Oscar Olivera, le leader de la coordination de Cochabamba pour la défense de l’eau et de la vie réfléchit aux leçons retirées des luttes pour l’eau menées en Bolivie, aux défis comme aux priorités du nouveau Ministère de l’Eau bolivien.
Pourquoi vous êtes-vous impliqué dans la lutte pour défendre l’eau et pourquoi vous êtes-vous battu contre sa privatisation à Cochabamba ?
Dans le contrat de la concession d’eau qu’avait Aguas del Tunari et dans son règlement de service concernant l’eau potable, les mesures prises affectaient directement les gens dans leur vie de tous les jours.
– L’une d’entre elles était le prix et la « dollarisation »de l’eau pour les gens connectés au réseau central ;
– une autre était l’expropriation des réseaux hydrographiques alternatifs qui avaient été construits par des centaines de coopératives ;
– et troisièmement, il s’était créé un marché de l’eau qui mettait ainsi un terme aux utilisations traditionnelles et aux coutumes dans la gestion de l’eau et qui retirait les droits des communautés à leurs propres ressources en eau.
En plus de ces règles, « ils » avaient instauré un taux fixe de 16 % de rendement pour la multinationale et avec ça, la population devait même demander la permission au contrôleur des services d’Assainissement pour collecter l’eau de pluie.
Un résidant, connecté au réseau central, a vu ses tarifs triplés en un jour. Les gens qui n’étaient pas connectés, ne pouvaient pas obtenir d’eau à cause du monopole de la multinationale.
Les réseaux hydrographiques communs, construits grâce aux travail de tous, ont été remis à la compagnie sans aucune compensation en retour. Ils ont fait exactement la même chose en permettant la gestion des lacs et des rivières appartenant aux petites communautés agricoles.
La privatisation et la politique de la Banque Mondiale ont affecté chacun d’entre nous sans exception parce que personne ne peut vivre sans eau.
Ainsi comment avez-vous réussi à jeter Aguas del Tunari de Cochabamba ?
D’abord nous avons découvert que le contrat de la concession, complètement corrompu et fait dans le dos de la population, favorisait totalement la multinationale aux dépens de la population.
Notre première tâche fut de voir quel type de contrat avait été signé et avec qui, parce que nous ne savions rien. Nous avons découvert que c’était une compagnie enregistrée dans les Îles Caïman, reliée à la compagnie « EU Bechtel », une société italienne « Edison » associée à une autre, « Abengoa », une espagnole. Elle avait un capital déposé dérisoire, de dix millions de dollars alors qu’elle devait gérer un projet de 300 millions de dollars.
Ensuite nous nous sommes mis en charge d’informer les gens des effets de la privatisation et puis, troisièmement nous avons voulu mobiliser les gens pour leur dire que nous ne voulions pas de cette loi ou de ce contrat et qu’Aguas del Tunari devait partir.
Alors nous avons aidé à développer une loi qui a garanti l’accès à l’eau comme un droit du public. Donc nos tâches étaient de faire des recherches, communiquer, évaluer, organiser, mobiliser et finalement proposer .
Où en êtes-vous dans votre élaboration d’un nouveau modèle de gestion de l’eau ?
Il y a toujours beaucoup pour faire, mais nous avons fait quelques avancés significatives. Par exemple sans augmenter les tarifs de l’eau et grâce au travail collectif des communautés, nous avons pu prolonger des réseaux d’eau et d’égouts dans des zones périphériques sur des centaines de kilomètres.
Nous avons établi un syndicat qui met en place la politique de SEMAPA (e service public)et établi le principal moyen de contrôle du citoyen par l’élection de représentants parmi les résidents. Ainsi il y a une base de départ pour un contrôle local même s’il y a toujours beaucoup à faire.
Ce qui manque toujours, ce sont les gens pour prendre des décisions politiques et contrôler les budgets de la société. Nous le réalisons tous les jours et cela ne changera que si nous changeons les règles du jeu dans la gestion des sociétés publiques.
Par exemple, le SEMAPA n’a pas son budget indépendant propre. Au lieu de cela il doit être approuvé par la Municipalité, le Ministère des Finances et le Parlement. En conséquence il n’est pas possible de construire une société « publique-civile ». L’Assemblée constituante devra se débarrasser de ce labyrinthe légal qui ne permet pas le développement d’une société « publique-civile ».
Pourquoi il est si important que la Bolivie ait créé son Premier Ministère de l’Eau ?
Le Ministère de l’Eau est le résultat de luttes sociales et peut accomplir un rôle important parce que l’eau est la vie, la santé et la participation des gens à la gestion des villes et des campagnes. Selon sagesse populaire, l’eau n’est pas la propriété de quelqu’un, mais plutôt un cadeau pour toutes les créatures vivantes.
Le Ministère doit récupérer toutes ces formes de gestion qui prend en compte ce principe dont la connaissance séculaire des communautés indigènes et doit aider à les partager.
Le plus important de tout, le Ministère doit se distancer d’un parti politique et d’un gouvernement, parce que si un fonctionnaire est juste un représentant d’un parti et n’est pas un technicien mais seulement un activiste social, cela pourrait avoir des conséquences sérieuses.
Il serait très grave si le Ministère d’Eau insistait pour que chacun soit du parti du « M.A.S » car ce serait discriminatoire et destructeur et cette attitude bloquerait toute possibilité d’une véritable participation populaire.
Quels sont les défis les plus importants pour ce Ministère ?
Il y en a plusieurs comme :
– la lutte contre les multinationales qui veulent établir différentes formes de privatisation et veulent le faire avec la menace constante de procès dans des cours de justice de la Banque privée mondiale .
– Il y a aussi toujours la mise en place d’une structure dans les gouvernements afin de recevoir les fameuses aides internationales pour des projets de gestion d’eau, mais elles sont fortement conditionnées à l’acceptation imposée de formation de compagnie dont la tendance à la privatisation élimine dans le même temps toute participation de la société civile.
– La communauté d’aide internationale prend une attitude très paternaliste parce que leurs membres croient que les Boliviens sont ignorants et habitués aux eaux des égouts. Le défi est de changer ce rapport vertical et pernicieux.
– L’autre défi est de créer un fonds national pour financer des services de base. En Bolivie il y a beaucoup d’eau, nous sommes un des pays les plus riches dans cette ressource, mais nous avons deux problèmes principaux qui sont les causes majeures de tous nos problèmes : la crise dans la distribution et la contamination environnementale due aux activités minières et du secteur des hydrocarbures. Je crois qu’il est nécessaire de créer un fonds pour résoudre ces deux questions.
– Le troisième défi est de changer les règles imposées par les « Spécialistes » sur la façon dont les sociétés publiques et les coopératives peuvent travailler ensemble. Je crois qu’il nous faut nous débarrasser de ces surveillants extérieurs imposés et que le Gouvernement encourage, de l’intérieur, la création des formes autonomes de gestion de l’eau dans les communautés et les voisinages. Pour conclure, il serait essentiel de rédiger les formes de gestion au niveau de l’Etat et les buts à atteindre en accord avec les utilisations traditionnelles et les us et coutumes de la population.
Pourquoi l’eau est-elle devenue l’axe des luttes sociales en Bolivie ?
– A Cochabamba, à cause de la pénurie d’eau et de l’utilisation cynique que des politiciens ont faite des besoins de base de la population pour obtenir des votes.
– Deuxièmement, pour la façon détournée dont un « actif » public a été remis aux multinationales et à des sociétés privées qui, par conséquent, sont devenues les maîtres d’un bien essentiel pour la vie.
Nous constatons régulièrement que des communautés indigènes et rurales se mobilisent contre la contamination de leurs ressources d’eau.
Le fait que l’on ait donné des concessions aux compagnies pétrolières et minières qui ont conduit à des déplacements de communautés et de leurs ressources en eau, à obliger les gens à se mobiliser. Sans eau, personne ne peut vivre et c’est pourquoi personne ne peut s’approprier ce cadeau, qui est le sang de la terre, notre mère à tous, « Pachamama ».
L’eau a conduit les gens, non seulement en Bolivie, mais partout dans le monde, à réagir. L’Eau est la dernière ressource dont les multinationales ont eu très envie pour faire des bénéfices et nous sommes obligés de la préserver pour les générations futures.
Interview with Oscar Olivera
The leader of the Cochabamba Coordinadora in defense of water and life reflects on the lessons of struggles for water in Bolivia and talks of the challenges and priorities for the new Ministry of Water.
Why did you get involved in the struggle to defend water and to fight privatization in Cochabamba.?
In the contract for the water concession with Aguas del Tunari and the Drinking Water Law they established measures that directly affected people in their daily lives. One of those was the dolarisation of water rates for people connected to the central network, another was the expropriation of alternative water systems that had been built by hundreds of cooperatives and thirdly you had the creation of a market in water that ended traditional uses and customs in water management and removed the rights of communities to their own water sources.
What’s more these rules established a fixed rate of return for the multinational of 16% and even forced the population to ask permission from the Superintendent of Sanitation to collect rain water.
A resident connected to the central network saw his rates triple in one day. People who weren’t connected could not get a service because the multinational had a monopoly.
The communal water systems constructed as a result of everyone’s work were handed over to the company without any compensation. They did exactly the same by handing over the lakes and rivers belonging to small farming communities. The privatization and policies of the World Bank affected everyone without exception because no-one can live without water.
Q. So how did you manage to throw-out Aguas del Tunari from Cochabamba?
First we discovered that the contract of concession, which was completely corrupt and done behind the backs of the population, completely favoured the multinational at the cost of the population.
Our first task was to see what type of contract had been signed and with whom because we didn’t know anything. We discovered that it was a company registered in the Cayman Islands, linked to the US company Bechtel, an Italian company Edison and a Spanish Abengoa. It had a derisory committed capital of ten million dollars to manage a project of 300 million dollars.
The second job was to inform people about the effects of privatization and thirdly to mobilize people to say that we don’t want this law or this contract and that Aguas del Tunari would have to leave.
Then we helped develop a law that guaranteed access to water as a public right. So our tasks were to research, communicate, evaluate, organize, mobilize and lastly propose.
Q. How far have you got in building a new model of water management?
There is still a great deal to do, but we have made some significant advances. For example without raising water rates and as a result of collective work of the communities, we have extended water and sewerage networks in outlying districts by hundreds of kilometers.
We established a trade union which is committed to the policies of SEMAPA [the public utility] and established the principal of citizen control through the election of residents’ directors. So there is a basic foundation for social control although there is still a lot to do.
What are still lacking are people to take political decisions and control the budgets of the company. We are still far off achieving this, and it will only happen if we change the rules of the game in the management of public companies.
For example, SEMAPA does not have its own independent budget. Instead it is approved by the Municipality, the Finance Ministry and Parliament. As a result it is not possible to build a public-social company. The Constituent Assembly will have to get rid of this legal maze which does not allow the development of a public-social company.
Why is it important that Bolivia has created its First Ministry of Water?
The Ministry of Water is a result of social struggles and can fulfill an important role because water is life, health and participation for people in cities and the countryside. According to popular wisdom, water isn’t the property of anyone, but rather a gift for all living beings. The Ministry has to recover these forms of management and the ancient knowledge of indigenous communities and help to share them.
Most important of all, the Ministry must distance itself from party and government politics, because if an official is just a party hack and isn’t a technician or a committed social activist, it could have serious consequences.
It would be very bad if the Ministry of Water insisted that everyone had to be from MAS as this would be discriminatory and damaging to the possibility of popular participation.
Q What are the most important challenges for the Ministry?
There are many: the struggle against multinationals who want to establish forms of privatisation and do this with the constant threat of legal action in private World Bank courts.
There is also still a structure set-up in the State government for receiving the famed international communities’ aid for water projects, but it is strongly conditioned on imposing the formation of companies with a tendency to privatization whilst eliminating any civil society participation.
The international aid community takes a very paternalistic attitude because they believe that Bolivians are ignorant and used to waste water. The challenge is to change this vertical and pernicious relationship.
The other challenge is to create a national fund in order to finance basic services. In Bolivia there is a lot of water, we are one of the richest countries in this resource, but we have two major problems that cause a lot of harm: the crisis in distribution, and environmental contamination by mining and the hydrocarbons sector. I believe it is necessary to create a fund to resolve these two issues.
The third challenge is to change the regulations imposed by the Superintendents on how public companies and cooperatives can work. I believe that they must get rid of the Superintendents and from within Government encourage the creation of autonomous forms of water management within communities and neighbourhoods. To conclude, it will be vital to draw up forms of state management and goals tied to the traditional uses, customs and ways of the people.
Why has water become the axis of social struggles in Bolivia?
In Cochabamba, because of water scarcity and the cynical use that politicians made of peoples’ basic needs in order to get votes.
Secondly, for the underhand ways that a public asset was handed over to multinationals and private companies who as a result got a hold of a good that is essential for life. We are currently seeing indigenous and rural communities mobilizing against the contamination of their water sources.
The fact that concessions were given to petrol and mining companies which led to removals of communities and the removal of their water sources forced people to mobilize. Without water we can’t live, and that’s why no-one can appropriate this gift, which is the blood of mother earth, of Pachamama.
Water has led people, not only in Bolivia but from all over the world, to take action. Water is the last resource longed for by multinationals for profit, and we are obliged to preserve it for future generations.