
Paris, le 9 décembre 2005
Je prends l'initiative de vous écrire pour partager avec vous une de mes plus graves préoccupations, encouragée en cela par Jean Ziegler, rapporteur spécial de la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies sur le droit à l'alimentation et administrateur de la Fondation que je préside.
Vous n’avez sans doute pas eu l’occasion de prendre connaissance de la campagne que nous menons depuis fin octobre sur le « droit de l’eau ». Je vous en adresse donc ici le dossier de presse, pour que vous puissiez être informé du sens de ma démarche.
Cette campagne, qui revendique un concept de liberté, de potabilité, et de gratuité du minimum vital d'eau nécessaire (40 litres par jour), est une action mûrement réfléchie. Elle nous est inspirée par la gravité de la situation de l'accès à l'eau sur la planète, par les témoignages, les rencontres sur le terrain et la réalité vécue par des pays comme par exemple l’Argentine, la Bolivie, le Mali ou l'Inde, où une grande partie de la population se trouve aujourd’hui privée d’une ressource vitale à cause de politiques que vous connaissez bien.
Le modèle de gestion privée de l’eau, justifié en théorie par une idéologie de rentabilité économique et sous tendu en réalité par une gigantesque spéculation financière sur des profits réalisé aux dépends de la ressource, s’avère aujourd’hui une véritable catastrophe pour les plus démunis.
A Hong Kong s'ouvrent bientôt les négociations de l'OMC sur l’intégration éventuelle de l'eau dans l’AGCS. Nous nous interrogeons sur le bien fondé des décisions que vous semblez vouloir prendre à propos du destin du service de l’eau. Vous admettez, du moins je le suppose en considérant votre parcours politique, que l’eau, élément constitutif de la vie, ne peut être considérée comme une simple marchandise, une source comme une autre de profit pour quelque entreprise ou groupe que ce soit.
C'est pourquoi j'aimerais attirer votre attention sur le choix de l’irréversibilité des contrats des services d’eau et d’assainissement entre les collectivités territoriales et les représentants du secteur privé. Cette offensive du secteur privé pour perenniser ses profits financiers, agresse les volontés populaires et leurs représentants locaux qui se sont largement exprimés pour que le service de l’eau soit géré par les collectivités et pour les collectivités dans l’intérêt de tous, y compris de ceux qui n’ont pas les moyens de le payer. Aucun être humain ne devrait être condamné à mort pour cause de pauvreté.
Pensez-vous qu'un bien commun vital pour l'humanité doive faire partie de cet accord, doive donc être entièrement soumis à une logique marchande ?
Une représentante de France Libertés sera présente à Hong Kong au côté des Organisations qui manifestent leur inquiétude et leur vigilance par rapport aux menaces qui pèsent sur les droits fondamentaux des êtres humains à avoir accès à l'eau. C’est un sujet qui ne peut être confisqué par quelques décideurs, aussi désintéressées et objectives que paraissent être leurs intentions.
Monsieur le Directeur général, mon vœu, expression d'un grand mouvement mondial qui s'amorce et que que vous ne pouvez ignorer, est de voir retirer l’eau de cet accord.
N’oubliez pas que les Français n’ont pas accepté que les services publics soient remplacés par les services d’ intérêt économique général Pourquoi revenir aujourd'hui sur ce qui semblait avoir été entendu à Cancun en 2003?
Je vous prie de bien vouloir reconsidérer votre position et peser avec votre conscience toutes les conséquences que pourraient avoir dans le futur une décision qui engage des milliards d'êtres humains.
En vous remerçiant de votre attention, veuillez croire, Monsieur le Directeur général à ma plus sincère considération.
Danielle Mitterrand
Présidente de la Fondation France Libertés