18 avril 2018
Filiale à 100% du géant Veolia, la société Eau du Grand Lyon dispose du contrat de délégation du service public de l’eau depuis 2015. Malgré une baisse sensible, le prix payé par les particuliers demeure élevé. Faut-il envisager un retour dans le giron public ?
Savez-vous que l’eau de la métropole lyonnaise est toujours produite et distribuée par une entreprise privée ? Pas sûr. Car la société titulaire du marché depuis 2015 a pris l’appellation trompeuse d’Eau du Grand Lyon. Un nom qui fleure bon le service public alors qu’il s’agit d’une filiale à 100% du
géant privé Veolia. C’est donc bien l’ex-Compagnie générale des Eaux, née en 1853 dans la région lyonnaise, qui contrôle toujours et encore le gigantesque marché de la délégation de l’eau dans le Grand Lyon (le deuxième de France après celui du Syndicat des Eaux d’Ile-de-France). Une situation qui dure depuis un siècle et demi !
Ce changement tactique de nom est tout sauf anodin à l’heure où le débat enfle partout en France sur l’intérêt de confier le service public de l’eau à des entreprises privées [(re)voir notamment le numéro de l’émission Cash Investigation du 13 mars dernier]. La question sous-jacente est la
suivante : peut-on encore faire du profit sur un bien commun et vital ? Car profit il y a. Forcément.
Pour Veolia, il s’élève à 4,05 millions d’euros en 2016 pour son contrat lyonnais [voir page 2 du bilan annuel de la société Eau du Grand Lyon, déposé au greffe du tribunal de commerce de Lyon le 25 août 2017]. Une somme reversée dans sa quasi-totalité en dividendes aux actionnaires. Pas mal.
Mais très peu comparativement aux années antérieures. Car à défaut d’avoir changé de délégataire, la métropole du Grand Lyon exerce une pression croissante sur lui. Au point d’avoir entraîné une chute du taux de rentabilité de Veolia. En 2016, il s’élevait à 6,1% avant impôt à comparer aux… 20 % de l’ancien contrat, signé en 1969 et qui a pris fin en février 2015.
Comment expliquer cette baisse ? Et le juste prix est-il désormais atteint ? Pour comprendre, un retour en arrière s’impose. Dans le secteur de l’eau, les lignes ont bougé à la faveur d’une loi de 1995, dite loi Barnier. Le texte acte une mise en concurrence automatique des délégataires au bout
de 20 ans afin de permettre la résiliation des contrats historiques. Par extension, à partir de 2015, tout contrat antérieur à 1995 est révocable. Et c’est ainsi que Veolia a passé la main à Eau du Grand Lyon le 3 février 2015. La création de cette filiale dédiée répond à une volonté de transparence, inscrite par la collectivité dans le nouveau contrat : il s’agit de disposer d’une meilleure visibilité de l’activité locale de l’entreprise, en dehors de la maison mère, pour que les tarifs soient calculés au
plus près des réalités du terrain.
Une première baisse des tarifs de 23,9%
C’est après avoir mené de longues études comparatives que le conseil du Grand Lyon a voté, en novembre 2012, la poursuite de la délégation du marché de l’eau au secteur privé. Les élus ont estimé que le coût du passage en gestion publique s’élèverait à 11 millions d’euros. Un montant –
jugé rédhibitoire – qui correspond au cumul des frais de mise en place du nouveau système d’information (facturations et centre d’appel), d’acquisition de locaux, d’embauche d’agents et
d’achat de matériel. Le scénario est aussi écarté « en raison des délais de préparation qui ne permettent pas de garantir un service opérationnel » [voir page 6 de la délibération ci-dessous].
Résultat, au terme d’un nouvel appel d’offres, Veolia est à nouveau retenue en janvier 2014 de préférence à la Saur et à la Lyonnaise des Eaux (devenue Suez).
Pour garder le marché, Veolia-Eau du Grand Lyon s’est engagé sur une baisse des tarifs de 23,9% en réduisant sa marge. Si le gain est substantiel, la facture pourrait cependant encore baisser.
Comment ? Plongeons plus en profondeur dans les chiffres et les lignes du contrat. Sur une facture d’eau, l’usager paie deux éléments : l’abonnement et la consommation. Le premier est fixe et se situe à 43,31 euros par an pour un particulier du Grand Lyon. Le second est établi par mètre cube :
2,77 euros par mètre cube qui deviennent 3,13 euros par mètre cube après l’ajout de diverses redevances (au profit de l’Agence de l’eau ou des Voies navigables de France par exemple).
« L’abonnement sert à faire payer la facture des gros consommateurs par les petits »
Premier souci : l’opacité de l’abonnement. « Nous ne savons pas précisément ce qu’il finance », déplore Jean-Louis Linossier, de l’Association des consommateurs d’eau du Rhône (Acer). Les
partisans d’un retour à la gestion publique de l’eau regrettent que l’abonnement ne soit pas proportionnel à la consommation. Une usine ou un agriculteur paiera de ce fait moins cher son
abonnement qu’un particulier, ce qui évite de faire peser une charge trop lourde sur des entreprises dépendantes de leur consommation d’eau. « L’abonnement sert juste à faire payer la facture des gros consommateurs par les petits », poursuit Jean-Louis Linossier.
Les écarts entre les niveaux d’abonnement pratiqués d’une ville à l’autre interrogent aussi. A Rennes, par exemple, l’abonnement s’établit à 30,72 euros par an ; à Lille, il se limite à 5,17 euros.
« 5 euros c’est un montant correct, assure Jean-Luc Touly, ancien salarié de Veolia, devenu militant d’une gestion publique de l’eau. Au-delà des 50 euros, il faut vraiment se poser des questions… » A 43,31 euros, l’abonnement lyonnais se situe donc dans le haut de la fourchette. « La topographie
lyonnaise fait que le réseau d’eau est complexe et qu’il doit supporter des charges fixes élevées, justifie Gérard Claisse, vice-président de la Métropole de Lyon chargé de la politique d’achat public. Il est normal que le consommateur participe. »
Mais l’essentiel n’est pas là. Le contrat de délégation de service public prévoit que la collectivité paye les investissements sur le réseau. En théorie, le Grand Lyon devrait lancer un appel d’offre et retenir l’entreprise la moins chère pour effectuer les travaux. Or, dans le contrat d’affermage qu’elle a signé, la métropole a convenu de passer exclusivement par Veolia et ses filiales. « Huit personnes sont chargées de contrôler le contrat au sein du Grand Lyon, précise le vice-président Gérard Claisse. Le service a scruté le bordereau de prix fourni par Veolia et n’a pas relevé de difficultés.
Les prix sont cohérents. » La collectivité se prive toutefois de la possibilité de faire jouer la concurrence.
Quand le Grand Lyon emprunte à Veolia
Dans quelques semaines, le Grand Lyon engagera des négociations prévues par la clause de revoyure à mi-contrat. Elles ne porteront pas sur le prix de l’eau, « qui a atteint un prix correct », estime Gérard Claisse, mais – justement – sur les investissements et les travaux menés par le délégataire. Quelle que soit l’issue des négociations, la Métropole de Lyon pourrait réaliser des économies sur un point précis : le portage financier des travaux. Pour financer ses investissements,
la collectivité demande à Veolia de lui avancer les sommes avant de les lui rembourser majorées d’un taux d’intérêt allant de 2,5% à 3,7%. Et cela, au moment où les taux d’emprunt des
collectivités oscillent entre 0 % et 1 %…
« C’est vrai que cela coûterait moins cher d’emprunter au taux d’intérêt actuel, reconnaît Gérard Claisse. Mais d’un autre côté, on ne vient pas grever le taux d’endettement de la collectivité. »
Certes, mais sur le long terme la collectivité est largement perdante. « Entre 2015 et 2016, près de 26 millions d’euros ont été avancés par Veolia dans ces conditions pour des travaux réalisés par sa filiale. Si la métropole en avait assuré elle-même la réalisation, cela lui aurait coûté 30 à 40% moins
cher et elle aurait économisé 7,8 millions d’euros », calcule-t-on à l’Acer. Autre argument avancé par ailleurs par Gérard Claisse : « Lorsqu’on confie des travaux à une entreprise qui n’exploite pas le service, celle-ci n’a pas les mêmes exigences en termes de qualité. »
Trois millions d’euros d’économies par an à Rennes : « Une entreprise publique peut être plus efficace que le privé »
Au-delà des coûts de transition, le passage à une gestion directe de l’eau ne serait-il pas bénéfique à terme ? D’autres métropoles ont sauté le pas, en testant deux variantes : soit la collectivité reprend la main en créant un service interne dédié (c’est le cas à Nice) ; soit elle délègue à une entreprise publique dont elle est actionnaire à 100% (comme à Rennes). Le succès est plutôt au rendez-vous.
« On réalise trois millions d’euros d’économies par an depuis trois ans, résume Yannick Nadesan, président d’Eau du bassin rennais. Nous avons apporté la preuve concrète qu’une entreprise publique peut être plus efficace que le privé. En outre, l’argent récolté ne part pas chez des actionnaires privés : l’eau paie l’eau. »
Selon l’observatoire des services publics de l’eau et de l’assainissement, le prix payé par l’usager
est en moyenne 10% moins cher quand la collectivité fait le choix d’une gestion publique (à lire dans son rapport de mai 2017, pages 5 et 40).
Gros bémol toutefois : le passage au secteur public n’a pas fait baisser la facture des Rennais. « On aurait pu être démagogiques et répercuter directement les économies sur le prix de l’eau, poursuit Yannick Nadesan. Mais nous arrivons en fin de cycle de vie de nos infrastructures et nous avons
besoin d’investir énormément pour réhabiliter les réseaux. » A Nice, c’est exactement ce qui a motivé le passage en régie publique. « Avec un seul service, nous finançons les investissements du Haut-pays [l’arrière pays niçois, montagneux] via les usagers de la bande côtière. Nous ne voulions
pas d’un service à deux vitesses, explique Hervé Paul, président de la commission eau de la métropole niçoise. Si nous avions relancé une délégation de service public, le prix de l’eau aurait
été déterminant dans le choix. Et pour supporter la baisse imposée, les candidats auraient fait de la casse sociale. »
La mutualisation des coûts est un point déterminant à prendre en compte. Les entreprises privées optimisent leurs frais de personnel en employant des salariés sur plusieurs contrats à la fois.
Conséquence : la collectivité publique ne sait pas précisément si les charges de son contrat rémunèrent des salariés dédiés à son seul service. « Sur certains postes nous avons réalisé un gain
de productivité à deux chiffres, explique Yannick Nadesan. Tout simplement parce que les plannings d’activités sont désormais réalisés par des gens qui connaissent le territoire ! » Qu’en est-il pour le Grand Lyon ? Officiellement, le nombre d’agents affectés à Eau du Grand Lyon est de 287 (dont ceux rattachés au centre d’appel régional de Veolia pour lesquels la métropole verse une quote-part relative au nombre de ses abonnés).
La manne de la « contribution aux services centraux »
Dernière source d’économies substantielles en cas de passage en régie publique : les gains sur les frais de siège. Inscrits à l’article 105 du contrat de délégation, ils correspondent à « une contribution aux services centraux [pour] une répartition verticale des coûts de gestion provenant de la maison mère
». En langage non-sibyllin, il s’agit de prendre en compte les frais de la maison-mère, Veolia, sans plus de précisions. En mars 2017, la Chambre régionale des comptes d’Ile-de-France avait
évoqué ce point à propos du contrat du Syndicat des eaux d’Ile-de-France : « Il [le délégataire] perçoit des frais de siège à hauteur de sept millions d’euros par an, sans produire de justificatif »,
écrivaient les magistrats. Pour Eau du Grand Lyon, les frais de siège s’élevaient à 2,5 millions d’euros en 2016. Et l’opacité règne également. Sur cette question comme sur d’autres, Veolia a refusé de répondre à nos sollicitations (lire notre encadré En coulisses).
Pour Jean-Luc Touly, les trois éléments qui permettent la rentabilité au délégataire sont « les provisions pour investissements, les frais de personnel et les frais de siège ». Trois arguments en faveur d’un passage en gestion directe ? Les militants de l’Acer en sont persuadés. D’après leurs
calculs, la bascule vers une régie publique ramènerait le prix de l’eau – hors abonnement mais charges et redevances comprises – à 2,60 euros par mètre cube au lieu des 3,13 euros actuels. Pour une famille de deux adultes et deux enfants (consommation estimée de 120 mètres cube par an), le gain serait d’environ 65 euros à l’année. Le contrat de délégation en cours s’achève en 2023, ce qui laisse cinq ans à la Métropole de Lyon pour se décider. Un temps indispensable pour réussir à la
transition.
« Si elle est menée sérieusement, la collectivité sera gagnante, assure le rennais Yannick Nadesan,
fort de son expérience. Mais si le changement n’est pas bien préparé, il y a un vrai risque de ne pas être au rendez-vous économique ou de dégrader la qualité du service. » Pour sa part, Jean-Louis Linossier, de l’Acer, ne se fait pas d’illusion : « Dès son élection en 2001, Gérard Colomb m’avait
dit : “La régie avec moi, c’est non ! Cela vous laisse six ans pour argumenter avant la prochaine élection” ». Il lui en reste désormais deux avant l’échéance de l’élection métropolitaine de 2020.
EN COULISSES
Courant mars, nous n’étions pas les seuls à enquêter sur la gestion du service de l’eau, en témoigne
le numéro d’avril de Lyon Capitale. Effet papillon ? Après la publication de l’article de nos confrères, nos relations avec nos interlocuteurs du Grand Lyon se sont refroidies. L’eau, sujet
soudain brûlant ? « Tout passe désormais par le service presse », nous a-t-on rétorqué alors que nous cherchions à contacter directement la direction de l’eau. Il nous aura fallu plus de dix jours pour obtenir un entretien avec Gérard Claisse, vice-président du Grand Lyon chargé des achats publics.
Entretien annulé à la dernière minute pour « des raisons familiales », juste après lui avoir transmis les points que nous souhaitions aborder avec lui. Mais comme nous sommes quand même têtus, nous avons finalement décroché une interview avec l’élu la veille de notre bouclage.
Notre demande a en revanche fait “plouf” du côté d’Eau du Grand Lyon, la filiale de Veolia. Tout semblait pourtant bien parti quand, au premier coup de fil, le standard nous passe directement le directeur général délégué Thierry Roques. Mais celui-ci nous éconduit : « Il n’y a que le Grand Lyon qui communique, je ne dirais rien ». Nous lui avons tout de même transmis nos questions par mail, notamment concernant les frais de siège et de personnel : sans réponse
Filiale à 100% du géant Veolia, la société Eau du Grand Lyon dispose du contrat de délégation du service public de l’eau depuis 2015. Malgré une baisse sensible, le prix payé par les particuliers demeure élevé. Faut-il envisager un retour dans le giron public ?
Savez-vous que l’eau de la métropole lyonnaise est toujours produite et distribuée par une entreprise privée ? Pas sûr. Car la société titulaire du marché depuis 2015 a pris l’appellation trompeuse d’Eau du Grand Lyon. Un nom qui fleure bon le service public alors qu’il s’agit d’une filiale à 100% du
géant privé Veolia. C’est donc bien l’ex-Compagnie générale des Eaux, née en 1853 dans la région lyonnaise, qui contrôle toujours et encore le gigantesque marché de la délégation de l’eau dans le Grand Lyon (le deuxième de France après celui du Syndicat des Eaux d’Ile-de-France). Une situation qui dure depuis un siècle et demi !
Ce changement tactique de nom est tout sauf anodin à l’heure où le débat enfle partout en France sur l’intérêt de confier le service public de l’eau à des entreprises privées [(re)voir notamment le numéro de l’émission Cash Investigation du 13 mars dernier]. La question sous-jacente est la
suivante : peut-on encore faire du profit sur un bien commun et vital ? Car profit il y a. Forcément.
Pour Veolia, il s’élève à 4,05 millions d’euros en 2016 pour son contrat lyonnais [voir page 2 du bilan annuel de la société Eau du Grand Lyon, déposé au greffe du tribunal de commerce de Lyon le 25 août 2017]. Une somme reversée dans sa quasi-totalité en dividendes aux actionnaires. Pas mal.
Mais très peu comparativement aux années antérieures. Car à défaut d’avoir changé de délégataire, la métropole du Grand Lyon exerce une pression croissante sur lui. Au point d’avoir entraîné une chute du taux de rentabilité de Veolia. En 2016, il s’élevait à 6,1% avant impôt à comparer aux… 20 % de l’ancien contrat, signé en 1969 et qui a pris fin en février 2015.
Comment expliquer cette baisse ? Et le juste prix est-il désormais atteint ? Pour comprendre, un retour en arrière s’impose. Dans le secteur de l’eau, les lignes ont bougé à la faveur d’une loi de 1995, dite loi Barnier. Le texte acte une mise en concurrence automatique des délégataires au bout
de 20 ans afin de permettre la résiliation des contrats historiques. Par extension, à partir de 2015, tout contrat antérieur à 1995 est révocable. Et c’est ainsi que Veolia a passé la main à Eau du Grand Lyon le 3 février 2015. La création de cette filiale dédiée répond à une volonté de transparence, inscrite par la collectivité dans le nouveau contrat : il s’agit de disposer d’une meilleure visibilité de l’activité locale de l’entreprise, en dehors de la maison mère, pour que les tarifs soient calculés au
plus près des réalités du terrain.
Une première baisse des tarifs de 23,9%
C’est après avoir mené de longues études comparatives que le conseil du Grand Lyon a voté, en novembre 2012, la poursuite de la délégation du marché de l’eau au secteur privé. Les élus ont estimé que le coût du passage en gestion publique s’élèverait à 11 millions d’euros. Un montant –
jugé rédhibitoire – qui correspond au cumul des frais de mise en place du nouveau système d’information (facturations et centre d’appel), d’acquisition de locaux, d’embauche d’agents et
d’achat de matériel. Le scénario est aussi écarté « en raison des délais de préparation qui ne permettent pas de garantir un service opérationnel » [voir page 6 de la délibération ci-dessous].
Résultat, au terme d’un nouvel appel d’offres, Veolia est à nouveau retenue en janvier 2014 de préférence à la Saur et à la Lyonnaise des Eaux (devenue Suez).
Pour garder le marché, Veolia-Eau du Grand Lyon s’est engagé sur une baisse des tarifs de 23,9% en réduisant sa marge. Si le gain est substantiel, la facture pourrait cependant encore baisser.
Comment ? Plongeons plus en profondeur dans les chiffres et les lignes du contrat. Sur une facture d’eau, l’usager paie deux éléments : l’abonnement et la consommation. Le premier est fixe et se situe à 43,31 euros par an pour un particulier du Grand Lyon. Le second est établi par mètre cube :
2,77 euros par mètre cube qui deviennent 3,13 euros par mètre cube après l’ajout de diverses redevances (au profit de l’Agence de l’eau ou des Voies navigables de France par exemple).
« L’abonnement sert à faire payer la facture des gros consommateurs par les petits »
Premier souci : l’opacité de l’abonnement. « Nous ne savons pas précisément ce qu’il finance », déplore Jean-Louis Linossier, de l’Association des consommateurs d’eau du Rhône (Acer). Les
partisans d’un retour à la gestion publique de l’eau regrettent que l’abonnement ne soit pas proportionnel à la consommation. Une usine ou un agriculteur paiera de ce fait moins cher son
abonnement qu’un particulier, ce qui évite de faire peser une charge trop lourde sur des entreprises dépendantes de leur consommation d’eau. « L’abonnement sert juste à faire payer la facture des gros consommateurs par les petits », poursuit Jean-Louis Linossier.
Les écarts entre les niveaux d’abonnement pratiqués d’une ville à l’autre interrogent aussi. A Rennes, par exemple, l’abonnement s’établit à 30,72 euros par an ; à Lille, il se limite à 5,17 euros.
« 5 euros c’est un montant correct, assure Jean-Luc Touly, ancien salarié de Veolia, devenu militant d’une gestion publique de l’eau. Au-delà des 50 euros, il faut vraiment se poser des questions… » A 43,31 euros, l’abonnement lyonnais se situe donc dans le haut de la fourchette. « La topographie
lyonnaise fait que le réseau d’eau est complexe et qu’il doit supporter des charges fixes élevées, justifie Gérard Claisse, vice-président de la Métropole de Lyon chargé de la politique d’achat public. Il est normal que le consommateur participe. »
Mais l’essentiel n’est pas là. Le contrat de délégation de service public prévoit que la collectivité paye les investissements sur le réseau. En théorie, le Grand Lyon devrait lancer un appel d’offre et retenir l’entreprise la moins chère pour effectuer les travaux. Or, dans le contrat d’affermage qu’elle a signé, la métropole a convenu de passer exclusivement par Veolia et ses filiales. « Huit personnes sont chargées de contrôler le contrat au sein du Grand Lyon, précise le vice-président Gérard Claisse. Le service a scruté le bordereau de prix fourni par Veolia et n’a pas relevé de difficultés.
Les prix sont cohérents. » La collectivité se prive toutefois de la possibilité de faire jouer la concurrence.
Quand le Grand Lyon emprunte à Veolia
Dans quelques semaines, le Grand Lyon engagera des négociations prévues par la clause de revoyure à mi-contrat. Elles ne porteront pas sur le prix de l’eau, « qui a atteint un prix correct », estime Gérard Claisse, mais – justement – sur les investissements et les travaux menés par le délégataire. Quelle que soit l’issue des négociations, la Métropole de Lyon pourrait réaliser des économies sur un point précis : le portage financier des travaux. Pour financer ses investissements,
la collectivité demande à Veolia de lui avancer les sommes avant de les lui rembourser majorées d’un taux d’intérêt allant de 2,5% à 3,7%. Et cela, au moment où les taux d’emprunt des
collectivités oscillent entre 0 % et 1 %…
« C’est vrai que cela coûterait moins cher d’emprunter au taux d’intérêt actuel, reconnaît Gérard Claisse. Mais d’un autre côté, on ne vient pas grever le taux d’endettement de la collectivité. »
Certes, mais sur le long terme la collectivité est largement perdante. « Entre 2015 et 2016, près de 26 millions d’euros ont été avancés par Veolia dans ces conditions pour des travaux réalisés par sa filiale. Si la métropole en avait assuré elle-même la réalisation, cela lui aurait coûté 30 à 40% moins
cher et elle aurait économisé 7,8 millions d’euros », calcule-t-on à l’Acer. Autre argument avancé par ailleurs par Gérard Claisse : « Lorsqu’on confie des travaux à une entreprise qui n’exploite pas le service, celle-ci n’a pas les mêmes exigences en termes de qualité. »
Trois millions d’euros d’économies par an à Rennes : « Une entreprise publique peut être plus efficace que le privé »
Au-delà des coûts de transition, le passage à une gestion directe de l’eau ne serait-il pas bénéfique à terme ? D’autres métropoles ont sauté le pas, en testant deux variantes : soit la collectivité reprend la main en créant un service interne dédié (c’est le cas à Nice) ; soit elle délègue à une entreprise publique dont elle est actionnaire à 100% (comme à Rennes). Le succès est plutôt au rendez-vous.
« On réalise trois millions d’euros d’économies par an depuis trois ans, résume Yannick Nadesan, président d’Eau du bassin rennais. Nous avons apporté la preuve concrète qu’une entreprise publique peut être plus efficace que le privé. En outre, l’argent récolté ne part pas chez des actionnaires privés : l’eau paie l’eau. »
Selon l’observatoire des services publics de l’eau et de l’assainissement, le prix payé par l’usager
est en moyenne 10% moins cher quand la collectivité fait le choix d’une gestion publique (à lire dans son rapport de mai 2017, pages 5 et 40).
Gros bémol toutefois : le passage au secteur public n’a pas fait baisser la facture des Rennais. « On aurait pu être démagogiques et répercuter directement les économies sur le prix de l’eau, poursuit Yannick Nadesan. Mais nous arrivons en fin de cycle de vie de nos infrastructures et nous avons
besoin d’investir énormément pour réhabiliter les réseaux. » A Nice, c’est exactement ce qui a motivé le passage en régie publique. « Avec un seul service, nous finançons les investissements du Haut-pays [l’arrière pays niçois, montagneux] via les usagers de la bande côtière. Nous ne voulions
pas d’un service à deux vitesses, explique Hervé Paul, président de la commission eau de la métropole niçoise. Si nous avions relancé une délégation de service public, le prix de l’eau aurait
été déterminant dans le choix. Et pour supporter la baisse imposée, les candidats auraient fait de la casse sociale. »
La mutualisation des coûts est un point déterminant à prendre en compte. Les entreprises privées optimisent leurs frais de personnel en employant des salariés sur plusieurs contrats à la fois.
Conséquence : la collectivité publique ne sait pas précisément si les charges de son contrat rémunèrent des salariés dédiés à son seul service. « Sur certains postes nous avons réalisé un gain
de productivité à deux chiffres, explique Yannick Nadesan. Tout simplement parce que les plannings d’activités sont désormais réalisés par des gens qui connaissent le territoire ! » Qu’en est-il pour le Grand Lyon ? Officiellement, le nombre d’agents affectés à Eau du Grand Lyon est de 287 (dont ceux rattachés au centre d’appel régional de Veolia pour lesquels la métropole verse une quote-part relative au nombre de ses abonnés).
La manne de la « contribution aux services centraux »
Dernière source d’économies substantielles en cas de passage en régie publique : les gains sur les frais de siège. Inscrits à l’article 105 du contrat de délégation, ils correspondent à « une contribution aux services centraux [pour] une répartition verticale des coûts de gestion provenant de la maison mère
». En langage non-sibyllin, il s’agit de prendre en compte les frais de la maison-mère, Veolia, sans plus de précisions. En mars 2017, la Chambre régionale des comptes d’Ile-de-France avait
évoqué ce point à propos du contrat du Syndicat des eaux d’Ile-de-France : « Il [le délégataire] perçoit des frais de siège à hauteur de sept millions d’euros par an, sans produire de justificatif »,
écrivaient les magistrats. Pour Eau du Grand Lyon, les frais de siège s’élevaient à 2,5 millions d’euros en 2016. Et l’opacité règne également. Sur cette question comme sur d’autres, Veolia a refusé de répondre à nos sollicitations (lire notre encadré En coulisses).
Pour Jean-Luc Touly, les trois éléments qui permettent la rentabilité au délégataire sont « les provisions pour investissements, les frais de personnel et les frais de siège ». Trois arguments en faveur d’un passage en gestion directe ? Les militants de l’Acer en sont persuadés. D’après leurs
calculs, la bascule vers une régie publique ramènerait le prix de l’eau – hors abonnement mais charges et redevances comprises – à 2,60 euros par mètre cube au lieu des 3,13 euros actuels. Pour une famille de deux adultes et deux enfants (consommation estimée de 120 mètres cube par an), le gain serait d’environ 65 euros à l’année. Le contrat de délégation en cours s’achève en 2023, ce qui laisse cinq ans à la Métropole de Lyon pour se décider. Un temps indispensable pour réussir à la
transition.
« Si elle est menée sérieusement, la collectivité sera gagnante, assure le rennais Yannick Nadesan,
fort de son expérience. Mais si le changement n’est pas bien préparé, il y a un vrai risque de ne pas être au rendez-vous économique ou de dégrader la qualité du service. » Pour sa part, Jean-Louis Linossier, de l’Acer, ne se fait pas d’illusion : « Dès son élection en 2001, Gérard Colomb m’avait
dit : “La régie avec moi, c’est non ! Cela vous laisse six ans pour argumenter avant la prochaine élection” ». Il lui en reste désormais deux avant l’échéance de l’élection métropolitaine de 2020.
EN COULISSES
Courant mars, nous n’étions pas les seuls à enquêter sur la gestion du service de l’eau, en témoigne
le numéro d’avril de Lyon Capitale. Effet papillon ? Après la publication de l’article de nos confrères, nos relations avec nos interlocuteurs du Grand Lyon se sont refroidies. L’eau, sujet
soudain brûlant ? « Tout passe désormais par le service presse », nous a-t-on rétorqué alors que nous cherchions à contacter directement la direction de l’eau. Il nous aura fallu plus de dix jours pour obtenir un entretien avec Gérard Claisse, vice-président du Grand Lyon chargé des achats publics.
Entretien annulé à la dernière minute pour « des raisons familiales », juste après lui avoir transmis les points que nous souhaitions aborder avec lui. Mais comme nous sommes quand même têtus, nous avons finalement décroché une interview avec l’élu la veille de notre bouclage.
Notre demande a en revanche fait “plouf” du côté d’Eau du Grand Lyon, la filiale de Veolia. Tout semblait pourtant bien parti quand, au premier coup de fil, le standard nous passe directement le directeur général délégué Thierry Roques. Mais celui-ci nous éconduit : « Il n’y a que le Grand Lyon qui communique, je ne dirais rien ». Nous lui avons tout de même transmis nos questions par mail, notamment concernant les frais de siège et de personnel : sans réponse