Les compteurs n'apporteraient aucune différence sur la consommation d’eau !

Pierre J. Hamel, INRS-Urbanisation, Culture et Société
On entend souvent : « Les compteurs auraient l’avantage de donner un « signal de prix » et de rendre les gens conscients que l’eau vaut quelque chose »... et qu’il leur serait avantageux d’économiser. Ce n’est pas le cas. Lorsque l’on compare des ménages semblables, on ne note aucune différence de consommation d’eau, qu’il y ait ou non un compteur.
C’est ce que démontrent les rares études quasi-expérimentales qui cherchent à isoler l’impact spécifique des compteurs, en contrôlant les autres facteurs susceptibles d’influencer le comportement (Collin et al., 1999 : 28-29). Les groupes écologistes qui se sont penchés sérieusement sur la question en viennent d’ailleurs à la même conclusion (comme la Coalition Eau Secours, 2005 ou le Conseil régional de l’environnement de Montréal : Porlier, 1999). C’est également ce que viennent de constater les gestionnaires de la Ville de Sherbrooke; après la fusion, certains quartiers étaient équipés de compteurs résidentiels et d’autres non; or, la consommation est tout à fait semblable dans des quartiers comparables, qu’il y ait des compteurs ou non.
Une partie de l’explication vient du fait que l’eau n’est pas chère. On estime généralement que le « vrai » prix de l’eau à Montréal tourne autour de 0,50 $ le mètre cube, soit cinq centièmes de sou le litre. À raison d’environ 250 litres par personne par jour, le coût quotidien pour un Montréalais moyen se situe donc autour de 0,12 ou 0,13 $ (soit environ 45 $ par personne par année). Si on suppose que la seule chose qui intéresse les gens, c’est leur intérêt personnel, comment peut-on espérer motiver quelqu’un à économiser l’eau avec de tels coûts? On chercherait à le convaincre de changer ses comportements pour restreindre sa consommation - disons de 20 %, ce qui n’est pas rien - et en échange, on lui promettrait une fabuleuse épargne de 2 ½ sous par jour (9 $ par année).
On ne convaincra pas grand monde d’économiser l’eau à ce prix là, ni même au quadruple de ce prix. En Arizona, une eau beaucoup plus chère qu’ici n’empêche pas une consommation très importante pour entretenir les pelouses résidentielles et d’innombrables golfs. La demande d’eau est « inélastique », c’est à dire peu ou pas sensible au prix. Les compteurs d’eau font assurément autant d’effet qu’un coup d’épée dans l’eau.
Les compteurs résidentiels sont non seulement inutiles, mais ils sont coûteux. Entre l’achat de l’appareil, l’installation, la facturation et les huissiers pour faire payer les récalcitrants, en moyenne, un compteur coûte annuellement autant que l’eau consommée par une personne. Ce n’est pas très efficient.
Même si on admettait qu’il faut que chacun assume le vrai prix en fonction de ce qu’il en coûte pour lui fournir l’eau, il ne serait pas approprié de payer pour l’eau selon la consommation car seule une moitié des coûts varient selon les volumes consommés et que l’autre moitié concerne les infrastructures (conduites souterraines et usines de filtration et d’assainissement qu’il faut construire, entretenir et réhabiliter). Peu importe sa consommation, chacun bénéficie pareillement de l’existence du réseau d’aqueduc qui garantit également la protection contre les incendies. Donc, logiquement, le coût du réseau devrait être assumé également par tous les ménages par un abonnement, un impôt forfaitaire, comme une cotisation au club, ou plus simplement (et plus équitablement), par l’impôt foncier général. La moitié seulement des dépenses publiques pour l’eau serait donc récupérée par la vente de l’eau au compteur; dans le cas d’un ménage d’une personne seule, ce serait alors le tiers de la facture qui paierait pour l’eau consommée et les deux tiers paieraient... le compteur.
Par ailleurs, comme pour toute tarification, se pose la question classique à laquelle chacun répond selon ses choix politiques : est-il juste et équitable que tous paient selon leur consommation, peu importe leur capacité de payer ? Ou n’est-il pas souhaitable, comme le pensent la majorité des Québécois, que les plus riches paient (un peu) plus ?
Finalement, l’introduction de compteurs d’eau entraîne des effets déplorables sur la santé car l’eau est vitale pour l’alimentation et l’hygiène. L’expérience britannique notamment permet de voir la réapparition de maladies que l’on croyait disparues (c’est connu depuis plus de dix ans : Graham et Marvin, 1994; Lister, 1995); en effet, certains ménages pauvres réduisent leur consommation en-deçà du minimum vital et cela se traduit par des coûts de santé largement supérieurs aux maigres économies découlant d’une consommation rationnée : par exemple, il n’est pas très intelligent de limiter le lavage des mains pour épargner un peu d’eau. L’octroi d’un volume minimum per capita gratuit n’est pas une solution réaliste car cela exigerait la création d’un registre de population constamment tenu à jour : bonjour les économies !
Il existe pourtant d’autres stratégies vraiment efficaces et sans effet pervers, que ce soit avec la promotion d’équipements plus économes en eau, comme la chasse d’eau de petit réservoir ou le pommeau de douche à débit réduit ou encore avec diverses formes de réglementation concernant, par exemple, l’arrosage intempestif.
Comme disent les Français : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Pourquoi faire simple, bon marché et équitable, en payant l’eau à même l’impôt foncier général quand on peut faire compliqué, inutile, coûteux, inéquitable et nuisible en introduisant des compteurs d’eau?
On entend souvent : « Les compteurs auraient l’avantage de donner un « signal de prix » et de rendre les gens conscients que l’eau vaut quelque chose »... et qu’il leur serait avantageux d’économiser. Ce n’est pas le cas. Lorsque l’on compare des ménages semblables, on ne note aucune différence de consommation d’eau, qu’il y ait ou non un compteur.
C’est ce que démontrent les rares études quasi-expérimentales qui cherchent à isoler l’impact spécifique des compteurs, en contrôlant les autres facteurs susceptibles d’influencer le comportement (Collin et al., 1999 : 28-29). Les groupes écologistes qui se sont penchés sérieusement sur la question en viennent d’ailleurs à la même conclusion (comme la Coalition Eau Secours, 2005 ou le Conseil régional de l’environnement de Montréal : Porlier, 1999). C’est également ce que viennent de constater les gestionnaires de la Ville de Sherbrooke; après la fusion, certains quartiers étaient équipés de compteurs résidentiels et d’autres non; or, la consommation est tout à fait semblable dans des quartiers comparables, qu’il y ait des compteurs ou non.
Une partie de l’explication vient du fait que l’eau n’est pas chère. On estime généralement que le « vrai » prix de l’eau à Montréal tourne autour de 0,50 $ le mètre cube, soit cinq centièmes de sou le litre. À raison d’environ 250 litres par personne par jour, le coût quotidien pour un Montréalais moyen se situe donc autour de 0,12 ou 0,13 $ (soit environ 45 $ par personne par année). Si on suppose que la seule chose qui intéresse les gens, c’est leur intérêt personnel, comment peut-on espérer motiver quelqu’un à économiser l’eau avec de tels coûts? On chercherait à le convaincre de changer ses comportements pour restreindre sa consommation - disons de 20 %, ce qui n’est pas rien - et en échange, on lui promettrait une fabuleuse épargne de 2 ½ sous par jour (9 $ par année).
On ne convaincra pas grand monde d’économiser l’eau à ce prix là, ni même au quadruple de ce prix. En Arizona, une eau beaucoup plus chère qu’ici n’empêche pas une consommation très importante pour entretenir les pelouses résidentielles et d’innombrables golfs. La demande d’eau est « inélastique », c’est à dire peu ou pas sensible au prix. Les compteurs d’eau font assurément autant d’effet qu’un coup d’épée dans l’eau.
Les compteurs résidentiels sont non seulement inutiles, mais ils sont coûteux. Entre l’achat de l’appareil, l’installation, la facturation et les huissiers pour faire payer les récalcitrants, en moyenne, un compteur coûte annuellement autant que l’eau consommée par une personne. Ce n’est pas très efficient.
Même si on admettait qu’il faut que chacun assume le vrai prix en fonction de ce qu’il en coûte pour lui fournir l’eau, il ne serait pas approprié de payer pour l’eau selon la consommation car seule une moitié des coûts varient selon les volumes consommés et que l’autre moitié concerne les infrastructures (conduites souterraines et usines de filtration et d’assainissement qu’il faut construire, entretenir et réhabiliter). Peu importe sa consommation, chacun bénéficie pareillement de l’existence du réseau d’aqueduc qui garantit également la protection contre les incendies. Donc, logiquement, le coût du réseau devrait être assumé également par tous les ménages par un abonnement, un impôt forfaitaire, comme une cotisation au club, ou plus simplement (et plus équitablement), par l’impôt foncier général. La moitié seulement des dépenses publiques pour l’eau serait donc récupérée par la vente de l’eau au compteur; dans le cas d’un ménage d’une personne seule, ce serait alors le tiers de la facture qui paierait pour l’eau consommée et les deux tiers paieraient... le compteur.
Par ailleurs, comme pour toute tarification, se pose la question classique à laquelle chacun répond selon ses choix politiques : est-il juste et équitable que tous paient selon leur consommation, peu importe leur capacité de payer ? Ou n’est-il pas souhaitable, comme le pensent la majorité des Québécois, que les plus riches paient (un peu) plus ?
Finalement, l’introduction de compteurs d’eau entraîne des effets déplorables sur la santé car l’eau est vitale pour l’alimentation et l’hygiène. L’expérience britannique notamment permet de voir la réapparition de maladies que l’on croyait disparues (c’est connu depuis plus de dix ans : Graham et Marvin, 1994; Lister, 1995); en effet, certains ménages pauvres réduisent leur consommation en-deçà du minimum vital et cela se traduit par des coûts de santé largement supérieurs aux maigres économies découlant d’une consommation rationnée : par exemple, il n’est pas très intelligent de limiter le lavage des mains pour épargner un peu d’eau. L’octroi d’un volume minimum per capita gratuit n’est pas une solution réaliste car cela exigerait la création d’un registre de population constamment tenu à jour : bonjour les économies !
Il existe pourtant d’autres stratégies vraiment efficaces et sans effet pervers, que ce soit avec la promotion d’équipements plus économes en eau, comme la chasse d’eau de petit réservoir ou le pommeau de douche à débit réduit ou encore avec diverses formes de réglementation concernant, par exemple, l’arrosage intempestif.
Comme disent les Français : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Pourquoi faire simple, bon marché et équitable, en payant l’eau à même l’impôt foncier général quand on peut faire compliqué, inutile, coûteux, inéquitable et nuisible en introduisant des compteurs d’eau?
Pour aller plus loin
Coalition Eau Secours. (2005). Démystifier les compteurs d’eau, 16 p.
Collin, Jean-Pierre, Dany Fougères, Marcel Gaudreau, Rémi Haf, Pierre J. Hamel, Stéphane Pineault, Claire Poitras, Mario Polèse, Gilles Sénécal, Alain Sterck, Michel Trépanier et Nathalie Vachon. (1999). Trois constats sur les infrastructures d’eaux, Mémoire présenté au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement dans le cadre de la Consultation publique sur la gestion de l’eau au Québec, 39p.
Graham, Stephen et Simon Marvin. (1994). « Cherry picking and social dumping : Utilities in the 1990s », Utilities Policy, 4 (2), 113-119.
Hamel, Pierre J. (2001). « Finances publiques locales et développement urbain viable. Les taxes vertes : la tarification de l’eau », Groupe Vivre en ville (éd.), Vers des collectivités viables.… mieux bâtir nos milieux de vie pour le XXIe siècle, Sillery : Septentrion, 383 p., pp.322-327
Lister, Ruth. (1995). « Water poverty », Journal of the Royal Society of Health, vol. 115, no 2, p. 80-83.
Porlier, André. (1999). Mémoire sur la gestion de l'eau à Montréal et au Québec, CRE-Montréal (Conseil régional de l’environnement de Montréal), 32 p.
http://www.cremtl.qc.ca/fichiers-cre/memoires/memoire-eau.pdf
Une première version est parue dans le Bulletin de la Ligue des droits et libertés, Vol. XXIV, no 1 (printemps 2006), p.22-23.
Collin, Jean-Pierre, Dany Fougères, Marcel Gaudreau, Rémi Haf, Pierre J. Hamel, Stéphane Pineault, Claire Poitras, Mario Polèse, Gilles Sénécal, Alain Sterck, Michel Trépanier et Nathalie Vachon. (1999). Trois constats sur les infrastructures d’eaux, Mémoire présenté au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement dans le cadre de la Consultation publique sur la gestion de l’eau au Québec, 39p.
Graham, Stephen et Simon Marvin. (1994). « Cherry picking and social dumping : Utilities in the 1990s », Utilities Policy, 4 (2), 113-119.
Hamel, Pierre J. (2001). « Finances publiques locales et développement urbain viable. Les taxes vertes : la tarification de l’eau », Groupe Vivre en ville (éd.), Vers des collectivités viables.… mieux bâtir nos milieux de vie pour le XXIe siècle, Sillery : Septentrion, 383 p., pp.322-327
Lister, Ruth. (1995). « Water poverty », Journal of the Royal Society of Health, vol. 115, no 2, p. 80-83.
Porlier, André. (1999). Mémoire sur la gestion de l'eau à Montréal et au Québec, CRE-Montréal (Conseil régional de l’environnement de Montréal), 32 p.
http://www.cremtl.qc.ca/fichiers-cre/memoires/memoire-eau.pdf
Une première version est parue dans le Bulletin de la Ligue des droits et libertés, Vol. XXIV, no 1 (printemps 2006), p.22-23.