Le tribunal administratif doit dire ce mardi s’il annule ou non l’attribution à Veolia d’une station d’épuration francilienne. Tandis que deux ONG portent plainte au pénal pour favoritisme
Le législateur a beau réformer le code des marchés publics à intervalles de plus en plus réguliers, les affaires perdurent. Pour que tout change sans que rien ne change. Dernière embrouille en date, celle du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (Siaap), en charge du traitement des eaux usées du Grand Paris - la capitale et ses trois départements limitrophes, soit 9 millions d’usagers. Les recours judiciaires (administratifs, pénaux) se multiplient sur fond(s ?) de favoritisme ou de corruption de cet immense marché public. En septembre, le Siaap confiait à Veolia la gestion de sa station d’épuration de Valenton, sur la Seine, en amont de Paris. Cette société possédait déjà l’exploitation de l’autre principale usine située en aval, à Achères. Suez, concurrent éconduit, a légitimement contesté la décision (1) : il était 10 % moins cher que son concurrent (sur un marché de 400 millions d’euros), le Siaap ayant plus ou moins pondéré un critère de gouvernance pour estimer que le mieux-disant financier (Suez) ne serait pas forcément le mieux-disant tout court (Veolia).
Dupont et Dupond.
Plus surprenant, le préfet d’Ile-de-France, Michel Cadot, avait illico contesté cette décision. Non content d’avoir obtenu en décembre la suspension du contrat, il en réclame depuis l’annulation pure et simple - la justice administrative devant rendre sa décision ce mardi. Qu’un très haut fonctionnaire se mêle d’une bagarre proverbiale entre marchands d’eaux (toujours les mêmes, Veolia et Suez, les Dupont et Dupond du secteur, la Saur osant ponctuellement marcher sur leurs plates-bandes) est rarissime.
Son recours administratif est strictement technique. Néanmoins, deux ONG (l’Association pour un contrat mondial de l’eau et le Front républicain d’intervention contre la corruption), toutes deux animées par un ex-syndicaliste de Veolia, Jean-Luc Touly, en ont donné une traduction pénale dans le cadre d’une plainte pour favoritisme déposée la semaine dernière. «Le financement de la vie politique par les marchés publics n’intéresse pas forcément les usagers de l’eau, mais ça suffit»,s’indigne Touly. Ce genre de propos pourrait lui valoir une nouvelle plainte en diffamation (il en a l’habitude). Sauf que le marché du Siaap se prête particulièrement à une telle interprétation…
Ce syndicat interdépartemental reste un bastion communiste, alors que ces derniers ne cessent de reculer aux élections locales en région parisienne. Et Veolia est un «compagnon de route» historique du PCF, sponsor historique de la Fête de L’Huma. Dans un récent livre (Plongée en eaux troubles, éditions Michalon), le journaliste Thierry Gadault pointait le «double langage permanent du parti», défenseur officiel des divers services publics, mais partisan de leurs délégations au privé, de préférence à Veolia, dès qu’il est aux manettes de collectivités locales. Au point de susciter l’indignation de la CGT du Siaap, dont la direction militait pour une gestion privée du traitement des eaux usées, ses salariés préférant d’évidence une gestion publique. Dans une note consultée par Libé, les cégétistes s’insurgent : «Il faudrait 246 fonctionnaires pour faire le travail de 155 agents du privé ??? De qui se moque-t-on ?»
Nouveau Yalta.
Le partage des eaux ne concerne pas que les communistes, qui cogèrent la question en parfaite harmonie avec la droite francilienne, via André Santini, maire UDI d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) et inamovible président du Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif) depuis un quart de siècle. Premier syndicat intercommunal de France (144 communes), le Sedif règne sur la distribution d’eau, délaissant son traitement aux communistes. Le tout pour le plus grand bénéfice de Veolia. En 2015, après une ultime déroute aux élections locales, un coup de pouce conjoint d’André Santini et Anne Hidalgo, la maire de Paris, a permis au PCF de conserver cet ultime bastion. A l’époque, seul Patrick Devedjian, le président du conseil départemental des Hauts-de-Seine, osera contester ce nouveau Yalta.
Depuis, la maire de Paris qui, sous la mandature Bertrand Delanoë, avait remunicipalisé sa distribution d’eau (mais pas son assainissement, sous gestion interdépartementale) semble ménager la chèvre et le chou. En mode pédale douce, un de ses adjoints en charge de l’eau, Mao Peninou, vient tout juste de se résoudre à un article 40, qui fait obligation à tout dépositaire d’une parcelle d’autorité publique de dénoncer au parquet un éventuel fait délictueux. Et encore, selon Marianne, ce n’est qu’après un récent coup de fil d’un confrère de France Télévisions qu’il s’y serait résolu… «Hidalgo a œuvré en 2015 à la reconduction d’un système qui était déjà en pleine tempête judiciaire, sa posture de chevalier blanc ne va pas être tenable très longtemps», résume Marc Laimé, fin connaisseur du secteur via son blog «Les Eaux glacées du calcul égoïste».
Car les affaires du Siaap ne datent pas d’aujourd’hui, la justice pénale étant déjà saisie de précédents marchés suspects, toujours pour ses usines d’assainissement. Le Canard enchaîné, et plus récemment Ebdo,ont déjà détaillé les faveurs de Veolia pour des élus franciliens : voyages à l’étranger, matchs de rugby, visites de vignobles…
(1) Sollicités par Libé, ni Suez ni Veolia n’ont souhaité répondre.
Le législateur a beau réformer le code des marchés publics à intervalles de plus en plus réguliers, les affaires perdurent. Pour que tout change sans que rien ne change. Dernière embrouille en date, celle du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (Siaap), en charge du traitement des eaux usées du Grand Paris - la capitale et ses trois départements limitrophes, soit 9 millions d’usagers. Les recours judiciaires (administratifs, pénaux) se multiplient sur fond(s ?) de favoritisme ou de corruption de cet immense marché public. En septembre, le Siaap confiait à Veolia la gestion de sa station d’épuration de Valenton, sur la Seine, en amont de Paris. Cette société possédait déjà l’exploitation de l’autre principale usine située en aval, à Achères. Suez, concurrent éconduit, a légitimement contesté la décision (1) : il était 10 % moins cher que son concurrent (sur un marché de 400 millions d’euros), le Siaap ayant plus ou moins pondéré un critère de gouvernance pour estimer que le mieux-disant financier (Suez) ne serait pas forcément le mieux-disant tout court (Veolia).
Dupont et Dupond.
Plus surprenant, le préfet d’Ile-de-France, Michel Cadot, avait illico contesté cette décision. Non content d’avoir obtenu en décembre la suspension du contrat, il en réclame depuis l’annulation pure et simple - la justice administrative devant rendre sa décision ce mardi. Qu’un très haut fonctionnaire se mêle d’une bagarre proverbiale entre marchands d’eaux (toujours les mêmes, Veolia et Suez, les Dupont et Dupond du secteur, la Saur osant ponctuellement marcher sur leurs plates-bandes) est rarissime.
Son recours administratif est strictement technique. Néanmoins, deux ONG (l’Association pour un contrat mondial de l’eau et le Front républicain d’intervention contre la corruption), toutes deux animées par un ex-syndicaliste de Veolia, Jean-Luc Touly, en ont donné une traduction pénale dans le cadre d’une plainte pour favoritisme déposée la semaine dernière. «Le financement de la vie politique par les marchés publics n’intéresse pas forcément les usagers de l’eau, mais ça suffit»,s’indigne Touly. Ce genre de propos pourrait lui valoir une nouvelle plainte en diffamation (il en a l’habitude). Sauf que le marché du Siaap se prête particulièrement à une telle interprétation…
Ce syndicat interdépartemental reste un bastion communiste, alors que ces derniers ne cessent de reculer aux élections locales en région parisienne. Et Veolia est un «compagnon de route» historique du PCF, sponsor historique de la Fête de L’Huma. Dans un récent livre (Plongée en eaux troubles, éditions Michalon), le journaliste Thierry Gadault pointait le «double langage permanent du parti», défenseur officiel des divers services publics, mais partisan de leurs délégations au privé, de préférence à Veolia, dès qu’il est aux manettes de collectivités locales. Au point de susciter l’indignation de la CGT du Siaap, dont la direction militait pour une gestion privée du traitement des eaux usées, ses salariés préférant d’évidence une gestion publique. Dans une note consultée par Libé, les cégétistes s’insurgent : «Il faudrait 246 fonctionnaires pour faire le travail de 155 agents du privé ??? De qui se moque-t-on ?»
Nouveau Yalta.
Le partage des eaux ne concerne pas que les communistes, qui cogèrent la question en parfaite harmonie avec la droite francilienne, via André Santini, maire UDI d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) et inamovible président du Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif) depuis un quart de siècle. Premier syndicat intercommunal de France (144 communes), le Sedif règne sur la distribution d’eau, délaissant son traitement aux communistes. Le tout pour le plus grand bénéfice de Veolia. En 2015, après une ultime déroute aux élections locales, un coup de pouce conjoint d’André Santini et Anne Hidalgo, la maire de Paris, a permis au PCF de conserver cet ultime bastion. A l’époque, seul Patrick Devedjian, le président du conseil départemental des Hauts-de-Seine, osera contester ce nouveau Yalta.
Depuis, la maire de Paris qui, sous la mandature Bertrand Delanoë, avait remunicipalisé sa distribution d’eau (mais pas son assainissement, sous gestion interdépartementale) semble ménager la chèvre et le chou. En mode pédale douce, un de ses adjoints en charge de l’eau, Mao Peninou, vient tout juste de se résoudre à un article 40, qui fait obligation à tout dépositaire d’une parcelle d’autorité publique de dénoncer au parquet un éventuel fait délictueux. Et encore, selon Marianne, ce n’est qu’après un récent coup de fil d’un confrère de France Télévisions qu’il s’y serait résolu… «Hidalgo a œuvré en 2015 à la reconduction d’un système qui était déjà en pleine tempête judiciaire, sa posture de chevalier blanc ne va pas être tenable très longtemps», résume Marc Laimé, fin connaisseur du secteur via son blog «Les Eaux glacées du calcul égoïste».
Car les affaires du Siaap ne datent pas d’aujourd’hui, la justice pénale étant déjà saisie de précédents marchés suspects, toujours pour ses usines d’assainissement. Le Canard enchaîné, et plus récemment Ebdo,ont déjà détaillé les faveurs de Veolia pour des élus franciliens : voyages à l’étranger, matchs de rugby, visites de vignobles…
(1) Sollicités par Libé, ni Suez ni Veolia n’ont souhaité répondre.