
Alors que l’eau potable se fait de plus en plus rare sur la planète, des
multinationales comme Nestlé investissent massivement dans le nouveau
commerce très lucratif de l’eau en bouteille. Cet article propose un tour
d’horizon des modalités, paramètres et conséquences de ce nouveau marché
qui transforme un élément vital en source de profit.
* Le nouveau marché de l’or bleu*
On assiste actuellement à une crise mondiale de l’eau, qui se manifeste à travers la pénurie croissante d’eau potable et la multiplication des maladies hydriques, causées par la pollution industrielle, la contamination des lacs et rivières, le traitement insuffisant des eaux usées, l’assèchement des sources, etc. Selon une estimation des Nations Unies, 36’000 personnes meurent chaque jour par manque d’eau potable ou par ingestion d’eau contaminée ; 1,5 milliards de gens sont privés d’accès à l’eau, et ce chiffre atteindra en 2025 les deux tiers de la population mondiale . Face à cette catastrophe humanitaire, les gouvernements et institutions internationales prônent la privatisation, la commercialisation et l’exportation de l’eau, justifiant ces mesures par l’effet prétendu bénéfique du libre-marché. Lors du deuxième Forum Mondial de l’Eau à la Haye en 2000, l’eau a été officiellement définie non pas comme un « bien commun » ou un « droit humain » mais comme un « besoin essentiel », ce qui permet d’en faire désormais une marchandise soumise aux lois de l’offre et de la demande . Les entreprises privées intéressées par le marché de l’eau soutiennent activement ce programme qui leur ouvre des possibilités de profit énormes. Il s’agit d’une part des sociétés transnationales de distribution d’eau comme Suez (ex-Suez-Lyonnaise des Eaux) et Veolia (ex-Vivendi), d’autre part des quatre multinationales qui se partagent le marché de l’eau en bouteille : Nestlé, Danone, Coca-Cola et PepsiCo.
* Nestlé Waters, champion de l’eau en bouteille*
Nestlé est le numéro un mondial du marché de l’eau en bouteille, avec environ 17% du marché global. Nestlé Waters, la division eau du groupe Nestlé, avait en 2004 un bilan de 8.04 milliards de francs suisses de chiffre d’affaire ; en 2003, près de 20% des investissements de Nestlé avaient été faits dans ce secteur. Autrement dit, ce marché est non seulement très lucratif mais aussi en pleine croissance. C’est dans les années 80, alors que l’eau en bouteille devenait progressivement un produit de consommation de masse, que Nestlé a commencé à conquérir ce marché en établissant des sites de production et en rachetant de nombreuses entreprises d’embouteillages en Amérique du Nord et en Europe . Actuellement, Nestlé Waters est présente dans 130 pays, et détient 77 filiales, dont cinq marques internationales (Perrier, Vittel, Contrex, Acqua Panna, San Pelegrino), une septantaine de marques régionales prévues pour un marché local (comme Poland Spring ou Arrowhead aux Etats-Unis, Vera en Italie, San Narciso en Espagne, Saint Spring en Russie, Baraka en Egypte, La Vie au Vietnam, etc.), et deux "marques mondiales à production multi-site", concept qui consiste à commercialiser sous une marque unique une eau pompée à des lieux différents, ce qui réduit les coûts logistiques tout en visant un marché global. Il s’agit de la marque Nestlé Aquarel, apparue en 2000 et vendue déjà dans 11 pays européens, et de Nestlé Pure Life, lancée en 1998 au Pakistan, destinées surtout aux pays du Sud, et qui contient ce qu’on appelle de l’eau de synthèse, ou de l’eau traitée (cf. encadré). Le nom de Nestlé est rarement mentionné sur les étiquettes, pour réduire les risques de boycott en cas de scandale alimentaire, mais aussi pour bénéficier d’une large palette de produits différentiés. Pour conquérir le marché mondial, la stratégie de Nestlé consiste en effet à combiner la vente de marques connues au niveau national et international avec des marques locales et régionales, de jongler avec plusieurs produits de différentes catégories, marques, prix et clientèles-cibles. Cette multiplication et diversification de l’offre s’illustre aussi par l’émergence, aux USA puis en Europe, du "Home and Office Delivery". Ce service de livraison de fontaines à eau est un produit totalement superflu, mais qui actuellement envahit les entreprises, administrations et centres commerciaux. Nestlé est le principal détenteur de ce marché en Europe.
*Pourquoi les gens achètent-ils de l’eau en bouteille ?*
L’eau nous est amenée presque gratuitement à domicile par les services publics. Pourtant, les gens achètent et boivent de plus en plus d’eau en bouteille. En 1970, le marché de l’eau embouteillée représentait un billion de litres vendu dans le monde par année ; en 1980, ce chiffre avait doublé ; à la fin des années 80, il s’agissait de 7,5 billions de litres par années ; et en 2003, on avait passé à 84 billions de litres (T. Clarke 2005, p.9). On assiste ici à l’émergence d’une « nouvelle culture de la consommation de l’eau en bouteille » (id., p.66). Celle-ci est le résultat d’une campagne marketing et médiatique très puissante et efficace, qui cherche notamment à nous convaincre que l’eau en bouteille serait un produit plus pur, plus sûr et de meilleure qualité que l’eau du robinet. On peut voir là une « double stratégie » de manipulation : dans un premier temps, il s’agit d’entretenir la méfiance du public envers l’eau du réseau, et de décrédibiliser les services publics de gestion de l’eau qui de leur côté n’ont aucun budget publicitaire pour défendre leur image. Dans un deuxième temps, il reste à proposer une solution rassurante, une alternative nécessaire (id., p.66-67). Cette tactique a été appliquée par exemple au Pakistan, où Nestlé a organisé des séminaires pour sensibiliser les gens au problème de l’hygiène de l’eau en insistant sur l’état catastrophique de l’eau municipale, quelques mois avant de lancer la marque Pure Life . L’eau en bouteille doit aussi son succès aux campagnes des nutritionnistes qui ont commencé dans les années 90 à dénoncer les problèmes d’obésité et de désydratation, accusant l’industrie des fast-food et des boissons gazeuses. Dès lors, l’eau en bouteille a été présentée par la publicité comme une alternative aux boissons sucrées, une boisson associée à une vie saine, active et sportive. De même, on insiste sur la fraîcheur et le goût agréable de l’eau en bouteille, dont la consommation deviendrait alors un plaisir raffiné, un luxe, voire un signe extérieur de richesse, de statut ou de classe. Pureté, sécurité, nature, santé, bien-être, hédonisme, dynamisme ou distinction sociale... autant de notions qui font l’impasse sur le fait que l’eau du robinet contient en moyenne autant de minéraux utiles à l’organisme, et offre la même qualité que l’eau en bouteille : les normes et les contrôles qui réglementent l’eau du réseau sont même en général plus strictes que celles de l’eau embouteillée, et cette dernière présente en réalité des conditions peu propices à une véritable sécurité alimentaire - stagnation de l’eau dans du plastique, longs délais de consommation liés au transport et au stockage, etc. Une étude du Natural Ressource Defense Council dans des supermarchés américains a d’ailleurs montré qu’un tiers des eaux en bouteille vendues dans le commerce contenaient des substances indésirables. Autrement dit, on achète de l’eau en bouteille non pas pour son contenu objectif mais pour son image, pour les symboles qu’elle véhicule. En l’affublant de toute une série de connotations sociales, symboliques et imaginaires, l’industrie a réussit à transformer un élément presque inodore, incolore et gratuit en un pur produit commercial. *L’eau en bouteille, une fausse solution à la crise de l’eau* Loin de résoudre les problèmes sanitaires dans les pays du Sud comme le prétend notamment Nestlé, l’eau en bouteille ne fait qu’aggraver la crise humanitaire et l’inégalité sociale. Tout d’abord en raison de son prix exorbitant : certes, elle peut approvisionner les classes supérieures des deux hémisphères, mais elle reste totalement inabordable pour les populations démunies du Sud. Plus grave, le commerce de l’eau embouteillée a tendance à « décourager les pouvoirs publics à investir dans l’amélioration de la distribution d’eau potable » (cf. Attac contre l’Empire Nestlé, p.118) ; en ce sens, ce marché contribue à faire baisser ou à maintenir une mauvaise qualité de l’eau du réseau. De plus, l’exploitation des sources par des multinationales est préjudiciable pour les systèmes traditionnels de gestion et de distribution d’eau ; Nestlé achète dans le monde entier, souvent à des prix dérisoires, des concessions de prélèvement sur les sources dont elle garde ensuite le monopole en excluant les communautés locales qui se voient privées de leur accès vital et légitime à l’eau potable . Au niveau écologique, la surexploitation des sources engendre des dégâts irréparables sur l’équilibre environnemental. Pour répondre à une demande en croissance exponentielle, Nestlé réalise souvent des forages et des drainages excessifs qui dépassent le taux de reconstitution naturelle des nappes phréatiques et conduisent à l’assèchement des réserves d’eau - après quoi la multinationale déplace ses usines dans un autre site. Le cas le plus fameux est celui du Parc d’eau de Sao Lourenco au Brésil, qui abrite plusieurs sources d’eau minérale connue pour sa haute minéralisation et ses propriétés curatives. Nestlé y a installé en 1994 des usines de pompage et d’embouteillages pour y produire son eau de synthèse Pure Life. Depuis 1996, Nestlé a foré illégalement deux puits de plus de 150 mètres de profondeur pour y pomper 30’000 litres par jour, ce qui a conduit au changement de composition des minéraux dans certaines sources et même au tarissement de l’une d’elles . Enfin, une étude du WWF en 2001 a montré que l’industrie de l’eau en bouteille utilisait 1,5 millions de tonnes de plastique chaque année. Un cinquième seulement de ces bouteilles sont reçyclées - la production étant moins coûteuse que le recyclage. Tony Clarke (2005, p.61-65) montre comment l’industrie de l’eau en bouteille et l’industrie du plastique travaillent main dans la main pour d’une part éviter et contourner les législations en matière de recyclage, et d’autre part pour élaborer des plans marketings qui visent à faire croire au public que leur produit respecte l’environnement.
*Actions possibles et résistances citoyennes*
Comment réagir contre cette marchandisation irresponsable et désastreuse d’une ressource naturelle vitale qui devrait rester un bien collectif ?
La première chose à faire est sans doute de boire l’eau du robinet qui, en Suisse du moins, a encore le multiple avantage d’être publique, bon marché, sure, saine et de bonne qualité. Mais au-delà de cet acte de "consommAction" nécessaire mais insuffisant (cf. article dans ce même numéro), des actions politiques sont possibles et utiles. On peut citer par exemple l’impact international de la campagne du Mouvement brésilien de citoyenneté pour l’eau qui, si elle n’est pas encore arrivée totalement à ses fins, a du moins attiré l’attention du public sur les activités de Nestlé dans le parc de Sao Laurenco. En Amérique du Nord, la présence de Nestlé a plusieurs fois été l’objet de controverses politiques, comme dans les états du Wisconsin, du Michigan ou en Floride. En 2001 par exemple, l’administration du Michigan a accordé pour 100 USD à Nestlé Waters North America une licence d’exploitation de 4 sources près des Grandes Chutes du Michigan, où Nestlé a installé une usine qui pompait 380 à 1100 litres d’eau par minutes, vendues sous la marque « Ice Mountain ». Grâce à un mouvement de résistance créé par trois tribus indiennes, une plainte a été déposée et a conduit en novembre 2003 à une décision du tribunal de fermer l’exploitation. Un autre exemple réjouissant nous est fournit par le travail d’attac neuchâtel, à l’origine d’un mouvement citoyen qui a pu empêcher en 2001 que Nestlé reçoive une concession d’exploitation sur l’eau minérale d’une source à Bevaix. Ces succès - tout relatifs et provisoires qu’ils sont - nous montrent l’intérêt et l’importance des mouvements de résistances face aux multinationales. Plus en amont, la création des Forums alternatifs mondiaux de l’eau (en 2003 à Florence, en 2005 à Genève, et bientôt en 2006 au Mexique) reflète la volonté actuelle de différents représentant-e-s de la société civile de se mobiliser et de se coordonner pour défendre à tous les niveaux un modèle de gestion publique, collective et citoyenne de l’eau.
Le Groupe de travail Mondialisation et Multinationales d’attac vaud travaille depuis une année sur le thème de l’eau en rapport avec Nestlé. Il organise dans le cadre du Forum Nestlé du dimanche 30 octobre à Berne (9h15 - 12h15) un atelier qui aura pour titre « Nestlé et le commerce de l’eau en bouteille », et qui réunira Tony Clarke, de l’Institut Polaris au Canada, Franklin Frederick, du Mouvement brésilien de citoyenneté pour l’eau, et André Babey, d’attac neuchâtel. Renseignements et inscriptions :
www.multiwatch.ch.
Source : Attac Suisse http://suisse.attac.org/article.php3?id_article=799>
* Le nouveau marché de l’or bleu*
On assiste actuellement à une crise mondiale de l’eau, qui se manifeste à travers la pénurie croissante d’eau potable et la multiplication des maladies hydriques, causées par la pollution industrielle, la contamination des lacs et rivières, le traitement insuffisant des eaux usées, l’assèchement des sources, etc. Selon une estimation des Nations Unies, 36’000 personnes meurent chaque jour par manque d’eau potable ou par ingestion d’eau contaminée ; 1,5 milliards de gens sont privés d’accès à l’eau, et ce chiffre atteindra en 2025 les deux tiers de la population mondiale . Face à cette catastrophe humanitaire, les gouvernements et institutions internationales prônent la privatisation, la commercialisation et l’exportation de l’eau, justifiant ces mesures par l’effet prétendu bénéfique du libre-marché. Lors du deuxième Forum Mondial de l’Eau à la Haye en 2000, l’eau a été officiellement définie non pas comme un « bien commun » ou un « droit humain » mais comme un « besoin essentiel », ce qui permet d’en faire désormais une marchandise soumise aux lois de l’offre et de la demande . Les entreprises privées intéressées par le marché de l’eau soutiennent activement ce programme qui leur ouvre des possibilités de profit énormes. Il s’agit d’une part des sociétés transnationales de distribution d’eau comme Suez (ex-Suez-Lyonnaise des Eaux) et Veolia (ex-Vivendi), d’autre part des quatre multinationales qui se partagent le marché de l’eau en bouteille : Nestlé, Danone, Coca-Cola et PepsiCo.
* Nestlé Waters, champion de l’eau en bouteille*
Nestlé est le numéro un mondial du marché de l’eau en bouteille, avec environ 17% du marché global. Nestlé Waters, la division eau du groupe Nestlé, avait en 2004 un bilan de 8.04 milliards de francs suisses de chiffre d’affaire ; en 2003, près de 20% des investissements de Nestlé avaient été faits dans ce secteur. Autrement dit, ce marché est non seulement très lucratif mais aussi en pleine croissance. C’est dans les années 80, alors que l’eau en bouteille devenait progressivement un produit de consommation de masse, que Nestlé a commencé à conquérir ce marché en établissant des sites de production et en rachetant de nombreuses entreprises d’embouteillages en Amérique du Nord et en Europe . Actuellement, Nestlé Waters est présente dans 130 pays, et détient 77 filiales, dont cinq marques internationales (Perrier, Vittel, Contrex, Acqua Panna, San Pelegrino), une septantaine de marques régionales prévues pour un marché local (comme Poland Spring ou Arrowhead aux Etats-Unis, Vera en Italie, San Narciso en Espagne, Saint Spring en Russie, Baraka en Egypte, La Vie au Vietnam, etc.), et deux "marques mondiales à production multi-site", concept qui consiste à commercialiser sous une marque unique une eau pompée à des lieux différents, ce qui réduit les coûts logistiques tout en visant un marché global. Il s’agit de la marque Nestlé Aquarel, apparue en 2000 et vendue déjà dans 11 pays européens, et de Nestlé Pure Life, lancée en 1998 au Pakistan, destinées surtout aux pays du Sud, et qui contient ce qu’on appelle de l’eau de synthèse, ou de l’eau traitée (cf. encadré). Le nom de Nestlé est rarement mentionné sur les étiquettes, pour réduire les risques de boycott en cas de scandale alimentaire, mais aussi pour bénéficier d’une large palette de produits différentiés. Pour conquérir le marché mondial, la stratégie de Nestlé consiste en effet à combiner la vente de marques connues au niveau national et international avec des marques locales et régionales, de jongler avec plusieurs produits de différentes catégories, marques, prix et clientèles-cibles. Cette multiplication et diversification de l’offre s’illustre aussi par l’émergence, aux USA puis en Europe, du "Home and Office Delivery". Ce service de livraison de fontaines à eau est un produit totalement superflu, mais qui actuellement envahit les entreprises, administrations et centres commerciaux. Nestlé est le principal détenteur de ce marché en Europe.
*Pourquoi les gens achètent-ils de l’eau en bouteille ?*
L’eau nous est amenée presque gratuitement à domicile par les services publics. Pourtant, les gens achètent et boivent de plus en plus d’eau en bouteille. En 1970, le marché de l’eau embouteillée représentait un billion de litres vendu dans le monde par année ; en 1980, ce chiffre avait doublé ; à la fin des années 80, il s’agissait de 7,5 billions de litres par années ; et en 2003, on avait passé à 84 billions de litres (T. Clarke 2005, p.9). On assiste ici à l’émergence d’une « nouvelle culture de la consommation de l’eau en bouteille » (id., p.66). Celle-ci est le résultat d’une campagne marketing et médiatique très puissante et efficace, qui cherche notamment à nous convaincre que l’eau en bouteille serait un produit plus pur, plus sûr et de meilleure qualité que l’eau du robinet. On peut voir là une « double stratégie » de manipulation : dans un premier temps, il s’agit d’entretenir la méfiance du public envers l’eau du réseau, et de décrédibiliser les services publics de gestion de l’eau qui de leur côté n’ont aucun budget publicitaire pour défendre leur image. Dans un deuxième temps, il reste à proposer une solution rassurante, une alternative nécessaire (id., p.66-67). Cette tactique a été appliquée par exemple au Pakistan, où Nestlé a organisé des séminaires pour sensibiliser les gens au problème de l’hygiène de l’eau en insistant sur l’état catastrophique de l’eau municipale, quelques mois avant de lancer la marque Pure Life . L’eau en bouteille doit aussi son succès aux campagnes des nutritionnistes qui ont commencé dans les années 90 à dénoncer les problèmes d’obésité et de désydratation, accusant l’industrie des fast-food et des boissons gazeuses. Dès lors, l’eau en bouteille a été présentée par la publicité comme une alternative aux boissons sucrées, une boisson associée à une vie saine, active et sportive. De même, on insiste sur la fraîcheur et le goût agréable de l’eau en bouteille, dont la consommation deviendrait alors un plaisir raffiné, un luxe, voire un signe extérieur de richesse, de statut ou de classe. Pureté, sécurité, nature, santé, bien-être, hédonisme, dynamisme ou distinction sociale... autant de notions qui font l’impasse sur le fait que l’eau du robinet contient en moyenne autant de minéraux utiles à l’organisme, et offre la même qualité que l’eau en bouteille : les normes et les contrôles qui réglementent l’eau du réseau sont même en général plus strictes que celles de l’eau embouteillée, et cette dernière présente en réalité des conditions peu propices à une véritable sécurité alimentaire - stagnation de l’eau dans du plastique, longs délais de consommation liés au transport et au stockage, etc. Une étude du Natural Ressource Defense Council dans des supermarchés américains a d’ailleurs montré qu’un tiers des eaux en bouteille vendues dans le commerce contenaient des substances indésirables. Autrement dit, on achète de l’eau en bouteille non pas pour son contenu objectif mais pour son image, pour les symboles qu’elle véhicule. En l’affublant de toute une série de connotations sociales, symboliques et imaginaires, l’industrie a réussit à transformer un élément presque inodore, incolore et gratuit en un pur produit commercial. *L’eau en bouteille, une fausse solution à la crise de l’eau* Loin de résoudre les problèmes sanitaires dans les pays du Sud comme le prétend notamment Nestlé, l’eau en bouteille ne fait qu’aggraver la crise humanitaire et l’inégalité sociale. Tout d’abord en raison de son prix exorbitant : certes, elle peut approvisionner les classes supérieures des deux hémisphères, mais elle reste totalement inabordable pour les populations démunies du Sud. Plus grave, le commerce de l’eau embouteillée a tendance à « décourager les pouvoirs publics à investir dans l’amélioration de la distribution d’eau potable » (cf. Attac contre l’Empire Nestlé, p.118) ; en ce sens, ce marché contribue à faire baisser ou à maintenir une mauvaise qualité de l’eau du réseau. De plus, l’exploitation des sources par des multinationales est préjudiciable pour les systèmes traditionnels de gestion et de distribution d’eau ; Nestlé achète dans le monde entier, souvent à des prix dérisoires, des concessions de prélèvement sur les sources dont elle garde ensuite le monopole en excluant les communautés locales qui se voient privées de leur accès vital et légitime à l’eau potable . Au niveau écologique, la surexploitation des sources engendre des dégâts irréparables sur l’équilibre environnemental. Pour répondre à une demande en croissance exponentielle, Nestlé réalise souvent des forages et des drainages excessifs qui dépassent le taux de reconstitution naturelle des nappes phréatiques et conduisent à l’assèchement des réserves d’eau - après quoi la multinationale déplace ses usines dans un autre site. Le cas le plus fameux est celui du Parc d’eau de Sao Lourenco au Brésil, qui abrite plusieurs sources d’eau minérale connue pour sa haute minéralisation et ses propriétés curatives. Nestlé y a installé en 1994 des usines de pompage et d’embouteillages pour y produire son eau de synthèse Pure Life. Depuis 1996, Nestlé a foré illégalement deux puits de plus de 150 mètres de profondeur pour y pomper 30’000 litres par jour, ce qui a conduit au changement de composition des minéraux dans certaines sources et même au tarissement de l’une d’elles . Enfin, une étude du WWF en 2001 a montré que l’industrie de l’eau en bouteille utilisait 1,5 millions de tonnes de plastique chaque année. Un cinquième seulement de ces bouteilles sont reçyclées - la production étant moins coûteuse que le recyclage. Tony Clarke (2005, p.61-65) montre comment l’industrie de l’eau en bouteille et l’industrie du plastique travaillent main dans la main pour d’une part éviter et contourner les législations en matière de recyclage, et d’autre part pour élaborer des plans marketings qui visent à faire croire au public que leur produit respecte l’environnement.
*Actions possibles et résistances citoyennes*
Comment réagir contre cette marchandisation irresponsable et désastreuse d’une ressource naturelle vitale qui devrait rester un bien collectif ?
La première chose à faire est sans doute de boire l’eau du robinet qui, en Suisse du moins, a encore le multiple avantage d’être publique, bon marché, sure, saine et de bonne qualité. Mais au-delà de cet acte de "consommAction" nécessaire mais insuffisant (cf. article dans ce même numéro), des actions politiques sont possibles et utiles. On peut citer par exemple l’impact international de la campagne du Mouvement brésilien de citoyenneté pour l’eau qui, si elle n’est pas encore arrivée totalement à ses fins, a du moins attiré l’attention du public sur les activités de Nestlé dans le parc de Sao Laurenco. En Amérique du Nord, la présence de Nestlé a plusieurs fois été l’objet de controverses politiques, comme dans les états du Wisconsin, du Michigan ou en Floride. En 2001 par exemple, l’administration du Michigan a accordé pour 100 USD à Nestlé Waters North America une licence d’exploitation de 4 sources près des Grandes Chutes du Michigan, où Nestlé a installé une usine qui pompait 380 à 1100 litres d’eau par minutes, vendues sous la marque « Ice Mountain ». Grâce à un mouvement de résistance créé par trois tribus indiennes, une plainte a été déposée et a conduit en novembre 2003 à une décision du tribunal de fermer l’exploitation. Un autre exemple réjouissant nous est fournit par le travail d’attac neuchâtel, à l’origine d’un mouvement citoyen qui a pu empêcher en 2001 que Nestlé reçoive une concession d’exploitation sur l’eau minérale d’une source à Bevaix. Ces succès - tout relatifs et provisoires qu’ils sont - nous montrent l’intérêt et l’importance des mouvements de résistances face aux multinationales. Plus en amont, la création des Forums alternatifs mondiaux de l’eau (en 2003 à Florence, en 2005 à Genève, et bientôt en 2006 au Mexique) reflète la volonté actuelle de différents représentant-e-s de la société civile de se mobiliser et de se coordonner pour défendre à tous les niveaux un modèle de gestion publique, collective et citoyenne de l’eau.
Le Groupe de travail Mondialisation et Multinationales d’attac vaud travaille depuis une année sur le thème de l’eau en rapport avec Nestlé. Il organise dans le cadre du Forum Nestlé du dimanche 30 octobre à Berne (9h15 - 12h15) un atelier qui aura pour titre « Nestlé et le commerce de l’eau en bouteille », et qui réunira Tony Clarke, de l’Institut Polaris au Canada, Franklin Frederick, du Mouvement brésilien de citoyenneté pour l’eau, et André Babey, d’attac neuchâtel. Renseignements et inscriptions :
www.multiwatch.ch.
Source : Attac Suisse http://suisse.attac.org/article.php3?id_article=799>