LE CAS BOLIVIEN

Du 17 au 20 mars, les altermondialistes tiennent à Genève leur Forum alternatif mondial de l’eau. Leur credo : l’eau potable est un bien commun inaliénable, dont les services doivent être financés par le public et contrôlés par les citoyens. Une vision radicalement opposée au vaste mouvement de privatisation engagé dans les années 1990.
l Alto, banlieue-dortoir de La Paz, 1 000 mètres de dénivelé pour atteindre la capitale bolivienne et ses emplois. Une ville pauvre, à vif, dont la grande majorité des 700 000 habitants sont des autochtones Aymaras. Depuis des semaines, un mouvement populaire mené par un de leurs dirigeants, Abel Mamani, réclame le départ d’Aguas del Illimani, filiale de la multinationale française Lyonnaise des eaux-Suez, et la nationalisation de la distribution de l’eau potable et de l’assainissement dont elle a la charge. Motif invoqué : absence de couverture d’un quart des habitants, coûts de raccordement inabordables, abus de pouvoir dominant, etc. La route d’El Alto, stratégique pour l’accès à La Paz, est régulièrement bloquée. La compagnie affirme de son côté qu’elle a scrupuleusement respecté les termes de son contrat. Et que les tarifs de l’eau n’ont pas bougé depuis l’attribution de la concession en 1997. Précision utile : ils sont fixés... en dollars. Ils grimpent donc « tout seuls » à mesure que le boliviano se déprécie tendance naturelle.
Mi-janvier, le gouvernement cède et engage la révision du contrat d’Aguas del Illimani. Pas si simple : on estime que le pays aurait à rembourser quelque 50 millions de dollars de dédit s’il mettait la filiale de Suez dehors. Le bras de fer est loin d’être terminé.
Il y a donc une « guerre de l’eau ». C’est du chaudron d’El Alto que sont descendus, en octobre 2003, les manifestants qui précipitèrent le renversement de l’ex-président Sánchez de Lozada, au bout d’un mois de chaos social et 80 morts, victimes de sa répression. C’était au milieu d’une autre « guerre », celle du gaz, menée par un vaste mouvement national d’opposition à la privatisation et à l’exportation par des multinationales étrangères des énormes ressources gazières découvertes dans les années 1990. « Pays ingouvernable, étranglé par les ultimatums, les grèves, les menaces », a dit Carlos Mesa, Président depuis un an et demi, qui a présenté la semaine dernière sa démission, finalement refusée par le Congrès. La Bolivie, où les deux tiers de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté, est, une fois de plus, au bord de l’explosion sociale autour de la question cruciale de la nationalisation de ses ressources.
Jusque-là secondaire, la question de l’eau a fait irruption sur la scène internationale dans les années 1990, sous la pression de consommations agricole et urbaine en forte augmentation un doublement au cours des vingt ans à venir, plus de deux fois le taux de croissance de la population humaine.
De nombreux pays du Sud, confrontés aux piètres performances de leurs services publics, se sont alors engouffrés dans la voie de la sous-traitance des services de l’eau production, distribution et assainissement à des opérateurs privés, dont l’activité était limitée, jusque dans les années 1980, à quelques pays occidentaux, dont la France. « Toutes les grandes villes du tiers monde ont un problème majeur avec l’eau, souligne Jean-Luc Trancart, directeur de la communication de la Lyonnaise des eaux-Suez, et plus de trois cents d’entre elles ont lancé des appels d’offres lors de la décennie précédente. »
C’est en Amérique latine, continent d’expérimentation des règles les plus exigeantes du libéralisme économique, qu’ont été signées les premières grosses affaires. Après Buenos Aires, concession de trente ans emportée par Suez en 1993, ont suivi des contrats en Bolivie, en Équateur, au Brésil, au Salvador, au Nicaragua, au Mexique, en Haïti, à Porto Rico, etc. Le mouvement s’est ensuite propagé en Asie (Philippines, Indonésie, Chine, etc.) et en Afrique (Afrique du Sud, Maroc, Mozambique, etc.). La couverture géographique en matière de services de l’eau des six plus importantes de ces multinationales est passée d’une douzaine de pays, en 1990, à une soixantaine en 2002. Aujourd’hui, près de 450 millions de personnes sont servies par une entreprise privée.
À peine 8 % du marché total, cependant. « Mais 30 % de la population mondiale solvable, précise Jean-Luc Touly, président de l’Association pour un contrat mondial de l’eau (Acme). Ce secteur offre l’un des meilleurs rapports financiers actuels. » Certains analystes prédisent que 1,7 milliard de personnes pourraient être desservies par le privé dans moins de dix ans et 70 % du monde occidental d’ici à 2015. Aux États-Unis, les opérateurs publics (82 % de l’activité eau) recherchent de plus en plus le partenariat du privé, note Suez dans un document d’analyse stratégique.
Lire l’ensemble de notre dossier dans Politis n° 843
(1) La Générale et la Lyonnaise sont nées, respectivement, en 1853 et 1880.
l Alto, banlieue-dortoir de La Paz, 1 000 mètres de dénivelé pour atteindre la capitale bolivienne et ses emplois. Une ville pauvre, à vif, dont la grande majorité des 700 000 habitants sont des autochtones Aymaras. Depuis des semaines, un mouvement populaire mené par un de leurs dirigeants, Abel Mamani, réclame le départ d’Aguas del Illimani, filiale de la multinationale française Lyonnaise des eaux-Suez, et la nationalisation de la distribution de l’eau potable et de l’assainissement dont elle a la charge. Motif invoqué : absence de couverture d’un quart des habitants, coûts de raccordement inabordables, abus de pouvoir dominant, etc. La route d’El Alto, stratégique pour l’accès à La Paz, est régulièrement bloquée. La compagnie affirme de son côté qu’elle a scrupuleusement respecté les termes de son contrat. Et que les tarifs de l’eau n’ont pas bougé depuis l’attribution de la concession en 1997. Précision utile : ils sont fixés... en dollars. Ils grimpent donc « tout seuls » à mesure que le boliviano se déprécie tendance naturelle.
Mi-janvier, le gouvernement cède et engage la révision du contrat d’Aguas del Illimani. Pas si simple : on estime que le pays aurait à rembourser quelque 50 millions de dollars de dédit s’il mettait la filiale de Suez dehors. Le bras de fer est loin d’être terminé.
Il y a donc une « guerre de l’eau ». C’est du chaudron d’El Alto que sont descendus, en octobre 2003, les manifestants qui précipitèrent le renversement de l’ex-président Sánchez de Lozada, au bout d’un mois de chaos social et 80 morts, victimes de sa répression. C’était au milieu d’une autre « guerre », celle du gaz, menée par un vaste mouvement national d’opposition à la privatisation et à l’exportation par des multinationales étrangères des énormes ressources gazières découvertes dans les années 1990. « Pays ingouvernable, étranglé par les ultimatums, les grèves, les menaces », a dit Carlos Mesa, Président depuis un an et demi, qui a présenté la semaine dernière sa démission, finalement refusée par le Congrès. La Bolivie, où les deux tiers de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté, est, une fois de plus, au bord de l’explosion sociale autour de la question cruciale de la nationalisation de ses ressources.
Jusque-là secondaire, la question de l’eau a fait irruption sur la scène internationale dans les années 1990, sous la pression de consommations agricole et urbaine en forte augmentation un doublement au cours des vingt ans à venir, plus de deux fois le taux de croissance de la population humaine.
De nombreux pays du Sud, confrontés aux piètres performances de leurs services publics, se sont alors engouffrés dans la voie de la sous-traitance des services de l’eau production, distribution et assainissement à des opérateurs privés, dont l’activité était limitée, jusque dans les années 1980, à quelques pays occidentaux, dont la France. « Toutes les grandes villes du tiers monde ont un problème majeur avec l’eau, souligne Jean-Luc Trancart, directeur de la communication de la Lyonnaise des eaux-Suez, et plus de trois cents d’entre elles ont lancé des appels d’offres lors de la décennie précédente. »
C’est en Amérique latine, continent d’expérimentation des règles les plus exigeantes du libéralisme économique, qu’ont été signées les premières grosses affaires. Après Buenos Aires, concession de trente ans emportée par Suez en 1993, ont suivi des contrats en Bolivie, en Équateur, au Brésil, au Salvador, au Nicaragua, au Mexique, en Haïti, à Porto Rico, etc. Le mouvement s’est ensuite propagé en Asie (Philippines, Indonésie, Chine, etc.) et en Afrique (Afrique du Sud, Maroc, Mozambique, etc.). La couverture géographique en matière de services de l’eau des six plus importantes de ces multinationales est passée d’une douzaine de pays, en 1990, à une soixantaine en 2002. Aujourd’hui, près de 450 millions de personnes sont servies par une entreprise privée.
À peine 8 % du marché total, cependant. « Mais 30 % de la population mondiale solvable, précise Jean-Luc Touly, président de l’Association pour un contrat mondial de l’eau (Acme). Ce secteur offre l’un des meilleurs rapports financiers actuels. » Certains analystes prédisent que 1,7 milliard de personnes pourraient être desservies par le privé dans moins de dix ans et 70 % du monde occidental d’ici à 2015. Aux États-Unis, les opérateurs publics (82 % de l’activité eau) recherchent de plus en plus le partenariat du privé, note Suez dans un document d’analyse stratégique.
Lire l’ensemble de notre dossier dans Politis n° 843
(1) La Générale et la Lyonnaise sont nées, respectivement, en 1853 et 1880.