Alors que de très nombreux Guadeloupéens continuent aujourd'hui encore à tirer la langue, en subissant des coupures d'eau à la chaîne, Amélius Hernandez, l'ancien président du Siaeag doit répondre cet après-midi, devant le tribunal correctionnel pointois, de détournements de fonds publics. Il amène dans son sillage une élue, Maguy Céligny, 6e vice-présidente de la Région.
Certains l'annoncent affaibli et « quasi-aveugle » , dans son « hacienda » de République dominicaine, où il s'est retiré depuis son départ de la présidence du Siaeag (Syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de Guadeloupe). D'autres prédisent qu'il fera malgré tout le déplacement depuis l'aéroport de Santo-Domingo pour « balancer » .
Info, intox ou encore fantasme autour d'un procès attendu en Guadeloupe ? Ce qui est sûr, c'est qu'Amélius Hernandez est cité à comparaître cet après-midi devant le tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre. Tout du moins si le procès a lieu. Car selon nos informations, plusieurs demandes de renvoi ont d'ores et déjà été déposées par des avocats de la défense, dans ce dossier appelé pour la toute première fois.
L'affaire ? C'est celle qui empoisonne le Siaeag depuis des années. Avec des dérives financières dénoncées, rapport après rapport, par la Chambre régionale des comptes. Ce sont d'ailleurs les magistrats la composant qui avaient fini par saisir le parquet de Pointe-à-Pitre dès 2011, pour dénoncer des faits de détournements. D'autres plaintes (lire ci-dessous) avaient suivi dans la foulée.
VOYAGES ET DÉPENSES « SOMPTUAIRES »
L'enquête, menée en préliminaire par le parquet, sans qu'aucune information judiciaire n'ait été ouverte, avait été confiée à la DIPJ (direction interrégionale de la police judiciaire). Il aura fallu attendre jusqu'aux dernières grandes vacances pour que les premières citations ne soient délivrées. Et jusqu'à la veille de celles à venir pour qu'un procès soit (enfin) audiencé.
Pour Amélius Hernandez, les faits reprochés n'ont rien de bien surprenants. Au lieu d'utiliser les fonds du syndicat pour améliorer un réseau déjà poreux - où seule 50% de l'eau produite arrivait dans les robinets -, l'ancien homme fort du Siaeag en aurait détourné une grande partie, selon la prévention. Notamment « en finançant des déplacements personnels d'élus sans rapport avec les missions du Siaeag, comme le Congrès des maires de France ; en finançant des déplacements personnels sans justificatifs ; ou encore en finançant des déplacements d'élus ou de salariés du Siaeag pour des montants somptuaires non justifiés par la nature des missions. »
En clair, pendant que la Guadeloupe tire la langue en raison de coupures d'eau à répétition, certains, à en croire les poursuites qui seront débattues cet après-midi, menaient grand train et belle vie grâce à de l'argent public.
(1) Pour candidater et surtout pouvoir être attributaire d'un marché public, les entreprises candidatant doivent être à jour de leurs cotisations fiscales et sociales. C'est la loi. L'idée du législateur : que l'argent public se dirige en priorité vers des structures privées en règle.
Des élus et proches d'élus soupçonnés d'avoir nagé en eau trouble pour se gaver
Amélius Hernandez ne sera pas le seul inquiété dans l'affaire des détournements de fonds publics. L'homme devra également s'expliquer sur un autre volet lié à l'attribution de marchés publics en violation à toutes les règles.
Ça, c'est l'autre pendant des dérives financières du Siaeag, dans lequel l'ex-président de cette structure se voit cette fois reprocher des petits arrangements « contraires aux dispositions réglementaires et législatives visant à garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics » . Ainsi, Amélius Hernandez aurait favorisé certains responsables d'entreprises ou élus à la tête d'officines, en leur attribuant des marchés ou délégations de service public « avant la date limite de dépôt des candidatures » , « sans respecter les délais de publicité » et sans faire grand cas « de la conformité des attestations sociales et fiscales » des entreprises sélectionnées (1).
Et forcément, il ne sera pas seul pour s'expliquer sur cet ultime volet de l'affaire. Les représentants ou gérants d'entreprises concernées sont également poursuivis.
DES MARCHÉS À PLUS DE 500 000 EUROS
En tout et pour tout, ils seront quatre. Quatre à se voir reprocher du recel « de fonds qu'ils savaient provenir d'un délit d'atteinte à la liberté et à l'égalité d'accès aux marchés publics » , toujours selon la prévention. Les montants en jeu : 654 000 euros pour l'un, 578 000 euros pour un autre, 623 000 euros pour un troisième et 623 000 euros pour le dernier.
Présenté comme ça, tous ceux qui se demandaient encore où passait l'argent du Siaeag disposent d'ores et déjà d'un début de réponse.
Reste que le scandale présumé ne s'arrête pas là. Et c'est peut-être le pompon du dossier : parmi les bénéficiaires de ces marchés faussés, c'est-à-dire les quatre gérants des sociétés incriminées, se trouvent des élus ou proches d'élus.
MAGUY CÉLIGNY, À NOUVEAU
Ainsi le banc des prévenus accueillera Francine Chammougon (pour sa gestion de la SARL FM Communication), Joël Compper (tout à la fois gérant de la SNC Tam Studia, de la SARL Kem Our et de 7 Point Com), Fiston Eulalie (gérant de droit de la SAS Prestige Conseil) et Maguy Céligny (gérante de droit de Vigilan's.com).
Le nom de cette dernière prévenue ne vous est pas inconnu ? Logique : il s'agit de l'actuelle 6e vice-présidente d'Ary Chalus à la Région qui présente comme particularité d'avoir déjà été condamnée en mars dans une affaire d'abus de biens sociaux qui portait sur des transferts d'argent entre la société Vigilan's.com et son compte privé.
Les usagers de l'eau se constituent partie civile
La principale victime dans cette histoire de détournements de fonds publics, c'est bien évidemment le Siaeag. Le syndicat va-t-il du coup se constituer partie civile ? Sur un plan politique, difficile de faire autrement.
En tout état de cause, une autre partie civile devrait se manifester. Il s'agit du comité de défense des usagers de l'eau de la Guadeloupe. Pour son président, Germain Paran, la question ne se posait même pas : « Il est inacceptable que des élus bénéficiant de complicités actives et passives diverses, à tous niveaux, degrés et étages, puissent piller les structures financières des fournisseurs d'eau, sans aucune sanction, en transformant l'usager-client-consommateur en cochons de payeurs, sinon en vaches à lait. »