
William Bourdon, la fièvre du droit

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Il y a aussi l'avocat militant des droits de l'homme — il a été pendant cinq ans secrétaire général de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) — que l'on a croisé bataillant contre le général Pinochet pour des familles de Français disparus au Chili, contre Hassan II aux côtés d'un ancien courtisan devenu opposant, contre l'armée française avec des rescapés du génocide rwandais, contre les méthodes de renseignement américaines, en défense des détenus français à Guantanamo.
Il y a enfin le fondateur et président de l'association Sherpa, un réseau international de juristes traquant les nouvelles formes d'impunité liées à la mondialisation, de la déforestation sauvage au Cameroun à l'exposition de la santé des ouvriers dans les mines d'uranium au Niger ou d'or au Mali. L'un de ses "maîtres" professionnels, l'avocat Henri Leclerc, avait prévenu : "William, c'est une fièvre, anxieux et anxiogène, mais bien moins brouillon qu'il ne peut le paraître."
Au nom de Sherpa, il avait dénoncé en 2002 l'exploitation forcée de jeunes mineurs dans les travaux d'un gazoduc en Birmanie exploité par la société TotalFinaElf. L'affaire devait le conduire à apposer sa signature, mardi 29 novembre, au bas d'un accord par lequel la société pétrolière a accepté de verser 5,2 millions d'euros à un fonds d'indemnisation et d'aide humanitaire, en échange du retrait de la plainte qu'il avait déposée à Nanterre au nom de jeunes Birmans.
D'avoir amené "la plus grosse société française, en termes de capitalisation, à transiger avec les damnés de la terre" lui donne une profonde satisfaction. Pour un peu, on le verrait soupirer d'aise. Il se reprend aussitôt, retouche le tableau. "Je ne suis pas là pour collectionner les trophées de dirigeants d'entreprise, mais juste pour leur dire : vous avez joué avec l'environnement, vous avez joué avec la santé des gens, vous devez indemniser." Déjà, il pare les accusations contre cet accord, dont chaque mot a été pesé avec les avocats de la compagnie pétrolière, Me Jean Veil et Daniel Soulez-Larivière. "Face à Total, il fallait être impeccable. Eviter le piège de la paranoïa et celui de la naïveté, explique-t-il. On va peut-être dire que je suis un maître chanteur ou, au contraire, me reprocher de ne pas être allé assez loin. Moi, j'y vois un acte moderne, précurseur."
Ni Robespierre ni Don Quichotte, William Bourdon s'aime en "pionnier". Prétention d'avocat ? Sans doute. Mais, plus profondément, refus farouche d'être emballé, ficelé. "Je veux être libre de tout le monde, je ne veux rentrer dans aucun système", se défend-il. On pénètre là dans une zone hautement sensible, qui le fait redoubler de prudence. Son casier génétique porte en effet la trace de marqueurs sociaux indélébiles. Il dit : "Je suis fils d'un industriel, lui-même héritier", et voudrait passer, vite.
On pioche avec curiosité dans sa notice du Who's Who. A la mention "illustrations familiales", on lit : "Ses bisaïeuls, William Marçais (1872-1956), professeur au Collège de France, et Edouard Michelin (1859-1940), industriel et philanthrope." Il revendique le premier, "avocat, dreyfusard, un des premiers intellectuels français à écrire sur l'islam", ce qui lui a valu de donner son nom à un amphithéâtre de la faculté de Tunis. Il devance les questions sur le deuxième, affirmant ne pas "vouloir donner l'impression de s'en excuser", s'en excuse quand même : "J'ai ressenti le besoin de me confronter à des situations difficiles." Revient, précise. "Moins on est dupe de là où on vient, plus on est libre et efficace. Il y a aujourd'hui, entre ce que je fais et mon patrimoine familial, une forme d'harmonie." Reformule : "Il faut porter de l'angoisse et être fort sur ses fondamentaux."
Puis, comme s'il craignait de s'être un peu trop attardé sur un coin du puzzle, le voilà qui disperse à nouveau les pièces. Evoque le tournage en cours d'un film africain sur un procès de corruption de dirigeants dans lequel il va jouer le rôle d'un... avocat. "J'avais commencé l'école Charles-Dullin en même temps que Sciences-Po", indique-t-il. Confesse son ambition d'écrire un roman, après avoir signé une somme sur le statut de la Cour pénale internationale. Raconte la garde alternée de ses trois enfants — des triplés, ça ne s'invente pas — et laisse deviner sa virtuosité au piano. "William, c'est la vitesse qui le fait tenir debout, observe l'un de ses proches amis, l'avocat Jean-Pierre Mignard. Il est toujours toutes antennes dehors, ne déteste pas ce qui brille, mais il est trop subtil et trop lucide pour se repaître à bon compte."
Dans une vie prochaine, William Bourdon se verrait bien basculer vers une fonction politique internationale. "J'ai toujours rôdé autour de la politique", confie-t-il. Au téléphone, il rappelle, craint d'en avoir oublié, d'en avoir trop dit ou pas assez. On pense à Prévert : "Pour faire le portrait d'un oiseau, peindre d'abord une cage, avec une porte ouverte..."
Pour ce drôle d'oiseau-là, manque la cage.