
Contrôler la production et la distribution afin de serrer les tarifs et de soigner la qualité : avec la croisade des maires, le temps des contrats en or s'éloigne pour Veolia, la Lyonnaise et Saur.
Il y a des victoires qui comptent plus que d'autres. Gérard Claysse, vice-président de la communauté urbaine de Lyon, en sait quelque chose. Cet élu apparenté communiste n'a rien d'un gros bras. Pourtant, il a réussi à faire plier Veolia, l'un des géants français de l'eau. Une version business et moderne de David contre Goliath. Notre homme raconte à l'envi comment il a obtenu une baisse substantielle du prix de l'eau pour 1,4 million d'habitants du Grand Lyon. « On a profité d'une clause quinquennale de révision de contrat pour trouver un équilibre plus juste entre ce que paie l'usager et ce que gagne le délégataire », explique-t-il, ravi de son coup de force. Il faut dire que la partie n'était pas gagnée d'avance.
Début 2007, les élus lyonnais constatent que leur eau du robinet est l'une des plus chères de France, alors même que les ressources locales sont abondantes et de bonne qualité. « Surtout, on découvre que Veolia affiche une marge avantimpôts de 21 % sur ce contrat, poursuit Gérard Claysse. Autant vous dire que les négociations ont été animées. » Il faudra une année pour que les deux parties arrivent à un accord : une baisse du prix du mètre cube de 16 %, soit une économie de 36 euros par an sur une facture moyenne. Une goutte d'eau, mais qui a rapporté gros lors des élections municipales du printemps dernier.
Gérard Claysse n'est pas un héros solitaire. Partout en France, des dizaines d'élus - maires, présidents d'agglomération, encartés PS ou UMP - ont décidé de remettre la main sur le robinet d'eau potable. Surfant sur la vague verte du développement durable, ils plongent dans la paperasse des contrats de délégation signés des années plus tôt, exigent des comptes, en veulent pour leur argent.
Pour les géants du secteur, ce réveil des élus sonne la fin d'une époque bénie, celle des contrats en or et des marges mirifiques. La période qui s'ouvre est critique car, « pour les deux tiers des collectivités locales, les contrats de délégation arrivent à échéance dans les trois ans qui viennent », explique Jean-Luc Touly, président de l'Association pour le contrôle mondial de l'eau. 52 % des collectivités envisageraient déjà de changer de prestataire, si l'on en croit les résultats d'une enquête réalisée par l'Association des maires de grandes villes de France et la banque Dexia. Près d'un tiers se disent même prêtes à étudier la possibilité de remunicipaliser l'eau !
En Europe, chacun gère l'eau à sa façon
Entre la privatisation totale, au Royaume-Uni, et la gestion entièrement publique des Pays-Bas, la France occupe une position intermédiaire, comme l'Espagne. Aucune corrélation évidente entre mode de gestion et prix ne peut être établie.
« Quel que soit le mode de gestion, on observe une nouvelle implication des élus dans la gouvernance de la distribution d'eau », affirme Catherine Barucq, du Bureau d'informations et de prévisions économiques. Ils veulent se doter de moyens de contrôle, d'outils d'aide à la décision, d'instruments de prospective. « Ils ont enfin compris que, pour dialoguer avec leurs délégataires, ils doivent maîtriser le sujet », conclut cette experte.
Officiellement, cette mise sous contrôle laisse les majors de glace. Certes, Veolia, Lyonnaise des eaux et Saur peuvent voir venir : ils se partagent un peu plus de 70 % du marché. Mais, derrière la satisfaction de façade, les sourires sont crispés. Et, dans les états-majors, on travaille dur pour contre-attaquer, notamment en proposant de nouveaux services. « Les élus sont beaucoup plus exigeants, mais on a retrouvé un dialogue et des interlocuteurs », se félicite Igor Semo, directeur des relations extérieures de la Lyonnaise des eaux. Même sentiment à Veolia, qui a transformé le besoin de contrôle des élus en argument commercial.
« Les maires nous fixent des objectifs, et on peut leur proposer désormais de nous rémunérer en fonction de leur réalisation. Un système de bonus-malus qui porte aussi bien sur la conformité bactériologique de l'eau, sur le taux d'impayés des usagers que sur la proportion de fuites dans le réseau », explique Tristan Mathieu, le directeur des relations contractuelles de Veolia Eau. Ainsi, l'entreprise s'est vu imposer par la communauté d'agglomération de Montpellier une dizaine d'objectifs précis à atteindre, depuis le contrôle des branchements jusqu'à la qualité du traitement des eaux usées en passant par le respect d'horaires de rendez-vous stricts chez le client. « S'ils ne sont pas tenus, nos recettes en seront affectées », reconnaît Tristan Mathieu.
La coûteuse mise aux normes des fosses septiques rurales
Bernadette et Philippe Garcia auraient pu couler des jours heureux dans cette vieille bâtisse en pierres blondes, typique de la Drôme des collines. Certes, il leur fallait encore changer les fenêtres, refaire le toit et aménager la cour intérieure. Mais ils avaient tout prévu, tout calculé. Tout sauf une sombre histoire de fosse septique qui a englouti leurs projets d'avenir. L'affaire commence au printemps 2007, lors d'une réunion d'information à la mairie de Peyrins, le village voisin, à quelques kilomètres de Romans-sur-Isère. « On nous a dit qu'un employé de la mairie allait passer pour vérifier le bon fonctionnement de notre fosse septique », raconte Bernadette.
Des devis minimaux de 15 000 euros
Les mauvaises nouvelles s'enchaînent alors très vite. Lors de la visite - facturée 100 euros -, le technicien affirme aux Garcia que leur système d'assainissement non collectif, refait au début des années 70, n'est plus aux normes et qu'il pollue. Le couple a quatre ans pour se mettre en conformité. Quand les premiers devis tombent, c'est le coup de bambou : 15 000 euros de travaux au minimum, sans compter les multiples forages nécessaires pour déterminer l'emplacement du futur champ d'épandage. Ni aide ni déduction fiscale ne sont prévues pour aider les Garcia à faire face à ces dépenses. Aujourd'hui, ils ont rejoint une association de riverains et ont décidé de faire de la résistance, quitte à passer pour des hors-la-loi. « Plus personne n'entrera chez nous pour vérifier quoi que ce soit », lance Bernadette avec des airs de Ma Dalton.
Dans la Drôme comme dans l'ensemble des campagnes françaises, la révolte gronde. 41 % des com-munes n'ont pratiquement pas de système d'assainissement collectif, et la France est très en retard dans la modernisation de ses équipements. 13 millions de Français sont touchés par ce problème, et l'on compte dans l'Hexagone presque autant de ménages non raccordés à un système d'assainissement collectif que dans l'ensemble des autres pays de l'Union européenne. La loi sur l'eau votée en décembre 2006 a donc imposé aux collectivités locales la tâche de contrôler le bon fonctionnement de tous les systèmes individuels d'ici à la fin de 2012. « Dans les trois quarts des cas, les installations ne sont pas aux normes, et les ménages ont alors quatre ans au maximum pour se mettre en conformité. Des travaux qui coûtent entre 6 000 et 10 000 euros en moyenne », affirme Alain Chosson, le secrétaire général de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie. Mais les arrêtés ministériels fixant les définitions techniques exactes des nouvelles installations n'ont toujours pas été publiés, ce qui créée un vide juridique à l'origine de nombreuses arnaques. Sauf qu'à partir du 1er janvier 2013 un état des lieux détaillant le fonctionnement du système d'assainissement sera obligatoire lors de la signature de tout acte de vente d'un bien immobilier.
Mais ce n'est pas la seule raison qui pourrait laisser présager des recettes moins abondantes dans l'avenir. Lors de la renégociation des contrats, à côté d'objectifs nouveaux, la question de la marge du délégataire tient désormais une place de choix. Or certains contrats phares qui pèsent très lourd dans les comptes des géants du secteur arrivent en fin de vie. C'est le cas de celui qui lie Veolia au Syndicat des eaux d'Ile-de-France (Sedif), qui regroupe 144 communes du Sud et de l'Ouest parisiens, soit environ 4 millions d'usagers - le premier service d'eau de France et le deuxième en Europe, avec près de 1 milliard de mètres cubes d'eau potable par jour.
Le Sedif assure plus de 3 % du chiffre d'affaires mondial annuel de Veolia Eau, titulaire du contrat depuis 1923, et, d'après certains analystes, 8 % du chiffre d'affaires réalisé en France. Or, si l'on en croit une récente enquête de l'association de consommateurs UFC-Que choisir, 80 à 90 millions d'euros pourraient être économisés sur ce contrat annuel de 300 millions d'euros. Des calculs qui ont fait l'effet d'une douche froide sur les élus membres du Sedif. « On voit bien qu'on a perdu le contrôle, s'emporte Philippe Laurent, maire de Sceaux, une banlieue chic au sud de Paris. On ne peut plus se satisfaire du seul rapport annuel du délégataire. » Si un retour à une gestion publique de l'eau en Ile-de-France est peu probable, les élus du Sedif se disent prêts à étudier de très près toutes les propositions qui seront faites par les concurrents de Veolia, français ou étrangers. « Nous exigerons une amélioration de la qualité de l'eau, la mise en place d'un tarif social et, surtout, une baisse du prix. La marge avant impôts de 11,3 % réalisée par Veolia est sans doute trop élevée », prévient Christian Cambon, maire UMP de Saint-Maurice et premier vice-président du Sedif.
Ce désir des élus de remettre la main sur l'eau va parfois jusqu'à vouloir reprendre en direct les services de production et de distribution. De ce point de vue, le cas de Paris a été emblématique, la remunicipalisation de l'eau ayant été l'un des axes forts de la campagne de Bertrand Delanoë pour les municipales. Il faut dire que la gestion de l'eau à Paris est ubuesque. Si la production, le transport et le stockage sont assurés par une société d'économie mixte (la SEM Eau de Paris), la distribution est partagée entre les deux sœurs ennemies Veolia et Lyonnaise des eaux, tandis que les fonctions de pilotage sont assurées par la ville. En clair, le litre d'eau potable peut changer d'opérateur - et donc de responsable - au moins six fois entre l'usine où il a été produit et le robinet du consommateur.
A partir du 1er janvier 2010, la gestion de l'eau dans la capitale sera donc confiée à un seul opérateur public. « Il fallait bien rationaliser tout ça », observe Anne Le Strat, adjointe au maire de Paris chargée de l'eau. Mais cette petite brune au tempérament bien trempé n'est pas au bout de ses peines, car il lui reste tout juste un an pour recréer de toutes pièces un service public de l'eau. En théorie, la mairie de Paris s'engage à reprendre tous les salariés de Veolia et de Lyonnaise des eaux qui travaillaient sur le contrat parisien. Un audit social a été lancé cet automne, mais il piétine.
« Impossible de savoir exactement qui fait quoi. C'est le flou le plus total. Je crains que les délégataires ne nous transfèrent plus de personnel que ce dont nous aurions réellement besoin, ce qui plomberait nos comptes dès le début », confie la jeune femme. A la Lyonnaise des eaux, 200 salariés seraient concernés. Veolia n'a pas souhaité répondre à la question. Il faut dire que le sujet est sensible. Car les salariés de ces grands groupes privés peuvent refuser ce changement de statut, notamment certains cadres qui rêvaient d'une carrière internationale et de stock-options. Impossible de savoir si la nouvelle entité qui verra le jour dans un peu plus d'un an bénéficiera des mêmes compétences que les anciens délégataires.
Ces bras de fer profiteront-ils aux consommateurs ? Si, à court terme, des baisses de prix peuvent être affichées, la donne est différente à moyen terme. A Paris, Bertrand Delanoë a enterré ses promesses de baisse des tarifs, ne parlant plus que de stabilisation. « Nous contrôlons moins de la moitié de la facture », se défend Anne Le Strat. La production et la distribution d'eau potable ne représentent que 38 % du prix du mètre cube d'eau à Paris. Le reste va aux différentes taxes, et surtout à l'assainissement, confié à un autre opérateur, le Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne. « Partout en France, l'assainissement est la partie de la facture la plus inflationniste à moyen terme », reconnaît Marc Reneaume, président de la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau. Les normes européennes se sont durcies et la France a pris beaucoup de retard dans la modernisation de ses stations d'épuration. 146 d'entre elles, desservant 36 millions de Français, ne correspondraient plus aux exigences de Bruxelles, et 10 milliards d'euros d'investissements d'ici à 2015 seraient nécessaires pour les remettre aux normes. Il n'y aura pas de miracle : les usagers paieront l'addition.
S'ajoute un dernier facteur inflationniste : la baisse de la consommation. Davantage sensibilisés à la protection de l'environnement, les Français laissent beaucoup moins couler inutilement l'eau du robinet. Mais la baisse des volumes consommés déséquilibre tout le système de financement des services de l'eau. Moins de mètres cubes facturés, c'est moins de recettes dans les poches des producteurs et des distributeurs, qu'ils soient publics ou privés. Or près de 80 % de leurs charges sont fixes. « Il faudra bien réfléchir un jour à un nouveau mode de financement de l'eau potable en France. 70 % pourraient venir de la facture des usagers - donc des quantités consommées -, contre 100 % aujourd'hui, et le reste, de l'impôt », soutient Marc Laimé, auteur des Batailles de l'eau (Editions Terre bleue) et animateur du blog Les Eaux glacées du calcul égoïste. Il faudra alors que les élus peaufinent leurs discours pour faire passer cette potion amère auprès des électeurs.
L'expansion
Il y a des victoires qui comptent plus que d'autres. Gérard Claysse, vice-président de la communauté urbaine de Lyon, en sait quelque chose. Cet élu apparenté communiste n'a rien d'un gros bras. Pourtant, il a réussi à faire plier Veolia, l'un des géants français de l'eau. Une version business et moderne de David contre Goliath. Notre homme raconte à l'envi comment il a obtenu une baisse substantielle du prix de l'eau pour 1,4 million d'habitants du Grand Lyon. « On a profité d'une clause quinquennale de révision de contrat pour trouver un équilibre plus juste entre ce que paie l'usager et ce que gagne le délégataire », explique-t-il, ravi de son coup de force. Il faut dire que la partie n'était pas gagnée d'avance.
Début 2007, les élus lyonnais constatent que leur eau du robinet est l'une des plus chères de France, alors même que les ressources locales sont abondantes et de bonne qualité. « Surtout, on découvre que Veolia affiche une marge avantimpôts de 21 % sur ce contrat, poursuit Gérard Claysse. Autant vous dire que les négociations ont été animées. » Il faudra une année pour que les deux parties arrivent à un accord : une baisse du prix du mètre cube de 16 %, soit une économie de 36 euros par an sur une facture moyenne. Une goutte d'eau, mais qui a rapporté gros lors des élections municipales du printemps dernier.
Gérard Claysse n'est pas un héros solitaire. Partout en France, des dizaines d'élus - maires, présidents d'agglomération, encartés PS ou UMP - ont décidé de remettre la main sur le robinet d'eau potable. Surfant sur la vague verte du développement durable, ils plongent dans la paperasse des contrats de délégation signés des années plus tôt, exigent des comptes, en veulent pour leur argent.
Pour les géants du secteur, ce réveil des élus sonne la fin d'une époque bénie, celle des contrats en or et des marges mirifiques. La période qui s'ouvre est critique car, « pour les deux tiers des collectivités locales, les contrats de délégation arrivent à échéance dans les trois ans qui viennent », explique Jean-Luc Touly, président de l'Association pour le contrôle mondial de l'eau. 52 % des collectivités envisageraient déjà de changer de prestataire, si l'on en croit les résultats d'une enquête réalisée par l'Association des maires de grandes villes de France et la banque Dexia. Près d'un tiers se disent même prêtes à étudier la possibilité de remunicipaliser l'eau !
En Europe, chacun gère l'eau à sa façon
Entre la privatisation totale, au Royaume-Uni, et la gestion entièrement publique des Pays-Bas, la France occupe une position intermédiaire, comme l'Espagne. Aucune corrélation évidente entre mode de gestion et prix ne peut être établie.
« Quel que soit le mode de gestion, on observe une nouvelle implication des élus dans la gouvernance de la distribution d'eau », affirme Catherine Barucq, du Bureau d'informations et de prévisions économiques. Ils veulent se doter de moyens de contrôle, d'outils d'aide à la décision, d'instruments de prospective. « Ils ont enfin compris que, pour dialoguer avec leurs délégataires, ils doivent maîtriser le sujet », conclut cette experte.
Officiellement, cette mise sous contrôle laisse les majors de glace. Certes, Veolia, Lyonnaise des eaux et Saur peuvent voir venir : ils se partagent un peu plus de 70 % du marché. Mais, derrière la satisfaction de façade, les sourires sont crispés. Et, dans les états-majors, on travaille dur pour contre-attaquer, notamment en proposant de nouveaux services. « Les élus sont beaucoup plus exigeants, mais on a retrouvé un dialogue et des interlocuteurs », se félicite Igor Semo, directeur des relations extérieures de la Lyonnaise des eaux. Même sentiment à Veolia, qui a transformé le besoin de contrôle des élus en argument commercial.
« Les maires nous fixent des objectifs, et on peut leur proposer désormais de nous rémunérer en fonction de leur réalisation. Un système de bonus-malus qui porte aussi bien sur la conformité bactériologique de l'eau, sur le taux d'impayés des usagers que sur la proportion de fuites dans le réseau », explique Tristan Mathieu, le directeur des relations contractuelles de Veolia Eau. Ainsi, l'entreprise s'est vu imposer par la communauté d'agglomération de Montpellier une dizaine d'objectifs précis à atteindre, depuis le contrôle des branchements jusqu'à la qualité du traitement des eaux usées en passant par le respect d'horaires de rendez-vous stricts chez le client. « S'ils ne sont pas tenus, nos recettes en seront affectées », reconnaît Tristan Mathieu.
La coûteuse mise aux normes des fosses septiques rurales
Bernadette et Philippe Garcia auraient pu couler des jours heureux dans cette vieille bâtisse en pierres blondes, typique de la Drôme des collines. Certes, il leur fallait encore changer les fenêtres, refaire le toit et aménager la cour intérieure. Mais ils avaient tout prévu, tout calculé. Tout sauf une sombre histoire de fosse septique qui a englouti leurs projets d'avenir. L'affaire commence au printemps 2007, lors d'une réunion d'information à la mairie de Peyrins, le village voisin, à quelques kilomètres de Romans-sur-Isère. « On nous a dit qu'un employé de la mairie allait passer pour vérifier le bon fonctionnement de notre fosse septique », raconte Bernadette.
Des devis minimaux de 15 000 euros
Les mauvaises nouvelles s'enchaînent alors très vite. Lors de la visite - facturée 100 euros -, le technicien affirme aux Garcia que leur système d'assainissement non collectif, refait au début des années 70, n'est plus aux normes et qu'il pollue. Le couple a quatre ans pour se mettre en conformité. Quand les premiers devis tombent, c'est le coup de bambou : 15 000 euros de travaux au minimum, sans compter les multiples forages nécessaires pour déterminer l'emplacement du futur champ d'épandage. Ni aide ni déduction fiscale ne sont prévues pour aider les Garcia à faire face à ces dépenses. Aujourd'hui, ils ont rejoint une association de riverains et ont décidé de faire de la résistance, quitte à passer pour des hors-la-loi. « Plus personne n'entrera chez nous pour vérifier quoi que ce soit », lance Bernadette avec des airs de Ma Dalton.
Dans la Drôme comme dans l'ensemble des campagnes françaises, la révolte gronde. 41 % des com-munes n'ont pratiquement pas de système d'assainissement collectif, et la France est très en retard dans la modernisation de ses équipements. 13 millions de Français sont touchés par ce problème, et l'on compte dans l'Hexagone presque autant de ménages non raccordés à un système d'assainissement collectif que dans l'ensemble des autres pays de l'Union européenne. La loi sur l'eau votée en décembre 2006 a donc imposé aux collectivités locales la tâche de contrôler le bon fonctionnement de tous les systèmes individuels d'ici à la fin de 2012. « Dans les trois quarts des cas, les installations ne sont pas aux normes, et les ménages ont alors quatre ans au maximum pour se mettre en conformité. Des travaux qui coûtent entre 6 000 et 10 000 euros en moyenne », affirme Alain Chosson, le secrétaire général de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie. Mais les arrêtés ministériels fixant les définitions techniques exactes des nouvelles installations n'ont toujours pas été publiés, ce qui créée un vide juridique à l'origine de nombreuses arnaques. Sauf qu'à partir du 1er janvier 2013 un état des lieux détaillant le fonctionnement du système d'assainissement sera obligatoire lors de la signature de tout acte de vente d'un bien immobilier.
Mais ce n'est pas la seule raison qui pourrait laisser présager des recettes moins abondantes dans l'avenir. Lors de la renégociation des contrats, à côté d'objectifs nouveaux, la question de la marge du délégataire tient désormais une place de choix. Or certains contrats phares qui pèsent très lourd dans les comptes des géants du secteur arrivent en fin de vie. C'est le cas de celui qui lie Veolia au Syndicat des eaux d'Ile-de-France (Sedif), qui regroupe 144 communes du Sud et de l'Ouest parisiens, soit environ 4 millions d'usagers - le premier service d'eau de France et le deuxième en Europe, avec près de 1 milliard de mètres cubes d'eau potable par jour.
Le Sedif assure plus de 3 % du chiffre d'affaires mondial annuel de Veolia Eau, titulaire du contrat depuis 1923, et, d'après certains analystes, 8 % du chiffre d'affaires réalisé en France. Or, si l'on en croit une récente enquête de l'association de consommateurs UFC-Que choisir, 80 à 90 millions d'euros pourraient être économisés sur ce contrat annuel de 300 millions d'euros. Des calculs qui ont fait l'effet d'une douche froide sur les élus membres du Sedif. « On voit bien qu'on a perdu le contrôle, s'emporte Philippe Laurent, maire de Sceaux, une banlieue chic au sud de Paris. On ne peut plus se satisfaire du seul rapport annuel du délégataire. » Si un retour à une gestion publique de l'eau en Ile-de-France est peu probable, les élus du Sedif se disent prêts à étudier de très près toutes les propositions qui seront faites par les concurrents de Veolia, français ou étrangers. « Nous exigerons une amélioration de la qualité de l'eau, la mise en place d'un tarif social et, surtout, une baisse du prix. La marge avant impôts de 11,3 % réalisée par Veolia est sans doute trop élevée », prévient Christian Cambon, maire UMP de Saint-Maurice et premier vice-président du Sedif.
Ce désir des élus de remettre la main sur l'eau va parfois jusqu'à vouloir reprendre en direct les services de production et de distribution. De ce point de vue, le cas de Paris a été emblématique, la remunicipalisation de l'eau ayant été l'un des axes forts de la campagne de Bertrand Delanoë pour les municipales. Il faut dire que la gestion de l'eau à Paris est ubuesque. Si la production, le transport et le stockage sont assurés par une société d'économie mixte (la SEM Eau de Paris), la distribution est partagée entre les deux sœurs ennemies Veolia et Lyonnaise des eaux, tandis que les fonctions de pilotage sont assurées par la ville. En clair, le litre d'eau potable peut changer d'opérateur - et donc de responsable - au moins six fois entre l'usine où il a été produit et le robinet du consommateur.
A partir du 1er janvier 2010, la gestion de l'eau dans la capitale sera donc confiée à un seul opérateur public. « Il fallait bien rationaliser tout ça », observe Anne Le Strat, adjointe au maire de Paris chargée de l'eau. Mais cette petite brune au tempérament bien trempé n'est pas au bout de ses peines, car il lui reste tout juste un an pour recréer de toutes pièces un service public de l'eau. En théorie, la mairie de Paris s'engage à reprendre tous les salariés de Veolia et de Lyonnaise des eaux qui travaillaient sur le contrat parisien. Un audit social a été lancé cet automne, mais il piétine.
« Impossible de savoir exactement qui fait quoi. C'est le flou le plus total. Je crains que les délégataires ne nous transfèrent plus de personnel que ce dont nous aurions réellement besoin, ce qui plomberait nos comptes dès le début », confie la jeune femme. A la Lyonnaise des eaux, 200 salariés seraient concernés. Veolia n'a pas souhaité répondre à la question. Il faut dire que le sujet est sensible. Car les salariés de ces grands groupes privés peuvent refuser ce changement de statut, notamment certains cadres qui rêvaient d'une carrière internationale et de stock-options. Impossible de savoir si la nouvelle entité qui verra le jour dans un peu plus d'un an bénéficiera des mêmes compétences que les anciens délégataires.
Ces bras de fer profiteront-ils aux consommateurs ? Si, à court terme, des baisses de prix peuvent être affichées, la donne est différente à moyen terme. A Paris, Bertrand Delanoë a enterré ses promesses de baisse des tarifs, ne parlant plus que de stabilisation. « Nous contrôlons moins de la moitié de la facture », se défend Anne Le Strat. La production et la distribution d'eau potable ne représentent que 38 % du prix du mètre cube d'eau à Paris. Le reste va aux différentes taxes, et surtout à l'assainissement, confié à un autre opérateur, le Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne. « Partout en France, l'assainissement est la partie de la facture la plus inflationniste à moyen terme », reconnaît Marc Reneaume, président de la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau. Les normes européennes se sont durcies et la France a pris beaucoup de retard dans la modernisation de ses stations d'épuration. 146 d'entre elles, desservant 36 millions de Français, ne correspondraient plus aux exigences de Bruxelles, et 10 milliards d'euros d'investissements d'ici à 2015 seraient nécessaires pour les remettre aux normes. Il n'y aura pas de miracle : les usagers paieront l'addition.
S'ajoute un dernier facteur inflationniste : la baisse de la consommation. Davantage sensibilisés à la protection de l'environnement, les Français laissent beaucoup moins couler inutilement l'eau du robinet. Mais la baisse des volumes consommés déséquilibre tout le système de financement des services de l'eau. Moins de mètres cubes facturés, c'est moins de recettes dans les poches des producteurs et des distributeurs, qu'ils soient publics ou privés. Or près de 80 % de leurs charges sont fixes. « Il faudra bien réfléchir un jour à un nouveau mode de financement de l'eau potable en France. 70 % pourraient venir de la facture des usagers - donc des quantités consommées -, contre 100 % aujourd'hui, et le reste, de l'impôt », soutient Marc Laimé, auteur des Batailles de l'eau (Editions Terre bleue) et animateur du blog Les Eaux glacées du calcul égoïste. Il faudra alors que les élus peaufinent leurs discours pour faire passer cette potion amère auprès des électeurs.
L'expansion