
Le Jourdain
A l'avenir, les besoins en eau seront en hausse et les quantités utilisables en baisse. Déjà, 40 % de l'humanité vit dans des zones confrontées au stress hydrique. La population mondiale, de 6 milliards aujourd'hui, devrait atteindre 9 milliards en 2050, pour le même volume d'eau. Dans le même temps, si rien n'est fait, sa qualité sera altérée par de multiples sources de pollution. Et les conséquences du réchauffement climatique pèseront.
Les scientifiques du Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), réuni jusqu'au 6 avril à Bruxelles pour étudier les conséquences du réchauffement, placent au premier rang les difficultés d'approvisionnement en eau. Ils prévoient "une augmentation de la disponibilité dans les latitudes élevées et certaines zones tropicales humides et une baisse sous les latitudes moyennes et les zones tropicales sèches, qui sont déjà des zones de stress hydrique". Les sécheresses et les épisodes de précipitations intenses seront plus nombreux. Les volumes d'eau stockés dans les glaciers et la neige en altitude baisseront, ce qui réduira les débits au printemps et à l'automne. Les besoins pour l'irrigation des cultures augmenteront. L'ampleur de ces phénomènes dépendra bien sûr de l'intensité du réchauffement.
Ce dernier n'est pas seul en cause. Les grands fleuves, leurs affluents, les zones humides, nappes souterraines et lacs qui y sont associés subissent des dégradations multiples, liées à leur surexploitation par l'homme, auquel ils rendent de multiples services. 70 % de l'eau douce prélevée sont utilisés pour arroser des terres irriguées, qui produisent 40 % de l'alimentation mondiale. Les poissons d'eau douce constituent aussi une source importante de protéines pour les populations pauvres du sud de la planète.
Les grands fleuves sont aussi utilisés comme voies de transport et fournissent de l'énergie. L'hydroélectricité représente 17 % de la production mondiale, autant que le gaz et le nucléaire. Ils rendent également des services, moins visibles mais précieux, comme l'épuration de l'eau et l'irrigation grâce aux crues, et abritent une part importante de la biodiversité.
Dans son rapport, le WWF classe les causes de dégradation en catégories distinctes. Mais, la plupart du temps, les menaces s'accumulent sur un même fleuve, leurs effets se conjuguent et s'amplifient mutuellement.
Les barrages, les canalisations et les digues entraînent de multiples dommages. En modifiant l'habitat naturel des espèces, ils fragilisent la biodiversité, tout comme la surpêche et l'invasion d'espèces exotiques. L'assèchement de zones humides supprime aussi d'utiles "éponges" en cas de crue. "On ne doit pas forcément arrêter la construction de barrages, mais on ne peut plus les mettre n'importe où", affirme Denis Landerbergue, responsable du programme zones humides du WWF. L'organisation recommande d'en construire seulement sur les affluents, de limiter leur taille et de prévoir des aménagements pour préserver la circulation de la faune.
Les barrages freinent aussi l'évacuation des polluants accumulés dans les fleuves, qui jouent souvent le rôle de décharges et d'égouts. Le Yangtsé (Yangzi Jiang) en est le meilleur exemple. Bien qu'il alimente 40 % du territoire chinois et fournisse l'eau nécessaire à 70 % de la production rizicole, 25 milliards de tonnes d'eaux souillées urbaines et industrielles y sont déversés chaque année. Ce type de contamination menace tous les cours d'eau de la planète. Avant son rejet dans le milieu naturel, l'Afrique traite moins de 10 % de son eau, l'Amérique latine 14 %, l'Asie 25 %, contre 66 % pour l'Europe et 90 % pour l'Amérique du Nord. Au total, 2,4 milliards de personnes ne disposent pas d'un assainissement de base.
Mais le plus fort risque pour les grands fleuves est tout simplement leur assèchement. Quatre présentent les signes typiques des fleuves surexploités : le Rio Grande, le Gange, l'Indus et le Nil. Ils ont parfois du mal à rejoindre la mer. Des pratiques agricoles inadaptées sont en cause. "J'ai vu, dans la région du lac Tchad, d'immenses surfaces de blé irriguées, aménagées à coups de millions d'aide au développement", rapporte M. Landenbergue. Le riz, céréale reine en Asie, est un gros consommateur d'eau. L'élevage du bétail, qui nécessite une production massive de fourrage, l'est encore davantage. Partout, le recours à l'eau souterraine s'accroît, bien que sa capacité de renouvellement soit beaucoup plus lente. Là encore, les fléaux se conjuguent. Quand un débit est trop faible, les pollutions domestiques, urbaines ou industrielles ne sont pas diluées ni évacuées, et l'eau contaminée alimente les villes et les champs. La salinisation gagne à l'aval des fleuves, ce qui diminue encore la quantité d'eau disponible.
Les solutions techniques existent : réduction de l'impact des constructions, quotas de pêche, construction de stations d'épuration des eaux usées, etc. L'agriculture est en première ligne. Selon de nombreux experts, elle doit désormais effectuer une "révolution bleue", après la révolution verte, qui permit une formidable augmentation des rendements grâce à la chimie et à la sélection variétale. Des techniques d'irrigation plus efficaces doivent être généralisées.
Cela pourrait ne pas suffire. "Il s'agit de penser l'implantation des cultures en fonction des quantités d'eau disponibles, et non l'inverse", résume le journaliste anglais Fred Pearce, dans son ouvrage Quand meurent les grands fleuves (Calmann-Lévy, 2006, 432 pages, 19,50 euros).
Aucune de ces solutions ne peut être mise en oeuvre sans moyens, ni surtout sans la volonté politique d'imposer de nouvelles règles de partage de l'eau. Remettre en question des usages anciens, en particulier agricoles, se révèle souvent extrêmement difficile, même quand le dialogue entre les différents usagers de l'eau est rodé, comme c'est le cas dans les pays riches. Or, dans la plupart des pays en développement, ces instances de dialogues n'existent même pas.
Source d'antagonisme au niveau local ou national, le partage de l'eau peut devenir conflictuel quand plusieurs pays sont concernés. Deux grands fleuves sur trois sont partagés entre plusieurs nations. Les motifs d'affrontements sont donc nombreux. "A mesure que la pénurie va s'aggraver, les tensions iront croissant, note M. Landenbergue. Il est difficile de prévoir jusqu'à quel point. Nous ne connaissons pas aujourd'hui de véritable guerre de l'eau, mais des tensions entre les gouvernements, les ministères." Pour les plus optimistes, l'eau sera au contraire, à l'avenir, un facteur de coopération. "Même si les espaces de conciliation sont difficiles à mettre en place, il n'y a pas d'alternative, juge M. Landenbergue. Aucune solution ne fonctionnera, nulle part, si elle n'est pas négociée et mise en oeuvre par-delà les frontières sociales, économiques et politiques."
Gaëlle Dupont
Article paru dans l'édition du 06.04.07
Les scientifiques du Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), réuni jusqu'au 6 avril à Bruxelles pour étudier les conséquences du réchauffement, placent au premier rang les difficultés d'approvisionnement en eau. Ils prévoient "une augmentation de la disponibilité dans les latitudes élevées et certaines zones tropicales humides et une baisse sous les latitudes moyennes et les zones tropicales sèches, qui sont déjà des zones de stress hydrique". Les sécheresses et les épisodes de précipitations intenses seront plus nombreux. Les volumes d'eau stockés dans les glaciers et la neige en altitude baisseront, ce qui réduira les débits au printemps et à l'automne. Les besoins pour l'irrigation des cultures augmenteront. L'ampleur de ces phénomènes dépendra bien sûr de l'intensité du réchauffement.
Ce dernier n'est pas seul en cause. Les grands fleuves, leurs affluents, les zones humides, nappes souterraines et lacs qui y sont associés subissent des dégradations multiples, liées à leur surexploitation par l'homme, auquel ils rendent de multiples services. 70 % de l'eau douce prélevée sont utilisés pour arroser des terres irriguées, qui produisent 40 % de l'alimentation mondiale. Les poissons d'eau douce constituent aussi une source importante de protéines pour les populations pauvres du sud de la planète.
Les grands fleuves sont aussi utilisés comme voies de transport et fournissent de l'énergie. L'hydroélectricité représente 17 % de la production mondiale, autant que le gaz et le nucléaire. Ils rendent également des services, moins visibles mais précieux, comme l'épuration de l'eau et l'irrigation grâce aux crues, et abritent une part importante de la biodiversité.
Dans son rapport, le WWF classe les causes de dégradation en catégories distinctes. Mais, la plupart du temps, les menaces s'accumulent sur un même fleuve, leurs effets se conjuguent et s'amplifient mutuellement.
Les barrages, les canalisations et les digues entraînent de multiples dommages. En modifiant l'habitat naturel des espèces, ils fragilisent la biodiversité, tout comme la surpêche et l'invasion d'espèces exotiques. L'assèchement de zones humides supprime aussi d'utiles "éponges" en cas de crue. "On ne doit pas forcément arrêter la construction de barrages, mais on ne peut plus les mettre n'importe où", affirme Denis Landerbergue, responsable du programme zones humides du WWF. L'organisation recommande d'en construire seulement sur les affluents, de limiter leur taille et de prévoir des aménagements pour préserver la circulation de la faune.
Les barrages freinent aussi l'évacuation des polluants accumulés dans les fleuves, qui jouent souvent le rôle de décharges et d'égouts. Le Yangtsé (Yangzi Jiang) en est le meilleur exemple. Bien qu'il alimente 40 % du territoire chinois et fournisse l'eau nécessaire à 70 % de la production rizicole, 25 milliards de tonnes d'eaux souillées urbaines et industrielles y sont déversés chaque année. Ce type de contamination menace tous les cours d'eau de la planète. Avant son rejet dans le milieu naturel, l'Afrique traite moins de 10 % de son eau, l'Amérique latine 14 %, l'Asie 25 %, contre 66 % pour l'Europe et 90 % pour l'Amérique du Nord. Au total, 2,4 milliards de personnes ne disposent pas d'un assainissement de base.
Mais le plus fort risque pour les grands fleuves est tout simplement leur assèchement. Quatre présentent les signes typiques des fleuves surexploités : le Rio Grande, le Gange, l'Indus et le Nil. Ils ont parfois du mal à rejoindre la mer. Des pratiques agricoles inadaptées sont en cause. "J'ai vu, dans la région du lac Tchad, d'immenses surfaces de blé irriguées, aménagées à coups de millions d'aide au développement", rapporte M. Landenbergue. Le riz, céréale reine en Asie, est un gros consommateur d'eau. L'élevage du bétail, qui nécessite une production massive de fourrage, l'est encore davantage. Partout, le recours à l'eau souterraine s'accroît, bien que sa capacité de renouvellement soit beaucoup plus lente. Là encore, les fléaux se conjuguent. Quand un débit est trop faible, les pollutions domestiques, urbaines ou industrielles ne sont pas diluées ni évacuées, et l'eau contaminée alimente les villes et les champs. La salinisation gagne à l'aval des fleuves, ce qui diminue encore la quantité d'eau disponible.
Les solutions techniques existent : réduction de l'impact des constructions, quotas de pêche, construction de stations d'épuration des eaux usées, etc. L'agriculture est en première ligne. Selon de nombreux experts, elle doit désormais effectuer une "révolution bleue", après la révolution verte, qui permit une formidable augmentation des rendements grâce à la chimie et à la sélection variétale. Des techniques d'irrigation plus efficaces doivent être généralisées.
Cela pourrait ne pas suffire. "Il s'agit de penser l'implantation des cultures en fonction des quantités d'eau disponibles, et non l'inverse", résume le journaliste anglais Fred Pearce, dans son ouvrage Quand meurent les grands fleuves (Calmann-Lévy, 2006, 432 pages, 19,50 euros).
Aucune de ces solutions ne peut être mise en oeuvre sans moyens, ni surtout sans la volonté politique d'imposer de nouvelles règles de partage de l'eau. Remettre en question des usages anciens, en particulier agricoles, se révèle souvent extrêmement difficile, même quand le dialogue entre les différents usagers de l'eau est rodé, comme c'est le cas dans les pays riches. Or, dans la plupart des pays en développement, ces instances de dialogues n'existent même pas.
Source d'antagonisme au niveau local ou national, le partage de l'eau peut devenir conflictuel quand plusieurs pays sont concernés. Deux grands fleuves sur trois sont partagés entre plusieurs nations. Les motifs d'affrontements sont donc nombreux. "A mesure que la pénurie va s'aggraver, les tensions iront croissant, note M. Landenbergue. Il est difficile de prévoir jusqu'à quel point. Nous ne connaissons pas aujourd'hui de véritable guerre de l'eau, mais des tensions entre les gouvernements, les ministères." Pour les plus optimistes, l'eau sera au contraire, à l'avenir, un facteur de coopération. "Même si les espaces de conciliation sont difficiles à mettre en place, il n'y a pas d'alternative, juge M. Landenbergue. Aucune solution ne fonctionnera, nulle part, si elle n'est pas négociée et mise en oeuvre par-delà les frontières sociales, économiques et politiques."
Gaëlle Dupont
Article paru dans l'édition du 06.04.07