L'hypothèse selon laquelle les mésaventures de VU
et son flamboyant P-DG recèleraient une "affaire dans
l'affaire", possiblement aussi retentissante qu'en son temps
le crash du Crédit Lyonnais, depuis belle lurette caressée par
votre serviteur, m'apparaît gagner en consistance au fil des
semaines, et ce notamment à la lumière : - de la
parution il y a quelques jours du "Messier" de Martine Orange,
journaliste au Monde, - et de toutes récentes déclarations
publiques de Jacques Espinasse, nouveau directeur financier de
VU, puis d'Henri Proglio, P-DG de Veolia.
Seul problème, l'étourdissant silence accompagnant la
révélation, publique, d'informations pour le moins
inquiétantes.
Je vous laisse juge des suites à apporter, de
préférence collectivement (formes à définir) aux informations
ci-après.
1. Les provisions pour renouvellement dans "Le Dossier
de l'eau", par Marc Laimé. 2. Les provisions pour
renouvellement dans "Une faillite française", par Martine
Orange. 3. Questions.
1. Les provisions pour renouvellement dans "Le Dossier
de l'eau", par Marc Laimé. (...)
"PROVISIONS MIRIFIQUES.
Famille cagnotte le retour. Examinons cette fois le
poste "provisions pour renouvellement". Superbanco! Sous cette
appellation anodine se dissimule l'un des scandales majeurs de
notre économie-casino. Ces "provisions pour renouvellement"
qui alimentent fréquemment un "Fonds de garantie" sont
officiellement présentées comme un mécanisme d'amortissement
qui permet aux collectivités d'étaler dans le temps les
engagements financiers qu'elles vont devoir consentir pour
assurer l'entretien et le renouvellement des réseaux gérés par
l'entreprise privée. Quelques dizaines de centimes ou quelques
francs sont donc prélevés sur chaque facture d'eau par
l'entreprise titulaire d'un contrat. A charge pour cette même
entreprise d'affecter les milliards de francs ainsi collectés
à l'entretien et au renouvellement des
réseaux. L'entreprise facture donc à l'avance à la
collectivité (en fait à l'usager) le montant des frais de
renouvellement des installations. Ensuite c'est elle qui
décidera d'effectuer, ou non, des travaux en puisant dans
cette fabuleuse cagnotte. Dans l'hypothèse même où elles ne
seraient pas surévaluées ces provisions présentent en outre le
considérable avantage d'être déductibles des bénéfices que
réalise l'entreprise... Et ce n'est pas tout.
Nos Trois Soeurs ne sont pas corsetées par les règles
draconiennes de la comptabilité publique qui entravent
l'activité des régies directement gérées par une commune. Dès
lors nos "provisions pour renouvellement" sont en outre
placées, pour de très longues périodes, par les entreprises
qui réalisent par ce biais de nouveaux et très importants
bénéfices supplémentaires! Touche finale au tableau, les
milliards de francs ainsi prélevés sur les factures des
usagers en vue d'éventuels frais d'entretien et de remise en
état des réseaux deviennent tout à fait légalement la
propriété des entreprises privées en fin de contrat si les
travaux pour lesquels ils ont été "provisionnés" n'ont pas été
effectués par l'entreprise! La tentation est donc forte de
différer jusqu'à la fin du contrat des chantiers de
renouvellement pourtant justifiés pour empocher le magot. Ou,
plus subtil, d'engager des travaux importants juste avant la
fin du contrat, mais qui n'écorneront qu'une partie du bas de
laine, dont le solde revient à l'entreprise. Avant dans la
foulée de signer un nouveau contrat qui supportera lui, en
fait c'est bien sur l'usager qui paiera la note, le coût des
travaux déjà engagés restant à effectuer, qui n'avait pas été
imputé sur les "provisions pour renouvellement" du contrat
précédent!
La Chambre régionale des comptes du Rhône s'était
inquiétée en 1997 du montant comme de l'utilisation des "fonds
de renouvellement" engrangés entre 1987 et 1995 par la
Générale des eaux (Vivendi) qui gère depuis des lustres dans
le cadre d'un contrat d'affermage les services que lui a
délégués la Courly (Communauté urbaine de Lyon). En l'espace
de 8 ans ces provisions se chiffraient à 575 millions de
francs... Dans le même laps de temps le montant des travaux
engagés par la Générale en puisant dans cette cagnotte qui
leur est en principe destinée n'excédait pas les 153 millions
de francs. On imagine la force de frappe financière que peut
représenter pareil trésor de guerre. En 1996 la Générale des
eaux (aujourd'hui Vivendi) a procédé à un regroupement de ses
"provisions pour renouvellement" à l'échelle nationale. D'un
montant de 27 milliards de francs elles lui assuraient sans
coup férir une plus-value de 4 milliards de francs... C'est
ainsi que Vivendi a pu à maintes reprises transférer à l'une
de ses filiales à l'étranger des "provisions" qui n'avaient
pas été consommées dans leur totalité et qui étaient tout à
fait légalement devenues sa propriété à la fin du
contrat.
C'est en fait par le biais d'un dispositif extrêmement
sophistiqué, et pour le moins opaque, que la maison-mère de la
filiale Environnement de la Générale, qui ne s'appelait pas
encore Vivendi a organisé un sidérant jeu de trésorerie à
partir de 1996. En fait un véritable tour de passe passe dont
le butin permettra à Jean-Marie Messier de partir à la
conquête d'Hollywood, avec les résultats que l'on sait... Pour
comprendre il faut revenir à l'accession de notre homme à la
tête de la Générale des Eaux en 1994.
Compromise dans les affaires de corruption politique,
"plombée" par des spéculations aventureuses dans l'immobilier,
la respectable centenaire prend l'eau. Elle est, déjà, au bord
de la faillite. Son endettement dépasse ses fonds propres,
elle n'a plus de réserves, a investi 38 milliards de francs
dans l'immobilier mais passé seulement 3 milliards de francs
de provisions sur ces engagements en 1994. Panique dans le
monde des affaires, déjà traumatisé par le crash du Crédit
Lyonnais. Deux des "parrains" du capitalisme français,
Ambroise Roux et Guy Dejouany, alors P-DG de la Générale,
proposent donc, avec l'accord d'Edouard Balladur, de faire
appel à un homme providentiel : Jean-Marie Messier. Fort
d'un imposant carnet d'adresses qui s'est enrichi (le carnet
d'adresses) après qu'il ait supervisé les privatisations en
qualité de directeur de cabinet de Camille Cabana, puis
rejoint Matignon comme conseiller du premier ministre. Avant
de "pantoufler" comme banquier d'affaires chez Lazard. Le
nouveau P-DG commence à faire le ménage et taille sauvagement
dans les branches malades du groupe. Tout en préparant déjà au
pas de charge son redéploiement dans les medias et la
communication, en s'emparant de Canal Plus puis d'Havas. Le
pôle de BTP, rebaptisé Vinci, est vendu. Mais la santé
financière du groupe est encore fragile. Fin 1997 certains de
ses engagements immobiliers laissent présager d'une nouvelle
perte de 3 milliards de francs.
Pour éponger ce nouveau déficit, et se donner les
moyens de poursuivre ses investissements à marche forcée dans
la communication, notre futur "roi du monde" va oser ce que
personne n'avait imaginé avant lui. S'emparer de la colossale
cagnotte accumulée dans chacune des sociétés de distribution
d'eau du groupe, destinée en principe aux réparations et à la
modernisation des réseaux. Nos fameuses "provisions pour
renouvellement"... Puis les réintégrer dans les comptes de la
maison-mère. Montant du butin : 24 milliards de francs! Il
faudra bien pourtant un jour que les filiales du pôle "eau"
remplissent leurs engagements. Les commissaires aux comptes de
Vivendi font grise mine. J6M n'en a cure. Les collectivités
locales concernées ne mesurent pas les risques encourus ou
laissent faire... L'affaire est si rémunératrice qu'elle sera
rééditée l'année suivante avec la filiale Dalkia, spécialisée
dans le chauffage urbain. Butin : 3 milliards de francs. C'est
fort de ce trésor de guerre que J6M peut concrétiser ses
ambitions. La Générale laisse place à Vivendi en mai 1998, la
valse des acquisitions à prix d'or débute. Cendant, USFilter,
AOL-Europe, Pathé, Elektrim, Vizzavi, Seagram, Houghton
Mifflin, EchoStar, USA Networks... L'UMTS en 2001. Vivendi
Environnement est ensuite filialisée. Elle héritera des 17
milliards d'euros de dettes du groupe avant d'être introduite
en bourse. Et la folle calvacade se poursuivra jusqu'aux
premiers craquements de l'édifice au printemps
2002...
Mais que vont donc devenir nos réseaux d'eau? Comment
leur entretien et leur réfection vont-ils pouvoir être
assurés? Vivendi a donc imaginé de "préempter" et de mettre à
la disposition du groupe une part substantielle de
l'autofinancement des métiers de l'environnement,
essentiellement issu des "provisions pour renouvellement" des
réseaux. Ces sommes considérables étaient jusque là
"créditées" dans la comptabilité de chacune des filiales de
distribution d'eau et de chauffage. Elles seront en fait
regroupées à partir de 1996 au sein d'une société de
réassurance. Dans le jargon, une "captive". Or cette émanation
de Vivendi, General Re Financial Products, est basée en
Irlande. Un paradis fiscal. Les filiales concernées, Vivendi
Environnement ou Dalkia, versent une prime annuelle à cette
société irlandaise, qui s'engage en contrepartie à payer les
dépenses des réseaux exploités par Vivendi Environnement. En
1999 les filiales d'eau et de chauffage avaient ainsi versé
1,6 milliards de francs à General Re Financial Products en
Irlande. Le rapport annuel de Vivendi pour l'année 1999
mentionnait qu'elles avaient reçu en retour 1,2 milliards de
francs pour leurs travaux sur les réseaux. Mais ne précisait
pas ce qu'il était advenu des 400 millions de francs de
différence...
En 2000 ce furent 38 millions d'euros "siphonnés" sur
l'activité eau qui remontèrent directement vers la
maison-mère, via la "captive" off-shore
irlandaise...
Auditionnés le 26 septembre 2002 par la Commission des
Finances, de l'Economie générale et du Plan de l'Assemblée
nationale, Jean-René Fourtou et Jacques Espinasse, nouveaux
P-DG et Directeur financier de Vivendi, s'efforçaient de
rassurer des parlementaires inquiets : "Le dispositif date de
1997. Les provisions sont externalisées. Elles ont été
transférées sur une société de réassurance irlandaise et
portent sur un milliard d'euros. L'engagement implique le
versement, échelonné dans le temps, de 224 millions d'euros,
par tranches de 15 millions. Ces engagements seront tenus.
La société est solide grâce à ses fonds propres. Les
inquiétudes n'ont pas lieu d'être. D'ailleurs, la distribution
de l'eau n'est pas une activité libre. Elle est très
contrôlée. La participation de Vivendi Universal, de près de
40%, n'empêche pas Vivendi Environnement d'être une société
autonome. Sa solidité lui permet de suivre un rythme
d'investissement très important, afin de saisir les
opportunités liées à l'évolution des marchés de l'eau à
l'étranger. Ses actifs sont excellents et son cash-flow
important. Peut-être pourrait-on simplement regretter
maintenant que les deux entreprises n'aient pas été séparées
auparavant."
Ce même 26 septembre l'Union générale des Syndicats FO
de Vivendi écrivait à Jean-René Fourtou et lui demandait de
répondre clairement à ses questions sur les provisions pour
renouvellement. Avec copie d'un précédent courrier adressé
à Jean-Marie Messier le 1er Octobre 2001, auquel celui-ci
n'avait jamais répondu. Courrier dans lequel le syndicat
chiffrait à 35 milliards de francs le montant des provisions
transférés par Vivendi dans sa captive off-shore
irlandaise...
Depuis plusieurs années notre major assimile donc à une
"prime d'assurance" les provisions pour renouvellement. Prime
qui aurait pour contrepartie la couverture de risques
inconnus.
Sauf que nos provisions sont comptablement, et
fiscalement, conçues pour couvrir des dépenses prévisibles.
L'entretien et le renouvellement des réseaux. En fait, comme
n'ont pas manqué de le stigmatiser plusieurs Chambres
régionales des comptes, cette pratique qui voit le délégataire
se conduire comme un assureur relève d'une logique purement
financière. Incompatible avec le principe selon lequel
l'usager ne doit payer que les charges correspondant au coût
réel du service qui lui est rendu. Conséquence inévitable, les
sommes ainsi "préemptées" reviendront en grande partie à
l'entreprise à l'issue du contrat...
Car la facturation d'un montant de travaux calculé
comme une prime d'assurance conduit à ce que celle-ci soit
très supérieure au prix réel des travaux effectifs
correspondant. Ce qui devrait relever d'un compte de
provisions pour travaux de renouvellement, dont l'excédent
éventuel aurait, de ce fait, été réintégré chaque année dans
la comptabilité, est dès lors encaissé définitivement par les
fermiers. Et sans contrepartie réelle, suivant la pratique des
assureurs, qui ne reversent jamais la différence entre les
primes qu'ils perçoivent et les remboursements de sinistres
auxquels ils font face...
COMPTES PLOMBES. Les
provisions pour renouvellement procurent donc à nos Trois
Sœurs un apport de trésorerie aussi considérable que
parfaitement infondé en équité. L'affaire prend des allures de
scandale quand on se souvient des investissements gigantesques
(entre 10 à 20 milliards d'euros) qui vont devoir être engagés
ces prochaines années pour le renouvellement intégral des
conduites en plomb qui équipent encore aujourd'hui plus de dix
millions de logements en France. Car les magistrats de la Cour
des Comptes ont constaté à maintes reprises que dans de
nombreuses villes, c'est le cas particulièrement à Paris, les
concessionnaires n'ont pas réellement utilisé les "provisions
pour renouvellement" pour moderniser les réseaux, lors même
qu'ils s'y étaient contractuellement engagés. Pis, le
regroupement à l'échelle nationale de l'ensemble de ces
provisions constituées localement, auquel a procédé par
exemple Vivendi à partir de 1997, a rendu extrêmement
difficile la "traçabilité" des sommes qui étaient affectées à
l'entretien des réseaux. "C'est évidemment une manoeuvre,
fulminait dans l'hebdomadaire Marianne le 18 mars 2002 Raymond
Avrillier, l'élu écologiste par qui le scandale de l'eau a
éclaté à Grenoble au début des années 90. Le problème du plomb
était connu depuis les années 70. Les compagnies auraient du
renouveler les canalisations depuis longtemps en puisant dans
leurs réserves." Aujourd'hui ces entreprises se tournent vers
les collectivités locales et les pressent de voter de nouveaux
budgets. Faisant valoir que, selon la nouvelle norme
européenne, un foyer français sur deux est exposé à un risque
lié au plomb. Et qu'il faut donc aller vite. Arguant même à
l'occasion que, "principe de précaution" oblige et vu
l'imminence du péril, des plus hypothétique, il convient donc
d'investir massivement quelles que soient les clauses des
contrats en cours... La défunte loi Voynet sur l'eau prévoyait
bien que les provisions non utilisées soient reversées aux
municipalités. Reste que les contrats en cours peuvent aussi y
faire obstacle. De plus cette loi, qui a été prestement
renvoyée aux oubliettes par le gouvernement Raffarin dès l'été
2002, ne pouvait pas avoir d'effet rétroactif.
En attendant les affaires continuent de plus belle. Et
dans l'immédiat ce sont nos industriels qui vont tirer profit
de la psychose du plomb. On trouvait déjà dans les magasins de
bricolage des appareils qui traquent le calcaire ou les
nitrates dans l'eau du robinet. La Générale des Eaux
présentait le 16 mars 2002 un nouveau filtre anti-plomb
pouvant se fixer en un tourne-main sur n'importe quel robinet.
Il est réputé pouvoir faire disparaître toute sensation de
"mauvais goût". L'innovation vise bien évidemment les 10
millions de logements anciens toujours lestés de canalisations
en plomb. Une manière de contre-attaque alors que les
consommateurs se tournent en masse vers l'eau minérale. Ou
se précipitent sur les carafes de filtrage qui font la fortune
de l'industriel allemand Brita, dont les ventes françaises ont
doublé entre 1998 et 2001.
Le filtre mis au point par la Générale est issu d'un
programme de recherche de deux ans et d'un coût de 450 000
euros, conduit par l'entreprise en collaboration avec le CNRS
et le Laboratoire d'hygiène régional en santé publique de
Nancy. Le filtre contient de la zéolithe, un silicate naturel,
greffée sur du charbon actif. "Elle piège le plomb et le
retient dans sa structure" résumait Marie-Odile Simonnot
chercheuse du laboratoire nancéien qui a participé à sa mise
au point. "La capacité de filtrage des cartouches représente
l'équivalent de six mois de consommation pour une famille de 4
personnes", précisait-elle. Mis en vente dès l'été 2002, au
prix de 100 euros, ce filtre recouvre l'appareil proprement
dit, ainsi que sa cartouche, à changer tous les six mois pour
un supplément de 50 euros. Soit 5 centimes d'euro le litre
traité. "A ce prix-là, cela reste moins cher que d'acheter
régulièrement de l'eau minérale", assurait Olivier Salvat,
directeur du marketing de la Générale des Eaux. Mais
potentiellement des plus rémunérateur pour l'entreprise. 100
euros par installation, puis 50 euros tous les 6 mois, pour un
parc potentiel de dix millions de logements à remettre aux
normes... Mais qu'on se rassure : "La Générale des eaux
n'utilisera pas son fichier d'abonnés à la distribution
d'eau", martelait Olivier Salvat, balayant par avance toute
accusation de pratiques douteuses.
Il est en fait rarissime qu'une collectivité puisse
mettre un terme aux abus générés par l'existence des
provisions pour renouvellement. A cet égard Lille fait figure
d'exemple. Mais seule une très forte volonté politique aura
permis à la collectivité d'interrompre la captation d'une
rente abusive. La collectivité urbaine de Lille (CUL) avait
signé en 1985 un contrat, sous forme d'une concession de 30
ans, avec la Société des Eaux du Nord, filiale de Vivendi et
de Suez-Lyonnaise des Eaux créée en 1912. Jusqu'en 1997 la CUL
ne disposait même pas de compte d'exploitation prévisionnel
établi par l'entreprise. Mais elle découvre que celle-ci a
accumulé 1,027 milliards de francs de provisions. Il lui
aura fallu consulter les comptes de la société au greffe du
Tribunal de commerce pour s'en apercevoir! En fait 90% de
l'activité de la filiale reposait sur la CUL.
Après cette découverte qui la conforte dans l'idée que
"la Société des Eaux du Nord avait une activité
essentiellement bancaire", la CUL s'engage dans la négociation
d'un avenant quinquennal au contrat initial. Tâche éprouvante.
Gérard Courbet, en charge du contrôle de gestion de la
collectivité, en relatait les difficultés lors de son audition
le 18 mai 1999 par le Haut Conseil du secteur public : "Tout a
été discuté à la lettre avec beaucoup de prudence, jusqu'à
l'analyse devant le Tribunal administratif d'un adverbe de
l'article de révision quinquennale, pour obtenir la simple
autorisation de discuter! Notre première démarche a consisté à
faire étudier les comptes de la concession par une commission
arbitrale. Elle s'est traduite, dans un premier avenant
strictement économique, par un gain de 51 centimes sur le prix
de l'eau, réparti en une baisse de 43 centimes pour l'usager
et une enveloppe de 84 millions de francs de travaux
supplémentaires financés par le concessionnaire. (...) Nous
avons forcé le concessionnaire à expliciter la garantie de
renouvellement, c'est-à-dire la dotation en provisions, par
des travaux réels en fonction du patrimoine
existant".
A
ce stade c'est, selon leurs propres termes, l'utilisation d'un
subterfuge qui permet aux responsables de la collectivité
d'aller plus loin. C'est la signature de ce premier avenant
qui permettra en effet au Préfet de saisir la Chambre
régionale des comptes pour faire vérifier les comptes du
distributeur. Le rapport de la Chambre démontrera que 95% de
la provision de 1,027 milliards de francs inscrite dans les
comptes de la société devaient être attribués à la CUL. Et non
50% comme c'était le cas jusque là! La Chambre précisera en
outre que les produits financiers de cette provision devaient
revenir à la collectivité, estimant qu'à la fin du contrat le
solde du poste provisions non utilisé était une dette de la
société vis à vis de la collectivité. Jusqu'alors ces
produits financiers ne lui étaient pas reversés, mais prêtés
aux maisons mères (Vivendi et Suez) à des taux très
favorables... Un second avenant permettra donc à la CUL
d'obtenir que l'entreprise participe, sur toute la durée du
contrat, à hauteur de 35 millions de francs par an, à des
travaux de réfection (qualité de l'eau, branchements au
plomb...). Avenant qui établira de surcroît un protocole de
contrôle financier, technique et qualité. Au total les gains
s'établiront chaque année à une réduction totale des coûts de
60 millions de francs pour les usagers, soit 1,20 francs par
m3 d'eau...
Jean-Louis Destandeau, secrétaire général de la
collectivité, conclura: "Grâce à son poids, la CUL (a pu)
mobiliser des moyens d'investigation importants. Tout cela
soulève le problème du morcellement communal. Une des
critiques formulées après les lois de 1982 considérait que la
décentralisation bénéficiait aux grandes sociétés. Je suis
favorable à une régulation de caractère national, de nature à
obliger les sociétés à établir des documents clairs, définis
et obligatoires. Il est indispensable d'apporter aux
collectivités territoriales une assistance juridique et
technique. Les communautés d'agglomération renforcent l'unité,
mais le chemin à parcourir est important. Les conditions
réunies à la CUL (étaient) exceptionnelles".
Autre point que le contribuable pourra juger tout aussi
"exceptionnel" : aux yeux de l'administration fiscale les
provisions pour renouvellement ressortissent des "normes
pratiquées dans la profession". Ipso facto elle n'ont donc
jamais posé de problème particulier au fisc..."
in "Le Dossier de l'eau. Pénurie, pollution,
corruption", Marc Laimé, ed. du Seuil, mars 2003, pages 155 à
164.
2. Les provisions pour renouvellement dans "Une
faillite française", par Martine Orange :
(...) "Fin 1997, pourtant, ses espoirs s'évanouissent.
Le groupe découvre de nouveaux engagements immobiliers,
jusque-là passés inaperçus. Ajoutés aux milliards déjà connus,
cela peut se traduire par un résultat net en perte de plus de
450 millions d'euros (3 milliards de francs) pour l'année.
Pour Messier, c'est inenvisageable. Si le groupe pouvait être
dans le rouge deux ans auparavant, pour tirer un trait sur la
succession de Dejouany, il ne peut pas se permettre de plonger
à nouveau. Ce serait avouer que tout n'a pas été vu, que tout
n'a pas été dit au moment de son arrivée. Ce serait aussi se
couper de l'avenir. Les marchés risqueraient de sanctionner
lourdement cette faute. Et sans cours élevés il ne peut
envisager de rachats futurs. Il faut donc trouver une
solution.
Guillaume Hannezo, le directeur financier, n'est jamais
à court d'idées. Ce sera l'un des plus grands numéros de
prestigiditation jamais imaginés. Pour couvrir le déficit
immobilier, les deux hommes décident de prendre l'argent là où
il est : dans les réserves financières accumulées pour assurer
les réparations et le renouvellement des réseaux de chaque
société de distribution d'eau dont la gestion a été déléguée à
la Générale. Ces sommes, prévues par la loi, sont prélevées
sur chaque facture d'eau des consommateurs depuis des années.
Le montant total, dispersé dans toutes les sociétés d'eau en
France, est impressionnant : 3,66 milliards d'euros (24
milliards de francs). Tout est rapatrié vers la maison
mère!
L'argent est vite utilisé et va se perdre dans les
méandres comptables du groupe. Pour couvrir les engagements de
l'immobilier en cours et les dépenses futures liées aux
travaux de modernisation des réseaux, un systême complexe de
mutualisation des risques est mis au point, couvert par une
structure de réassurance logée en Irlande. "Un montage assez
original", ne pourra s'empêcher de déclarer Jacques Espinasse,
nouveau directeiur financier du groupe, qui éprouvera le
besoin de revenir sur cette mécanique devant la commission des
finances de l'Assemblée nationale, le 26 septembre 2002. Les
commissaires aux comptes mettent quand même en garde les
actionnaires sur le changement substantiel et discutable
intervenu dans la société. Ils seront les seuls.
La Commission des opérations de Bourse (COB), chargée
de veiller au respect des normes comptables, elle, avalise le
montage. Les actionnaires, eux, ont du mal à suivre les
tenants et aboutissants de ce transfert massif de fonds. Ils
ne constatent qu'une seule chose : grâce à cette opération
exceptionnelle, leur société enregistre un bénéfice de plus de
2 milliards.
Le monde des affaires a mieux compris l'intérêt de ce
jeu comptable. Mais tous ont décidé de fermer les yeux sur
l'utilisation d'un pactole conçu pour préserver la fiabilité
d'une exploitation faisant l'objet d'une concession de service
public. Messier les a convaincus qu'il ne fallait pas
bouger, qu'il en allait de l'avenir du groupe.
Ayant accepté le mensonge sur la situation réelle de
celle-ci deux ans auparavant, personne n'entend révéler la
vérité maintenant et handicaper Jean-Marie, qui a accepté, au
nom de tous, de redresser la situation. Un laisser-faire
lourd de conséquences : la haute direction qui vient de
prendre le pouvoir y acquiert le sentiment de jouir d'une
impunité totale.
Quant aux collectivités locales, la plupert ne
comprennent pas ces subtilités comptables qui les lèsent comme
leurs administrés. Des villes comme Paris ou Lille voient
ainsi leurs sociétés concessionnaires privées de plus de 150
millions d'euros (un milliard de francs). L'opération est
si profitable que le groupe la renouvellera l'année suivante
chez Dalkia, la filiale énergie, en regroupant à nouveau les
réserves accumulées dans les sociétés de concession de
chauffage, ce qui lui permettra d'engranger 450 millions
d'euros (3 milliards de francs) supplémentaires!
Une fois que l'activité immobilière aura quitté le
groupe, que les plus lourdes traces seront effacées, le
président de Vivendi commencera à avouer les chiffres, pour
rappeler à l'ensemble de la communauté financière ce qu'on lui
doit : "La Générale des eaux aura perdu dans l'immobilier 37,8
milliards de francs (5,7 milliards d'euros), soit plus que ses
fonds propres" (1) = Jean-Marie Messier, J6M.com),
déclare-t-il. Le bilan, toutefois, n'est pas tout à fait
complet. Pour régler le dossier, le groupe a fait preuve d'une
très grande créativité comptable et d'une estimation très
généreuse des pertes, au détriment, semble-t-il, des
contribuables français. Aux 3,6 milliards d'euros de reprise
des réserves, se sont, en effet, ajoutés de multiples
dégrèvements fiscaux et crédits d'impôts dont ces inspecteurs
des Finances connaissent le maniement sur le bout des doigts.
Selon une note interne établie fin décembre 2000 par la
direction financière pour tirer les conclusions de l'aventure
immobilière, le groupe a obtenu "68 milliards de francs (10,3
milliards d'euros) d'assiette négative fiscale pour une perte
économique de 40 milliards (6,09 milliards d'euros)". Si le
calcul est exact, le groupe a réussi à obtenir 4,2 milliards
d'euros de crédits d'impôts de plus que ses pertes. Un cadeau
fiscal d'un montant exceptionnel sur lequel jamais les
autorités ne semblent avoir éprouvé le besoin de se pencher.
Cela permettra, à rebours, d'améliorer, par effet d'optique,
ses résultats, grâce au crédit d'impôts.
Ces jeux comptables et fiscaux bénéficient à la maison
mère, mais appauvrissent son activité principale, les services
collectifs. Privée de ces réserves dont elle assurait la
gestion qui stabilisait son bilan, servait de fonds de
roulement permanent et assurait les frais financiers de
sociétés en concession, la filiale (La future VE, note de ML),
est maintenant totalement déséquilibrée. Elle n'a plus les
moyens suffisants pour assurer à la fois ses dépenses de
fonctionnement et son développement. Mais cela compte moins
aux yeux de Jean-Marie Messier."
in "Une faillite française", Martine Orange et Jo
Johnson, Albin Michel, avril 2003. Chapitre "Le Meccano de la
Générale", p. 82 à 85.
3. Questions.
3.1. Respectivement parus en mars et avril 2003, les
deux ouvrages précités n'ont pas fait l'objet de poursuites à
ce jour.
3.2. Allant plus loin que ML, MO affirme que
:
(...) L'argent est vite utilisé et va se perdre dans
les méandres comptables du groupe. Pour couvrir les
engagements de l'immobilier en cours et les dépenses futures
liées aux travaux de modernisation des réseaux, un système
complexe de mutualisation des risques est mis au point,
couvert par une structure de réassurance logée en Irlande
(...)
(...) "Le monde des affaires a mieux compris l'intérêt
de ce jeu comptable. Mais tous ont décidé de fermer les yeux
sur l'utilisation d'un pactole conçu pour préserver la
fiabilité d'une exploitation faisant l'objet d'une concession
de service public. Messier les a convaincus qu'il ne
fallait pas bouger, qu'il en allait de l'avenir du
groupe."
3.3. Tout lecteur attentif conclura donc (en dépit de
"l'énormité" apparente de l'hypothèse), que tout ou partie de
ces 25 à 35 milliards de francs, légalement,
contractuellement, fiscalement, destinés à l'entretien et au
renouvellement des réseaux gérés par la Générale des eaux,
dans le cadre de ses 8000 délégations de service public en
France (26 millions d'habitants) ont été "détournés" de leur
affectation originelle.
3.4. En droit ce type de pratique s'assimile
généralement à un ABS...
3.5. A cette aune on comprend mieux pourquoi il devînt
urgent de "flinguer" le soldat Messier à partir de l'automne
2001, car on sait désormais que la suite de ses exploits
menaçait de conduire VU (et ipso facto VE et la Générale), à
la cessation de paiement. Dans cette hypothèse, la découverte
du pot-aux-roses n'aurait pas manquer d'éclabousser sévèrement
l'ensemble du personnel politique. Et tout particulièrement le
gouvernement de la gauche plurielle, qui avait donc, en
l'espèce DSK, consenti à la même époque des avantages fiscaux,
aussi mystérieux que considérables (4,2 milliards d'euros de
crédits d'impôts) audit Messier...
(Et l'on notera au passage que la courageuse,
vigilante, impertinente, etc., "presse de gauche", tous titres
confondus, ne témoigne pas d'un grand empressement à
s'enquérir de ce qu'il est advenu de nos fameuses
"provisions"...).
3.6. On comprendra aisément, par contre, la "montée au
créneau", entre autres de Messieurs Santini, Delevoye, et
jusqu'au Président de la République lui même quand il apparut
que VU prenait l'eau...
3.7. On comprend donc de moins en moins (enfin c'est
selon...), l'obstination, et des medias et des politiques, et
du Monde, à justifier l'éviction dudit Messier par le
prétexte, risible, de son annonce new-yorkaise dans laquelle
il proclama la "fin de l'exception culturelle française",
prélude à l'éviction de Pierre Lescure de la direction de
Canal Plus. (Outre les cabrioles financières récurrentes du
susdit jusqu'à sa chute).
3.8. On peut derechef (et naïvement), s'étonner du
silence assourdissant de l'establishment depuis lors, surtout
après avoir entendu :
-
les explications confuses de Jacques Espinasse, nouveau
directeur financier de VU, interpellé par un actionnaire sur
nos "provisions de renouvellement" lors de l'AG de VU du mardi
29 avril 2003, - et surtout la brève déclaration d'Henri
Proglio, P-DG de Veolia, interrogé à son tour le lendemain,
mercredi 30 avril 2003, par le même actionnaire, et sur le
même sujet, lors de l'AG de Veolia, ledit Henri Proglio
répondant, en substance, que les lesdites provisions seraient
"reconstituées"!
Reconstituer (Petit Robert) : (...) "2. Rétablir dans
sa forme, dans son état d'origine, en réalité ou par la pensée
(une chose disparue)."
Si les mots ont un sens, il appert donc que des
provisions d'un montant de 25 à 35 milliards de francs se
seraient possiblement bel et bien envolées (à Hollywood?),
puisqu'on nous assure qu'elles seront à l'avenir
"reconstituées"...
Sachant que ces provisions sont constituées par voie de
prélèvement sur la facture de l'usager d'eau, tout laisserait
donc à croire, que notre "reconstitution" va être opérée par
voie de nouveau prélèvement sur le même.
Sauf à considérer, et c'est l'évidence bien sur!, que
l'hypothèse de pareil forfait dépasse l'entendement, il n'en
apparaît pas moins tout à fait urgent de récupérer la
transcription des propos précités de Mrs Espinasse et Proglio,
qui, si les échos qui nous en ont été rapportés s'avéraient
exacts, "replacés dans le contexte", ouvriraient à n'en pas
douter d'affriolantes perspectives aux... 26 millions de
Français, victimes, sans le savoir, d'un hold-up qui ne
connaît guère d'équivalent dans l'histoire récente. Hormis, et
rien n'est moins sur, cet autre "monument" que constitua en
son temps (la préhistoire), l'épisode du Crédit
Lyonnais...
Nota : on ne me fera pas accroire que les politiques ne
"savent" pas, que certains medias ne "savent" pas. Je me perds
donc en conjectures sur cet étourdissant silence... Sauf à
considérer, par exemple, (2 précédents messages) que l'amicale
impressionnante des politiques de toute obédience pantouflant
joyeusement dans nos compagnies dessinerait les pistes d'un
début d'explication?
Bien à vous.
Marc Laimé Journaliste Auteur du livre le dossier
de l'eau : pénurie, pollution, corruption aux Editions du
Seuil (sorti en mars 2003) Membre de
l'ACME |