« L'eau est le symbole d'un élément dont chacun, riche ou pauvre, a le même besoin en quantité et en qualité pour vivre. Pour que la gestion de ce bien vital soit équitable, elle doit être placée sous le contrôle de la population concernée. Depuis plusieurs années, un mouvement pour le retour à la gestion publique de l'eau a été initié par des élus courageux et déterminés. Et des personnalités éminentes comme Danièle Mitterrand, avec la fondation France libertés, se sont engagées pour que l'accès à l'eau soit reconnu comme un droit humain fondamental.
Dans le même temps, des lanceurs d'alerte comme Jean-Luc Touly, qui est venu l'été dernier présenter le film Water makes money, ont dénoncé les abus des multinationales de l'eau qui réalisent des bénéfices considérables sur ce bien vital. La question de la préservation de la ressource en eau et de sa gestion raisonnable, juste et équitable se pose donc comme une question politique majeure. »
Quel système prévaut sur la ville de Troyes ?
Qu'en pensez-vous ?
« Depuis 1993, la ville de Troyes a privatisé la gestion de l'eau en la confiant à la Compagnie générale des eaux devenue depuis Veolia. À l'époque, le contrat avait fait l'objet du versement de droits d'entrée à la ville de Troyes (pratique aujourd'hui strictement interdite) : 81 millions de francs pour simplement obtenir le droit de gérer la distribution de l'eau. Veolia est une
entreprise privée qui d'abord vise la rentabilité et la rémunération de ses actionnaires. C'est la raison pour laquelle les Troyens payent aujourd'hui les intérêts sur ces droits d'entrée versés il y a plus de 20 ans à la municipalité de Robert Galley. Entre-temps, les investissements nécessaires à la modernisation du réseau n'ont pas été effectués.
Au final, Veolia comble aujourd'hui son retard dans le changement des branchements en plomb, ce qui crée de gros désordres de circulation en ville. La directive européenne qui impose le changement des branchements en plomb datait de 1998 et, de toute évidence, ces travaux lancés aujourd'hui dans l'urgence n'ont pas été effectués à temps.
Ajoutons que l'assainissement est aujourd'hui géré par le Grand Troyes, alors que la ville de Troyes vend de l'eau à Saint-André, à Sainte-Savine, aux Noës, à Pont-Sainte-Marie, à Buchères, à la Rivière de Corps et à beaucoup d'autres communes.
C'est donc un dossier très technique, très complexe et rendu opaque par la rétention d'information du maire de Troyes qui refuse toujours de créer un groupe d'information sur l'eau. Les enjeux financiers sont considérables. Tout n'est pas fait dans l'intérêt de l'usager ni d'une saine gestion des deniers publics. »
Vous avez intenté une action en justice contre une décision du conseil municipal de Troyes. Quelles en sont les raisons et où en êtes-vous ?
« Selon la loi Sapin de 1993 relative à la prévention de la corruption, complétée par la loi Barnier de 1995 et précisée par le Conseil d'État (jurisprudence Commune d'Olivet), aucun contrat de délégation de service public supérieur à une durée de 20 ans ne peut continuer à s'exécuter au-delà de février 2015. Le maire de Troyes a fait voter à l'automne 2011 une prolongation du contrat de Veolia jusqu'en 2018 alors que rien ne le justifie. C'est la raison pour laquelle, j'ai déposé, avec Alain Carsenti et Dimitri Sydor, un recours devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Depuis, nous avons constitué un collectif « Eau publique » et nous nous sommes structurés en association. Ce qui n'était au départ qu'une contestation classique entre la majorité et l'opposition troyenne a pris une autre tournure lorsque Veolia s'est même jointe à l'affaire en demandant même notre condamnation. Notre affaire est devenue emblématique et nous avons de nombreux soutiens, à commencer notre avocat, William Bourdon, qui est un ténor du barreau spécialisé dans le droit des affaires, les dossiers de corruption et les questions de droits de l'homme.Suivant les informations que nous avons pu ainsi
recueillir, la décision du tribunal administratif, ou des diverses juridictions d'appel, concernerait un millier de villes françaises dans lesquelles la problématique de l'eau est exactement la même que celle de Troyes. Nous avons donc probablement mis le doigt là où ça fait mal !
Le Tribunal administratif de Chalons en Champagne qui a désormais prononcé la clôture de l'instruction devrait rendre son verdict d'ici cet été. »
Dans la perspective d'une victoire de la gauche aux municipales, quelles seront vos orientations dans ce domaine ?
« Nous envisageons l'hypothèse de la municipalisation de l'eau à l'échelle de Troyes et de son retour en régie publique à l'échelle de l'agglomération comme un élément du socle commun de la gauche et des écologistes à l'échelle de Troyes et l'agglomération. Mais c'est également une question qui peut rassembler les élus et les énergies bien au-delà de la gauche, dans toutes les branches de la société civile et du monde associatif, pour peu qu'on prenne d'abord en compte l'intérêt de la population et qu'on refuse la tyrannie du profit et des intérêts économiques de quelques-uns.
Si nous engageons la collectivité dans une démarche de qualité et de labellisation de l'eau potable, nous nous obligeons nécessairement à veiller à la préservation de la ressource en eau et à une meilleure gestion des zones humides. C'est donc une grande ambition collective qui s'avère utile à l'intérêt général : par une meilleure participation des citoyens et de la collectivité.
Elle a aussi un aspect social essentiel : l'eau du robinet coût 200 à 300 fois moins cher que l'eau en bouteille et elle est plus écologique ! Une fois d'accord sur les objectifs, il nous reste à organiser au mieux la transition du système de la délégation au privé vers la gestion publique. À cet égard, les conseils de Gabriel Amard, qui préside régie publique Eau des Lacs de l'Essonne nous serons tout à fait précieux, de même que le soutien du réseau des réseaux publics français et européens qui se sont fédérés au sein du réseau Aqua Publica Europea. Notre mobilisation sur l'eau nous permet de proposer un projet
ambitieux à la population. C'est une ambition politique collective au meilleur sens du terme »