Les documents examinés ne permettent pas une vision transparente tant sur le plan juridique que financier de ces opérations, ce qui restreindra la portée de notre analyse. Il est cependant nécessaire de faire un certain nombre de remarques.
Il est possible de distinguer l’opération de centralisation des provisions pour renouvellement d’une part et le montage financier de l’opération de réassurance d’autre part. En effet si pour leurs concepteurs, ces opérations étaient parties d’un tout, elles peuvent être techniquement séparées. Il était possible de mener l’opération de centralisation des provisions pour renouvellement (I), sans pour autant réaliser l’opération de réassurance (II).
I – CENTRALISATION DES PROVISIONS POUR RENOUVELLEMENT.
Le groupe VIVENDI CGE était organisé en une multitude de sociétés, titulaires des contrats de délégation. Chacune d’elle portait les engagements de renouvellement des immobilisations. Outre une information au titre des engagements hors bilan, chaque société était tenue de provisionner dans ses comptes le risque lié aux opérations de renouvellement.
Une nouvelle organisation juridique a été mise en place pour le secteur de l’eau en 1996 et pour le secteur de l’énergie en 1997. Elle consiste à centraliser sur la société VIVENDI-CGE la totalité des provisions du groupe. Cette opération s’accompagne d’une remontée de trésorerie des filiales vers la société de tête. En contrepartie, les filiales reçoivent la garantie de la maison mère pour leurs engagements de renouvellement.
Cette opération n’appelle pas de remarque particulière si ce n’est que l’on peut s’interroger sur la compatibilité de cette opération avec certains contrats. En effet certaines filiales n’ont été crées que pour la gestion d’un contrat et ce sur l’exigence de la collectivité locale délégante.
Mais plus que la centralisation et de la mutualisation ainsi organisées, l’opération s’accompagne surtout d’un changement de méthode dans le calcul de la charge prévisionnelle de renouvellement et donc des provisions pour renouvellement constituées.
1 – 1 Modification de la méthode d’évaluation des provisions pour renouvellement.
La nouvelle méthode est réputée mieux cerner les risques financiers attachés aux obligations de renouvellement, sinon elle serait inacceptable quant à l’obligation de sincérité des comptes du groupe.
Selon les comptes consolidés du Groupe au 31 décembre 1996 (CGE à l’époque), le montant des provisions pour renouvellement a évolué ainsi :
En millions de francs
- Solde au 31 décembre 1995 13 287,8
- Dotation 1996 229,0
- Reprise sur provisions - 2 959,0
Solde au 31 décembre 1996 10 557,8
Ce que l’on appelle reprise sur provisions, constitue en fait une diminution du montant des provisions constitués au cours des exercices précédents. Cette diminution est considérable puisqu’elle porte sur plus de 20 % du solde des provisions.
A la lecture des rapports financiers, on constate que la dotation annuelle pratiquée est en baisse dans des proportions identiques. La dotation de 1996 est de 229 millions de francs contre 310 millions en 1995. Soit, toutes choses égales par ailleurs, une diminution de 26 %.
1 – 2 Sort de diminution des provisions.
La reprise sur provisions a été considérée comme un profit acquis à la CGE, soit près de 3 milliards de francs, sur les comptes de 1996. La même méthode, naturellement retenue pour les exercices à venir, évalue les provisions à des montants significativement inférieurs à la méthode ancienne. D’où un gain supplémentaire pour l’avenir.
1 - 3 Critiques.
La CGE considère donc qu’avec moins de provisions, elle peut malgré tout satisfaire à ses obligations contractuelles de renouvellement. Si le même service peut être rendu aux usagers des services publics de l’eau pour un coût moins élevé de près de 20 à 30 %, c’est reconnaître que les tarifs facturés jusque là aux usagers et qui incluaient, nécessairement pour leur détermination, une quote-part de provisions pour renouvellement, étaient sur-évalués.
En conséquence, la diminution du solde des provisions aurait pu et sans doute du être restituée aux usagers qui les ont financées
Il en est de même pour les dotations à pratiquer après 1996. La diminution de la dotation annuelle, pour un même niveau d’engagement de renouvellement, devrait se traduire par une baisse des tarifs des usagers consommateurs d’eau. Tel n’est pas le cas.
Au total, l’opération n’a profité qu’à la CGE, sans doute illégalement au regard de la définition des tarifs et aux applications rigoureuses qu’en font les Tribunaux.
II – SUR L’OPERATION DE REASSURANCE.
Il n’est pas possible, sur la base des seuls documents examinés, de conclure soit à la parfaite légalité de l’opération menée, soit au contraire à son illégalité comme à la nature des illégalités. Certaines remarques peuvent toutefois être faites.
Premièrement, l’opération ne concerne pas seulement les provisions pour renouvellement mais elle s’applique également aux opérations qualifiées de « risque de crédit vendeur ». Selon la CGE, à fin 1997, les dépenses prévisibles se répartissent ainsi :
- dépenses de renouvellement et garanties totales 18,3 milliards
- risques crédits vendeurs 7,8 milliards
Total 26,1 milliards
Deuxièmement, la CGE, en accord avec le Groupe GENERAL RE, lui a transféré, en 1997, 6,5 milliards de francs. La CGE s’est engagé à verser 1,55 milliard de francs supplémentaires par an et ce pendant 15 ans. Les versements totaux, hors indexation, auraient représenté le total de 29,75 milliards de francs (4,5 milliards d’€uros). En contrepartie, GENERAL RE s’engageait à couvrir l’ensemble des risques de renouvellement et de garantie totale.
Troisièmement, loin d’être une opération de réassurance avec une société extérieure au Groupe CGE, comme elle apparaît, l’opération va demeurer au sein du Groupe CGE. En effet, il a été convenu que le Groupe GENERAL RE se couvrirait lui-même pour les engagements donnés à la CGE, auprès d’une autre société. Cette société baptisée GELGIN Limited est de droit irlandais. Elle appartient en réalité au Groupe CGE, qui d’ailleurs consolide les opérations comptables de cette société par la méthode dite de l’intégration globale.
Ainsi, GENERAL RE va à son tour transférer, à GELGIN Limited, les fonds reçus du Groupe CGE. Ce système a fonctionné de 1997 à au moins 1999. Les transferts sur ces trois années atteignent le total de 9,6 à 9,8 milliards de francs (environ 1,5 milliards d’€uros). Naturellement en sens inverse, le Groupe CGE va recevoir de GELGIN, à travers le filtre de GENERAL RE, les montants nécessaires à la couverture des travaux de renouvellement.
Au total, les fonds n’ont pas quitté le Groupe CGE. Sur le plan comptable, il ne semble pas y avoir d’incidence, que l’opération ait eu lieu ou pas, puisqu’en définitive elle a été menée avec GELGIN, totalement consolidée avec la CGE. Dès lors quel est l’intérêt d’un tel montage ?
Sur le plan financier, il est exact que cette opération a permis de placer sur une structure, non soumise au droit français des sociétés, des capitaux importants. Il convient de s’interroger sur le sort de ces capitaux.
Trois grandes questions semblent se poser :
1° Quels sont les montants exacts dont à disposé GELGIN ? Combien ont été reversés au Groupe CGE, à travers GENERAL RE, pour les garanties de renouvellement transformées en travaux effectifs ?
2° Suite à la création de VEOLIA, à sa séparation d’avec VIVENDI-UNIVERSAL, à qui ont été dévolus les capitaux disponibles de GELGIN ? Comment sont garantis les engagements de VEOLIA qui a repris les contrats d’eau et doit donc assurer le renouvellement des immobilisations des réseaux d’eau délégués.
3° Il apparaît que GELGIN a utilisé une partie de sa trésorerie disponible pour souscrire des titres émis par VIVENDI, des obligations, des actions ? Cette ou ces opérations de souscription sont-elles légales au regard du droit français ? Du droit américain, VIVENDI étant aussi cotée à New-York ?
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