
Nous le savons tous, on commence toujours par la libéralisation, c’est-à-dire la mise en concurrence et le retrait de l’intervention publique, et ça finit par la privatisation, avec parfois l’étape de l’ouverture du capital comme c’est actuellement le cas, en France, avec EDF.
Telle est la perspective que nous propose l’AGCS : la libéralisation « de tous les services, dans tous les secteurs "
Nous avons été tout aussi scandalisés par le cas de cette entreprise d’alimentation dans les Flandres. Elle licencie ses salariés et passe un contrat avec une société d’intérim des Pays-Bas qui recrute des travailleurs Polonais à un salaire défiant toute concurrence. Heureusement, la stratégie de cette entreprise a été mise en échec, grâce à l’intervention des syndicats et de ce qu’il reste du droit du travail. Mais il s’agissait, à n’en pas douter, d’une des formes possible de l’application du projet de directive Bolkestein de destruction généralisée du droit du travail.
Plusieurs intervenants l’ont dit, il faut lier notre lutte contre l’AGCS et celle contre les privatisations, le libre-échange et la directive Bolkestein. Il existe en effet un point commun, un fil directeur entre toutes ces politiques qui ne sont que des applications sectorielles d’une seule et même politique globale, la politique néolibérale. Son cœur, là où il faut viser, c’est la libéralisation, la privatisation, la destruction du droit du travail, le libre-échange.
L’article 16.1 de l’AGCS stipule d’ailleurs que « Les Etats membres [de l’OMC] veillent à ce que ces prestataires soient uniquement soumis aux dispositions nationales de leur Etats membres d’origine ». On retrouve ainsi la notion de « pays d’origine » qui est au centre de la directive Bolkestein.
S’il fallait retenir une leçon de cette Convention, elle serait à l’évidence la suivante : comment informer et mobiliser la population ? Comment intéresser les citoyens ? Comment leur apporter les éléments d’information qui leur permettront de se mobiliser ? Tel est notre problème principal : comment susciter une dynamique dans la population, susceptible de bousculer les politiques néolibérales ? Sans mobilisation de la population, nous n’y arriverons pas.
Un participant a proposé d’établir une sorte de base de données des « bonnes pratiques » en matière d’information et de mobilisation de la population. C’est certainement une idée que le comité de pilotage européen s’attachera à mettre en œuvre.
Pour parvenir à cette mobilisation des citoyens, nous possédons deux atouts incomparables : la « triple alliance » que nous avons constituée entre syndicats, collectivités publiques et associations, et le service public comme alternative au néolibéralisme pour répondre aux besoins de la population.
Notre premier atout est ce que j’appelle la « triple alliance ». C’est ce que nous avons réussi hier et ce matin, l’alliance entre des syndicats, des collectivités locales et des associations. C’est une force immense dont le potentiel est considérable. Cette alliance n’en est qu’au tout début de sa mise en mouvement. Nous n’avons pas encore, loin de là, épuisé toutes les possibilités qui s’offrent à nous de s’adresser à la population et de contribuer à sa mobilisation.
Les syndicats, via leurs adhérents, sont au contact de millions de salariés. L’information peut donc circuler, des formations peuvent être envisagées, que ces salariés soient dans le secteur privé ou dans le secteur public. Les collectivités locales administrent des millions de citoyens. Beaucoup a déjà été fait : pose de panneaux à l’entrée des villes pour dénoncer l’AGCS, expositions dans les services publics locaux, journaux municipaux expliquant ce qu’est l’AGCS, réunions publiques...
Les associations, plus modestement, sont aussi au contact de centaines de milliers de personnes et contribuent, à leur manière, et de façon complémentaire, à la diffusion de l’information, à la formation de l’esprit critique des citoyens et aux mobilisations.
A la différence de bien des réunions internationales, nous n’avons pas entendu, ici à Liège, la langue de bois ou sa cousine, la langue de coton. C’est ainsi que des critiques ont été adressées à des organisations syndicales et à des collectivités publiques à propos desquelles je voudrais réagir.
Plusieurs participants ont regretté une certaine passivité du mouvement syndical sur l’AGCS et les questions de l’OMC. Il est vrai que le mouvement syndical, d’un point de vue général, n’est pas encore vraiment mobilisé contre l’AGCS et les politiques de l’OMC. Ces questions apparaissent loin des préoccupations immédiates des salariés, qui sont soumis à une pression quotidienne sur l’emploi, les salaires, les conditions de travail, les libertés syndicales. S’intéresser à l’AGCS et à l’OMC peut apparaître pour des organisations syndicales, dans ce contexte, comme une sorte de luxe ou de superflu par rapport aux urgences auxquelles elles doivent faire face.
Si le mouvement syndical ne se mobilisait pas contre l’AGCS et les politiques de l’OMC, c’est nous tous qui en serions responsables. Ce serait notre échec collectif qui signifierait que nous ne serions pas parvenus à établir et à démontrer au mouvement syndical et aux salariés la cohérence globale des politiques néolibérales. Car le lien est direct entre le chômage, le gel des salaires, la précarité, les atteintes aux libertés syndicales et les politiques menées par l’Organisation mondiale du commerce. Les négociations en cours, qui doivent se conclure à Hong Kong en décembre, portent sur les services (l’AGCS), l’agriculture, les produits non-agricoles, la propriété intellectuelle, etc. Ces politiques sont d’inspiration néolibérale, c’est-à-dire qu’elles reposent sur le principe absolu de la concurrence et du libre-échange, et par conséquent sur la libéralisation, la privatisation et le retrait de toute intervention publique dans l’économie. Seuls comptent les mécanismes « spontanés » du marché. Ce sont bien ces politiques qui fabriquent du chômage et de la précarité et qui cherchent à écraser toute forme de résistance chez les salariés pour leur imposer les bas salaires et la dégradation de leurs conditions de travail.
A nous d’établir ces liens. Et ce week-end nous avons progressé, jamais la présence d’organisations syndicales n’avait été aussi importante. Notre Convention a ainsi été co-organisée avec le Forum social belge qui compte les deux grandes confédérations syndicales de Belgique. Plusieurs organisations syndicales étaient présentes, venant de plusieurs pays. Certes, les organisations syndicales de salariés du secteur public se sentent peut-être davantage concernées que celles qui représentent les salariés du secteur privé. Mais ce serait une illusion de le croire car l’accélération du libre-échange impulsée par l’OMC affecte directement l’emploi privé par le biais des délocalisations.
A nous, par conséquent, de poursuivre avec patience notre activité d’éducation populaire parmi les salariés et les syndicats.
Des intervenants ont également regretté ce qu’ils ont appelé un « double langage » chez certains élus. Ils ont fait observé que ces derniers, tout en déclarant leur collectivité « hors AGCS », avaient une attitude ambiguë vis-à-vis de services publics locaux qu’ils laissaient au privé – l’exemple de l’eau a été donné – ou même qu’ils s’apprêtaient à privatiser. Personne, ici, n’est naïf. Nous savons très bien que les jeux politiciens et le double langage existent, et que des élus pourraient s’y adonner.
Attention cependant à ne pas adopter d’attitudes intransigeantes qui ne pourraient que ruiner nos efforts.
Oui, il existe des contradictions dans les politiques menées par certaines collectivités publiques qui, d’un côté, sont avec nous contre l’AGCS, et qui, d’un autre côté, semblent ne pas en tirer toutes les conséquences. Résoudre ces contradictions ne pourra se faire, là aussi, que par la poursuite du dialogue avec ces élus et, surtout, par un travail d’éducation populaire enraciné au plus profond de la population.
La « triple alliance » que nous mettons en place permet ce dialogue. Elle peut se traduire par de nouvelles politiques des services publics locaux, associant mieux les élus, les personnels de ces services publics et les usagers. Mais tout cela ne se fera pas brutalement, d’un seul coup, c’est un processus nécessairement long car il remet en cause des décennies d’habitudes et la domination sans partage de l’idéologie néolibérale.
Reconnaissons que pour la première fois quelque chose de radicalement nouveau est en train de naître. On peut même parler de renaissance et de régénérescence.
Pour contribuer à la mobilisation des citoyens nous disposons d’un second atout : le service public. Lui seul peut répondre aux besoins des citoyens, de tous les citoyens. Le marché, par principe, ne peut y parvenir puisqu’il ne s’intéresse qu’aux individus solvables. On entend dire fréquemment que le mouvement altermondialiste serait doué dans la critique mais qu’il n’aurait rien à proposer. Nous proposons le service public ! Il est une alternative puissante et efficace aux politiques néolibérales. Il s’oppose, point par point, à ces dernières :
- la propriété de ces services est publique, elle n’est pas privée, elle ne contribue pas à l’enrichissement personnel d’actionnaires obsédés par le dividende ou la plus-value puisque par définition les services publics ne sont pas cotés à la Bourse et qu’ils ne contribuent pas à la financiarisation des économies. C’est même exactement le contraire, c’est par l’accroissement du poids des services publics que l’on peut contribuer à diminuer le poids des marchés financiers ;
- le service public, et je reprends ici la magnifique conception française qui a une portée universelle, est l’instrument qui permet de répondre aux besoins d’intérêt général. C’est donc le principe d’égalité qui est placé, grâce au service public, au-dessus du principe de la concurrence « libre et non faussée ».
L’intitulé de notre Convention parle de lui-même, nous évoquons la « promotion » des services publics. Nous avons voulu rompre avec la seule défense du service public. Bien sûr, il s’agit pour nous, toujours, de défendre le service public. Mais il s’agit aujourd’hui d’aller bien au-delà, de sortir de décennies d’une posture défensive qui a certainement permis de limiter les dégâts, mais qui n’a pas empêché la destruction massive de nombreux services publics sous les coups de boutoir des politiques néolibérales.
Reprenons la définition française du service public, et je signale que nous préférons cette expression – service public - à celle, qui ressemble à du patagon, utilisée dans les textes de l’Union européenne, qui parlent se « services d’intérêt général ». Il manque simplement le mot « public » alors qu’il est essentiel. Le service public, donc, permet de répondre aux besoins d’intérêt général.
Or, ces dernières décennies, nous avons tous lutté contre le démantèlement des services publics, mais nous n’avons pas lutté, en même temps et avec la même vigueur, pour la promotion de nouveaux services publics. Pourtant de nouveaux besoins d’intérêt général sont apparus dans nos sociétés. C’est le marché qui les a récupéré, tout en les dénaturant, laissant de côté des millions de citoyens.
Prenons quelques exemples :
L’allongement de l’espérance de vie offre une nouvelle vie après le travail. On ne peut pas limiter cette évolution à la nécessité de construire des maisons de retraite ou de faire face à la dépendance. Les nouveaux retraités veulent voyager, retourner à l’université, faire du sport, se cultiver, se distraire, s’impliquer dans la vie sociale...
Alors que nous disposons dans la plupart de nos pays européens de systèmes d’éducation publics à l’échelon national, rien de tel n’existe pour la petite enfance. Tout repose, et heureusement, sur l’intervention des collectivités locales.
On peut faire la même observation pour le sport, la culture, l’eau, le logement, l’environnement, les jeunes exclus du système scolaire sans emploi ni qualification...
Le marché est-il la seule réponse à ces nouveaux besoins ? Il y a place pour des services publics locaux, départementaux et régionaux afin de répondre à ces besoins, anciens ou nouveaux. Permettez-moi une parenthèse à ce propos.
L’année dernière des élections régionales ont eu lieu en France. Sur 22 régions métropolitaines, 21 sont désormais gérées par la gauche. Que s’est-il passé en matière de services publics ?
Rien ! Alors qu’il est possible de reconstruire le service public « par en bas » nous avons plutôt observé de l’inertie et une absence totale d’innovation en la matière.
Pourtant ce sont les collectivités locales, à l’exemple qui a été donné de la création d’un service public départemental des maisons de retraite dans l’Essonne, qui permettent de répondre à ces besoins nouveaux. Mais tout ceci reste émietté, dispersé, inégal. La création de services publics nationaux, et décentralisés, j’insiste beaucoup sur cet aspect car nous avons été tous déçus par le caractère parfois outrageusement centralisé des services publics nationaux, est aujourd’hui une réflexion qu’il convient de mener avec ardeur.
Notre alliance, à Liège, a franchi une étape. Il faut désormais poursuivre dans cette voie et envisager l’avenir. Les interventions à la tribune et dans la salle en ont donné le sens.
Je rappelle par exemple quelques propositions qui ont été faites et qui permettraient, précisément, de franchir de nouvelles étapes : réaliser un audit des services publics à l’échelle locale et construire un référentiel des bonnes pratiques en matière de gestion de ces services publics. Nous avons aussi la perspective du Forum social mondial en janvier. L’année dernière, déjà, nous avions innové, puisque nous avions établi un partenariat avec le Forum des autorités locales pour y intervenir sur les questions de l’AGCS et de l’OMC.
Le Forum social mondial, cette année, vous le savez, est décentralisé à Caracas, à Karachi et à Bamako. Nous avons certainement à nous préoccuper de notre participation à ces trois évènements afin d’étendre encore notre action et d’envisager, pourquoi pas, un jour ou l’autre, une Convention mondiale contre l’AGCS et pour la promotion des services publics ! Ces derniers, en effet, ont une vocation universelle et concernent aussi bien l’échelon local, départemental, régional, national, européen et mondial.
Le comité de pilotage européen que nous avons mis en place est remarquable par sa diversité, tant géographique que politique, puisque s’y trouvent des élus de différentes sensibilités ainsi que des syndicats et des associations de plusieurs pays européens, Attac en étant la cheville ouvrière. Nous pouvons remercier le comité de pilotage, ainsi que le bourgmestre de Liège, pour son accueil à la fois efficace et chaleureuxPour terminer je voudrais reprendre la formule lancée tout à l’heure par mon ami Riccardo Petrella. Il rappelait que le service public, à la différence de l’économie marchande qui nous écrase, relève de l’économie non-marchande. Cette dernière est celle qui vise à répondre aux besoins humains, elle est faite pour l’Homme. Par conséquent, disait Riccardo, le sens de notre bataille est de « défendre le sens du sacré ».
Telle est la perspective que nous propose l’AGCS : la libéralisation « de tous les services, dans tous les secteurs "
Nous avons été tout aussi scandalisés par le cas de cette entreprise d’alimentation dans les Flandres. Elle licencie ses salariés et passe un contrat avec une société d’intérim des Pays-Bas qui recrute des travailleurs Polonais à un salaire défiant toute concurrence. Heureusement, la stratégie de cette entreprise a été mise en échec, grâce à l’intervention des syndicats et de ce qu’il reste du droit du travail. Mais il s’agissait, à n’en pas douter, d’une des formes possible de l’application du projet de directive Bolkestein de destruction généralisée du droit du travail.
Plusieurs intervenants l’ont dit, il faut lier notre lutte contre l’AGCS et celle contre les privatisations, le libre-échange et la directive Bolkestein. Il existe en effet un point commun, un fil directeur entre toutes ces politiques qui ne sont que des applications sectorielles d’une seule et même politique globale, la politique néolibérale. Son cœur, là où il faut viser, c’est la libéralisation, la privatisation, la destruction du droit du travail, le libre-échange.
L’article 16.1 de l’AGCS stipule d’ailleurs que « Les Etats membres [de l’OMC] veillent à ce que ces prestataires soient uniquement soumis aux dispositions nationales de leur Etats membres d’origine ». On retrouve ainsi la notion de « pays d’origine » qui est au centre de la directive Bolkestein.
S’il fallait retenir une leçon de cette Convention, elle serait à l’évidence la suivante : comment informer et mobiliser la population ? Comment intéresser les citoyens ? Comment leur apporter les éléments d’information qui leur permettront de se mobiliser ? Tel est notre problème principal : comment susciter une dynamique dans la population, susceptible de bousculer les politiques néolibérales ? Sans mobilisation de la population, nous n’y arriverons pas.
Un participant a proposé d’établir une sorte de base de données des « bonnes pratiques » en matière d’information et de mobilisation de la population. C’est certainement une idée que le comité de pilotage européen s’attachera à mettre en œuvre.
Pour parvenir à cette mobilisation des citoyens, nous possédons deux atouts incomparables : la « triple alliance » que nous avons constituée entre syndicats, collectivités publiques et associations, et le service public comme alternative au néolibéralisme pour répondre aux besoins de la population.
Notre premier atout est ce que j’appelle la « triple alliance ». C’est ce que nous avons réussi hier et ce matin, l’alliance entre des syndicats, des collectivités locales et des associations. C’est une force immense dont le potentiel est considérable. Cette alliance n’en est qu’au tout début de sa mise en mouvement. Nous n’avons pas encore, loin de là, épuisé toutes les possibilités qui s’offrent à nous de s’adresser à la population et de contribuer à sa mobilisation.
Les syndicats, via leurs adhérents, sont au contact de millions de salariés. L’information peut donc circuler, des formations peuvent être envisagées, que ces salariés soient dans le secteur privé ou dans le secteur public. Les collectivités locales administrent des millions de citoyens. Beaucoup a déjà été fait : pose de panneaux à l’entrée des villes pour dénoncer l’AGCS, expositions dans les services publics locaux, journaux municipaux expliquant ce qu’est l’AGCS, réunions publiques...
Les associations, plus modestement, sont aussi au contact de centaines de milliers de personnes et contribuent, à leur manière, et de façon complémentaire, à la diffusion de l’information, à la formation de l’esprit critique des citoyens et aux mobilisations.
A la différence de bien des réunions internationales, nous n’avons pas entendu, ici à Liège, la langue de bois ou sa cousine, la langue de coton. C’est ainsi que des critiques ont été adressées à des organisations syndicales et à des collectivités publiques à propos desquelles je voudrais réagir.
Plusieurs participants ont regretté une certaine passivité du mouvement syndical sur l’AGCS et les questions de l’OMC. Il est vrai que le mouvement syndical, d’un point de vue général, n’est pas encore vraiment mobilisé contre l’AGCS et les politiques de l’OMC. Ces questions apparaissent loin des préoccupations immédiates des salariés, qui sont soumis à une pression quotidienne sur l’emploi, les salaires, les conditions de travail, les libertés syndicales. S’intéresser à l’AGCS et à l’OMC peut apparaître pour des organisations syndicales, dans ce contexte, comme une sorte de luxe ou de superflu par rapport aux urgences auxquelles elles doivent faire face.
Si le mouvement syndical ne se mobilisait pas contre l’AGCS et les politiques de l’OMC, c’est nous tous qui en serions responsables. Ce serait notre échec collectif qui signifierait que nous ne serions pas parvenus à établir et à démontrer au mouvement syndical et aux salariés la cohérence globale des politiques néolibérales. Car le lien est direct entre le chômage, le gel des salaires, la précarité, les atteintes aux libertés syndicales et les politiques menées par l’Organisation mondiale du commerce. Les négociations en cours, qui doivent se conclure à Hong Kong en décembre, portent sur les services (l’AGCS), l’agriculture, les produits non-agricoles, la propriété intellectuelle, etc. Ces politiques sont d’inspiration néolibérale, c’est-à-dire qu’elles reposent sur le principe absolu de la concurrence et du libre-échange, et par conséquent sur la libéralisation, la privatisation et le retrait de toute intervention publique dans l’économie. Seuls comptent les mécanismes « spontanés » du marché. Ce sont bien ces politiques qui fabriquent du chômage et de la précarité et qui cherchent à écraser toute forme de résistance chez les salariés pour leur imposer les bas salaires et la dégradation de leurs conditions de travail.
A nous d’établir ces liens. Et ce week-end nous avons progressé, jamais la présence d’organisations syndicales n’avait été aussi importante. Notre Convention a ainsi été co-organisée avec le Forum social belge qui compte les deux grandes confédérations syndicales de Belgique. Plusieurs organisations syndicales étaient présentes, venant de plusieurs pays. Certes, les organisations syndicales de salariés du secteur public se sentent peut-être davantage concernées que celles qui représentent les salariés du secteur privé. Mais ce serait une illusion de le croire car l’accélération du libre-échange impulsée par l’OMC affecte directement l’emploi privé par le biais des délocalisations.
A nous, par conséquent, de poursuivre avec patience notre activité d’éducation populaire parmi les salariés et les syndicats.
Des intervenants ont également regretté ce qu’ils ont appelé un « double langage » chez certains élus. Ils ont fait observé que ces derniers, tout en déclarant leur collectivité « hors AGCS », avaient une attitude ambiguë vis-à-vis de services publics locaux qu’ils laissaient au privé – l’exemple de l’eau a été donné – ou même qu’ils s’apprêtaient à privatiser. Personne, ici, n’est naïf. Nous savons très bien que les jeux politiciens et le double langage existent, et que des élus pourraient s’y adonner.
Attention cependant à ne pas adopter d’attitudes intransigeantes qui ne pourraient que ruiner nos efforts.
Oui, il existe des contradictions dans les politiques menées par certaines collectivités publiques qui, d’un côté, sont avec nous contre l’AGCS, et qui, d’un autre côté, semblent ne pas en tirer toutes les conséquences. Résoudre ces contradictions ne pourra se faire, là aussi, que par la poursuite du dialogue avec ces élus et, surtout, par un travail d’éducation populaire enraciné au plus profond de la population.
La « triple alliance » que nous mettons en place permet ce dialogue. Elle peut se traduire par de nouvelles politiques des services publics locaux, associant mieux les élus, les personnels de ces services publics et les usagers. Mais tout cela ne se fera pas brutalement, d’un seul coup, c’est un processus nécessairement long car il remet en cause des décennies d’habitudes et la domination sans partage de l’idéologie néolibérale.
Reconnaissons que pour la première fois quelque chose de radicalement nouveau est en train de naître. On peut même parler de renaissance et de régénérescence.
Pour contribuer à la mobilisation des citoyens nous disposons d’un second atout : le service public. Lui seul peut répondre aux besoins des citoyens, de tous les citoyens. Le marché, par principe, ne peut y parvenir puisqu’il ne s’intéresse qu’aux individus solvables. On entend dire fréquemment que le mouvement altermondialiste serait doué dans la critique mais qu’il n’aurait rien à proposer. Nous proposons le service public ! Il est une alternative puissante et efficace aux politiques néolibérales. Il s’oppose, point par point, à ces dernières :
- la propriété de ces services est publique, elle n’est pas privée, elle ne contribue pas à l’enrichissement personnel d’actionnaires obsédés par le dividende ou la plus-value puisque par définition les services publics ne sont pas cotés à la Bourse et qu’ils ne contribuent pas à la financiarisation des économies. C’est même exactement le contraire, c’est par l’accroissement du poids des services publics que l’on peut contribuer à diminuer le poids des marchés financiers ;
- le service public, et je reprends ici la magnifique conception française qui a une portée universelle, est l’instrument qui permet de répondre aux besoins d’intérêt général. C’est donc le principe d’égalité qui est placé, grâce au service public, au-dessus du principe de la concurrence « libre et non faussée ».
L’intitulé de notre Convention parle de lui-même, nous évoquons la « promotion » des services publics. Nous avons voulu rompre avec la seule défense du service public. Bien sûr, il s’agit pour nous, toujours, de défendre le service public. Mais il s’agit aujourd’hui d’aller bien au-delà, de sortir de décennies d’une posture défensive qui a certainement permis de limiter les dégâts, mais qui n’a pas empêché la destruction massive de nombreux services publics sous les coups de boutoir des politiques néolibérales.
Reprenons la définition française du service public, et je signale que nous préférons cette expression – service public - à celle, qui ressemble à du patagon, utilisée dans les textes de l’Union européenne, qui parlent se « services d’intérêt général ». Il manque simplement le mot « public » alors qu’il est essentiel. Le service public, donc, permet de répondre aux besoins d’intérêt général.
Or, ces dernières décennies, nous avons tous lutté contre le démantèlement des services publics, mais nous n’avons pas lutté, en même temps et avec la même vigueur, pour la promotion de nouveaux services publics. Pourtant de nouveaux besoins d’intérêt général sont apparus dans nos sociétés. C’est le marché qui les a récupéré, tout en les dénaturant, laissant de côté des millions de citoyens.
Prenons quelques exemples :
L’allongement de l’espérance de vie offre une nouvelle vie après le travail. On ne peut pas limiter cette évolution à la nécessité de construire des maisons de retraite ou de faire face à la dépendance. Les nouveaux retraités veulent voyager, retourner à l’université, faire du sport, se cultiver, se distraire, s’impliquer dans la vie sociale...
Alors que nous disposons dans la plupart de nos pays européens de systèmes d’éducation publics à l’échelon national, rien de tel n’existe pour la petite enfance. Tout repose, et heureusement, sur l’intervention des collectivités locales.
On peut faire la même observation pour le sport, la culture, l’eau, le logement, l’environnement, les jeunes exclus du système scolaire sans emploi ni qualification...
Le marché est-il la seule réponse à ces nouveaux besoins ? Il y a place pour des services publics locaux, départementaux et régionaux afin de répondre à ces besoins, anciens ou nouveaux. Permettez-moi une parenthèse à ce propos.
L’année dernière des élections régionales ont eu lieu en France. Sur 22 régions métropolitaines, 21 sont désormais gérées par la gauche. Que s’est-il passé en matière de services publics ?
Rien ! Alors qu’il est possible de reconstruire le service public « par en bas » nous avons plutôt observé de l’inertie et une absence totale d’innovation en la matière.
Pourtant ce sont les collectivités locales, à l’exemple qui a été donné de la création d’un service public départemental des maisons de retraite dans l’Essonne, qui permettent de répondre à ces besoins nouveaux. Mais tout ceci reste émietté, dispersé, inégal. La création de services publics nationaux, et décentralisés, j’insiste beaucoup sur cet aspect car nous avons été tous déçus par le caractère parfois outrageusement centralisé des services publics nationaux, est aujourd’hui une réflexion qu’il convient de mener avec ardeur.
Notre alliance, à Liège, a franchi une étape. Il faut désormais poursuivre dans cette voie et envisager l’avenir. Les interventions à la tribune et dans la salle en ont donné le sens.
Je rappelle par exemple quelques propositions qui ont été faites et qui permettraient, précisément, de franchir de nouvelles étapes : réaliser un audit des services publics à l’échelle locale et construire un référentiel des bonnes pratiques en matière de gestion de ces services publics. Nous avons aussi la perspective du Forum social mondial en janvier. L’année dernière, déjà, nous avions innové, puisque nous avions établi un partenariat avec le Forum des autorités locales pour y intervenir sur les questions de l’AGCS et de l’OMC.
Le Forum social mondial, cette année, vous le savez, est décentralisé à Caracas, à Karachi et à Bamako. Nous avons certainement à nous préoccuper de notre participation à ces trois évènements afin d’étendre encore notre action et d’envisager, pourquoi pas, un jour ou l’autre, une Convention mondiale contre l’AGCS et pour la promotion des services publics ! Ces derniers, en effet, ont une vocation universelle et concernent aussi bien l’échelon local, départemental, régional, national, européen et mondial.
Le comité de pilotage européen que nous avons mis en place est remarquable par sa diversité, tant géographique que politique, puisque s’y trouvent des élus de différentes sensibilités ainsi que des syndicats et des associations de plusieurs pays européens, Attac en étant la cheville ouvrière. Nous pouvons remercier le comité de pilotage, ainsi que le bourgmestre de Liège, pour son accueil à la fois efficace et chaleureuxPour terminer je voudrais reprendre la formule lancée tout à l’heure par mon ami Riccardo Petrella. Il rappelait que le service public, à la différence de l’économie marchande qui nous écrase, relève de l’économie non-marchande. Cette dernière est celle qui vise à répondre aux besoins humains, elle est faite pour l’Homme. Par conséquent, disait Riccardo, le sens de notre bataille est de « défendre le sens du sacré ».
