Une cargaison de patates douces a alerté la métropole en Octobre 2002.

A cette date les fonctionnaires de la Direction Générale de la Concurrence et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) ont arrêté, sur le port de Dunkerque, une tonne et demie de patates douces en provenance de la Martinique et contenant des quantités importantes de Chlordécone. Cet insecticide extrêmement toxique utilisé sur les exploitations de bananes est pourtant interdit depuis 1993. Le fait que les habitants de la Martinique aient consommé ces tubercules depuis de nombreuses années n'avait alerté personne mais qu'ils arrivent sur le marché de Rungis et voilà le scandale dévoilé !
Pourtant l'information sur cette pollution était connue depuis bien des années et les marchés de Martinique et Guadeloupe régulièrement approvisionnés en légumes assaisonnés de cocktails de pesticides divers.
Pourtant l'information sur cette pollution était connue depuis bien des années et les marchés de Martinique et Guadeloupe régulièrement approvisionnés en légumes assaisonnés de cocktails de pesticides divers.
Guadeloupe : un rapport sans langue de bois
Le 5 Juillet 2001, le docteur Henri Bonan de l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) et Jean-Louis Prime de l'Inspection Générale de l'Environnement (IGE) remettaient à Dominique Voynet , ministre de l'environnement, et à Dominique Gillot , secrétaire d'état à la santé, un "Rapport sur la présence de pesticides dans les eaux de consommation humaine en Guadeloupe ".
Un rapport qui, enfin, reconnaissait l'urgence et jugeait " difficilement admissible" l'absence d'un plan d'amélioration des pratiques agricoles. Ce rapport leur avait été demandé suite aux résultats d'une campagne renforcée de contrôle des teneurs en pesticides dans l'eau menée par le DDASS de Guadeloupe en 1999.
Les mesures avaient montré des taux très élevés de pesticides organochlorés
(Chlordécone, Dieldrine et β-hexachlorocyclohexane (HCHβ)) dans l'eau distribuée et même dans l'eau embouteillée. Pourtant ces produits, utilisés sur les cultures de canne à sucre et surtout de bananes, étaient interdits d'usage depuis, respectivement, 1993, 1972 et 1987. Ces mesures avaient amené la fermeture d'une usine d'embouteillage d'eau de source (Capesterre Dolé) et des captages alimentant plusieurs communes.
Un Phénomène déjà bien connu :
En introduction, le rapport faisait état de données déjà récoltées depuis plus de vingt ans et dont on peut s'étonner qu'elles soient restées sans effet.
1977, rapport Snégaroff :
A la suite d'une mission menée par l'INRA, ce rapport établissait l'existence d'une pollution dans les sols des bananeraies et des milieux aquatiques environnants par les insecticides organochlorés. Des taux de deux à quatre fois supérieurs aux normes étaient déjà relevés dans les eaux des rivières testées. Un signal d'alerte qui aurait déjà dû être entendu.
1979-80, rapport Kermarrec :
Il souligne la bio-accumulation dans l'environnement de substances organochlorées utilisées comme pesticides. L'étude porte sur le perchlordécone, substance utilisée dans la culture du manioc, ignames, patates douces et fruitières (orangers, citronniers, annanas). Les poissons vivant dans une eau contenant 0,01 μg/l de perchlordécone concentraient ce pesticides 82.000 fois (0,82mg/kg), des crabes le concentraient 60.000 fois (0,60 mg/kg), des crevettes 130.000 fois (1,30 mg/kg). Ces doses énormes provoquaient des symptômes d'empoisonnement de ces espèces.
Le perchlordécone étant très voisins du Chlordécone utilisé sur les bananes, le rapport soulignait déjà le risque de contamination en Guadeloupe et Martinique. On attendra encore 20 ans avant de s'en inquiéter réellement, 20 ans de contamination massive pour les travailleurs agricoles et les habitants.
1993 : étude dans l'estuaire du Grand Carbet :
Cette étude a été menée sur l'initiative de l'UNESCO dans le cadre d'un bilan sur l'état de la mer Caraïbe. Le Grand Carbet, l'une des rivières les plus exposées de Guadeloupe, prend sa source à 1400 mètres d'altitude au pied de la Soufrière. Sur les 13 km2 de son bassin versant, environ 4 km2 sont occupés par des bananeraies sur lesquelles 174 tonnes/an de pesticides sont déversées dont 54 de Chlordécone. Une campagne est menée par la direction de l'agriculture et la forêt sur l'eau de la rivière mais les résultats ne sont pas publiés. L'autre menée sur les estuaires révèle la présence de Chlordécone dans l'eau et les sédiments.
1998 : rapport Balland-Mestres-Fagot.
Une mission d'Inspection demandée par les ministères de l'environnement et de l'agriculture est menée en Martinique et Guadeloupe dans le but de faire la synthèse des résultats connus et de proposer les actions à entre prendre. Premier constat : l'état des lieux reste à faire. Le rapport proposait donc, ente autres, de :
mesurer la présence de pesticides dans l'eau brute et prévoir l'information des consommateurs concernant les risques encourus.
estimer les risques encourus par les populations du ait des traitements aériens et par les ouvriers agricoles.
détecter la présence de pesticides dans les produits végétaux ( légumes, fruits et tubercules).
étudier la faisabilité de l'implantation dans les Antilles d'un laboratoire d'analyse disposant des moyens adaptés.
2001 : Rapport Bonan-Prime
Le rapport commence par un historique. Les exigences de qualité auxquelles doivent satisfaire les eaux distribuées datent du décret 89-3 du 3 janvier 1989. Un décret bien tardif quand on sait que la directive cadre européenne correspondante avait été publiée le 15 juillet 1980. Ce décret était modifié en 1990 puis en 1991 mais c'est seulement en 1995 qu'une modification introduisait une valeur limite pour les pesticides et produits assimilés oubliés jusqu'alors.
En Guadeloupe, la recherche des pesticides n'était d'ailleurs effective qu'à partir de 1998 avec dèja des résultats alarmants pour plusieurs produits (des dépassements de 11 à 35 fois la norme).
Il faut savoir que les méthodes d'analyses des pesticides sont difficiles à mettre en œuvre et excessivement coûteuses. En 1994, 500 molécules étaient homologuées sur le territoire français (il y en a actuellement environ 1000 entrant dans la composition de 10.000 formules différentes). Parmi celles-ci, seulement 60 représentaient 80% des utilisations. Pour en contrôler l'usage un Comité de Liaison " Eau Produits Antiparasitaires" était mis en place en 1992. Ce comité était amené à classer les substances par ordre de risque décroissant en tenant compte des risques d'exposition, de la gravité des effet d'une exposition, du comportement dans le sol, et de la toxicité chronique pour l'homme et les milieux naturels. Ces listes étaient diffusées aux préfets en 1994 puis précisées en 1996, en leur demandant de les adapter à la réalité régionale (on ne traite pas de la même façon le maïs et les arbres fruitiers) et, éventuellement, de les compléter. Il s'agissait donc de définir la liste des molécules qui régionalement devaient être contrôlées en priorité.
Les spécificités de l'agriculture en Guadeloupe et de façon plus générale aux Antilles auraient nécessité une adaptation régionale de cette liste (on n'utilise pas de produits destinés aux bananes et à la canne à sucre sur le territoire métropolitain), ce qui n'a pas été fait. Mais de toutes façons ces départements n'avaient aucun moyen d'effectuer les analyses. Le nombre de produits à rechercher et le niveau de précision exigé demandent des équipements sophistiqués et extrêmement coûteux (chromatographie en phase liquide ou gazeuse, spectrométrie de masse). La mise en œuvre demande un personnel extrêmement qualifié. En France seuls quelques laboratoires sont en mesure de réaliser de telles mesures pour des coûts "relativement" peu élevés (de l'ordre de 500 euros quand même pour une seule analyse).
Quand, en 1998, la Direction Régionale de l'Environnement (DIREN) de Guadeloupe a décidé de lancer une première étude, il n'existait naturellement pas, aux Antilles, de laboratoire adapté. Les mesures portaient sur 30 molécules de pesticides retenues sur la liste hexagonale complétées de trois autres qui n'y figuraient pas : le chlordécone, le malathion, le propiconazolone. Confiées à des laboratoires métropolitains, ces analyses révélaient l'incapacité de ceux-ci à en rechercher la plupart. L'Institut Pasteur n'était en mesure que d'en analyser 15 sur 33, le Laboratoire de la Ville de Paris (CRECEP) seulement 10 sur 33 et aucun des deux ne savait rechercher le chlordécone, produit particulièrement nocif dont il apparaissait qu'il avait été mis sur le marché sans étude réelle de sa toxicité et sans aucun moyen de la contrôler.
Cette première série d'analyse ayant révélé un "bruit de fond", la DDASS et la DIREN étaient amenées à mener une étude plus ciblée. 9 sites étaient retenus, 4 forages et 5 sources. Les prélèvements étaient réalisés sur un rythme mensuel de juillet à décembre 1999 pour les forages et de septembre 1999 à février 2000 pour les captages en sources. 46 molécules étaient recherchées dont 14 molécules organochlorées retirées du marché. Parmi celles-ci trois particulièrement toxiques : la dieldrine , interdite depuis 1972, le HCHβ, interdit depuis 1987 et le Chlordécone, interdit depuis 1993. Trois produits à la fois toxiques et fortement rémanents (possédant une longue durée de vie dans l'environnement). Cette fois on avait enfin trouvé un laboratoire capable de mener ces mesures : le Laboratoire Départemental de la Drôme. Le résultat était éclairant :
45% des prélèvements dépassaient la norme de 0,03 μg/l de dieldrine dans les 5 sources avec un pic de 0,340 μg/l soit 11 fois la norme
80% des prélèvements dépassaient la norme de 0,10 μg/l de HCHβ avec un pic de 2,00 μg/l soit 20 fois la norme.
100% des prélèvements dépassaient la norme de 0,10 μg/l de chlordécone avec un pic de 10,30 μg/l (103 fois la norme !).
De même ces produits étaient recherchés dans les sols, d'abord hors du périmètre des sources :
la dieldrine était présente dans 37 prélèvements sur 38 avec un pic de 0,7 mg/kg ( plus de 20.000 fois la dose maximale admise dans l'eau).
le HCHβ dans 38 prélèvement sur 39 avec un maximum de 4 mg/kg (40.000 fois la dose maximale admise dans l'eau).
Le chlordécone 53 fois sur 54 avec un maximum de 4 mg/kg (40.000 fois la dose maximale admise pour l'eau)
Dans le périmètre des sources on relevait jusqu'à 600 fois la dose maximale admise en dieldrine, 600 fois la dose en HCHβ et 100.000 fois la dose en Chlordécone !
La publication de ces résultats a provoqué une situation de crise. Les deux captages les plus pollués ont dû être fermés. La consommation d'eau interdite sur d'autres de même que l'autorisation de mise en bouteille pour une usine d'eau de source. Solution d'urgence : des interconnexions ont été mises en place, de l'eau en bouteille a été distribuée, un traitement des pesticides par charbon actif a été installé sur les usines de prélèvement. Solutions d'urgence qui ne résoudront rien à plus long terme. A présent les Guadeloupéens l'ont compris : leur île est gravement empoisonnée et elle l'est pour longtemps. Concernant la présence massive de produits depuis longtemps interdits on a pu évoquer la poursuite d'usages frauduleux mais on constate surtout qu'on ignorait tout de la rémanence de ses produits dans les sols. On évoque à présent des dizaines d'années, voire un siècle avant de les voir disparaître. On ignorait tout également de leur concentration dans les tubercules. Maintenant on sait et on apprend aussi que les effets néfastes sur la santé de ces produits sont déjà connus.
Autres pesticides.
Les insecticides ne sont pas les seuls pesticides mesurés. Les herbicides utilisés pour les cultures de canne-à-sucre et le maraichage apportent leur part de pollution. Dans l'eau de la ravine des Coudes, par exemple, on a trouvé 10 μg/l d'Améthrine ( 100 fois la norme), 5,3 μg/l pour l'Héxazinone, 1,94 μg/l pour le diuron soit respectivement, 53 fois et 194 fois la norme. Or la plaine de Grippon, sur laquelle s'écoule la ravine des Coudes, constitue la ressource en eau potable la plus importante de la Grande-Terre. On imagine aisément les effets de ces cocktails sur la santé.
Des effets inquiétants pour la santé
Les effets d'une intoxication aigüe d'abord. L'effet des organochlorés auxquels appartiennent les "trois salopards" analysés en Guadeloupe (dieldrine, HCHβ, Chlordécone) est une atteinte du système nerveux central avec apparition de tremblements, de contractures musculaires, troubles du rythme cardiaque, hypertension, troubles visuels, troubles de la coordination, atteinte des fonctions sexuelles. Des convulsions sévères pouvant même entraîner la mort sont décrites. Une enquête menée sur le terrain auprès de travailleurs agricoles chargés d'épendre ces produits montre que cette description n'est pas uniquement théorique. Comment conserver un masque dès que la chaleur monte aux premières heures de la matinée ? Et quel intérêt quand la sueur saturée de pesticides y dégouline ? Y a-t-il une statistique des travailleurs agricoles amenés d'urgence à l'hôpital après un évanouissement en plein champ pendant un épandage ?
Les effets d'une intoxication chronique sont moins connus mais des chiffres commencent à parler. Effet cancérigène d'abord et la question se pose du rôle des pesticides dans le fort taux de cancers de la prostate en Guadeloupe (220 à 240 cas nouveaux par an). Effet sur le cerveau ensuite : une forme atypique de la maladie de Parkinson est particulièrement présente en Guadeloupe et on peut soupçonner les pesticides quand on constate qu'on a trouvé une proportion plus forte de chlordécone dans le cerveau des personnes décédées. Mais c'est dans le domaine des troubles de reproduction, et plus précisément de l'infécondité masculine qu'il existe le plus de signes du rôle néfaste des pesticides. Cependant, faute d'études et de volonté de les mener à bien, les preuves formelles font défaut. Faut-il être optimiste quand le rapport Bonan/Prime estime que "La Guadeloupe constitue un lieu privilégié pour poursuivre un certain nombre d'études épidémiologiques sur les effets des pesticides sur la santé humaine" ( page 57).
Hélas oui, les habitants des îles peuvent dans ce domaine servir de cobayes. Comme d'autres dans le domaine de l'amiante ou de l'irradiation radioactive. Mais il faudra, là aussi, de longues mobilisations des victimes pour que les causes de leurs maladies soient reconnues.
En Martinique aussi.
Si c'est en Guadeloupe qu'a été menée la première mission d'inspection, c'est de Martinique qu'est venue l'alerte en métropole. Ou plutôt du port de Dunkerque où les services de la répression des fraudes saisissent une tonne et demie de patates douces en provenance de la Martinique et dans lesquelles une analyse révèle une forte contamination par le Chlordécone. L'affaire révélée par le journal "Libération" fait grand bruit. Comme en Guadeloupe on soupçonne, sans pouvoir le prouver, un usage frauduleux de ce pesticide interdit mais surtout on se pose enfin la question de sa persistance dans les sols et de sa concentration dans la chaîne alimentaire. Là encore, la culture "industrielle"des bananes est mise en cause.
Un rapport établi par Eric Godard, ingénieur du génie sanitaire à la Direction de la Santé et du Développement Social (DSDS) de la Martinique, à l'occasion du Forum International en Santé Environnementale, qui s'est tenu en mars 2003, éclaire sur la pollution de l'eau, mais surtout des sols, par le chlordécone.
L'eau, naturellement, est contaminée mais le rapport s'attache surtout à montrer la présence du pesticide dans les aliments. Des patates douces, par exemple, présentent jusqu'à 1,9 mg/kg de chlordécone soit 19 000 fois la dose maximale admise pour l'eau. Les poissons d'eau douce peuvent en contenir jusqu'à 386 μg/kg soit près de 4000 la dose maximale admise. Le poisson d'eau de mer n'est pas épargné L'auteur calcule qu'un repas composé de ces aliments peut apporter 97 μg de chlordécone à son consommateur. Une bonne partie du pesticide viendra se concentrer dans son organisme et en particulier dans ses graisses.
La question se pose donc : faut-il continuer à produire des tubercules ou à manger du poisson et des crustacés en Guadeloupe et Martinique ? Les services de la répression des fraudes de la Martinique, dans le cadre d'un plan de contrôle renforcé, ont détecté plus de 40% de lots de "légumes racines" non conformes sur 26 inspections effectuées. La population ayant été exposée à cette pollution pendant plus de trente ans, Eric Godard estime que la mesure de l'imprégnation humaine serait un bon indicateur du niveau de la pollution généralisée. Du travail en perspective pour les chercheurs.
En novembre 2002, le groupe régional phytosanitaire (GREPHY) de Martinique a défini un plan d'action. La cellule interrégionale d'épidémiologie (CIRE) a, d'abord, lancé une enquête sur les habitudes alimentaires (contenu du panier de la ménagère) des habitants, de façon à préciser les niveaux de contamination des principaux aliments et définir l'exposition du consommateur antillais. De même une cartographie des sols contaminés sera établie et une procédure d'analyse des produits cultivés. En Guadeloupe, l'Instit Pasteur est à présent en mesure de faire ces analyses. Un jour peut-être les Antillais sauront exactement comment on les empoisonne mais ce jour n'est pas encore venu car étant donné la modicité des moyens humains et matériels mis en œuvre, il ne faut pas attendre de miracles. En attendant les produits du sol et des rivières continuent à arriver sur les marchés.
Principe de Précaution ou de Ponce Pilate ?
En attendant, l'Etat se couvre. Les préfets de Guadeloupe et de Martinique ont pris des arrêtés pour imposer à tout producteur de légume à risque (légumes racines et bulbes divers) un autocontrôle de sa production. Il devra vérifier la conformité des ses produits au regard du code de la consommation sur la base de l'article L 212-1. Un article redoutable déjà mentionné au moment de la crise de "la vache folle". Le contrevenant peut être poursuivi pour le délit de mise en danger d'autrui, le délit d'atteinte à la personne, le délit de tromperie. Rien que cela.
Tout agriculteur doit donc justifier de l'autocontrôle effectué. Il doit déclarer la mise en culture (ou l'intention de cultiver) ses sols à la Chambre d'Agriculture. Celle-ci prélève alors un échantillon de sol, fait effectuer une analyse par un laboratoire agréé et communique le résultat à l'exploitant (coût : 240€ par échantillon). Si le sol est contaminé et que l'exploitant décide malgré tout d'y installer ou d'y poursuivre sa culture, il doit obligatoirement faire analyser sa récolte avant commercialisation. L'analyse du sol est prise en charge par des fonds publics mais l'analyse du végétal, extrêmement onéreuse, est à la charge du producteur. Si sa récolte est contaminée il a alors une l'obligation de la détruire. Mesure théorique quand on sait que la mise en décharge reviendrait à remettre les pesticides en circulation et que les fours à haute température nécessaires pour la destruction des molécules des organochlorés n'existent évidemment pas aux Antilles et sont même peu fréquents sur le territoire métropolitain.
Tout cela est donc bien beau sur le papier mais quand on sait que le taux de contamination observé dès les premiers contrôles était de 40%, les arrêtés préfectoraux reviennent à proposer à la moitié des producteurs d'arrêter leur activité, ce qui naturellement est impensable. Qui, donc, pourrait prétendre qu'il n'y a plus aujourd'hui de légumes assaisonnés au Chlordécone et au HCHβ sur les marchés des Antilles ? Même les jardins familiaux peuvent être contaminés tant il est vrai qu'on les a parfois traité par des pesticides réservés aux bananes ou que les traitements aériens ne les on pas épargnés.
Un MétalEurop agricole.
Un sol aussi contaminé ne peut que nous remettre en mémoire des exemples de pollution industrielle comme celle de Seveso avec la contamination des sols par la dioxine ou de Métaleurop par le plomb. Cette dernière pollution ainsi que l'accident de AZF ont inspiré la loi du 30 juillet 2003 relative à la "prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages provoqués dans l'environnement". A présent une usine polluante devra remettre en état les sols qu'elle aura pollués. Dans le cas des pesticides utilisés dans les départements d'outremer, la responsabilité des fabricants d'engrais et celle de l'état devraient être établies et un véritable plan de décontamination mis en place. Car il n'est pas possible de laisser les sols dans cet état pendant encore des dizaines d'années !
Mais il y aurait encore à dire.
Les cas de la Guadeloupe et de la Martinique sont les mieux connus mais les bananes et la canne à sucre se cultivent aussi à la Réunion. Inutile de préciser que les mêmes pollutions par les mêmes pesticides s'y retrouvent. Il faut à cela ajouter une spécificité qui semble Réunionnaise : l'utilisation de pesticides par les braconniers sur les ruisseaux et rivières. Un bonne dose de pesticide concentré et les poissons se trouvent le ventre en l'air. Il n'y a plus qu'à les cueillir. Et tant pis pour les usines d'alimentation en eau potable qui prélèvent en aval.
En Guyane, c'est la pollution des rivières par le mercure utilisé par les orpailleurs qui domine. Les populations autochtones n'ont que le choix entre abandonner leur mode de vie ou s'empoisonner. Quant à la faune, n'en parlons pas.
Mais tous ces milieux fragiles doivent subir une autre source majeure de pollution : l'absence ou le mauvais fonctionnement de l'assainissement urbain ou individuel. Dans des régions où la population est concentrée près du littoral et où les permis de construire sont souvent considérés comme une formalité dont on peut se passer, la pollution organique et bactérienne est redoutable.
Le Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion des Eaux de la Guadeloupe, adopté en 2002, décrit une situation alarmante :
"La capacité totale des stations dépuration communales est de 175 000 équivalent habitants, soit environ 40% de la population Guadeloupéenne" ou encore "des éléments qualitatifs comme les odeurs ou la couleur du rejet permettent de conclure que, d'une façon générale, l'assainissement collectif est médiocre". Quand aux fosses septiques individuelles, leur fonctionnement est aléatoire et leur vidange généralement incontrôlée. D'autre part "de nombreux rejets d'eau ménagère et d'eaux vannes sont effectués directement dans le milieu naturel sans dispositif d'assainissement".
Il faut y ajouter la pollution industrielle. En Guadeloupe la filière canne/sucre/rhum produit une pollution organique équivalente à celle de 827 000 habitants (pour 422 000 habitants), avec un traitement minimal de ses effluents quand ils ne sont pas directement rejetés dans le milieu naturel. D'autre part la zone industrielle de Jarry qui rassemble une partie importante de l'activité commerciale et industrielle de la Guadeloupe n'est pas pourvue de réseau d'assainissement. Quant aux décharges sauvages ou officiellement "contrôlées, elles laissent ruisseler copieusement leurs lixiviats vers le milieu naturel.
Devant un tableau aussi désespérant une question se pose : comment en sommes nous arrivés là !
Les oubliés des lois sur l'eau.
1964 une grande loi sur l'eau… pour la métropole.
La "loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution" est la grande loi française sur l'eau. Dès le début des années 60, le constat a été fait d'une dégradation accélérée de la qualité de l'eau consécutive à la période de reconstruction de l'après-guerre (croissance urbaine, industrielle, agricole). Le constat est fait que le milieu naturel n'est plus en mesure d'absorber la pollution et que s'imposent des programmes d'investissement pour prévenir la pollution, d'autant plus que les besoins en eau, prévisibles pour les années à venir, s'annoncent sans commune mesure avec ceux du passé.
Originalité : la loi propose une politique de décentralisation avant la lettre en divisant la France en bassins hydrographiques organisés autour des principaux fleuves de l'hexagone. Dans chaque bassin ou groupement de bassins il est créé un "comité de bassin" composé de représentants des régions et collectivités locales situées sur le bassin, de représentants d'usagers et de personnes compétentes, de représentants désignés par l'état (article 13). Cet organisme consultatif est accolé à une "agence financière de bassin", établissement public administratif doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière. L'agence a le pouvoir d'établir et de percevoir des redevances, véritable impôt échappant au contrôle parlementaire et dont la légalité est jusqu'à ce jour contestée (sa légalisation étant l'un des objets des projets de loi sur l'eau qui se sont succédés depuis 1998). A partir des années 90 ces redevances voient tripler leur montant. Le pactole ainsi récolté atteint 9 milliards d'euros au niveau national par an en 2004, ce qui n'empêche pas la France d'être considérée comme le mauvais élève de la classe européenne et d'être régulièrement condamnée par la Cour de Justice Européenne pour manquement à ses obligations dans le domaine de la lutte contre les pollutions de l'eau.
Les comités de bassins sont mis en place par un décret du 14 septembre 1966. Il sont au nombre de six : Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée-Corse, Seine-Normandie.
Un oubli manifeste : les départements et territoires d'outre-mer. Il faut attendre la loi sur l'eau de 1992, pour que les comités de bassin apparaissent dans les DOM/TOM. L'article 44 de la loi spécifie que : "Il est créé, dans chaque département d'outre-mer, un comité de bassin qui, outre les compétences qui lui sont conférées par l'article 13 de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, est associé à la mise en place des structures administratives qui se révéleraient nécessaires et, s'il y a lieu, à élaboration, dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, des adaptations facilitant l'application, dans le département, de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 précitée et de la présente loi." Le premier comité de bassin n'est créé qu'en 1996 en Martinique. Le dernier, celui de Mayotte, n'est pas encore en place. Sa composition vient d'être fixée par un décret de janvier 2005.
Mais un "comité de bassin" n'a qu'un rôle essentiellement consultatif. La réalité des pouvoirs et des moyens techniques et financiers se trouvent entre les mains des Agences de l'Eau. Or rien de tel outre-mer. Il existe bien, sur le papier, un partenariat technique organisé avec les Agences de métropole. L'Agence Adour-Garonne serait en charge de la Guadeloupe, Loire-Bretagne de la Martinique, Rhône-Méditerranée-Corse de la Guyane et de la Réunion, Seine-Normandie de Saint-Pierre-et-Miquelon. Mais ce morcellement n'annonce aucune réelle possibilité de coopération et si on interroge les services de ces Agences, on constate que ce partenariat tient souvent du tourisme pour quelques responsables des agences et comités de bassin métropolitains. Pour ce qui est d'une aide matérielle réelle, les agences ne sont supposées s'occuper que de leur territoire. Pas d'Agence de l'eau dans les départements et territoires d'outremer signifie donc absence des moyens financiers qui y sont liés.
Ce n'est pas la loi sur l'eau mais la loi d'orientation pour l'Outre-mer qui, en décembre 2000, a pris la dimension de ce problème en décidant de la création, dans chaque département d'Outre-mer, d'un Office de l'Eau, établissement public local à caractère administratif, rattaché à chaque département. Dans un premier temps ces offices de l'eau n'étaient pas autorisés à percevoir des redevances pour aider à réaliser des travaux entrant dans le cadre de la préservation ou de la restauration de la qualité de l'eau. Depuis la loi de programme pour l'Outre-mer votée en 2003, ils le peuvent. Ont-ils les moyens de le faire ?
La montée en puissance des agences de l'eau métropolitaines a été lente. Pendant 25 ans les redevances ont été à un niveau peu significatif sur les factures. Il a fallu attendre 1990 pour constater la brutale accélération qui aujourd'hui amène le niveau des taxes et redevance à une moyenne de 20% de la facture.
Etant donné le retard pris dans les DOM/TOM, le niveau des redevances, pour permettre un minimum d'investissements, devrait atteindre un niveau au moins équivalent à celui de la métropole. Les consommateurs accepteront-ils de payer 20% plus cher une eau dont ils savent qu'elle est gravement polluée ? Déjà en Bretagne des consommateurs ont commencé à refuser de payer une part de leur redevance pollution pour protester contre l'inefficacité de l'état et des agences face à la montée des pollutions. Quarante ans de retard ne se rattrapent pas aussi facilement.
L'oubli, encore l'oubli.
Les DOM/TOM font-ils partie du territoire français ? L'IFEN (institut français de l'environnement) fait un remarquable travail d'information. Dans le rapport annuel qu'il publie sur l'état de l'environnement en France rien ne manque : pollution de l'air, de l'eau des sols jusqu'à même la pollution radioactive résultant de l'explosion de Tchernobyl. Tout, oui, concernant le territoire métropolitain mais rien, ou très peu, sur les îles et territoires lointains qui mériteraient pourtant plusieurs chapitres à eux tous seuls. Le chlordécone, la dieldrine, le HCHβ sont des pesticides ignorés dans les rapports sur les pesticides en France.
Les DOM/TOM font-ils partie de la communauté européenne ? On peut s'interroger quand on voit comment s'y applique la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil européen établissant un "cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau". L'objectif visé est un retour au "bon état écologique" pour 2015. Première étape pour y parvenir : un état des lieux. Une synthèse des états des lieux des différents bassins était présentée au Comité National de l'Eau du 23 juin 2005. Si l'état des six bassins continentaux était détaillé celui des départements et territoires d'outre-mer était à peine évoqué. Les liens internet qui permettaient d'avoir accès aux documents complets de chaque bassin indiquaient un manque évident d'éléments chiffrés concernant l'essentiel de l'outremer.
La réalité est que les départements et territoires d'outremer ont été totalement laissés en marge de la politique de l'eau menée par la France. Il est surtout scandaleux de constater que la France a attendu près de quarante ans pour commencer à y installer des organismes de bassins.
Comment encore oser présenter la France comme un modèle ?
En mai 1994, à Aix-les-Bains, s'est créé le Réseau International des Organismes de Bassin (RIOB). Association française de type loi de 1901, le réseau réunit 134 organismes issus de 51 pays. Son objectif ? Diffuser le "système français" des comités de bassin dont, nous dit un article paru dans la revue de l'Agence Loire-Bretagne en juin 2003, le gouvernement français effectue la promotion "avec pour objectif :
Un rapport qui, enfin, reconnaissait l'urgence et jugeait " difficilement admissible" l'absence d'un plan d'amélioration des pratiques agricoles. Ce rapport leur avait été demandé suite aux résultats d'une campagne renforcée de contrôle des teneurs en pesticides dans l'eau menée par le DDASS de Guadeloupe en 1999.
Les mesures avaient montré des taux très élevés de pesticides organochlorés
(Chlordécone, Dieldrine et β-hexachlorocyclohexane (HCHβ)) dans l'eau distribuée et même dans l'eau embouteillée. Pourtant ces produits, utilisés sur les cultures de canne à sucre et surtout de bananes, étaient interdits d'usage depuis, respectivement, 1993, 1972 et 1987. Ces mesures avaient amené la fermeture d'une usine d'embouteillage d'eau de source (Capesterre Dolé) et des captages alimentant plusieurs communes.
Un Phénomène déjà bien connu :
En introduction, le rapport faisait état de données déjà récoltées depuis plus de vingt ans et dont on peut s'étonner qu'elles soient restées sans effet.
1977, rapport Snégaroff :
A la suite d'une mission menée par l'INRA, ce rapport établissait l'existence d'une pollution dans les sols des bananeraies et des milieux aquatiques environnants par les insecticides organochlorés. Des taux de deux à quatre fois supérieurs aux normes étaient déjà relevés dans les eaux des rivières testées. Un signal d'alerte qui aurait déjà dû être entendu.
1979-80, rapport Kermarrec :
Il souligne la bio-accumulation dans l'environnement de substances organochlorées utilisées comme pesticides. L'étude porte sur le perchlordécone, substance utilisée dans la culture du manioc, ignames, patates douces et fruitières (orangers, citronniers, annanas). Les poissons vivant dans une eau contenant 0,01 μg/l de perchlordécone concentraient ce pesticides 82.000 fois (0,82mg/kg), des crabes le concentraient 60.000 fois (0,60 mg/kg), des crevettes 130.000 fois (1,30 mg/kg). Ces doses énormes provoquaient des symptômes d'empoisonnement de ces espèces.
Le perchlordécone étant très voisins du Chlordécone utilisé sur les bananes, le rapport soulignait déjà le risque de contamination en Guadeloupe et Martinique. On attendra encore 20 ans avant de s'en inquiéter réellement, 20 ans de contamination massive pour les travailleurs agricoles et les habitants.
1993 : étude dans l'estuaire du Grand Carbet :
Cette étude a été menée sur l'initiative de l'UNESCO dans le cadre d'un bilan sur l'état de la mer Caraïbe. Le Grand Carbet, l'une des rivières les plus exposées de Guadeloupe, prend sa source à 1400 mètres d'altitude au pied de la Soufrière. Sur les 13 km2 de son bassin versant, environ 4 km2 sont occupés par des bananeraies sur lesquelles 174 tonnes/an de pesticides sont déversées dont 54 de Chlordécone. Une campagne est menée par la direction de l'agriculture et la forêt sur l'eau de la rivière mais les résultats ne sont pas publiés. L'autre menée sur les estuaires révèle la présence de Chlordécone dans l'eau et les sédiments.
1998 : rapport Balland-Mestres-Fagot.
Une mission d'Inspection demandée par les ministères de l'environnement et de l'agriculture est menée en Martinique et Guadeloupe dans le but de faire la synthèse des résultats connus et de proposer les actions à entre prendre. Premier constat : l'état des lieux reste à faire. Le rapport proposait donc, ente autres, de :
mesurer la présence de pesticides dans l'eau brute et prévoir l'information des consommateurs concernant les risques encourus.
estimer les risques encourus par les populations du ait des traitements aériens et par les ouvriers agricoles.
détecter la présence de pesticides dans les produits végétaux ( légumes, fruits et tubercules).
étudier la faisabilité de l'implantation dans les Antilles d'un laboratoire d'analyse disposant des moyens adaptés.
2001 : Rapport Bonan-Prime
Le rapport commence par un historique. Les exigences de qualité auxquelles doivent satisfaire les eaux distribuées datent du décret 89-3 du 3 janvier 1989. Un décret bien tardif quand on sait que la directive cadre européenne correspondante avait été publiée le 15 juillet 1980. Ce décret était modifié en 1990 puis en 1991 mais c'est seulement en 1995 qu'une modification introduisait une valeur limite pour les pesticides et produits assimilés oubliés jusqu'alors.
En Guadeloupe, la recherche des pesticides n'était d'ailleurs effective qu'à partir de 1998 avec dèja des résultats alarmants pour plusieurs produits (des dépassements de 11 à 35 fois la norme).
Il faut savoir que les méthodes d'analyses des pesticides sont difficiles à mettre en œuvre et excessivement coûteuses. En 1994, 500 molécules étaient homologuées sur le territoire français (il y en a actuellement environ 1000 entrant dans la composition de 10.000 formules différentes). Parmi celles-ci, seulement 60 représentaient 80% des utilisations. Pour en contrôler l'usage un Comité de Liaison " Eau Produits Antiparasitaires" était mis en place en 1992. Ce comité était amené à classer les substances par ordre de risque décroissant en tenant compte des risques d'exposition, de la gravité des effet d'une exposition, du comportement dans le sol, et de la toxicité chronique pour l'homme et les milieux naturels. Ces listes étaient diffusées aux préfets en 1994 puis précisées en 1996, en leur demandant de les adapter à la réalité régionale (on ne traite pas de la même façon le maïs et les arbres fruitiers) et, éventuellement, de les compléter. Il s'agissait donc de définir la liste des molécules qui régionalement devaient être contrôlées en priorité.
Les spécificités de l'agriculture en Guadeloupe et de façon plus générale aux Antilles auraient nécessité une adaptation régionale de cette liste (on n'utilise pas de produits destinés aux bananes et à la canne à sucre sur le territoire métropolitain), ce qui n'a pas été fait. Mais de toutes façons ces départements n'avaient aucun moyen d'effectuer les analyses. Le nombre de produits à rechercher et le niveau de précision exigé demandent des équipements sophistiqués et extrêmement coûteux (chromatographie en phase liquide ou gazeuse, spectrométrie de masse). La mise en œuvre demande un personnel extrêmement qualifié. En France seuls quelques laboratoires sont en mesure de réaliser de telles mesures pour des coûts "relativement" peu élevés (de l'ordre de 500 euros quand même pour une seule analyse).
Quand, en 1998, la Direction Régionale de l'Environnement (DIREN) de Guadeloupe a décidé de lancer une première étude, il n'existait naturellement pas, aux Antilles, de laboratoire adapté. Les mesures portaient sur 30 molécules de pesticides retenues sur la liste hexagonale complétées de trois autres qui n'y figuraient pas : le chlordécone, le malathion, le propiconazolone. Confiées à des laboratoires métropolitains, ces analyses révélaient l'incapacité de ceux-ci à en rechercher la plupart. L'Institut Pasteur n'était en mesure que d'en analyser 15 sur 33, le Laboratoire de la Ville de Paris (CRECEP) seulement 10 sur 33 et aucun des deux ne savait rechercher le chlordécone, produit particulièrement nocif dont il apparaissait qu'il avait été mis sur le marché sans étude réelle de sa toxicité et sans aucun moyen de la contrôler.
Cette première série d'analyse ayant révélé un "bruit de fond", la DDASS et la DIREN étaient amenées à mener une étude plus ciblée. 9 sites étaient retenus, 4 forages et 5 sources. Les prélèvements étaient réalisés sur un rythme mensuel de juillet à décembre 1999 pour les forages et de septembre 1999 à février 2000 pour les captages en sources. 46 molécules étaient recherchées dont 14 molécules organochlorées retirées du marché. Parmi celles-ci trois particulièrement toxiques : la dieldrine , interdite depuis 1972, le HCHβ, interdit depuis 1987 et le Chlordécone, interdit depuis 1993. Trois produits à la fois toxiques et fortement rémanents (possédant une longue durée de vie dans l'environnement). Cette fois on avait enfin trouvé un laboratoire capable de mener ces mesures : le Laboratoire Départemental de la Drôme. Le résultat était éclairant :
45% des prélèvements dépassaient la norme de 0,03 μg/l de dieldrine dans les 5 sources avec un pic de 0,340 μg/l soit 11 fois la norme
80% des prélèvements dépassaient la norme de 0,10 μg/l de HCHβ avec un pic de 2,00 μg/l soit 20 fois la norme.
100% des prélèvements dépassaient la norme de 0,10 μg/l de chlordécone avec un pic de 10,30 μg/l (103 fois la norme !).
De même ces produits étaient recherchés dans les sols, d'abord hors du périmètre des sources :
la dieldrine était présente dans 37 prélèvements sur 38 avec un pic de 0,7 mg/kg ( plus de 20.000 fois la dose maximale admise dans l'eau).
le HCHβ dans 38 prélèvement sur 39 avec un maximum de 4 mg/kg (40.000 fois la dose maximale admise dans l'eau).
Le chlordécone 53 fois sur 54 avec un maximum de 4 mg/kg (40.000 fois la dose maximale admise pour l'eau)
Dans le périmètre des sources on relevait jusqu'à 600 fois la dose maximale admise en dieldrine, 600 fois la dose en HCHβ et 100.000 fois la dose en Chlordécone !
La publication de ces résultats a provoqué une situation de crise. Les deux captages les plus pollués ont dû être fermés. La consommation d'eau interdite sur d'autres de même que l'autorisation de mise en bouteille pour une usine d'eau de source. Solution d'urgence : des interconnexions ont été mises en place, de l'eau en bouteille a été distribuée, un traitement des pesticides par charbon actif a été installé sur les usines de prélèvement. Solutions d'urgence qui ne résoudront rien à plus long terme. A présent les Guadeloupéens l'ont compris : leur île est gravement empoisonnée et elle l'est pour longtemps. Concernant la présence massive de produits depuis longtemps interdits on a pu évoquer la poursuite d'usages frauduleux mais on constate surtout qu'on ignorait tout de la rémanence de ses produits dans les sols. On évoque à présent des dizaines d'années, voire un siècle avant de les voir disparaître. On ignorait tout également de leur concentration dans les tubercules. Maintenant on sait et on apprend aussi que les effets néfastes sur la santé de ces produits sont déjà connus.
Autres pesticides.
Les insecticides ne sont pas les seuls pesticides mesurés. Les herbicides utilisés pour les cultures de canne-à-sucre et le maraichage apportent leur part de pollution. Dans l'eau de la ravine des Coudes, par exemple, on a trouvé 10 μg/l d'Améthrine ( 100 fois la norme), 5,3 μg/l pour l'Héxazinone, 1,94 μg/l pour le diuron soit respectivement, 53 fois et 194 fois la norme. Or la plaine de Grippon, sur laquelle s'écoule la ravine des Coudes, constitue la ressource en eau potable la plus importante de la Grande-Terre. On imagine aisément les effets de ces cocktails sur la santé.
Des effets inquiétants pour la santé
Les effets d'une intoxication aigüe d'abord. L'effet des organochlorés auxquels appartiennent les "trois salopards" analysés en Guadeloupe (dieldrine, HCHβ, Chlordécone) est une atteinte du système nerveux central avec apparition de tremblements, de contractures musculaires, troubles du rythme cardiaque, hypertension, troubles visuels, troubles de la coordination, atteinte des fonctions sexuelles. Des convulsions sévères pouvant même entraîner la mort sont décrites. Une enquête menée sur le terrain auprès de travailleurs agricoles chargés d'épendre ces produits montre que cette description n'est pas uniquement théorique. Comment conserver un masque dès que la chaleur monte aux premières heures de la matinée ? Et quel intérêt quand la sueur saturée de pesticides y dégouline ? Y a-t-il une statistique des travailleurs agricoles amenés d'urgence à l'hôpital après un évanouissement en plein champ pendant un épandage ?
Les effets d'une intoxication chronique sont moins connus mais des chiffres commencent à parler. Effet cancérigène d'abord et la question se pose du rôle des pesticides dans le fort taux de cancers de la prostate en Guadeloupe (220 à 240 cas nouveaux par an). Effet sur le cerveau ensuite : une forme atypique de la maladie de Parkinson est particulièrement présente en Guadeloupe et on peut soupçonner les pesticides quand on constate qu'on a trouvé une proportion plus forte de chlordécone dans le cerveau des personnes décédées. Mais c'est dans le domaine des troubles de reproduction, et plus précisément de l'infécondité masculine qu'il existe le plus de signes du rôle néfaste des pesticides. Cependant, faute d'études et de volonté de les mener à bien, les preuves formelles font défaut. Faut-il être optimiste quand le rapport Bonan/Prime estime que "La Guadeloupe constitue un lieu privilégié pour poursuivre un certain nombre d'études épidémiologiques sur les effets des pesticides sur la santé humaine" ( page 57).
Hélas oui, les habitants des îles peuvent dans ce domaine servir de cobayes. Comme d'autres dans le domaine de l'amiante ou de l'irradiation radioactive. Mais il faudra, là aussi, de longues mobilisations des victimes pour que les causes de leurs maladies soient reconnues.
En Martinique aussi.
Si c'est en Guadeloupe qu'a été menée la première mission d'inspection, c'est de Martinique qu'est venue l'alerte en métropole. Ou plutôt du port de Dunkerque où les services de la répression des fraudes saisissent une tonne et demie de patates douces en provenance de la Martinique et dans lesquelles une analyse révèle une forte contamination par le Chlordécone. L'affaire révélée par le journal "Libération" fait grand bruit. Comme en Guadeloupe on soupçonne, sans pouvoir le prouver, un usage frauduleux de ce pesticide interdit mais surtout on se pose enfin la question de sa persistance dans les sols et de sa concentration dans la chaîne alimentaire. Là encore, la culture "industrielle"des bananes est mise en cause.
Un rapport établi par Eric Godard, ingénieur du génie sanitaire à la Direction de la Santé et du Développement Social (DSDS) de la Martinique, à l'occasion du Forum International en Santé Environnementale, qui s'est tenu en mars 2003, éclaire sur la pollution de l'eau, mais surtout des sols, par le chlordécone.
L'eau, naturellement, est contaminée mais le rapport s'attache surtout à montrer la présence du pesticide dans les aliments. Des patates douces, par exemple, présentent jusqu'à 1,9 mg/kg de chlordécone soit 19 000 fois la dose maximale admise pour l'eau. Les poissons d'eau douce peuvent en contenir jusqu'à 386 μg/kg soit près de 4000 la dose maximale admise. Le poisson d'eau de mer n'est pas épargné L'auteur calcule qu'un repas composé de ces aliments peut apporter 97 μg de chlordécone à son consommateur. Une bonne partie du pesticide viendra se concentrer dans son organisme et en particulier dans ses graisses.
La question se pose donc : faut-il continuer à produire des tubercules ou à manger du poisson et des crustacés en Guadeloupe et Martinique ? Les services de la répression des fraudes de la Martinique, dans le cadre d'un plan de contrôle renforcé, ont détecté plus de 40% de lots de "légumes racines" non conformes sur 26 inspections effectuées. La population ayant été exposée à cette pollution pendant plus de trente ans, Eric Godard estime que la mesure de l'imprégnation humaine serait un bon indicateur du niveau de la pollution généralisée. Du travail en perspective pour les chercheurs.
En novembre 2002, le groupe régional phytosanitaire (GREPHY) de Martinique a défini un plan d'action. La cellule interrégionale d'épidémiologie (CIRE) a, d'abord, lancé une enquête sur les habitudes alimentaires (contenu du panier de la ménagère) des habitants, de façon à préciser les niveaux de contamination des principaux aliments et définir l'exposition du consommateur antillais. De même une cartographie des sols contaminés sera établie et une procédure d'analyse des produits cultivés. En Guadeloupe, l'Instit Pasteur est à présent en mesure de faire ces analyses. Un jour peut-être les Antillais sauront exactement comment on les empoisonne mais ce jour n'est pas encore venu car étant donné la modicité des moyens humains et matériels mis en œuvre, il ne faut pas attendre de miracles. En attendant les produits du sol et des rivières continuent à arriver sur les marchés.
Principe de Précaution ou de Ponce Pilate ?
En attendant, l'Etat se couvre. Les préfets de Guadeloupe et de Martinique ont pris des arrêtés pour imposer à tout producteur de légume à risque (légumes racines et bulbes divers) un autocontrôle de sa production. Il devra vérifier la conformité des ses produits au regard du code de la consommation sur la base de l'article L 212-1. Un article redoutable déjà mentionné au moment de la crise de "la vache folle". Le contrevenant peut être poursuivi pour le délit de mise en danger d'autrui, le délit d'atteinte à la personne, le délit de tromperie. Rien que cela.
Tout agriculteur doit donc justifier de l'autocontrôle effectué. Il doit déclarer la mise en culture (ou l'intention de cultiver) ses sols à la Chambre d'Agriculture. Celle-ci prélève alors un échantillon de sol, fait effectuer une analyse par un laboratoire agréé et communique le résultat à l'exploitant (coût : 240€ par échantillon). Si le sol est contaminé et que l'exploitant décide malgré tout d'y installer ou d'y poursuivre sa culture, il doit obligatoirement faire analyser sa récolte avant commercialisation. L'analyse du sol est prise en charge par des fonds publics mais l'analyse du végétal, extrêmement onéreuse, est à la charge du producteur. Si sa récolte est contaminée il a alors une l'obligation de la détruire. Mesure théorique quand on sait que la mise en décharge reviendrait à remettre les pesticides en circulation et que les fours à haute température nécessaires pour la destruction des molécules des organochlorés n'existent évidemment pas aux Antilles et sont même peu fréquents sur le territoire métropolitain.
Tout cela est donc bien beau sur le papier mais quand on sait que le taux de contamination observé dès les premiers contrôles était de 40%, les arrêtés préfectoraux reviennent à proposer à la moitié des producteurs d'arrêter leur activité, ce qui naturellement est impensable. Qui, donc, pourrait prétendre qu'il n'y a plus aujourd'hui de légumes assaisonnés au Chlordécone et au HCHβ sur les marchés des Antilles ? Même les jardins familiaux peuvent être contaminés tant il est vrai qu'on les a parfois traité par des pesticides réservés aux bananes ou que les traitements aériens ne les on pas épargnés.
Un MétalEurop agricole.
Un sol aussi contaminé ne peut que nous remettre en mémoire des exemples de pollution industrielle comme celle de Seveso avec la contamination des sols par la dioxine ou de Métaleurop par le plomb. Cette dernière pollution ainsi que l'accident de AZF ont inspiré la loi du 30 juillet 2003 relative à la "prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages provoqués dans l'environnement". A présent une usine polluante devra remettre en état les sols qu'elle aura pollués. Dans le cas des pesticides utilisés dans les départements d'outremer, la responsabilité des fabricants d'engrais et celle de l'état devraient être établies et un véritable plan de décontamination mis en place. Car il n'est pas possible de laisser les sols dans cet état pendant encore des dizaines d'années !
Mais il y aurait encore à dire.
Les cas de la Guadeloupe et de la Martinique sont les mieux connus mais les bananes et la canne à sucre se cultivent aussi à la Réunion. Inutile de préciser que les mêmes pollutions par les mêmes pesticides s'y retrouvent. Il faut à cela ajouter une spécificité qui semble Réunionnaise : l'utilisation de pesticides par les braconniers sur les ruisseaux et rivières. Un bonne dose de pesticide concentré et les poissons se trouvent le ventre en l'air. Il n'y a plus qu'à les cueillir. Et tant pis pour les usines d'alimentation en eau potable qui prélèvent en aval.
En Guyane, c'est la pollution des rivières par le mercure utilisé par les orpailleurs qui domine. Les populations autochtones n'ont que le choix entre abandonner leur mode de vie ou s'empoisonner. Quant à la faune, n'en parlons pas.
Mais tous ces milieux fragiles doivent subir une autre source majeure de pollution : l'absence ou le mauvais fonctionnement de l'assainissement urbain ou individuel. Dans des régions où la population est concentrée près du littoral et où les permis de construire sont souvent considérés comme une formalité dont on peut se passer, la pollution organique et bactérienne est redoutable.
Le Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion des Eaux de la Guadeloupe, adopté en 2002, décrit une situation alarmante :
"La capacité totale des stations dépuration communales est de 175 000 équivalent habitants, soit environ 40% de la population Guadeloupéenne" ou encore "des éléments qualitatifs comme les odeurs ou la couleur du rejet permettent de conclure que, d'une façon générale, l'assainissement collectif est médiocre". Quand aux fosses septiques individuelles, leur fonctionnement est aléatoire et leur vidange généralement incontrôlée. D'autre part "de nombreux rejets d'eau ménagère et d'eaux vannes sont effectués directement dans le milieu naturel sans dispositif d'assainissement".
Il faut y ajouter la pollution industrielle. En Guadeloupe la filière canne/sucre/rhum produit une pollution organique équivalente à celle de 827 000 habitants (pour 422 000 habitants), avec un traitement minimal de ses effluents quand ils ne sont pas directement rejetés dans le milieu naturel. D'autre part la zone industrielle de Jarry qui rassemble une partie importante de l'activité commerciale et industrielle de la Guadeloupe n'est pas pourvue de réseau d'assainissement. Quant aux décharges sauvages ou officiellement "contrôlées, elles laissent ruisseler copieusement leurs lixiviats vers le milieu naturel.
Devant un tableau aussi désespérant une question se pose : comment en sommes nous arrivés là !
Les oubliés des lois sur l'eau.
1964 une grande loi sur l'eau… pour la métropole.
La "loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution" est la grande loi française sur l'eau. Dès le début des années 60, le constat a été fait d'une dégradation accélérée de la qualité de l'eau consécutive à la période de reconstruction de l'après-guerre (croissance urbaine, industrielle, agricole). Le constat est fait que le milieu naturel n'est plus en mesure d'absorber la pollution et que s'imposent des programmes d'investissement pour prévenir la pollution, d'autant plus que les besoins en eau, prévisibles pour les années à venir, s'annoncent sans commune mesure avec ceux du passé.
Originalité : la loi propose une politique de décentralisation avant la lettre en divisant la France en bassins hydrographiques organisés autour des principaux fleuves de l'hexagone. Dans chaque bassin ou groupement de bassins il est créé un "comité de bassin" composé de représentants des régions et collectivités locales situées sur le bassin, de représentants d'usagers et de personnes compétentes, de représentants désignés par l'état (article 13). Cet organisme consultatif est accolé à une "agence financière de bassin", établissement public administratif doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière. L'agence a le pouvoir d'établir et de percevoir des redevances, véritable impôt échappant au contrôle parlementaire et dont la légalité est jusqu'à ce jour contestée (sa légalisation étant l'un des objets des projets de loi sur l'eau qui se sont succédés depuis 1998). A partir des années 90 ces redevances voient tripler leur montant. Le pactole ainsi récolté atteint 9 milliards d'euros au niveau national par an en 2004, ce qui n'empêche pas la France d'être considérée comme le mauvais élève de la classe européenne et d'être régulièrement condamnée par la Cour de Justice Européenne pour manquement à ses obligations dans le domaine de la lutte contre les pollutions de l'eau.
Les comités de bassins sont mis en place par un décret du 14 septembre 1966. Il sont au nombre de six : Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée-Corse, Seine-Normandie.
Un oubli manifeste : les départements et territoires d'outre-mer. Il faut attendre la loi sur l'eau de 1992, pour que les comités de bassin apparaissent dans les DOM/TOM. L'article 44 de la loi spécifie que : "Il est créé, dans chaque département d'outre-mer, un comité de bassin qui, outre les compétences qui lui sont conférées par l'article 13 de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, est associé à la mise en place des structures administratives qui se révéleraient nécessaires et, s'il y a lieu, à élaboration, dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, des adaptations facilitant l'application, dans le département, de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 précitée et de la présente loi." Le premier comité de bassin n'est créé qu'en 1996 en Martinique. Le dernier, celui de Mayotte, n'est pas encore en place. Sa composition vient d'être fixée par un décret de janvier 2005.
Mais un "comité de bassin" n'a qu'un rôle essentiellement consultatif. La réalité des pouvoirs et des moyens techniques et financiers se trouvent entre les mains des Agences de l'Eau. Or rien de tel outre-mer. Il existe bien, sur le papier, un partenariat technique organisé avec les Agences de métropole. L'Agence Adour-Garonne serait en charge de la Guadeloupe, Loire-Bretagne de la Martinique, Rhône-Méditerranée-Corse de la Guyane et de la Réunion, Seine-Normandie de Saint-Pierre-et-Miquelon. Mais ce morcellement n'annonce aucune réelle possibilité de coopération et si on interroge les services de ces Agences, on constate que ce partenariat tient souvent du tourisme pour quelques responsables des agences et comités de bassin métropolitains. Pour ce qui est d'une aide matérielle réelle, les agences ne sont supposées s'occuper que de leur territoire. Pas d'Agence de l'eau dans les départements et territoires d'outremer signifie donc absence des moyens financiers qui y sont liés.
Ce n'est pas la loi sur l'eau mais la loi d'orientation pour l'Outre-mer qui, en décembre 2000, a pris la dimension de ce problème en décidant de la création, dans chaque département d'Outre-mer, d'un Office de l'Eau, établissement public local à caractère administratif, rattaché à chaque département. Dans un premier temps ces offices de l'eau n'étaient pas autorisés à percevoir des redevances pour aider à réaliser des travaux entrant dans le cadre de la préservation ou de la restauration de la qualité de l'eau. Depuis la loi de programme pour l'Outre-mer votée en 2003, ils le peuvent. Ont-ils les moyens de le faire ?
La montée en puissance des agences de l'eau métropolitaines a été lente. Pendant 25 ans les redevances ont été à un niveau peu significatif sur les factures. Il a fallu attendre 1990 pour constater la brutale accélération qui aujourd'hui amène le niveau des taxes et redevance à une moyenne de 20% de la facture.
Etant donné le retard pris dans les DOM/TOM, le niveau des redevances, pour permettre un minimum d'investissements, devrait atteindre un niveau au moins équivalent à celui de la métropole. Les consommateurs accepteront-ils de payer 20% plus cher une eau dont ils savent qu'elle est gravement polluée ? Déjà en Bretagne des consommateurs ont commencé à refuser de payer une part de leur redevance pollution pour protester contre l'inefficacité de l'état et des agences face à la montée des pollutions. Quarante ans de retard ne se rattrapent pas aussi facilement.
L'oubli, encore l'oubli.
Les DOM/TOM font-ils partie du territoire français ? L'IFEN (institut français de l'environnement) fait un remarquable travail d'information. Dans le rapport annuel qu'il publie sur l'état de l'environnement en France rien ne manque : pollution de l'air, de l'eau des sols jusqu'à même la pollution radioactive résultant de l'explosion de Tchernobyl. Tout, oui, concernant le territoire métropolitain mais rien, ou très peu, sur les îles et territoires lointains qui mériteraient pourtant plusieurs chapitres à eux tous seuls. Le chlordécone, la dieldrine, le HCHβ sont des pesticides ignorés dans les rapports sur les pesticides en France.
Les DOM/TOM font-ils partie de la communauté européenne ? On peut s'interroger quand on voit comment s'y applique la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil européen établissant un "cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau". L'objectif visé est un retour au "bon état écologique" pour 2015. Première étape pour y parvenir : un état des lieux. Une synthèse des états des lieux des différents bassins était présentée au Comité National de l'Eau du 23 juin 2005. Si l'état des six bassins continentaux était détaillé celui des départements et territoires d'outre-mer était à peine évoqué. Les liens internet qui permettaient d'avoir accès aux documents complets de chaque bassin indiquaient un manque évident d'éléments chiffrés concernant l'essentiel de l'outremer.
La réalité est que les départements et territoires d'outremer ont été totalement laissés en marge de la politique de l'eau menée par la France. Il est surtout scandaleux de constater que la France a attendu près de quarante ans pour commencer à y installer des organismes de bassins.
Comment encore oser présenter la France comme un modèle ?
En mai 1994, à Aix-les-Bains, s'est créé le Réseau International des Organismes de Bassin (RIOB). Association française de type loi de 1901, le réseau réunit 134 organismes issus de 51 pays. Son objectif ? Diffuser le "système français" des comités de bassin dont, nous dit un article paru dans la revue de l'Agence Loire-Bretagne en juin 2003, le gouvernement français effectue la promotion "avec pour objectif :
- d'affirmer la compétence de la France dans un domaine de première importance, en montrant sa maîtrise administrative et technique.
- de favoriser le commerce extérieur français en ouvrant de nouveaux marchés aux entreprises et bureaux d'étude spécialisés."
Vouloir exporter un système qu'on n'est pas capable de mettre en œuvre sur son propre territoire relève d'une certaine duplicité. Duplicité encore plus grande quand on apprend que la dernière assemblée générale du RIOB s'est tenue en Janvier 2004 en Martinique, département où le "système français" a largement fait preuve de son inefficacité. Le soleil, le sable et la mer étaient certainement au rendez-vous mais les congressistes pouvaient-ils ignorer l'état de pollution du territoire sur lequel ils se trouvaient ?
Un devoir de réparation :
Certes, des comités de bassin, des offices de l'eau se mettent en place dans les DOM/TOM mais personne ne peut imaginer que, livrés à leurs seuls moyens techniques et financiers, ils puissent redresser quarante ans de laisser-faire. Ces biotopes particulièrement riches, ces milieux fragiles, auraient du faire l'objet d'une attention particulière. On les a, tout au contraire, laissés se dégrader pour des intérêts à court terme. L'état français a un devoir de réparation vis-à-vis de ces départements et territoires qui font partie du patrimoine mondial.
La directive cadre européenne exige le retour à un bon état écologique des milieux aquatiques de l'ensemble du territoire Français pour 2015. Une priorité s'impose : la remise en état des sols et des milieux aquatiques des territoires et départements d'outremer.