La version vidéo à écouter et à voir de la justification de la tenue du forum de Mexico par le ministère de l'environnement
Or ceux qui veulent les déposséder de ça, ce sont des sociétés qui se disent françaises – alors qu’en fait elles sont dans des logiques de capital transnational. Au Forum alternatif mondial de l’eau, en parallèle de la réunion officielle, s’est tenu un tribunal sur le thème de « l’eau publique pour tous », pour dénoncer les violations des droits des populations par les multinationales de l’eau. Nous sommes mis en cause nous, élus français, si nous n’inventons pas une forme de partenariat « public-public » qui donne le primat à l’idée que l’eau est un droit, et non une marchandise.
Entretien réalisé par Olivier Chartrain
Or ceux qui veulent les déposséder de ça, ce sont des sociétés qui se disent françaises – alors qu’en fait elles sont dans des logiques de capital transnational. Au Forum alternatif mondial de l’eau, en parallèle de la réunion officielle, s’est tenu un tribunal sur le thème de « l’eau publique pour tous », pour dénoncer les violations des droits des populations par les multinationales de l’eau. Nous sommes mis en cause nous, élus français, si nous n’inventons pas une forme de partenariat « public-public » qui donne le primat à l’idée que l’eau est un droit, et non une marchandise.
Entretien réalisé par Olivier Chartrain
D’autres partenariats pour l’eau

La Terre : Vous faisiez partie, avec Madame Danielle Mitterrand, d’une délégation de la fondation France Libertés qui s’est rendue en Amérique Latine en septembre dernier. Quel était le but de ce voyage ?
Raymond Avrillier : Nous avons une responsabilité particulière, en France, parce que le modèle de gestion de l’eau par délégation de service public qui est exporté au niveau international s’appuie des sociétés françaises – Lyonnaise des eaux et Générale des eaux, devenues Suez et Veolia. Ce modèle de « partenariat public privé » est essentiel pour la Banque mondiale, qui attribue ses aides aux pays à condition qu’ils fassent gérer leurs services de l’eau par des sociétés privées. Nous avons donc, nous Français, représentants de collectivités publiques, rencontré et échangé des expériences avec des mouvements d’usagers, d’habitants, de paysans et aussi d’élus. Il en est ressorti que la logique de partenariat public-privé est très inégale : les profits sont amassés par les sociétés privées, et les risques sont assumés par les populations, par la sphère publique.
Comment cela se passe-t-il ?
Les politiques mises en oeuvre à l’instigation de la Banque mondiale et de l’OMC, révélatrices d’une vision dans laquelle l’eau est une marchandise, ont pour idée directrice le fait de donner tous pouvoirs à des sociétés privées pour la gestion de l’eau, dans le but d’en tirer des profits rapides. Pour ce faire, les zones les plus immédiatement rentables sont aménagées, et les zones pauvres sont complètement délaissées. Nous sommes montés à 4000 mètres d’altitude, au fin fond d’El Alto, la banlieue pauvre de La Paz, en Bolivie, là où le mois précédent notre arrivée, plusieurs enfants par semaine mouraient des suites de l’absence d’eau potable. Nous avons vu ces quartiers déshérités, où les habitants doivent payer très cher des tonneaux d’eau alimentés par des camions… alors qu’ils sont dans le périmètre de la concession gérée par la société privée ! Nous avons vu les collectifs d’habitants qui s’organisent en coopératives, en fédérations d’usagers, pour acquérir le droit à l’eau et à l’assainissement… Nous étions là à mille lieues de la logique de privatisation développée par le Conseil mondial de l’eau, l’OMC, la Banque mondiale…
Logique dont le Forum de Mexico est la chambre d’écho…
Le forum officiel, oui. Mais cette politique de privatisation et de mise sous tutelle des Etats a aussi donné lieu à un mouvement populaire important en Bolivie, un mouvement d’autoorganisation des paysans, des habitants des banlieues. C’est ce mouvement qui a contribué à porter Evo Morales à la tête du pays, avec la création du ministère de l’Eau confié à Abel Mamani.
Il est question de mettre en place des partenariats très concrets, en Bolivie, au Brésil... Pouvez-vous nous en parler ?
Il s’agit d’élaborer une alternative à la logique purement marchande du partenariat public-privé. La fondation France-Libertés, en lien avec des acteurs associatifs, des élus, essaie de développer des partenariats « public-public ». Cela peut être une aide juridique : la fondation travaille avec Sherpa, une association de juristes internationaux qui décortique les contrats qui lient les collectivités publiques concernées aux firmes. Il y a des partenariats, des échanges entre collectivités. Nous faisons des analyses comparées des contrats français et de ce qu’ils vivent dans leurs pays. Ils ont besoin de comprendre l’économie des contrats de délégation ou de concession, dont nous avons l’expérience. Et puis il y a des expériences très simples : aider des coopératives, des regroupements de paysans et d’habitants à mettre en place des puits, des réseaux d’eau ou d’assainissement autoconstruits…
Comment ?
Ce sont surtout – Danielle Mitterrand y tient beaucoup – des appuis financiers, au démarrage, pour des réalisations autogérées. Cela vaut aussi bien dans des quartiers extrêmement pauvres au Brésil que dans la banlieue de Buenos Aires, en Argentine. Mais la défaillance des Etats, la corruption atteignent de telles proportions que ces initiatives autogérées, communautaires, coopératives n’ont aucun soutien officiel. Dans ce cadre-là, les échanges d’expériences permettent une forme d’auto-formation.
Il n’y a pas, par exemple, de techniciens des eaux de Grenoble qui vont sur place former ou construire ?
Pas encore. Et puis l’idée n’est pas d’avoir une démarche néocoloniale dans laquelle on envoie des « coopérants »… Les gens sont capables de participer eux-mêmes : à El Alto, ils nous ont montré la tranchée de plusieurs centaines de mètres qu’ils venaient de réaliser, la pose des tuyaux qu’ils allaient mettre en oeuvre pour l’adduction d’eau et faire un repiquage sauvage sur le réseau de la société privée. Les capacités constructives existent ; c’est l’administration du service qui fait défaut. Dès qu’on passe à des questions de régulation des débits, de comptabilisation des dessertes sur tout un réseau, etc., l’autogestion par petits quartiers ne peut plus fonctionner. Il y a donc besoin d’échanges techniques, oui ; mais avant tout, l’argent est le nerf de l’eau… Après, la reconstruction d’un service public de l’eau passera aussi par celle de services publics.
Raymond Avrillier, élu écologiste grenoblois et membre de la fondation France-Libertés, s’est rendu en Bolivie l’an dernier. Il témoigne et nous raconte les ponts lancés entre ici et là-bas, pour échapper à l’emprise des multinationales et faire vivre le service public de l’eau. ■ Raymond Avrillier
Raymond Avrillier : Nous avons une responsabilité particulière, en France, parce que le modèle de gestion de l’eau par délégation de service public qui est exporté au niveau international s’appuie des sociétés françaises – Lyonnaise des eaux et Générale des eaux, devenues Suez et Veolia. Ce modèle de « partenariat public privé » est essentiel pour la Banque mondiale, qui attribue ses aides aux pays à condition qu’ils fassent gérer leurs services de l’eau par des sociétés privées. Nous avons donc, nous Français, représentants de collectivités publiques, rencontré et échangé des expériences avec des mouvements d’usagers, d’habitants, de paysans et aussi d’élus. Il en est ressorti que la logique de partenariat public-privé est très inégale : les profits sont amassés par les sociétés privées, et les risques sont assumés par les populations, par la sphère publique.
Comment cela se passe-t-il ?
Les politiques mises en oeuvre à l’instigation de la Banque mondiale et de l’OMC, révélatrices d’une vision dans laquelle l’eau est une marchandise, ont pour idée directrice le fait de donner tous pouvoirs à des sociétés privées pour la gestion de l’eau, dans le but d’en tirer des profits rapides. Pour ce faire, les zones les plus immédiatement rentables sont aménagées, et les zones pauvres sont complètement délaissées. Nous sommes montés à 4000 mètres d’altitude, au fin fond d’El Alto, la banlieue pauvre de La Paz, en Bolivie, là où le mois précédent notre arrivée, plusieurs enfants par semaine mouraient des suites de l’absence d’eau potable. Nous avons vu ces quartiers déshérités, où les habitants doivent payer très cher des tonneaux d’eau alimentés par des camions… alors qu’ils sont dans le périmètre de la concession gérée par la société privée ! Nous avons vu les collectifs d’habitants qui s’organisent en coopératives, en fédérations d’usagers, pour acquérir le droit à l’eau et à l’assainissement… Nous étions là à mille lieues de la logique de privatisation développée par le Conseil mondial de l’eau, l’OMC, la Banque mondiale…
Logique dont le Forum de Mexico est la chambre d’écho…
Le forum officiel, oui. Mais cette politique de privatisation et de mise sous tutelle des Etats a aussi donné lieu à un mouvement populaire important en Bolivie, un mouvement d’autoorganisation des paysans, des habitants des banlieues. C’est ce mouvement qui a contribué à porter Evo Morales à la tête du pays, avec la création du ministère de l’Eau confié à Abel Mamani.
Il est question de mettre en place des partenariats très concrets, en Bolivie, au Brésil... Pouvez-vous nous en parler ?
Il s’agit d’élaborer une alternative à la logique purement marchande du partenariat public-privé. La fondation France-Libertés, en lien avec des acteurs associatifs, des élus, essaie de développer des partenariats « public-public ». Cela peut être une aide juridique : la fondation travaille avec Sherpa, une association de juristes internationaux qui décortique les contrats qui lient les collectivités publiques concernées aux firmes. Il y a des partenariats, des échanges entre collectivités. Nous faisons des analyses comparées des contrats français et de ce qu’ils vivent dans leurs pays. Ils ont besoin de comprendre l’économie des contrats de délégation ou de concession, dont nous avons l’expérience. Et puis il y a des expériences très simples : aider des coopératives, des regroupements de paysans et d’habitants à mettre en place des puits, des réseaux d’eau ou d’assainissement autoconstruits…
Comment ?
Ce sont surtout – Danielle Mitterrand y tient beaucoup – des appuis financiers, au démarrage, pour des réalisations autogérées. Cela vaut aussi bien dans des quartiers extrêmement pauvres au Brésil que dans la banlieue de Buenos Aires, en Argentine. Mais la défaillance des Etats, la corruption atteignent de telles proportions que ces initiatives autogérées, communautaires, coopératives n’ont aucun soutien officiel. Dans ce cadre-là, les échanges d’expériences permettent une forme d’auto-formation.
Il n’y a pas, par exemple, de techniciens des eaux de Grenoble qui vont sur place former ou construire ?
Pas encore. Et puis l’idée n’est pas d’avoir une démarche néocoloniale dans laquelle on envoie des « coopérants »… Les gens sont capables de participer eux-mêmes : à El Alto, ils nous ont montré la tranchée de plusieurs centaines de mètres qu’ils venaient de réaliser, la pose des tuyaux qu’ils allaient mettre en oeuvre pour l’adduction d’eau et faire un repiquage sauvage sur le réseau de la société privée. Les capacités constructives existent ; c’est l’administration du service qui fait défaut. Dès qu’on passe à des questions de régulation des débits, de comptabilisation des dessertes sur tout un réseau, etc., l’autogestion par petits quartiers ne peut plus fonctionner. Il y a donc besoin d’échanges techniques, oui ; mais avant tout, l’argent est le nerf de l’eau… Après, la reconstruction d’un service public de l’eau passera aussi par celle de services publics.
Raymond Avrillier, élu écologiste grenoblois et membre de la fondation France-Libertés, s’est rendu en Bolivie l’an dernier. Il témoigne et nous raconte les ponts lancés entre ici et là-bas, pour échapper à l’emprise des multinationales et faire vivre le service public de l’eau. ■ Raymond Avrillier