Allemagne : un marché de l'eau essentiellement public
A l'inverse de la France, l'Allemagne a une culture beaucoup plus tournée vers le public en ce qui concerne la gestion de sa distribution d'eau potable. Plus de 6500 petites entreprises, qui appartiennent en quasi totalité aux communes mais avec délégation ou participations du privé, gèrent l'accès à l'eau. Le modèle utilisé en général est le « Stadtwerke » : une entreprise dont la municipalité garde la propriété mais qui opère sous la loi des sociétés privées. La plupart d'entre elles gèrent la distribution d'une seule commune.
Le mouvement de privatisation a néanmoins commencé au début des années 1990, avec RWE, E.on ou encore Veolia, qui ont progressivement pris des participations dans les structures municipales. La raison de cette ouverture du capital provient notamment du besoin de financement dans les nouveaux Länder de l'est. En 1999, par exemple, la distribution de l'eau de Berlin a été partiellement privatisée, avec la prise de parts du capital à hauteur de 49,1% par RWE et Veolia.
Syndicats, communes ou encore consommateurs se sont mobilisés contre ces privatisations. A tel point qu'en 2002, le Bundestag s'est prononcé contre la libéralisation du secteur de l'eau. Une décision confirmée deux ans plus tard par le Parlement européen. A Berlin, des citoyens ont organisé la résistance, faisant voter en 2011, par référendum, la publication du contrat secret signé avec RWE et Veolia ainsi que son annulation. En 2012, Berlin rachète sa part à RWE, soit 24,95% de la Berliner Wasserbetriebe.
Oriane Raffin
Le mouvement de privatisation a néanmoins commencé au début des années 1990, avec RWE, E.on ou encore Veolia, qui ont progressivement pris des participations dans les structures municipales. La raison de cette ouverture du capital provient notamment du besoin de financement dans les nouveaux Länder de l'est. En 1999, par exemple, la distribution de l'eau de Berlin a été partiellement privatisée, avec la prise de parts du capital à hauteur de 49,1% par RWE et Veolia.
Syndicats, communes ou encore consommateurs se sont mobilisés contre ces privatisations. A tel point qu'en 2002, le Bundestag s'est prononcé contre la libéralisation du secteur de l'eau. Une décision confirmée deux ans plus tard par le Parlement européen. A Berlin, des citoyens ont organisé la résistance, faisant voter en 2011, par référendum, la publication du contrat secret signé avec RWE et Veolia ainsi que son annulation. En 2012, Berlin rachète sa part à RWE, soit 24,95% de la Berliner Wasserbetriebe.
Oriane Raffin
Arte :
Werner Rügemer Sur le papier, l’Allemagne a de la chance par rapport à certains de ses voisins européens : elle dispose de ressources naturelles optimales qui lui assurent une eau de qualité, en quantité suffisante. Mais comme ailleurs, avec l’usage intensif des industries, l’eau fait l’objet d’une exploitation lucrative. Pour mieux prendre en l’écologie, tout en faisant de l’eau un « bien exploitable » sur le plan économique, la législation a été modifiée en Allemagne, s’appuyant sur la directive européenne sur l’eau. Problème : comme depuis des années, les administrations chargées de l’environnement doivent composer avec des suppressions de postes, il n’est guère envisageable d’appliquer de manière durable des critères écologiques.
La gestion de cette ressource ne suscite pas l’unanimité. Les exploitations qui produisent de l’eau potable et celles qui traitent les eaux usées ont longtemps entièrement dépendu des communes. Vers 1990, leur privatisation a commencé, une tendance poussée toujours plus en avant par les gouvernements allemands successifs, sans oublier l’Union européenne. Ce sont surtout les conglomérats de l’énergie comme RWE, Vattenfall, Energie Baden-Württemberg, E.on et Veolia qui ont racheté des parts des usines et régies municipales dans les grandes villes et celles de taille moyenne. La participation commence à 25 % (Cologne), se stabilise à une moyenne standard de 49,9 % (Berliner Wasserbetriebe) et peut même atteindre les 90 % (Rheinische Wasserwerke). Les grands groupes financent de nombreux postes d’enseignement : Veolia par exemple a prolongé jusqu’en 2015 la chaire consacrée à la gestion de l’eau à l’université technique de Berlin ; jusqu’à présent, les personnes occupant ces postes évitent toute forme de critique envers leurs sponsors.
A l’heure actuelle, le gouvernement fédéral veut privatiser la gestion des cours d’eau et des fleuves. Un secteur qui emploie 13 000 personnes rattachées au ministère des transports. Il est prévu de ne plus entretenir l’intégralité des voies navigables mais de se concentrer sur celles qui assurent le transport de marchandises en fonction des tonnages. Les cours d’eau qui n’ont aucun intérêt pour l’industrie seraient laissés à l’abandon ou confiés à des groupes privés, lesquels pourraient prélever des taxes auprès des usagers (compagnies de navigation fluviale, touristes). Un projet qui risque bien de menacer la qualité de l’eau.
Les grands groupes ne se contentent pas d’aller dans le sens d’une augmentation des prix et d’un transfert des bénéfices, ils réduisent aussi les effectifs : à Berlin, depuis la privatisation de la régie de l’eau en 1999, sur 7 500 postes, 2 000 ont été supprimés. En Allemagne de l’Est, les pronostics erronés de la réunification (les fameux « paysages fleuris ») ont débouché sur la construction d’installations surdimensionnées alors que la consommation en eau et le volume des eaux usées connaissaient un recul spectaculaire. Les hausses des prix se sont succédées, car pour des raisons économiques, les propriétaires se refusent à entériner le démantèlement des installations.
Même si outre-Rhin, l’eau potable est sujette à une réglementation particulièrement stricte, la qualité de l’eau allemande n’atteint que la 57e place du classement mondial établi par l’UNESCO en 2003. De plus en plus, les Allemands consomment l’eau minérale en bouteille commercialisée par les grands groupes de l’agro-alimentaire. Et de nombreux citoyens s’opposent à la privatisation et à ses conséquences. « Retour aux communes », c’est leur slogan. En 2008, à Leipzig, une initiative a conduit à un référendum qui a empêché la vente de la régie municipale des eaux. A Stuttgart, en 2010, le conseil municipal a suivi l’avis du Forum de l’eau et a décidé de racheter au groupe EnBW les infrastructures produisant de l’eau. Le 13 février 2011, les Berlinois ont décidé par référendum que les contrats de privatisation jusque-là tenus secrets - à Berlin comme ailleurs - devraient dorénavant être publiés. Un premier pas vers le retour au service public, seule manière de garantir durablement une eau sûre et de bonne qualité, accessible à tous.
Werner Rügemer est éditeur, écrivain, responsable d'éducation. Il est Membre de Transparency International et du Conseil scientifique d'Attac.
Plus d'informations : Allemagne : un marché de l'eau essentiellement public
Werner Rügemer Sur le papier, l’Allemagne a de la chance par rapport à certains de ses voisins européens : elle dispose de ressources naturelles optimales qui lui assurent une eau de qualité, en quantité suffisante. Mais comme ailleurs, avec l’usage intensif des industries, l’eau fait l’objet d’une exploitation lucrative. Pour mieux prendre en l’écologie, tout en faisant de l’eau un « bien exploitable » sur le plan économique, la législation a été modifiée en Allemagne, s’appuyant sur la directive européenne sur l’eau. Problème : comme depuis des années, les administrations chargées de l’environnement doivent composer avec des suppressions de postes, il n’est guère envisageable d’appliquer de manière durable des critères écologiques.
La gestion de cette ressource ne suscite pas l’unanimité. Les exploitations qui produisent de l’eau potable et celles qui traitent les eaux usées ont longtemps entièrement dépendu des communes. Vers 1990, leur privatisation a commencé, une tendance poussée toujours plus en avant par les gouvernements allemands successifs, sans oublier l’Union européenne. Ce sont surtout les conglomérats de l’énergie comme RWE, Vattenfall, Energie Baden-Württemberg, E.on et Veolia qui ont racheté des parts des usines et régies municipales dans les grandes villes et celles de taille moyenne. La participation commence à 25 % (Cologne), se stabilise à une moyenne standard de 49,9 % (Berliner Wasserbetriebe) et peut même atteindre les 90 % (Rheinische Wasserwerke). Les grands groupes financent de nombreux postes d’enseignement : Veolia par exemple a prolongé jusqu’en 2015 la chaire consacrée à la gestion de l’eau à l’université technique de Berlin ; jusqu’à présent, les personnes occupant ces postes évitent toute forme de critique envers leurs sponsors.
A l’heure actuelle, le gouvernement fédéral veut privatiser la gestion des cours d’eau et des fleuves. Un secteur qui emploie 13 000 personnes rattachées au ministère des transports. Il est prévu de ne plus entretenir l’intégralité des voies navigables mais de se concentrer sur celles qui assurent le transport de marchandises en fonction des tonnages. Les cours d’eau qui n’ont aucun intérêt pour l’industrie seraient laissés à l’abandon ou confiés à des groupes privés, lesquels pourraient prélever des taxes auprès des usagers (compagnies de navigation fluviale, touristes). Un projet qui risque bien de menacer la qualité de l’eau.
Les grands groupes ne se contentent pas d’aller dans le sens d’une augmentation des prix et d’un transfert des bénéfices, ils réduisent aussi les effectifs : à Berlin, depuis la privatisation de la régie de l’eau en 1999, sur 7 500 postes, 2 000 ont été supprimés. En Allemagne de l’Est, les pronostics erronés de la réunification (les fameux « paysages fleuris ») ont débouché sur la construction d’installations surdimensionnées alors que la consommation en eau et le volume des eaux usées connaissaient un recul spectaculaire. Les hausses des prix se sont succédées, car pour des raisons économiques, les propriétaires se refusent à entériner le démantèlement des installations.
Même si outre-Rhin, l’eau potable est sujette à une réglementation particulièrement stricte, la qualité de l’eau allemande n’atteint que la 57e place du classement mondial établi par l’UNESCO en 2003. De plus en plus, les Allemands consomment l’eau minérale en bouteille commercialisée par les grands groupes de l’agro-alimentaire. Et de nombreux citoyens s’opposent à la privatisation et à ses conséquences. « Retour aux communes », c’est leur slogan. En 2008, à Leipzig, une initiative a conduit à un référendum qui a empêché la vente de la régie municipale des eaux. A Stuttgart, en 2010, le conseil municipal a suivi l’avis du Forum de l’eau et a décidé de racheter au groupe EnBW les infrastructures produisant de l’eau. Le 13 février 2011, les Berlinois ont décidé par référendum que les contrats de privatisation jusque-là tenus secrets - à Berlin comme ailleurs - devraient dorénavant être publiés. Un premier pas vers le retour au service public, seule manière de garantir durablement une eau sûre et de bonne qualité, accessible à tous.
Werner Rügemer est éditeur, écrivain, responsable d'éducation. Il est Membre de Transparency International et du Conseil scientifique d'Attac.
Plus d'informations : Allemagne : un marché de l'eau essentiellement public