureux qu’avant. D’ailleurs, depuis 10 ans, il n’y a pas eu de retour en régie qui a été suivi d’un retour en délégation. C’est un signe. Le poids des affaires, la mobilisation des associations et l’approche, sans doute, des élections font que les élus trouvent plus intéressant d’aller dans le sens du service public. De plus, il semble que certains groupes, en particulier Suez, ont tiré quelques conséquences en portant leur effort sur la communication et le dialogue, notamment en terme de transparence et de gouvernance.
Selon vous, l’eau sera-t-elle l’un des thèmes de la campagne présidentielle ?
En dehors d’une prise de conscience évidente, notre chance, par rapport à cette élection présidentielle, c’est la tenue à 5 semaines de l’élection présidentielle du 6e forum des multinationales de l’eau à Marseille. Je suis en train de monter, avec Danielle Mitterrand un forum alternatif, qui aura lieu en même temps, en mars 2012. Croyez-moi, nous allons faire l’actualité. Nous avons lancé des invitations à quatre chefs d’Etats d’Amérique Latine : Evo Moralès, Cristina Kirchner, Lula et Jose Mujica, le président de l’Uruguay. Les candidats à l’élection présidentielle sont invités et devront se positionner. Il y aura des débats, des conférences, des rencontres. C’est une opportunité politique et médiatique pour nous, à quelques semaines de l’élection présidentielle.
Co-fondateur de l'Association pour un contrat mondial de l'eau (ACME), Jean-Luc Touly est auteur de plusieurs livres (L’eau des multinationales – Les vérités inavouables, 2006, Ed.Fayard ; L’argent noir des syndicats, 2008, Ed.Fayard…) et d’un documentaire pamphlet Water Makes Money (2010).
Marc Laimé est journaliste spécialisé et conseiller pour les politiques publiques de l'eau auprès des collectivités locales
Forum sur l’eau samedi à Pontonx
A l’initiative de 3 associations de défense des consommateurs ( INDECOSA-CGT, Force Ouvrière Consommateurs et la Confédération Syndicale des Familles), un forum citoyen sur l’eau est organisé le samedi 15 octobre à partir de 14h30, au cinéma de Pontonx-sur-l'Adour , en présence de Jean-Luc Touly, de Marc Laimé, du maire de Jarnac Jérôme Royer, de Marie-Claude Bouyssi, élue à Montauban, de Jean-Pierre Lafferrère, président du Syndicat des Eaux du Tursan, de Jean-Louis Linossier, membre de la Coordination nationale des Associations de Consommateurs d'Eau, de Bruno Jansem, de la régie des eaux de Grenoble et de Claude Chauveau, de l'INDECOSA CGT Ile de Ré). Au menu, deux tables rondes : « Gestion publique et gestion privée de l’eau » et « Service public et démocratie locale : le rôle des consommateurs ». Henri Emmanuelli concluera les débats. L'entrée est libre.
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C’est sa rencontre avec Danielle Mitterrand dans une réunion d’Attac en 2001 qui lance son combat contre la marchandisation de l’eau. Embauché en 1976 à la Générale des Eaux (devenue Vivendi, puis Veolia), licencié puis réintégré en septembre 2010 par son employeur, Jean-Luc Touly (1) décrit de l’intérieur les dérives des « multinationales de l’eau ». Il sera présent, à Pontonx samedi, lors d’une table ronde sur la gestion de l’eau. Avant ce rendez-vous, il s'est confié à la rédaction d'XLandes Magazine.
Le Conseil général des Landes a obtenu gain de cause auprès du Conseil constitutionnel pour continuer à soutenir les municipalités qui s’occupent directement de la gestion de l’eau. Est-ce le signe que le débat sur l’eau commence à s’imposer en France ?
Nous sommes sur la bonne voie ! En 1996, la démarche de Henri Emmanuelli était assez isolée. Au début des années 2000, le combat commence à s’étendre, grâce notamment aux différentes enquêtes d’UFC Que Choisir, la sensibilisation par les livres, la sortie du film Water Makes Money, diffusée en mars dernier sur Arte, mais aussi les différents procès, la prise de conscience environnementale… De plus, la décision intervenue récemment dans le département des Landes fait suite, à la reconnaissance du droit à l’eau par l’ONU. Tous ces facteurs ont concouru à une prise de conscience généralisée, de la part notamment des élus qui vont positionner le débat sur la place publique. L’initiative de Henri Emmanuelli a d’ailleurs fait tâche d’huile, puisque la ville de Montbéliard, dirigée par Pierre Moscovici, a décidé de revenir en régie, de la même façon, la Communauté urbaine de Bordeaux en prend le chemin. Le retour à une gestion en régie publique permet une baisse du prix de l'eau de l'ordre de 30 à 40 %, simplement par l'absence de profits réalisés par une régie publique. L'eau doit être gérée par le service public car il n'y a pas de profit à tirer d'un bien commun.
A défaut de passer en régie, les collectivités ont-elles d’autres recours que les grandes compagnies fermières ?
En dehors des régies, il y a ce qu’on appelle des Sociétés publiques locales, dont le capital est 100% publique, c’est une forme de système intermédiaire, qui s’est développé principalement dans la Communauté urbaine de Brest. Ce n’est pas un système parfait, mais c’est une évolution qui va dans le bon sens. A côté de cela, vous avez les délégations de service public classique, mais aux PME. Ces petites sociétés ont permis aussi, grâce à la concurrence qu’elles instaurent, de faire baisser les prix.
Faut-il pour autant poursuivre ce travail de pédagogie auprès des élus?
Sur le fond, pour un élu local, les canalisations enterrées, les stations d’épuration qui sentent mauvais… ce n’est pas très vendeur électoralement. Et puis, sans être malhonnête, l’eau reste un poste de dépenses raisonnable pour la plupart des foyers, excepté pour les plus démunis. La petite goutte d’eau, finalement, ne peut être découverte que parce qu’elles font un grand océan. Mais pour faire comprendre à chacun, que c’est un grand océan de profit, il faut expliquer encore et encore… D’ailleurs, j’ai participé avec Marc Laimé (2) à l’élaboration du programme du Parti socialiste pour la présidentielle, et là aussi, nous nous sommes heurtés à quelques résistance, c’est dire si le chemin est encore long.
Dans votre documentaire Water Makes Money, vous démontrez aussi que cette gestion privée de l’eau n’est pas sans conséquence sur la qualité de l’eau, l’entretien des réseaux… Le consommateur est-il en mesure de s’élever contre ces pratiques ?
Des actions existent, mais elles sont souvent isolées. En France, contrairement aux Etats-Unis, la culture associative de mobilisation est relativement faible. Mais nous avons néanmoins observé, ici ou là, des initiatives. Par exemple, des petites associations locales ou collectifs d’usagers ont refusé de payer la redevance de pollution, en soutenant que l’eau n’était pas de bonne qualité. A côté de Briançon, des villageois étaient sommés de payer une taxe sur l’assainissement dès 2009, alors que l’installation était prévue en… 2013. Ces habitants se sont rebellés et ont refusé de payer. Il y a de plus en plus de mobilisations de ce type, qui font reculer les grands groupes …
Comment se positionnent les « multinationales » de l’eau face à cette prise de conscience ?
La concurrence des régies et des sociétés publiques locales font qu’elles commencent à perdre des marchés. Et lorsqu’il y a un renouvellement au sortant, on observe dans certaines collectivités des baisses de prix qui vont de 20 à 40% avec le record dans la ville d’Anglet, en 2009, où il y a eu 61% de baisse du m3 d’eau. Actuellement chez Veolia, en dehors de l’action qui est très mauvaise, le groupe vit la plus grosse restructuration de son histoire avec 1 500 suppressions d’emplois pour pertes de contrats et de marges. Il y en a assez de ce monopole, car il y a l’eau, mais aussi les déchets, les transports, l’énergie, parfois les télés locales, trop c’est trop. Il a fallu du temps. Il y ’a une lutte généralisée. Or, quand ça passe en régie, on n’est pas plus malheureux qu’avant. D’ailleurs, depuis 10 ans, il n’y a pas eu de retour en régie qui a été suivi d’un retour en délégation. C’est un signe. Le poids des affaires, la mobilisation des associations et l’approche, sans doute, des élections font que les élus trouvent plus intéressant d’aller dans le sens du service public. De plus, il semble que certains groupes, en particulier Suez, ont tiré quelques conséquences en portant leur effort sur la communication et le dialogue, notamment en terme de transparence et de gouvernance.
Selon vous, l’eau sera-t-elle l’un des thèmes de la campagne présidentielle ?
En dehors d’une prise de conscience évidente, notre chance, par rapport à cette élection présidentielle, c’est la tenue à 5 semaines de l’élection présidentielle du 6e forum des multinationales de l’eau à Marseille. Je suis en train de monter, avec Danielle Mitterrand un forum alternatif, qui aura lieu en même temps, en mars 2012. Croyez-moi, nous allons faire l’actualité. Nous avons lancé des invitations à quatre chefs d’Etats d’Amérique Latine : Evo Moralès, Cristina Kirchner, Lula et Jose Mujica, le président de l’Uruguay. Les candidats à l’élection présidentielle sont invités et devront se positionner. Il y aura des débats, des conférences, des rencontres. C’est une opportunité politique et médiatique pour nous, à quelques semaines de l’élection présidentielle.
Co-fondateur de l'Association pour un contrat mondial de l'eau (ACME), Jean-Luc Touly est auteur de plusieurs livres (L’eau des multinationales – Les vérités inavouables, 2006, Ed.Fayard ; L’argent noir des syndicats, 2008, Ed.Fayard…) et d’un documentaire pamphlet Water Makes Money (2010).
Marc Laimé est journaliste spécialisé et conseiller pour les politiques publiques de l'eau auprès des collectivités locales
Forum sur l’eau samedi à Pontonx
A l’initiative de 3 associations de défense des consommateurs ( INDECOSA-CGT, Force Ouvrière Consommateurs et la Confédération Syndicale des Familles), un forum citoyen sur l’eau est organisé le samedi 15 octobre à partir de 14h30, au cinéma de Pontonx-sur-l'Adour , en présence de Jean-Luc Touly, de Marc Laimé, du maire de Jarnac Jérôme Royer, de Marie-Claude Bouyssi, élue à Montauban, de Jean-Pierre Lafferrère, président du Syndicat des Eaux du Tursan, de Jean-Louis Linossier, membre de la Coordination nationale des Associations de Consommateurs d'Eau, de Bruno Jansem, de la régie des eaux de Grenoble et de Claude Chauveau, de l'INDECOSA CGT Ile de Ré). Au menu, deux tables rondes : « Gestion publique et gestion privée de l’eau » et « Service public et démocratie locale : le rôle des consommateurs ». Henri Emmanuelli concluera les débats. L'entrée est libre.